Envahissement
du petit bateau de pêche Alain-Josée
au large de Pointe-Sapin (N.-B.)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 5 septembre 2001 à 6 h 30, alors qu'il rentrait des lieux de pêche, le petit bateau de pêche Alain-Josée a signalé qu'il était envahi par l'eau. Les trois membres de l'équipage ont été secourus par le bateau de pêche Joshua D. et ont été transportés au quai d'Escuminac. Ultérieurement, le navire partiellement submergé a été remorqué jusqu'à Escuminac, et il a été échoué à cet endroit. Il n'y a pas eu de victimes.
Renseignements de base
Fiche technique du navire
« ALAIN-JOSÉE » | |
---|---|
Numéro de BPC | 153044 |
Port d'immatriculation | Moncton (Nouveau-Brunswick) |
Pavillon | Canada |
Type | petit bateau de pêche |
JaugeNote de bas de page 1 | 12,52 |
Longueur | 11,4 m |
Construction | 1991, Cap-Pelé (Nouveau-Brunswick) |
Propulsion | moteur diesel de 210 BHP entraînant une seule hélice |
Équipage | 3 personnes |
Propriétaire | Jules Savoie, Baie-Ste-Anne (Nouveau-Brunswick) |
Description du navire
L'Alain-Josée est un petit bateau de pêche en bois dont le pont est découvert. La timonerie et les emménagements se trouvent sur l'avant du pont de travail découvert (pont du coffre).
Quoique le navire est utilisé pour différentes pêches, au moment de l'événement, il était affecté à la pêche du hareng (pêche au filet maillant).
Le long du plat-bord tribord, il y a un tambour hydraulique sur lequel les filets s'enroulent. On utilise ce tambour pour mettre à l'eau les filets maillants (voir la photo 2). On rentre ensuite les filets chargés du côté bâbord et on les fait passer d'un côté à l'autre du pont du coffre, en extrayant le hareng des mailles du filet et en le faisant tomber sur le pont découvert. Une fois vide, le filet est enroulé sur le tambour, prêt à être remis à l'eau. On peut utiliser plusieurs filets maillants au cours d'un même cycle de pêche.
Déroulement du voyage
Le petit bateau de pêche Alain-Josée quitte le port d'Escuminac (Nouveau-Brunswick) vers 19 h 30Note de bas de page 2 pendant la soirée du 4 septembre 2001, et se dirige vers les lieux de pêche situés au large de Pointe-Sapin. Le voyage dure environ 1 heure et 30 minutes. Le navire commence à pêcher dès son arrivée sur les lieux de pêche et continue à pêcher pendant toute la nuit.
Au matin du 5 septembre 2001, la prise atteint l'équivalent de 80 barils de hareng, et le contenu de 6 barils se trouve dans 12 caisses à poisson, lesquelles sont arrimées à l'arrière de la timonerie. La plus grande partie de la prise est simplement laissée en vrac sur le pont du coffre découvert.
Au cours de la nuit, les conditions météo, qui étaient modérément calmes, se détériorent graduellement, si bien qu'au petit matin, le temps est orageux. Vers 5 h, compte tenu de la détérioration des conditions météo et de la grande quantité de hareng qu'il y a sur le pont, l'équipage décide de rentrer au port et invite un bateau qui pêche dans les parages à remonter les prises de deux des filets du Alain-Josée qui sont toujours dans l'eau.
Pendant le voyage de retour, le bateau fait face à des rafales de 15 à 20 noeuds soufflant du NNE qui commencent à creuser les vagues. Vers 6 h 30 le vent a forci, atteignant de 20 à 25 noeuds, avec des creux de 3 à 5 m. À ce moment, une vague s'abat sur la poupe et envahit le pont du coffre chargé de poisson. L'équipe commence à jeter du hareng par-dessus bord à l'aide de pelles, mais une autre vague soulève la poupe, et le bateau vient en travers et embarque un autre paquet de mer par-dessus le pavois tribord.
La pompe d'assèchement submersible électrique, installée au fond de l'espace vide sous le pont du coffre, fonctionne normalement en mode automatique. L'équipage fait aussi démarrer à plusieurs reprises une pompe à essence prévue pour les situations d'urgence, mais il finit par l'arrêter car on ne parvient pas à l'amorcer.
L'équipage demande l'aide du bateau de pêche Joshua D. qui se trouve dans les parages. Ce dernier manoeuvre pour se placer à couple avec le Alain-Josée, et les trois membres de l'équipage sautent à bord de l'autre navire. Ils ne portent pas de gilets de sauvetage. Le Joshua D. signale l'incident et demande de l'aide en indiquant la position du navire, soit : 47°02′N, 64°47′O (à environ 2,5 milles marins (nm) au sud de la pointe Escuminac et à 1,5 nm à l'est de la côte du Nouveau-Brunswick). Le Joshua D. rentre ensuite au port.
On envoie sur place le navire auxiliaire de la Garde côtière canadienne (GCC) Sea Princess 1. Toutefois, avant qu'on puisse essayer d'utiliser la pompe d'urgence portative à bord du navire de sauvetage de la GCC, le Alain-Josée abandonné s'est enfoncé, et il n'y a plus que sa timonerie qui soit visible au-dessus de l'eau. Un peu plus tard, on remorque le navire partiellement submergé pour le ramener au port.
Victimes
Personne n'a été blessé.
Avaries et dommages
Le navire a été endommagé par l'eau, mais il n'a subi que peu d'avaries structurelles.
Dommages à l'environnement
Une nappe de carburant diesel mesurant environ 300 m de longueur a été signalée, mais elle a été rapidement dispersée sous l'action du vent et des vagues. On considère que les répercussions sur l'environnement ont été minimes.
Certificats du navire
Ayant une jauge inférieure à 15 tonneaux de jauge brute, le Alain-Josée est régi par le Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche, PARTIE II. Les bateaux de ce type ne sont pas inspectés par Transports Canada (TC) et ne font l'objet d'aucune exigence quant à l'évaluation de leur stabilité ou au contrôle du mouvement du poisson en vrac. Toutefois, les propriétaires des navires doivent faire en sorte que leurs navires soient conformes à toutes les autres exigences, portant notamment sur l'équipement obligatoire de sauvetage, d'extinction des incendies et de navigation.
Brevets du personnel
Même si le règlement ne l'exigeait pas, le propriétaire/patron était titulaire d'un brevet de capitaine de pêche, classe IV.
Conditions météorologiques
Le patron s'est souvenu que, le soir du départ à 17 h, on prévoyait du mauvais temps pour le milieu de l'avant-midi du lendemain.
Les prévisions émises à 15 h 30, le mardi 4 septembre 2001, indiquaient :
- [Traduction]
des vents de 20 à 25 noeuds soufflant du sud-ouest et diminuant à 15 noeuds en début de soirée, puis tournant au nord et soufflant de 15 à 20 noeuds au cours de la nuit; vents tournant au nord-ouest et soufflant à une vitesse de 20 à 25 noeuds au cours de l'après-midi de mercredi; des averses et du brouillard occasionnels au cours de la soirée, qui prendront fin mercredi matin; visibilité mauvaise en raison des averses et du brouillard; peu de changements des températures.
Le matin de l'événement, soit le mercredi, les prévisions maritimes annoncées par Environnement Canada à 3 h le 5 septembre 2001, indiquaient :
- [Traduction]
des vents variables de 10 à 15 noeuds, tournant au nord et atteignant de 20 à 25 noeuds ce matin, puis tournant au nord-ouest de 15 à 20 noeuds jeudi après-midi; orages, averses et bruine occasionnels, se terminant au cours de la soirée; visibilité passable en raison des averses et de la bruine; peu de changements des températures.
D'après le patron du Alain-Josée, la météo à 6 h 30 le 5 septembre 2001, soit lorsque le bateau a été envahi, était ainsi : vents soufflant du nord à une vitesse de 20 à 25 noeuds et accompagnés de pluies d'orage et de creux variant entre 3 m et 5 m. Il a soutenu que ces mauvaises conditions se sont manifestées plusieurs heures plus tôt que ce qu'il avait compris après avoir écouté les prévisions officielles.
Poisson sur le pont
On a rapporté que la quantité totale de hareng qui se trouvait sur le pont équivalait à environ 80 barils. À 113,5 kg par baril, le chargement estimatif total était de 9 080 kg, dont une partie (680 kg) était placée dans 12 caisses arrimées sur l'arrière de la timonerie. Le reste de la prise (8 400 kg) était en vrac sur le pont et était susceptible de se déplacer au gré des mouvements du bateau.
Analyse
Système d'assèchement
L'eau qui s'accumule sur le pont pendant la pêche s'écoule dans les fonds de cale par des trous percés dans le bordé du pont du coffre (voir la photo 3). Les trous de ¾ de pouce sont répartis sur le pont du coffre à des intervalles qui, d'après l'expérience du propriétaire/patron, permettent un assèchement adéquat du pont pendant les opérations normales de pêche.
Le système d'assèchement du pont peut s'avérer adéquat quand on fait la pêche du homard ou de crustacés. Toutefois, lors de l'événement, il y avait sur le pont un chargement considérable de hareng qui recouvrait les orifices d'égouttement, lesquels étaient petits et très espacés. Il s'ensuit qu'une grande quantité de l'eau embarquée ne pouvait pas s'écouler vers les fonds, là où la pompe aurait pu l'aspirer et la rejeter à la mer.
Normalement, l'eau qui s'écoule dans les fonds est évacuée automatiquement par une pompe d'assèchement submersible fonctionnant à l'électricité, de modèle « Rule 3700GPH »
(voir la photo 4). Cette pompe est installée sur l'arrière de la machine principale et est fixée près du fond de la coque, à côté du tunnel de l'arbre porte-hélice.
Quand la pompe d'assèchement électrique ne parvient pas à évacuer toute l'eau, on utilise la pompe à essence de modèle « Honda WN20 », située dans la timonerie, pour évacuer l'excès d'eau de mer accumulé dans les fonds (voir la photo 5a). Un côté du berceau de cette pompe portative a été retiré, et on a coincé la pompe sur le pont, contre le côté intérieur de la cloison arrière de la timonerie. Le moteur à essence de la pompe rejette ses gaz brûlés directement dans la timonerie, et le ravitaillement en essence du moteur se fait à la main à cet endroit, ce qui présente un risque d'asphyxie du timonier ou un risque d'incendie dans le compartiment.
Pompe centrifuge portative
Les pompes portatives Honda (voir la photo 5b) ont occasionné des problèmes de sécurité par le passé, comme on l'indique dans les rapports nos M97M0005 et M97N0099Note de bas de page 3 du BST. En raison des métaux dissemblables dont elles sont faites et des problèmes de corrosion galvanique, ces pompes ne sont pas recommandées pour le pompage d'eau de mer. TC a publié un Bulletin de la sécurité des navires (BSN 98-04) portant sur l'opportunité d'utiliser des appareils de pompage portatifs dans l'environnement marin. Le propriétaire/patron a dit qu'il avait entendu parler des bulletins de la sécurité des navires, mais qu'il n'en avait jamais reçu.
Hareng sur le pont
Sur les 9 tonnes de hareng qu'on avait rentrées à bord du Alain-Josée, seulement 7,5 % de la prise totale était contenu dans des caisses à poisson arrimées (voir la photo 6). La plus grande partie du hareng (8,4 tonnes) était en vrac sur le pont et ballottait au gré du roulis et du tangage du bateau. Contrairement à celui de certains autres bateaux à pont découvert qui sont affectés à la pêche du hareng, le pont du Alain-Josée n'est pas équipé de planches de séparation mobiles qui se glissent dans des montants verticaux fixés au pont et au périmètre du pont du coffre. Ces planches de séparation sont disposées de façon à diviser le pont du coffre dans le sens longitudinal et transversal et forment de petits enclos qui réduisent considérablement le mouvement du poisson sur le pont. S'il y avait eu un tel arrangement à bord du Alain-Josée, le bateau aurait été plus stable et aurait mieux tenu la mer.
Ayant un franc-bord très faible, en l'occurrence environ 30 cm, le bateau était très instable et avait une réserve de flottabilité limitée. Le déplacement du poisson, dont l'effet a été accentué par l'eau qui recouvrait le pont du coffre, risquait de faire chavirer le bateau et de le faire couler.
Envahissement
Quand une vague s'est abattue sur la poupe et le pont du coffre du Alain-Josée, l'équipage a essayé, mais en vain, de jeter du poisson à la mer à l'aide de pelles. On a fait démarrer la pompe à essence qui se trouvait dans la timonerie, mais il semble qu'il n'y avait pas d'eau à pomper dans les fonds, ce qui fait qu'on a arrêté la pompe. Le nombre de poissons recouvrant les orifices d'égouttement du pont empêchait l'eau accumulée sur le pont de s'écouler dans les fonds du bateau.
L'effet de carène liquide dû à l'accumulation d'eau sur le pont a fait ballotter le chargement en pontée à la faveur du roulis et du tangage, ce qui a rendu le Alain-Josée instable. Quand le bateau est venu en travers après la première vague, le poisson s'est déplacé vers tribord et a fait gîter le bateau, après quoi d'autres vagues se sont abattues sur la rambarde tribord et ont envahi le bateau.
Aptitude au service du bateau
Pour qu'un navire soit en état de navigabilité, il faut que son matériel, sa construction et son équipement lui permettent de faire face aux rigueurs du service auquel il est affecté. À l'origine, les bateaux de pêche de type Cape-Island ont été conçus pour transporter des chargements relativement légers avec un franc-bord adéquat.
Depuis quelques années, on utilise des bateaux de type Cape-Island, tels le Alain-Josée, pour des pêches pour lesquelles ils n'ont pas été conçus à l'origine, et on encourage les patrons à transporter en pontée des chargements plus considérables, ce qui réduit le franc-bord et fait en sorte que la marge de sécurité est réduite par gros temps. De plus, des dispositifs comme les systèmes d'assèchement, qui sont conçus pour fonctionner adéquatement pour un certain type de pêche, peuvent altérer la sécurité d'un navire ou faire en sorte qu'il ne soit pas apte au service auquel il est destiné, si le navire en question est affecté à un autre type de pêche.
Pour le Alain-Josée et des bateaux similaires de 15 tonneaux de jauge brute et moins, il n'est pas obligatoire de présenter des données de stabilité et de les faire approuver par TC, que ce soit au moment de la construction du bateau ou lorsqu'il est affecté à un type différent de pêche qui occasionne un accroissement des charges. Par conséquent, le patron d'un tel bateau peut ignorer que l'augmentation de poids, et la diminution du franc-bord qui l'accompagne, peuvent faire en sorte que le bateau ne soit plus apte au service auquel il est destiné et que le bateau risque alors d'être envahi par l'eau.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le Alain-Josée transportait un chargement excessif de hareng sur son pont découvert après avoir pêché pendant que les conditions météorologiques se détérioraient.
- Le bateau ayant un franc-bord réduit, l'eau embarquée à l'arrière du bateau s'est combinée au poisson dont le ballottement n'était pas limité par des planches de séparation placées sur le pont, ce qui a rendu le bateau instable, l'a fait gîter sur tribord et a entraîné son envahissement.
- Le système d'égouttement ne permettait pas d'évacuer adéquatement l'eau qui s'accumulait sur le pont du coffre découvert, à cause du hareng déposé en vrac sur le pont.
Faits établis quant aux risques
- La pompe d'assèchement à essence rejetait ses gaz d'échappement dans la timonerie et le bec de ravitaillement en carburant de la pompe se trouvait aussi dans le compartiment.
- La pompe à essence est d'un modèle qui n'est pas recommandé pour le pompage d'eau de mer.
- Les propriétaires de bateaux de pêche de type Cape-Island peuvent ignorer que l'augmentation du poids des prises, et la diminution du franc-bord qui l'accompagne, peuvent faire en sorte que le bateau ne soit plus apte au service auquel il est destiné.
- Les membres de l'équipage ne portaient pas de gilets de sauvetage.
Autres faits établis
- Le propriétaire / patron n'a pas reçu les Bulletins de la sécurité des navires, lesquels renferment des informations importantes sur la sécurité.
- Il n'y a pas de normes concernant la stabilité des bateaux de cette taille et de ce modèle.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Transports Canada -
Questions relatives à la stabilité
- En novembre 2002, le Conseil consultatif maritime canadien a fait circuler un document de travail portant sur un projet relatif aux exigences en matière de stabilité, afin d'obtenir l'opinion des parties intéressées en vue de la révision de la réglementation. Ce document de travail propose une certaine forme d'évaluation de la stabilité pour tous les bateaux de pêche et il insiste notamment sur les bateaux de pêche « découverts » de moins de 15 tonneaux de jauge brute. Le document présente de nouvelles propositions portant sur les problèmes liés à la stabilité et à la navigabilité, notamment les surcharges, les chargements non arrimés, l'envahissement par les hauts et l'intégrité de l'étanchéité à l'eau, la réserve de flottabilité et l'assèchement.
Diffusion de l'information relative à la sécurité
- Pêches et Océans Canada, Transports Canada et les parties intéressées discutent de la possibilité de distribuer des documents relatifs à la sécurité, tels les Bulletins de la sécurité des navires, en utilisant la base de données dans laquelle Pêches et Océans Canada consigne les noms des titulaires de permis de bateau de pêche.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .