Abordage
entre le vraquier des Grands Lacs
Canadian Prospector
et le transporteur de colis lourds Stellanova
sur la Voie maritime du Saint-Laurent (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 12 octobre 2002, vers 18 h 50, heure avancée de l'Est, le navire montant Stellanova est dans le canal de la Rive Sud sur la Voie maritime du Saint-Laurent et navigue en direction ouest, alors que le navire descendant Canadian Prospector, qui navigue en direction est et vient de passer par le lac Saint-Louis, s'apprête à entrer dans le canal de la Rive Sud.
À l'approche du point milliaire 12, le Stellanova se trouve du côté sud du chenal quand le pilote appelle le Canadian Prospector pour demander d'effectuer un passage tribord sur tribord. Le capitaine du Canadian Prospector acquiesce à la demande du Stellanova et manoeuvre de façon à amener son navire vers le côté nord du chenal. Des manoeuvres sont effectuées pour maintenir le Stellanova du côté sud du chenal, mais le navire fait une embardée vers le centre du chenal, après quoi un abordage se produit entre le Stellanova et le Canadian Prospector.
Les deux navires subissent des avaries importantes. Le Stellanova talonne la berge, ce qui cause une légère pollution qui est éventuellement maîtrisée par les autorités de la Voie maritime du Saint-Laurent. Un membre de l'équipage du Stellanova est légèrement blessé lors de l'impact.
Renseignements de base
Fiches techniques des navires
« CANADIAN Prospector » | « Stellanova » | |
Numéro officiel | 305421 | 18689 |
Port d'immatriculation | Canada | Hollande |
Pavillon | Canada | Hollande |
Type | vraquier des Grands Lacs | transporteur de colis lourds |
Jauge bruteNote de bas de page 1 | 18 526 tonnes métriques | 4962 tonnes métriques |
Longueur | 222,5 m | 95,72 m |
Tirant d'eau (avant) | 7,6 m | 5,90 m |
Tirant d'eau (arrière) | 7,91 m | 5,95 m |
Construction | 1964, Sunderland, Royaume-Uni remis à neuf en 1979 à Halifax (Nouvelle-Écosse) | 1996, Ysselwerf, Hollande |
Groupe propulseur | moteur diesel lent de 5595 kW entraînant une hélice à pas fixe | moteur diesel de 2640 kW entraînant une hélice à pas variable |
Cargaison | Fèves de soja en vrac | Équipement de pétrochimie |
Équipage | 21 personnes | 13 personnes |
Propriétaires | Upper Lakes Group Inc.Toronto (Ontario) | Stella V.O.F. Rotterdam, Pays-Bas |
Le Stellanova
Le Stellanova est un transporteur de colis lourds de 5212 tonnes de port en lourd qui est muni d'une installation de levage sur le côté tribord. Les emménagements sont sur l'avant du navire et la timonerie est du type « passerelle intégrée ».
Le Canadian Prospector
Le Canadian Prospector est un vraquier des Grands Lacs dont la passerelle, les emménagements et la machine principale se trouvent à l'arrière des cales à cargaison. La passerelle est équipée d'un système de cartes éélectroniques (ECS).
Déroulement des événements
Le 12 octobre 2002, le Stellanova est dans le canal de la Rive Sud à destination des Grands Lacs.
Un pilote de la Voie maritime assure la conduite du navire depuis l'écluse de Saint-Lambert. Le second capitaine est l'officier de quart, et un timonier est au poste de barre. Sur le lac Saint-Louis, le Canadian Prospector fait route à destination de Port-Cartier (Québec). Le capitaine commande le navire en présence d'un officier de quart et d'un timonier.
En sortant de l'écluse de Côte-Sainte-Catherine, vers 18 h 19, heure avancée de l'EstNote de bas de page 2, le Stellanova entre en communication avec le Canadian Prospector, lequel vient de doubler l'île Saint-Nicolas. La communication est faite par radiotéléphone très haute fréquence (VHF), sur la voie 8Note de bas de page 3. Les deux contrebordiers conviennent de se rencontrer en aval des bouées V29 et V30, qu'ils désignent par le terme « balises » pendant leur communication.
Vers 18 h 27, le Canadian Prospector entre dans le canal de la Rive Sud alors que le Stellanova réduit sa vitesse à environ deux noeuds à l'approche du quai de Côte-Sainte-Catherine, en raison d'une estacade de confinement qui a été placée autour du Algosound. À 18 h 42, le Canadian Prospector lance un appel de courtoisie pour informer le trafic qu'il se trouve au large de la pointe Church. À 18 h 55, lorsque le navire se trouve sous le pont Honoré-Mercier, sa vitesse et son cap sont respectivement de 6,9 noeuds et de 122° (V).
Entre-temps, à bord du Stellanova, le capitaine remplace le second capitaine. Il s'installe à un poste de travail, à côté de la station du Système mondial de détresse et de sécurité en mer (SMDSM), et entreprend des tâches non liées à la navigation. En amont, au point miliaire 12, le pilote réduit le pas de l'hélice en déplaçant la manette de commande de la position 4 à la position 3. Dans les secondes qui suivent, le Stellanova fait une embardée à bâbord. On a recueilli des renseignements contradictoires quant aux ordres de barre qui ont été donnés par le pilote, à savoir s'il a ordonné de mettre la barre à droite toute ou de mettre la barre à droite cinq degrés, puis de mettre la barre à zéro. À 19 h 6 min 19 s, le pilote communique avec le Canadian Prospector et prend des dispositions pour un passage tribord sur tribord. Le capitaine du Canadian Prospector lui répond qu'il acquiesce à sa demande et que son navire se trouve à l'est des bouées V29 et V30.
Peu après, le Stellanova fait une embardée vers le centre du chenal. Le pilote ordonne au timonier de mettre la barre à gauche toute, mais le Stellanova poursuit sur l'embardée à tribord. À 19 h 6 min 31 s, le Stellanova avise le Canadian Prospector qu'il revient vers le côté nord du chenal et que les deux navires devraient exécuter leur passage de bâbord à bâbord. Le Canadian Prospector rejette catégoriquement la proposition et demande immédiatement une confirmation de l'arrangement précédent concernant un passage tribord à tribord. Le Stellanova répond que sa machine principale est engagée en marche arrière toute.
On rapproche le Canadian Prospector du côté nord du chenal pour donner au Stellanova le plus d'espace possible afin d'éviter l'abordage. Toutefois, l'abordage se produit à 19 h 9 min 37 s. On estime l'angle d'impact à environ 120°. Dès l'impact, le Canadian Prospector évite sur bâbord et sa vitesse-fond passe de 4,1 noeuds à 2,3 noeuds. Au moment de l'impact, le Stellanova est poussé en direction de la rive sud du chenal, où il percute la bande. La mèche du gouvernail et le gouvernail sont gauchis, causant une fuite d'huile hydraulique dans la Voie maritime. À 19 h 12, la station Beauharnois de la Voie maritime reçoit un rapport sommaire des avaries.
Le Canadian Prospector peut poursuivre sa route jusqu'au mur d'approche de l'écluse de Côte-Sainte-Catherine. Pour sa part, le Stellanova est remorqué vers le port de Montréal. On doit interrompre le trafic sur la Voie maritime pendant près de 14 heures afin de permettre aux intervenants de circonscrire le déversement d'huile hydraulique provenant du Stellanova.
Navigation
Au cours du transit sur la Voie maritime, l'équipe à la passerelle du Stellanova était composée d'un pilote, d'un officier de quart, en l'occurrence le second capitaine, et d'un timonier. Les renseignements d'usage ont été portés à l'intention du pilote par le capitaine lorsque le pilote est monté à bord.
Peu de temps avant l'abordage, l'officier de quart a été remplacé par le capitaine. Le capitaine était assis à un bureau de travail muni d'un ordinateur, à côté du poste de commande, et il s'acquittait de fonctions autres que la navigation. Juste avant que le navire fasse sa première embardée, le capitaine prenait place à la table à cartes et essayait de localiser les bouées V29 et V30, bouées que le pilote avait désignées au moyen du terme « balises » dans ses communications avec le Canadian Prospector. Auparavant, on avait convenu que les navires allaient se croiser en aval des « balises ».
Le pilote assurait la conduite du navire et a donné les ordres nécessaires pour moduler la vitesse et modifier le cap jusqu'au moment de l'embardée initiale vers bâbord. Après l'embardée initiale, le capitaine a rejoint rapidement le pilote près du poste de commande. À ce moment, le navire s'approchait de la rive sud et était parallèle à celle-ci. Le capitaine a alors réduit le pas de l'hélice pour faire ralentir le navire.
Alors que les deux navires arrivaient en vue l'un de l'autre, le Stellanova a fait une seconde embardée, cette fois vers tribord. Le pilote a ordonné immédiatement de mettre la barre à gauche toute et le capitaine a augmenté la poussée afin d'aider à corriger le cap. Un peu avant l'abordage, le capitaine a quitté le poste de commande pour prévenir l'équipage de l'impact imminent au moyen de l'installation de diffusion publique du bord; pendant ce temps, le pilote réglait le pas de l'hélice à « en arrière toute ».
À bord du Canadian Prospector, le capitaine qui assumait le pilotage a effectué les communications d'usage avec les Services de communication et de trafic maritimes durant sa progression sur la Voie maritime et il a maintenu une communication étroite avec le Stellanova, entre le moment de l'entrée dans le canal de la Rive Sud et celui de l'abordage.
Manoeuvrabilité du Stellanova
En ce qui a trait aux systèmes de commande du gouvernail et de propulsion, le Stellanova est différent d'un navire classique, car il est équipé d'un gouvernail de type Becker et d'une hélice à pas variable (voir la figure 2). Ainsi, pour accroître davantage la manoeuvrabilité du navire, le gouvernail est muni d'un volet articulé à l'arrière. La barre peut être tournée jusqu'à 35° (en mer) ou 45° (dans le port). Le volet s'articule automatiquement dans la même direction que le gouvernail. Ceci augmente l'angle de barre, et le ratio gouvernail / volet peut atteindre 2 pour 1. L'efficacité du gouvernail donne ainsi au navire de bonnes qualités manoeuvrières dans différentes conditions. Toutefois, l'enquête a permis d'apprendre qu'au moment où le pas de l'hélice est réduit rapidement, alors que le navire est en marche avant, celui-ci aura tendance à abattre inopinément d'un côté ou de l'autre et ce, sans que le navigateur puisse en prévoir la direction.
Ergonomie sur la passerelle du Stellanova
À bord du Stellanova, la timonerie est aménagée suivant le concept de passerelle intégrée. Du poste de commande, la vue vers la hanche tribord est limitée en raison de la huche surmontant la table à cartes (voir les photos à l'annexe A) et de la grue placée sur le côté tribord. Sur l'axe du navire vers l'arrière, la visibilité est aussi réduite en raison de l'accès vers les ponts inférieurs des emménagements (voir les photos à l'annexe A). Pendant la navigation, on doit prendre place sur le côté bâbord de la passerelle ou sur un des ailerons pour être en mesure d'assurer une veille visuelle vers l'arrière.
La passerelle offre une bonne visibilité vers l'avant. Le feu de gouverne bleu est situé à la hauteur de la passerelle, à l'arrière du mât avant (la photo 3 montre la position du feu bleu).
Comme la distance entre la passerelle et le mât avant n'est pas très grande, le feu bleu n'est pas une bonne référence visuelle pour la conduite du navire.
Équipe à la passerelle du Stellanova
L'équipe à la passerelle comptait le capitaine, un timonier et un pilote de la Voie maritime. La communication se faisait de manière informelle et il y avait peu d'échanges concernant la navigation. Le capitaine et le pilote avaient reçu une formation en gestion des ressources à la passerelle (GRP).
Conditions de dispense de pilotage
En novembre 1999, le ministre des Transports a ordonné à l'Administration de pilotage des Grands Lacs (APGL) de resserrer les conditions d'octroi de dispenses de pilotage. L'APGL a consulté l'Association des armateurs canadiens et, au terme des consultations, elle a transmis à Transports Canada un projet de modification du Règlement de pilotage des Grands Lacs. Le 15 avril 2001, le ministre des Transports a demandé à l'APGL de garder en suspens sa demande de modification, en attendant le résultat d'une évaluation des conditions actuelles d'octroi des dispenses de pilotage obligatoire, pour les eaux dont l'APGL a la responsabilité. Exécutée à l'aide de la méthodologie de gestion du risque en matière de pilotage (Pilotage Risk Management Methodology ou PRMM), l'évaluation devait être achevée au début de 2002, et portait sur la possibilité de dispenser du pilotage obligatoire les navires affectés à la navigation en eaux intérieures. Elle devait tenir compte d'éléments comme la formation et les certificats et brevets.
Au cours de l'évaluation, l'Association des armateurs canadiens a mis au point et présenté un programme de formation poussée qui prévoyait des normes et des exigences relatives à la formation sur simulateur, sur la GRP, sur le Système électronique de visualisation des cartes marines et sur les connaissances locales, au processus formel d'évaluation, à un formateur certifié et à une capacité de documentation et de vérification. Le programme de formation n'est pas reconnu par l'APGL. Ce programme est celui auquel les propriétaires du Canadian Prospector ont recours pour la formation de leurs officiers.
Jusqu'à maintenant, les armateurs de navires bénéficiant de dispenses produisent des affidavits attestant que l'officier a accompli le nombre minimal de voyages exigé, mais sans préciser le nombre exact de voyages faits par l'officier. Ils ne sont d'ailleurs pas tenus de donner des précisions à ce sujet.
Dispense de pilotage
Le capitaine qui était sur la passerelle du Canadian Prospector au moment des événements qui ont mené à l'abordage était aussi responsable du pilotage. Il était dûment certifié pour le pilotage en vertu d'une dispense.
Formation des pilotes
Les administrations de pilotage reconnaissent l'importance d'utiliser un simulateur de manoeuvres pour la formation de leurs pilotes. Afin d'atteindre ses objectifs, l'APGL a mis sur pied un programme de formation en collaboration avec un centre reconnu, dont la période sera échelonnée sur cinq ans et qui favorisera l'utilisation d'un simulateur de manoeuvres, comme le propose le programme de cours.
Le programme de cours indique que les exercices de simulation prévus se fondent essentiellement sur des modèles mathématiques qui correspondent à des navires canadiens existants, et que rien n'a été prévu quant à des simulations sur la navigation de navires comme le Stellanova, qui ont des qualités manoeuvrières non traditionnelles. Ce navire est d'un type unique, en ce sens que sa passerelle se trouve sur l'avant et l'ergonomie de sa passerelle est inhabituelle.
En outre, le programme de cours ne tient pas compte de la façon de manoeuvrer un navire muni d'un gouvernail de type Becker pendant une situation d'urgence ou une situation délicate, sans compter que l'expérience pratique normale ne permet pas au pilote de s'exercer à ces manoeuvres.
Analyse
Principes de gestion des ressources à la passerelle - Stellanova
La GRP vise essentiellement à favoriser une utilisation efficace de l'ensemble des ressources humaines et matérielles disponibles pour que les opérations se déroulent en toute sécurité. La GRP traite des questions relatives à la vigilance et à l'attitude des personnes dans le cadre de la gestion des tâches opérationnelles, du stress et des risques. L'optimisation de la gestion de ces éléments influe directement sur quatre facteurs essentiels à la réussite de toute opération, à savoir :
- la conscience de la situation - reconnaître et définir la nature du problème;
- la méta-cognition - réfléchir et porter un jugement sur ses propres activités cognitives ou décisions;
- les modèles mentaux partagés - faire intervenir d'autres personnes dans la résolution de problèmes;
- la gestion des ressources - comprendre les tâches à exécuter, leur degré de priorité ainsi que les ressources nécessaires et disponibles.
Même si le capitaine du Stellanova assumait le rôle d'officier de quart et, par conséquent, était responsable de la navigation, il s'occupait de tâches administratives pendant une partie de la période au cours de laquelle le navire naviguait dans les eaux resserrées du canal de la Rive Sud. Pendant les secondes cruciales qui ont précédé la première embardée, le pilote était le seul à pouvoir se faire un modèle mental clair de la position du navire par rapport au chenal et au navire descendant, le Canadian Prospector. Le fait que le capitaine ne partageait pas activement le poste de commande avec le pilote et qu'il ne participait pas activement aux tâches de navigation ne favorisait pas une communication adéquate sur la passerelle, ni l'établissement d'un modèle mental partagé. Un peu avant la première embardée, le capitaine essayait de trouver la position des « balises » sur la carte. Après le début de l'embardée, le pilote a continué de donner des ordres de barre, mais le capitaine s'est alors chargé de contrôler le pas de l'hélice. Un peu avant l'abordage, le pilote a repris le contrôle du pas de l'hélice.
La surveillance étroite de la progression d'un navire est capitale pour la sécurité de la navigation dans des eaux resserrées, et elle est un facteur très important pour ce qui est de l'exécution des manoeuvres. Il est donc essentiel que chaque membre de l'équipe à la passerelle comprenne bien son rôle et veille à ce que toute information pertinente pour la conduite du navire soit communiquée aux autres membres de l'équipe. Or, il n'en a pas été ainsi.
Par le passé, des rapports d'enquête du BST ont cité la non-application des principes de GRP, comme l'absence de communication efficace ou l'absence d'un modèle mental partagé, comme étant un facteur contributif de plusieurs événements. On constate que ces conditions étaient encore présentes à bord du Stellanova, et ce même si les deux principaux membres de l'équipe à la passerelle avaient reçu la formation sur la GRP.
Perte de contrôle du Stellanova
Dans des eaux resserrées, il incombe d'effectuer une surveillance étroite de la trajectoire d'un navire afin d'assurer la sécurité de la navigation. À cette fin, l'équipe à la passerelle doit être familiarisée avec le fonctionnement de tous les appareils de navigation du bord et doit être au fait des limitations de ce matériel.
Peu après avoir réduit le pas de l'hélice du Stellanova à l'aide de la manette de commande du pas variable, le pilote s'est aperçu que le navire s'était rapproché du côté sud du chenal. À partir de ce moment, l'équipe à la passerelle a effectué des manoeuvres, sans toutefois être capable de reprendre le contrôle du navire.
Les navires munis d'hélices à pas variable ont tendance à perdre leur cap si la réduction du pas de l'hélice est effectuée trop rapidementNote de bas de page 4. La manette de commande sur le Stellanova est relativement petite et n'est pas équipée de contacts à détente à chaque gradient. Il est donc difficile de régler le pas de l'hélice à un gradient prédéterminé, et à plus forte raison lorsqu'il fait nuit et que la situation évolue rapidement. Comme le Stellanova a tendance à abattre inopinément d'un bord ou de l'autre quand le pas de l'hélice est réduit rapidement, et comme le pas de l'hélice à été réduit avant l'embardée, les difficultés associées au réglage du gradient pourraient expliquer en partie le comportement du navire avant l'événement.
L'effet de succion des berges s'apparente à l'accroupissement, mais il s'exerce dans le plan horizontal plutôt que dans le plan vertical. Lorsqu'un navire avance au milieu d'un chenal peu profond, l'écoulement de l'eau de chaque côté de la coque est à peu près symétrique, de sorte que le contrôle de la manoeuvre et la réponse du gouvernail ne sont pas affectés. Toutefois, lorsque le navire se déplace parallèlement à l'axe central d'un chenal étroit peu profond, mais sans être au centre, l'écoulement de l'eau entre le navire et le côté le plus proche du chenal s'accélère, ce qui cause une réduction de pression qui entraîne le navire vers ce côté. L'ampleur de cette succion dépend pour beaucoup de la vitesse du navire, de la profondeur de l'eau et de la distance entre le navire et le côté du chenal.
Lorsqu'un tel effet de succion s'exerce sur un navire, la meilleure façon de tirer le navire de sa mauvaise situation consiste à réduire l'allure. Or, dans l'événement à l'étude, on a augmenté le pas de l'hélice pour neutraliser l'embardée. L'embardée subséquente vers tribord s'apparente à l'effet de succion de la berge.
Lors de l'événement, la timonerie du navire était située sur l'avant du navire et le feu bleu (feu de gouverne) ne constituait pas une bonne référence visuelle permettant de juger de la progression du navire. Par conséquent, il fallait absolument qu'on voit la poupe pour avoir une bonne idée du comportement et de la réponse du navire. Comme l'aménagement du poste de barre et de la salle des cartes gênait la visibilité vers l'arrière, il n'était pas possible de bien voir l'arrière du navire et, partant, d'avoir de bonnes références visuelles pour se faire une idée de la situation à partir du poste de barre. Pour cette raison, il était plus difficile de s'acquitter des fonctions de navigation à partir du poste de commande central.
Il se peut que l'embardée du Stellanova vers le côté sud du canal de la Rive Sud ait résulté de la réduction de la poussée combinée aux difficultés causées par l'ergonomie du navire.
Dans des eaux resserrées, la marge d'erreur est faible et il est difficile de reprendre le contrôle d'un navire après que celui-ci a commencé à embarder. C'est pourquoi il est essentiel que le pilote et le capitaine coordonnent leurs actions et exercent une surveillance étroite de la progression du navire de façon à établir ensemble un modèle mental de l'ensemble de la situation. Après l'embardée vers bâbord, il s'est avéré impossible de stabiliser la trajectoire du navire au centre du chenal. Cela donne à penser qu'il n'y a pas eu une coordination efficace entre le pilote et le capitaine - le capitaine ayant une compréhension approfondie des qualités manoeuvrières du navire et le pilote disposant de grandes connaissances des conditions locales. Le pilote avait une certaine expérience de la conduite de navires équipés de gouvernails de type Becker dans des conditions normales, mais il connaissait peu leurs réactions en situation d'urgence.
Manoeuvres du Canadian Prospector
Après que le Canadian Prospector s'est engagé dans le canal de la Rive Sud, il devait garder une erre suffisante pour pouvoir gouverner. En raison du manque d'espace de manoeuvre, les deux contrebordiers n'ont pas pu éviter l'abordage.
Évaluation des mesures prises à bord du Canadian Prospector
Les renseignements recueillis dans le cadre de l'enquête permettent d'établir que les principes de GRP ont été appliqués à bord du Canadian Prospector.
Communication entre les navires
Il incombe aux navigateurs d'utiliser pour leurs communications des fréquences radiotéléphoniques sur lesquelles les régulateurs du trafic maritime assurent une veille radio. Quand il supervise le trafic, le régulateur doit évaluer l'état du trafic dans son ensemble, et il doit donc être informé de tous les échanges qui concernent la navigation. Les communications entre le Stellanova et le Canadian Prospector se sont faites sur la voie 8 du VHF, une fréquence sur laquelle les régulateurs du trafic de la Voie maritime du Saint-Laurent n'assurent pas une veille radio.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Il se peut que l'embardée du Stellanova vers le côté sud du canal de la Rive Sud ait résulté de la réduction de la poussée combinée à l'ergonomie du navire.
- Le capitaine du Stellanova ne participait pas activement aux tâches de navigation du navire pendant le transit, et l'environnement de la passerelle ne favorisait pas une communication adéquate ou l'établissement d'un modèle mental partagé.
- En raison de l'effet de succion des berges contre le côté sud du chenal, le Stellanova a fait une seconde embardée vers le centre du chenal.
- Le Canadian Prospector n'a pas eu suffisamment d'espace de manoeuvre pour éviter l'impact.
Fait établi quant aux risques
- Des communications liées à la sécurité de la navigation sont faites sur des fréquences dont la Voie maritime n'assure pas la surveillance radio.
Autres faits établis
- Bien que certains navigateurs suivent une formation en matière de gestion des ressources à la passerelle (GRP), les principes de GRP ne sont pas mis en pratique uniformément.
- Le pilote n'avait pas suivi de formation pratique sur la conduite de navires de ce genre, que ce soit dans des conditions non menaçantes ou dans des situations d'urgence. Cette formation aurait permis de mieux apprécier les qualités manoeuvrières particulières du navire et les manoeuvres d'évitement nécessaires.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes