Chavirement et perte de vie
Petite embarcation non pontée Deep Water
Rapides Sechelt près d'Egmont
(Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 1er avril 2002 en début d'après-midi, l'embarcation non pontée louée Deep Water, ayant cinq personnes à bord, chavire dans les eaux turbulentes des rapides Sechelt près d'Egmont (Colombie-Britannique). Quatre personnes seront secourues, une personne se noiera.
Renseignements de base
Fiche technique du navire
Nom | Deep Water |
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Numéro d'identification de coque | POXN8945 |
Type | Embarcation de loisirs non pontée en aluminium |
Jauge bruteNote de bas de page 1 | +/− 1 |
Longueur | 4,9 m |
Largeur | 1,9 m |
Tirant d'eau | 0,5 m à l'avant |
Construction | 1955 - Indiana (États-Unis) |
Groupe propulseur | Un moteur hors-bord à essence Yamaha de 20 ch |
Propriétaire | Propriétaire privé |
Description du navire
Le Deep Water et une petite embarcation de pêche récréative non pontée en aluminium riveté. Sa coque est d'une forme conventionnelle en V avec un arrière à tableau, quatre sièges en travers et deux banquettes longitudinales à l'arrière. Sa flottaison positive est assurée par des blocs de styromousse disposés sous trois des sièges en travers. Une plaque de la Garde côtière canadienne fixée sur la face intérieure du tableau arrière indique que l'embarcation respecte les Normes de construction des petits bateaux du gouvernement canadien. L'embarcation est dotée d'un moteur hors-bord de 20 ch de fabrication récente.
L'équipement de sécurité à bord comprend les éléments suivants : cinq vêtements de flottaison individuels approuvés par le gouvernement, un sifflet, une ligne d'attrape flottante de 10 m et une trousse de premiers soins contenant des bandages et du désinfectant.
Déroulement du voyage
Le 1er avril 2002 en milieu d'avant-midi, un groupe de cinq amis se prépare à louer une petite embarcation de pêche sportive en aluminium dans une marina à Egmont (Colombie-Britannique). Un seul des amis parle anglais avec suffisamment d'aisance pour prendre les dispositions voulues afin de louer l'embarcation non pontée Deep Water. Le propriétaire lui indique de rester à l'écart des eaux turbulentes des rapides Sechelt.
Le Deep Water quitte Egmont à environ 10 h, heure normale du PacifiqueNote de bas de page 2, et prend la direction du nord vers le chenal Agamemnon. Après presque une heure de pêche médiocre, l'embarcation descend vers le sud, traversant les rapides Sechelt jusqu'au bras Sechelt. Le groupe y pêche jusqu'à environ 12 h 45 puis tente de retourner vers le nord par les rapides Sechelt. Contrairement aux conditions de la première traversée, il y a maintenant un fort courant de jusant vers le nord. Le Deep Water est saisi par un vif contre-courantNote de bas de page 3, qui retourne l'embarcation sur 180 degrés et la renvoie vers le sud en direction du bras Sechelt. Avant que l'embarcation ne puisse atteindre les eaux relativement calmes du bras, il chavire dans une section des rapides entre les îlots Sechelt et la pointe Roland.
L'embarcation chavire sur tribord alors qu'elle est dans les eaux turbulentes d'un contre-courant. Sur les cinq personnes, toutes sauf une portent un vêtement de flottaison individuel. Deux personnes s'accrochent à la coque retournée et seront secourues. Deux nagent jusqu'au rivage près de la pointe Roland. Les quatre survivants seront amenés à l'hôpital St. Mary de Sechelt (Colombie-Britannique), non loin, où ils seront traités pour légère hypothermie. La cinquième personne, qui ne portait pas de vêtement de flottaison individuel, sera vue la dernière fois s'accrochant à une glacière de plastique vide, emportée par les courants rapides. Son corps sera retrouvé deux mois plus tard dans le bras Sechelt. (Voir l'annexe A - Croquis des lieux de l'événement.)
Information géographique
Les rapides Sechelt, connus dans les environs sous le nom de rapides Skookumchuck, sont situés à l'entrée du bras Sechelt. Ils s'étendent sur environ 1 000 m de longueur par 500 m de largeur entre la pointe Roland et les îlots Sechelt. Lors de fortes marées, les courants de marée peuvent atteindre 16 noeuds dans les rapides.
Le courant de marée le plus fort se trouve immédiatement à l'ouest du phare des îlots Sechelt; il tire fortement au travers du chenal vers le ouest-nord-ouest. Un important contre-courant survient au nord du phare et des tourbillons se forment près du phare.
Il est dangereux pour tout navire de naviguer sur les rapides Sechelt sauf vers l'étale de courantNote de bas de page 4.
Conditions météorologiques et courants
Les Tables des marées et courants du Canada, volume 5 du Service hydrographique du Canada (SHC) prévoyaient un courant de marée maximum de 13 noeuds coulant dans la direction du 315° (V) à 13 h 5, soit à l'heure approximative de l'accident. Aucun vent n'a été enregistré, et le ciel était dégagé et ensoleillé.
Entreprises locales de location d'embarcations
Egmont (Colombie-Britannique) est la localité la plus au nord sur les 86 km de route le long de la péninsule Sechelt, dont l'extrémité sud se situe à Langdale (Colombie-Britannique). La péninsule Sechelt, que l'on appelle « la côte ensoleillée », présente de nombreuses baies et autres voies navigables abritées, destinations prisées des touristes qui souhaitent louer de petites embarcations non pontées telles que le Deep Water pour faire de la pêche ou des excursions.
Expérience et brevets du conducteur
Même si la personne du groupe désignée comme le conducteur avait déjà loué une embarcation de la même entreprise à deux occasions, elle n'était pas un conducteur d'embarcation expérimenté. Ni elle ni les autres occupants n'avaient reçu de formation ou de brevets en navigation, ce qui n'était d'ailleurs pas exigé.
Location de bateaux et sécurité
Le Bureau de la sécurité nautique (BSN) du gouvernement fédéralNote de bas de page 5 est chargé de promouvoir un comportement sécuritaire et responsable dans les activités de navigation de plaisance. Parmi ses responsabilités figure l'administration du Règlement sur la compétence des conducteurs d'embarcations de plaisance et des dispositions du Règlement sur les petits bâtiments qui s'appliquent aux embarcations de plaisance.
Pour la conduite d'une embarcation de plaisance de location, les preuves de compétence suivantes sont reconnues :
- carte de conducteur d'embarcation de plaisance.
- preuve écrite de la réussite d'un cours de formation avant le 1er avril 1999;
- liste de vérification de sécurité pour bateaux de locationNote de bas de page 6 remplie et signée par le locateur de l'embarcation et par la personne qui la conduira.
L'entrée en vigueur progressive d'exigences à l'égard de ces preuves de compétence est programmée sur une période de 10 ans; elles seront intégralement en vigueur le 15 septembre 2009. Entre-temps toutefois, une personne née avant le 1er avril 1983 et louant une embarcation à moteur de plus de 4 m de longueur, comme dans le cas présent, n'est pas tenue de remplir et signer une liste de vérification de sécurité pour bateaux de location ou de présenter une autre preuve de compétence reconnueNote de bas de page 7.
La liste de vérification de sécurité pour bateaux de location a pour but d'améliorer la sécurité des entreprises de location d'embarcations à moteur en favorisant l'utilisation sécuritaire des eaux navigables, en créant un souci de la sécurité à l'égard de la navigation de plaisance et en donnant aux conducteurs d'embarcations de plaisance un moyen de démontrer leur compétence. La liste contient les tâches, compétences et connaissances nécessaires à la conduite sécuritaire d'un bateau de location.
Opérations de recherche et de sauvetage
Les activités de sauvetage ont été déclenchées lorsqu'une personne à terre qui avait observé l'accident a téléphoné au service 911. L'après-midi et la soirée du jour de l'accident, le Centre interarmées de coordination des opérations de sauvetage de Victoria (Colombie-Britannique) a chargé 11 bateaux et un hélicoptère de sauvetage de participer aux activités de sauvetage. En outre, les services provinciaux d'urgences-santé ont dépêché un hélicoptère et deux ambulances. Une des ambulances a servi à transporter les survivants à l'hôpital St. Mary à Sechelt (Colombie-Britannique).
Analyse
Expérience du conducteur de l'embarcation
Lors de la traversée d'une zone d'eau agitée, la sécurité d'un bateau dépend en grande mesure de l'expérience du conducteur de l'embarcation. Dans le cas présent, aucune des personnes à bord de l'embarcation louée n'avait reçu de formation à la conduite. Même si la personne qui conduisait au moment de l'accident avait une certaine expérience de la navigation - ayant déjà loué des bateaux -, elle n'était pas un conducteur d'embarcation expérimenté. Ainsi, elle peut ne pas avoir reconnu les dangers associés à la conduite d'une petite embarcation non pontée dans de forts courants de marée.
Il est toujours dangereux de tenter de naviguer dans des eaux rapides ou turbulentes à bord d'une petite embarcation non pontée. Le fait que la traversée des rapides Sechelt ait été tentée au moment où le courant de jusant était près de son débit maximum a contribué à ce que l'embarcation soit saisie par un vif contre-courant puis perde sa stabilité transversale et chavire.
Utilisation de gilets de sauvetage et de vêtements de flottaison individuels
Les embarcations de plaisance doivent être dotées d'un gilet de sauvetage ou d'un vêtement de flottaison individuel approuvé par les autorités canadiennes d'une taille adéquate pour chaque personne à bord. Le gilet de sauvetage, mis au point pour les navigateurs professionnels, est conçu pour assurer la flottaison tête hors de l'eau, en cas de blessure, de la personne qui le porte. Le vêtement de flottaison individuel, en revanche, a été mis au point pour les conducteurs d'embarcations de plaisance. La mise au point de ce dispositif à réserve de flottabilité procède du principe que s'il offre des garanties réduites par rapport à un gilet de sauvetage puisqu'il ne maintient pas le visage de la personne qui le porte hors de l'eau, il n'en aidera pas moins une personne à demeurer à flot et est plus susceptible d'être porté que le gilet de sauvetage certes plus performant mais moins confortable.
Il n'est pas obligatoire que les personnes portent leur gilet de sauvetage ou vêtement de flottaison individuel en tout temps à bord d'une embarcation, mais un rapport de la Croix-Rouge canadienne sur les noyades révèle que plus de 70 p. 100 des personnes qui se noient en pratiquant la navigation ne portaient pas un vêtement de flottaison individuel. Dans le cas présent, la seule personne qui n'en portait pas - le conducteur de l'embarcation - s'est noyée.
En 2002, le Conseil canadien de la sécurité nautique (CCSN) a créé un groupe de travail sur les gilets de sauvetage et vêtements de flottaison individuels (VFI) chargé d'examiner la question du port obligatoire d'un VFI par les plaisanciers dans une petite embarcation. Le groupe de travail était à l'oeuvre au moment de l'événement. Un document de rechercheNote de bas de page 8 résume la meilleure information disponible sur le port obligatoire d'un gilet de sauvetage ou d'un VFI. Il a été recommandé que le groupe de travail sur les VFI et le CCSN dans son ensemble s'emploient à faire adopter des mesures législatives imposant le port de VFI.
Évaluation de la compétence des conducteurs
Les connaissances et les compétences du conducteur revêtent une importance vitale pour la sécurité des personnes à bord de tout bateau. Cependant, certains membres du public qui louent des bateaux ne disposent pas des aptitudes voulues pour conduire une petite embarcation.
Dans le cas présent, le propriétaire de l'entreprise de location a donné verbalement au représentant du groupe ayant loué le bateau des instructions sur le moteur hors-bord, tout en lui enjoignant de rester à l'écart des rapides Sechelt. Le conducteur du bateau de location avait déjà loué des bateaux de la même entreprise.
La sécurité de la navigation de plaisance exige une coopération entre les instances de réglementation, les entreprises de location et les personnes qui louent des embarcations. Dans le cas présent toutefois, aucune des personnes à bord de l'embarcation n'avait reçu de formation en matière de sécurité et aucune ne détenait une carte de conducteur d'embarcation de plaisance; elles n'y étaient du reste pas tenues.
Le représentant de l'entreprise de location n'a pas présenté à ses clients une liste de vérification de sécurité pour embarcations de plaisance ou un autre document écrit sur la conduite sécuritaire du bateau ou les dangers présents dans le secteur prévu de navigation; il n'y était pas tenu. Il a verbalement prévenu des dangers que présentent les rapides Sechelt, mais on peut considérer que l'efficacité de son avertissement a été réduite en raison de la compréhension limitée de l'anglais des personnes ayant loué le bateau.
Une vérification auprès de sept entreprises de location de bateaux situées dans la péninsule Sechelt a révélé qu'elles employaient une vaste gamme de modalités pour jauger les aptitudes à la navigation des personnes louant des bateaux. Une d'elles exigeait que le client remplisse une liste de vérification sur papier où il précisait son expérience de la navigation et du maniement d'un moteur hors-bord; il devait aussi signer un énoncé reconnaissant que le représentant de l'entreprise de location l'avait renseigné sur la conduite sécuritaire du bateau (y compris son démarrage sécuritaire) et sur l'utilisation de l'équipement de sécurité à bord.
D'autres entreprises exigeaient que le client signe des documents sur papier énonçant la limite de la responsabilité légale de l'entreprise mais ne présentant pas d'information sur la sécurité de la navigation et l'expérience requise du conducteur. De telles pratiques ne protègent pas la sécurité physique des personnes louant des bateaux.
Actuellement, la réglementation n'exige pas que toutes les personnes souhaitant louer un bateau de plus de 4 m de longueur aient reçu de la formation.
Difficultés linguistiques
Un grand nombre de clients des sept entreprises de location de bateaux de la péninsule Sechelt maîtrisent mal l'anglais, la plupart s'exprimant soit en mandarin, soit en cantonais. Les difficultés linguistiques compromettent la sécurité de la navigation puisqu'elles nuisent aux communications entre les personnes à terre ou à bord.
La communication de l'information liée à la sécurité devient moins efficace en présence d'obstacles linguistiques. Il est dès lors impératif que l'information soit communiquée ou présentée aux clients de telle façon qu'ils puissent raisonnablement la comprendre malgré les obstacles linguistiques. Dans le cas présent, puisque le conducteur du bateau de location s'est rendu dans la zone des rapides Sechelt, il se peut qu'il n'ait pas bien compris l'avertissement de s'en tenir à l'écart.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs
- Le conducteur n'était pas un conducteur d'embarcation expérimenté, comprenait mal l'anglais et peut ne pas avoir bien saisi les dangers associés à la navigation d'une petite embarcation non pontée dans de forts courants de marée.
- La tentative de naviguer dans les rapides Sechelt lorsque le courant de jusant était près de son débit maximum a contribué au fait que l'embarcation ait été saisie par un fort contre-courant, puis ait perdu sa stabilité transversale et chaviré.
- La seule personne qui ne portait pas un VFI s'est noyée.
- Le Règlement sur la compétence des conducteurs d'embarcations de plaisance permettait la location du Deep Water sans preuve de compétence.
Faits établis quant aux risques
- Le fait que l'entreprise ait compté sur un avertissement verbal au sujet des dangers associés aux rapides Sechelt a augmenté le risque que le bateau soit exposé à une situation dangereuse.
- La méthode actuelle de communication d'information sur la sécurité aux plaisanciers ayant une connaissance limitée de l'anglais augmente le risque d'une mauvaise communication et continuera d'exposer ces plaisanciers à un risque inutile.
Measures de sécurité
Préoccupations liées à la sécurité
Évaluation de la compétence des conducteurs d'embarcations de plaisance de location
En réponse au souci de l'industrie de la location de bateaux et des pourvoyeurs de prévoir un autre moyen de prouver la compétence que la carte de conducteur d'embarcation de plaisance, les conducteurs d'embarcations de plaisance à moteur de location sont autorisés à recourir à une liste de vérification de sécurité pour embarcations de location à remplir et signer. Cependant, comme les exigences en matière de preuve de compétence prévues par le Règlement sur la compétence des conducteurs d'embarcations de plaisance sont en voie d'entrer en vigueur sur une période de 10 ans, c'est seulement le 15 septembre 2009 que tous les conducteurs de bateaux de location seront tenus de faire la preuve de leur compétence.
Une norme relative à la liste de vérification de sécurité pour embarcations de location - visant à faciliter l'élaboration par l'industrie de listes de vérification à l'intention des clients - a été mise au point en consultation avec l'industrie des entreprises de location de bateaux et des pourvoyeurs. Elle a été promulguée en 1999. La norme précise les éléments minimums de toute liste de vérification quant aux connaissances en matière de sécurité de la navigation, y compris la connaissance des dangers et conditions des environs. Bien que certaines entreprises de location de bateaux utilisent une liste de vérification de sécurité, le Bureau de la sécurité des transports (BST) estime qu'il peut s'en trouver d'autres qui ne le font pas. Comme l'a démontré la présente enquête, les méthodes actuelles de communication d'information sur la sécurité peuvent être insuffisantes pour jauger les compétences en navigation et transmettre les connaissances nécessaires à la conduite sécuritaire d'une embarcation de location.
La réglementation s'applique à une vaste gamme de conducteurs d'embarcations de plaisance et à des activités privées et commerciales. Il y a peu de pertes de vie mettant en cause la location d'embarcations de plaisance qui ont été signalées au BST (13 depuis 1995). Cependant, le nombre d'événements non mortels mettant en cause de tels bateaux qui ne sont pas signalés est probablement beaucoup plus élevé. La Croix-Rouge, par exemple, fait état de presque 200 pertes de vie liées à la navigation de plaisance et estime qu'il survient chaque année environ 6 000 événements non mortels non signalés. Le BST s'inquiète donc du fait que d'ici à ce que toutes les personnes soient tenues de produire une preuve de compétence (c.-à-d. à la fin de l'été 2009), certaines personnes conduisant des bateaux de location pourraient s'exposer et exposer d'autres personnes à des risques. Le BST tiendra compte de cette préoccupation dans ses enquêtes futures.
Ce rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Par conséquent, le Bureau en a autorisé la publication le .
Annexes