Échouement
du vraquier Yong Kang
au large de Saint-Jean, île d'Orléans (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
En provenance de Esperance en Australie, le Yong Kang mouille l'ancre le 2 décembre 2003 au large de Saint-Jean, île d'Orléans, sur le fleuve Saint-Laurent en attente d'un quai pour décharger dans le port de Québec.
Vers 7 h 15, heure normale de l'Est, le 6 décembre, drossé par un courant de jusant et de forts vents du nord-est, le navire commence à chasser sur son ancre et à dériver lentement vers la rive sud du fleuve où il s'échoue vers 8 h 15.
Vers 12 h 30, le Yong Kang est renfloué à la marée montante, mais il subit des avaries à la coque à la hauteur du coqueron avant, des ballasts nos 1, 2 et 3 et au droit de l'hélice. L'événement ne fait ni blessé ni pollution.
Renseignements de base
Fiche technique du navire
Nom du navire | « Yong Kang » |
---|---|
Numéro officiel | HK-0708 |
Port d'immatriculation | Hong Kong |
Pavillon | Hong Kong en Chine |
Type | Vraquier |
Jauge brute | 40 437 |
Port en lourdNote de bas de page 1 | 74 500 tonnes métriques |
Longueur | 225 m |
Tirant d'eau | Avant : 13.51 m Arrière : 13.52 m |
Construction | 2001, Shanghai en Chine |
Groupe propulseur | Un moteur diesel d'une puissance de 10 224 kW entraînant une hélice à pas fixe |
Cargaison | Nickel et bauxite |
Équipage | 23 personnes |
Propriétaire | Wisemar Shipping Ltd., Hong Kong en Chine |
Gérance | COSCO Shipping Company Ltd. |
Description du navire
Le vraquier Yong Kang a été lancé en mars 2001. Il a un port en lourd de 74 500 tonnes métriques et une longueur hors tout de 225 m. Il n'a qu'un seul pont principal et est pourvu de sept cales à cargaison d'une capacité volumétrique totale de 91 717 m3. Le groupe propulseur, l'appareil à gouverner, la timonerie, les engins de sauvetage et les emménagements sont situés à l'arrière du navire. Le navire est équipé d'un gouvernail sur l'axe du navire. Le Yong Kang bénéficie d'un échantillonnage lui permettant de transporter une cargaison lourde, ainsi les cales nos 2, 4 et 6 peuvent être exemptes de cargaison et la cale no 4 peut être remplie de lest liquide.
Déroulement du voyage
Le 24 octobre 2003, le Yong Kang appareille de l'Australie avec 66 330 tonnes métriques de cargaison en vrac; 49 432 tonnes métriques d'alumine sont destinées au port de Contrecoeur (Québec) et 16 898 tonnes métriques de concentré de nickel, au port de Québec. Durant la remontée du fleuve vers la station de pilotage de Les Escoumins (Québec), l'agent informe le capitaine du Yong Kang que le poste d'amarrage 53 au port de Québec est occupé et que le navire devra mouiller l'ancre au large de Saint-Jean, île d'Orléans (Québec) pour une période d'environ 24 heures. On transmet au capitaine une position approximative où le navire devrait s'ancrer (voir la figure 1) et le pilote quitter le navire.
À 11 h 43Note de bas de page 2 le 2 décembre 2003, le navire jette l'ancre au large de Saint-Jean (Québec); on mouille sept maillons de chaîne par 46°54,9′N et 070°52,1′W (voir A, figure 2). Les prévisions météorologiques pour les prochains jours sont relativement favorables, et le capitaine du Yong Kang termine l'affectation du pilote tel qu'entendu avec l'agent. Avant de quitter le navire, le pilote laisse au capitaine une copie des tables de marées pour le secteur au large de Lauzon (Québec) couvrant la période du 1er au 7 décembre inclusivement.
La machine principale, le guindeau et d'autre équipement sont maintenus pour être prêts à fonctionner immédiatement, et des mesures sont prises pour assurer la veille à la passerelle; entre autres, la position du navire est surveillée à l'aide d'un radar raccordé au récepteur GPS. Ceci permet d'y programmer une position de référence, la position de l'ancre et une zone de sécurité autour de la position de l'ancre. Une alarme sonore retentit si le navire chasse au-delà de la zone de sécurité. Pour les circonstances, on a établi le rayon de zone de sécurité à 0,25 mille marin autour de la position de l'ancre, et l'écho du quai de Saint-Jean est utilisé comme cible de référence.
Le 3 décembre à 22 h 5, le pilote d'un navire remontant signale au centre des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Québec (Québec) que le Yong Kang présente un danger pour la sécurité de la navigation en raison de sa proximité à l'extrémité amont du chenal de la Traverse du Nord. Il ajoute que le navire a probablement chassé sur son ancre. Inquiet pour la sécurité de la navigation et du navire et parce qu'il n'y a pas de pilote à bord du navire, il suggère que le navire soit déplacé.
Le 3 décembre à 22 h 5, le pilote d'un navire remontant signale au centre des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Québec (Québec) que le Yong Kang présente un danger pour la sécurité de la navigation en raison de sa proximité à l'extrémité amont du chenal de la Traverse du Nord. Il ajoute que le navire a probablement chassé sur son ancre. Inquiet pour la sécurité de la navigation et du navire et parce qu'il n'y a pas de pilote à bord du navire, il suggère que le navire soit déplacé.
A. Position initiale de l'ancre du Yong Kang
B. Position du Yong Kang selon le pilote en transit dans le secteur vers 22 h 5 le 3 décembre 2003
C. Périphérie de la zone d'évitage autour de l'ancre
D. Position de l'échouement du Yong Kang le 6 décembre 2003
E. Alignement Saint-Michel
Croyant que le mouillage Saint-Jean fait partie de la zone portuaire du port de Québec, le centre des SCTM transmet l'information à la capitainerie. Le représentant du maître de port demande que le pilote du navire remontant lui fasse rapport directement par téléphone et demande ensuite au centre des SCTM de s'assurer de la position du Yong Kang, car ni le centre ni la capitainerie ne peuvent vérifier par instrument la position du navire au mouillage Saint-Jean. Il s'ensuit une série d'échanges téléphoniques entre le représentant du maître de port, l'agent maritime et le pilote. L'agent comprend mal la critique du pilote liée au mouillage du navire étant donné que le navire a été mouillé à cette position par un autre pilote. L'agent soulève aussi le fait qu'une telle opération pourrait engendrer des frais considérables. Vers 22 h 45, comme on présume que le navire sera à quai dans les 24 heures et comme les prévisions météo à court terme sont favorables, on décide de ne pas déplacer le navire. Cette décision est prise sans avoir obtenu d'information concernant le motif du délai du navire qui se trouve au poste d'amarrage.
Les journées des 4 et 5 décembre 2003 se déroulent sans incident. Aucun rapport ni aucune vérification ne sont effectués quant à la position du Yong Kang par le centre des SCTM, la capitainerie et les pilotes. Un certain nombre de navires ont navigué dans le secteur. De son côté, le capitaine du Yong Kang s'informe régulièrement sur la disponibilité du poste d'amarrage 53. Le séjour prolongé du navire au mouillage ne fait pas l'objet d'une évaluation efficace.
Vers 7 h 15 le 6 décembre 2003, l'alarme du radar retentit sur la passerelle; le navire se situe hors de la zone de sécurité programmée. Le capitaine est avisé de la situation et, à son arrivée sur la passerelle, il constate immédiatement que le navire chasse sur son ancre. Le premier officier est dépêché sur le gaillard d'avant et on demande au troisième officier de se présenter sur la passerelle. La machine principale est lancée et le centre des SCTM est informé de la situation. Le capitaine avise ensuite le représentant du maître de port qui est justement en communication téléphonique avec le pilote lamaneur pour lui transmettre la demande de l'agent qui veut qu'il soit à bord du Yong Kang à 10 h. En apprenant que le navire chasse sur son ancre, le représentant informe le pilote lamaneur que le capitaine veut qu'il rejoigne le navire le plus rapidement possible. Or, le pilote lamaneur maintient qu'il sera à bord à 10 h et demande qu'on avise le capitaine de faire les manoeuvres nécessaires pour maintenir le navire dans la zone de mouillage. Le centre des SCTM est informé des intentions du pilote lamaneur.
La communication entre le Yong Kang et la capitainerie ainsi que le centre des SCTM se fait avec difficulté; les messages ne sont pas toujours captés. À plusieurs reprises, le capitaine redemande l'assistance d'un pilote, du fait que le navire chasse sur son ancre. On réplique que le pilote sera à bord à 10 h et on demande de faire le nécessaire pour assurer la sécurité du navire entre temps. À 8 h 10, le capitaine demande un remorqueur et souligne de nouveau le besoin d'un pilote et qu'il a de la difficulté à manoeuvrer le navire. Un pilote à bord d'un navire qui navigue dans le secteur confirme au centre des SCTM la situation précaire du Yong Kang. Suite à cette information, le centre décide de dépêcher un remorqueur. À 8 h 17, le Océan Charlie est désigné, mais il n'appareille qu'à 8 h 45 avec le pilote lamaneur à son bord.
Depuis 7 h 15, à bord du Yong Kang, on tente de manoeuvrer le navire, mais il continue d'être drossé vers la rive par le flot et le vent. Le navire a levé l'ancre entre-temps. À 8 h 20, le Yong Kang signale au centre des SCTM qu'il s'est échoué par 46°54,79′N et 070°51,1′W sur un cap au 202° V. Le navire se trouve alors à 6 encablures au nord du sanctuaire d'oiseaux de l'Anse-Saint-Valier sur la rive sud.
Opération de renflouement
Un sondage est effectué autour du Yong Kang. L'équipage détermine que le navire est échoué depuis l'étrave jusqu'à la hauteur de la cale no 2. Pour alléger la partie avant du navire, 400 tonnes de lest sont vidangées du coqueron avant.
Ayant appris que le Yong Kang s'est échoué et ne sachant pas exactement l'étendue de ses fonctions dans cette situation, le pilote lamaneur s'informe auprès de la Direction de l'Administration de pilotage des Laurentides (APL). On lui demande de faire le nécessaire pour renflouer le navire.
Le pilote monte à bord du Yong Kang à 10 h et constate que l'ancre est dans l'écubier et que la machine principale est en marche arrière. Il évalue la situation et discute avec le capitaine de la manoeuvre à effectuer. On décide d'attendre la prochaine pleine mer prévue vers midi. Les conditions météorologiques se détériorent au cours de la matinée. Le pilote craint qu'une fois à flot, l'arrière du navire soit drossé rapidement vers l'amont par le flot et le vent qui souffle du nord-est. Selon la recommandation du pilote, on prend des mesures pour amarrer l'arrière du navire au Océan Charlie qui est demeuré sur place.
La mer est agitée; des paquets de mer embarquent sur le Océan Charlie et du givrage se forme sur l'avant du remorqueur. L'équipage du Yong Kang a beaucoup de difficulté à lancer une amarre vers le remorqueur; on n'utilise pas de lance-amarre. On abandonne alors l'idée de tirer avec le remorqueur et on assigne le Océan Charlie à pousser sur le côté tribord du navire. Entre temps, on demande les services d'un second remorqueur, le Océan Delta. Il appareille à 11 h 15, mais à 11 h 48, il doit rebrousser chemin à cause d'une panne mécanique.
Vers 12 h 30, soit deux heures après le début de la marée montante, le Yong Kang est renfloué et est retourné au mouillage. Le pilote reste à bord jusqu'à ce que le navire accoste dans le port de Québec à 21 h 38.
Avaries
Le Yong Kang a subi des avaries au droit du bordé de fond à la hauteur du coqueron avant et des ballasts nos 1, 2 et 3. On a observé des enfoncements de tôle et plusieurs raidisseurs furent gauchis. Il y a une fracture dans une des tôles du ballast no 1. Trois pales de l'hélice ont été déformées et deux d'entre elles ont subi des fissures. De plus, la quille de roulis du côté bâbord à la hauteur du ballast no 3 a été gauchie sur une longueur d'environ 1 m.
Mouillage Saint-Jean
On ne fait pas référence au « mouillage Saint-Jean » dans les Instructions nautiques. Localisé au sud-est de Pointe-Saint-Jean, île d'Orléans, il offre un mouillage par fond de vase d'une profondeur de 10 à 24 m. Situé à l'intersection amont du Chenal du Sud et de la Traverse du Nord, il est délimité au nord par la bouée K135 et au sud par la bouée K131. La limite ouest correspond approximativement à la limite est du port de Québec. Au nord-est, on trouve la bouée cardinale sud « DAME », indiquant le début du récif de l'île Madame. La limite nord-ouest du mouillage se trouve à proximité de l'alignement de Saint-Michel qui est orienté au 033°−213°(voir la figure 2).
En général, on qualifie le fond marin comme étant propice au mouillage. Selon l'Atlas des courants de marée, cette zone est soumise à des courants qui peuvent atteindre une vitesse de plus de 2,5 noeuds. Le marnage lors des marées moyennes et grandes est de 4,5 m et de 6,6 m respectivement.
Le mouillage offre peu de protection aux navires quand le vent souffle du secteur nord-est à est et du secteur sud-ouest. La zone propice pour les navires tirant plus de 15 m a une étendue approximative de 2 milles marins sur ½ mille marin, et est orientée sur l'axe nord-est/sud-ouest. Le mouillage Saint-Jean est utilisé régulièrement pour les navires ayant un tirant d'eau de 12,5 m et plus, car les mouillages au large des rivières Maheu et Lafleur ne sont pas assez profonds. Les pilotes utilisent habituellement le mouillage Saint-Jean pour attendre une marée favorable pour pouvoir franchir la Traverse du Nord.
Disponibilité des postes d'amarrage dans le port de Québec
Le secteur Beauport du port de Québec comprend les postes d'amarrage 50 à 53, et est dédié à la manutention de cargaison en vrac solide et liquide. La profondeur d'eau disponible aux postes 50, 51, 52 et 53 est de 11,2 m, 12,1 m, 12,2 m et 14,5 m respectivement (voir la figure 3)Note de bas de page 3. Une profondeur d'eau de 15,2 m est aussi disponible au poste 52 sur une distance d'environ 90 m à partir de l'extrémité du poste 53. Quatre grues à portique desservent les postes d'amarrage 52 et 53 pour le déchargement de la cargaison.
L'assignation des postes d'amarrage dans le port de Québec est effectuée sous la gouverne du maître de port. Les postes à quai 52 et 53 sont gérés par une compagnie d'arrimage privé laquelle détermine l'ordre des navires qui y font escale. Bien qu'il arrive parfois qu'un navire puisse jouir de certains privilèges, la disponibilité des postes est basée habituellement sur le principe du premier arrivé, premier servi.
À l'arrivée du Yong Kang le 2 décembre 2003, les postes 52 et 53 sont occupés respectivement par le Puffin et le Legiony Polskie. On prévoit accoster le Yong Kang entre les postes 52 et 53 à cause du fort tirant d'eau du navire et de la contrainte d'espace de cargaison sur le quai. Or, à 3 h 27 le 3 décembre, le Canadian Navigator remplace le Puffin. En outre, des bris d'équipements et un manque de personnel retardent le transbordement à bord du Canadian Navigator et du Legiony Polskie. En conséquence, le Yong Kang n'a accès au quai qu'après le départ des deux navires le 6 décembre.
Certificats du navire
Suite à l'accident, la société de classification a délivré, sous l'autorité chinoise de la région administrative spéciale de Hong Kong, un Certificat de ligne de charge et un Certificat de sécurité de construction conditionnel, exigeant que des mesures correctives soient prises avant le 19 février 2004 et elle a limité le déplacement du navire à un seul voyage de Québec à un port en Chine via le canal de Suez. Tous les autres certificats exigés étaient valides et conformes aux exigences pour le type d'exploitation du navire.
Brevets de l'équipage
Le capitaine et les officiers étaient titulaires de brevets valides et conformes aux dispositions de la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (STCW). Ces brevets étaient suffisants pour le type de voyage et d'exploitation qu'effectuait le navire.
Conditions météorologiques
Le 6 décembre 2003 à 7 h, la station d'observation d'Environnement Canada située à Saint-François, île d'Orléans, a enregistré des vents du nord-est par est de 41 km/h. Le vent a viré au nord-est par nord vers 10 h et a augmenté en intensité pour atteindre 57 km/h vers midi puis environ 75 km/h en fin de journée. La température de l'air a baissé tout au long de la journée. On a enregistré une température de −6°C au moment de l'accident.
Courants et marées
Entre le 2 et le 6 décembre 2003, le marnage a produit une marée moyenne. Le 6 décembre 2003 à 7 h 15, le jusant portait au nord-est à une vitesse d'environ 2,5 noeuds tandis qu'à 12 h 30, au moment du renflouement, le flot portait au sud-ouest à environ 2 noeuds. Le pilote avait laissé au personnel navigant un document spécifiant les heures de marées ainsi que quelques précisions manuscrites concernant le changement de direction des courants en fonction des marées.
Infrastructure gouvernementale
Le but des administrations portuaires et des ports publics canadiens est principalement d'assurer l'efficacité économique du port tout en protégeant l'environnement. Dans cette perspective, certaines administrations portuaires canadiennes se sont dotées de critères d'assignation pour les mouillages. En 1988, lors d'un remaniement de ses services, l'APL qui assure la sécurité des services de pilotage, veille au maintien des compétences des pilotes et surveille les services de pilotage fournis, a fusionné certains services avec l'Administration du port de Québec. L'entente a permis d'offrir les services suivants à la capitainerie :
- l'affectation de pilotes;
- l'assignation des postes d'amarrage et de mouvement de navires;
- l'administration pour tous les services qui sont reliés et qui doivent être fournis par le port.
Bien que le mouillage Saint-Jean ne fasse pas partie de la zone portuaire du Port de Québec, la capitainerie a été informée de la situation précaire du navire vers 22 h 5 le 3 décembre.
Un centre d'opération et deux divisions de la direction des Programmes maritimes de la Garde côtière canadienne (GCC) de Pêches et Océans Canada ont été impliqués dans le cas présent :
- Le centre d'opération régional, qui coordonne les opérations de recherche et sauvetage (SAR), qui fait la gestion des opérations reliées aux glaces et qui coordonne les opérations de navires et d'hélicoptères, a été informé de l'événement le 6 décembre à 9 h 9; le centre d'opération régional a demandé au navire de la GCC (NGCC) Martha L. Black, qui se trouvait dans le secteur, de stopper ses activités et de se tenir prêt à intervenir; sa période d'attente a pris fin à 10 h 30.
- La Division Intervention environnementale, qui a le mandat d'assurer la protection de l'environnement lors d'accident maritime, a été informée de l'événement le 6 décembre à 10 h 42; il n'y a pas eu de pollution et la situation a été évaluée.
- La Division des SCTM, qui fournit des services de communications et de trafic maritime à la communauté maritime et assure la sécurité de la vie humaine en mer et la protection de l'environnement, a fait le suivi des demandes du Yong Kang aux divisions et organismes concernés.
La Direction de la Sécurité maritime de Transports Canada qui a, entre autres, le mandat de s'assurer que les navires impliqués dans des accidents maritimes conservent leur état de navigabilité, a été contactée le 6 décembre à 9 h 9. Transports Canada s'est d'abord assuré que le navire ne faisait pas de pollution et a suivi le déroulement des événements; une fois à quai, un inspecteur s'est assuré que des réparations provisoires ont été effectuées de façon satisfaisante avant d'autoriser la circulation du navire.
Service de remorquage et de transbordement de pilotes
Le service de remorquage et de transbordement de pilotes est offert par la même compagnie privée dans le port de Québec. Le transbordement est effectué par bateau-pilote en saison estivale et par remorqueur l'hiver. Il y a toujours un remorqueur armé pour assurer le service à l'intérieur du port, par contre, un préavis d'une heure est exigé pour le service d'un second remorqueur à l'intérieur ou à l'extérieur du port.
Analyse
Choix du mouillage
Que ce soit pour mettre le navire à l'abri ou pour attendre l'ordre de faire route, les critères principaux permettant de choisir un mouillage sont, entre autres, le nombre et la proximité des navires ancrés dans le mouillage, les conditions météorologiques actuelles et les prévisions, le courant et le marnage des marées. Certains aspects physiques sont également considérés, entre autres, la profondeur d'eau, les obstacles au pourtour du mouillage, la tenue de l'ancre sur le fond marin, la proximité des voies navigables et l'espace de manoeuvre.
Le choix du mouillage devrait aussi être fait en fonction du comportement hydrodynamique du navire; ainsi, les paramètres comme le tirant d'eau en fonction de la profondeur d'eau et la forme de l'étrave doivent être pris en compte. En fait, en eau peu profonde, un navire au mouillage subit un comportement hydrodynamique similaire à celui d'un navire en mouvement; le navire agit comme un obstacle, forçant l'eau en mouvement à se déplacer autour de sa périphérie, créant ainsi des zones de haute et de basse pression autour de la coque. La résultante de ces forces et la masse du navire ont un effet direct sur la tenue de l'ancre sur le fond marin.
Le tableau 1 montre les forces qui s'appliquent sur un pétrolier d'un port en lourd de 50 802 tonnes soumis à un courant de marée de 5 noeuds et des vents de 50 noeudsNote de bas de page 4. À remarquer que plus le dégagement sous quille est faible, plus grandes sont les forces appliquées sur le navire.
Ratio = Profondeur d'eau Tirant d'eau | Forces agissant sur l'étrave (en tonnes) causées | Total des forces agissant sur l'étrave (en tonnes) | |
---|---|---|---|
par le vent | par le courant | ||
3 | 20,05 | 18,79 | 38,84 |
2 | 20,05 | 30,56 | 50,61 |
1,4 | 20,05 | 47,54 | 67,59 |
1,2 | 20,25 | 56,58 | 76,63 |
Pour faire un parallèle entre cet exemple et le cas présent, on note ce qui suit : entre le 1er et le 6 décembre, la profondeur d'eau au mouillage Saint-Jean a varié de 20,5 m à 25,1 m. Puisque le tirant d'eau du Yong Kang était de 13,5 m, le ratio « profondeur d'eau / tirant d'eau » a donc oscillé entre 1,5 et 1,9. Bien qu'il n'existe aucune donnée comparative quant à la forme de la coque du Yong Kang et celle du pétrolier pris en exemple, l'exercice permet d'établir que le vent et le courant ont exercé une force appréciable sur le Yong Kang pendant son séjour au mouillage Saint-Jean.
Le mouillage Saint-Jean fait figure de bon mouillage, mais il est peu adapté aux navires à fort tirant d'eau et grand gabarit. Ces navires ont un faible dégagement sous quille et ainsi le courant qui circule autour de leur coque provoque des forces supérieures à celles en eau profonde. De plus, l'espace limité d'évitage et la faible profondeur des eaux qui l'entourent gênent leur mouvement. C'est pourquoi le mouillage Saint-Jean est surtout utilisé pour des mouillages de courte durée.
En utilisant sept maillons de chaîne d'ancre, le Yong Kang avait une zone d'évitage d'environ quatre encablures de diamètre, ce qui était inférieur à la zone de sécurité programmée sur le radar. Il est important de noter cependant qu'en raison de la position de l'ancre et de la longueur de chaîne mouillée, le Yong Kang pouvait s'approcher à moins d'une encablure de l'alignement de Saint-Michel; à cette limite, l'arrière du navire était aligné avec les bouées vertes de la Traverse du Nord. Du côté sud, l'arrière du navire pouvait s'approcher à une encablure de l'isobathe de 15 m. Compte tenu du fort gabarit et tirant d'eau du navire, du faible dégagement sous quille, de la force du courant et du vent qui augmentait d'intensité, et de l'espace de manoeuvre restreint, le Yong Kang n'était pas ancré dans un mouillage adéquat lui permettant d'assurer sa sécurité.
Manoeuvre pour éviter l'échouement
Quand l'alarme a retenti vers 7 h 15 le 6 décembre 2003, le navire chassait sur son ancre. Le capitaine a aussitôt utilisé la machine principale et a tenté de maîtriser la situation, mais la manoeuvre s'est avérée complexe en raison de la lenteur à remonter sept maillons de chaîne. En une heure, sous l'action du courant et du vent, qui s'est intensifié, le navire a dérivé vers le sud-est sur une distance d'environ 7,8 encablures.
Sur la passerelle, le troisième officier et un timonier assistaient le capitaine. Le troisième officier consignait les allures dans le journal machine et portait le point sur la carte. Le capitaine a partagé son attention entre la conduite du navire et la manoeuvre avec l'ancre. De plus, en communiquant dans une langue étrangère à la sienne avec le centre des SCTM, la capitainerie et l'agent maritime, il a davantage augmenté sa charge de travail. Or, la tâche première d'un capitaine en ces moments critiques est d'assurer la conduite du navire. En utilisant la radio pour communiquer, le capitaine a dû partager son attention entre la conduite du navire et la discussion en vue de faire valoir ses arguments pour obtenir de l'assistance. Il se peut que la conversation l'ait empêché de focaliser toute son attention sur la conduite du navire.
Étant donné les circonstances et conditions qui prévalaient, le personnel navigant n'a pas pu empêcher le navire de s'échouer avant l'arrivée d'un pilote. Le courant de marée et le vent ont drossé le navire sur la rive sud du Saint-Laurent.
Critères d'assignation des mouillages
Aucune autorité ne s'est opposée à ce que le Yong Kang mouille l'ancre au mouillage Saint-Jean. En fait, ce mouillage ne relève pas du port de Québec, mais les gens de mer ont tendance à l'inclure dans ses eaux. À l'exception de certaines administrations portuaires, il n'existe aucun organisme gouvernemental au Canada qui gère l'utilisation des mouillages. Au moment de l'accident, le port de Québec n'avait pas de critères d'assignation des mouillages officiels.
Sauf dans le cas où des mesures doivent être prises pour assurer la protection de l'environnement, les régulateurs maritimes des SCTM n'ont pas le mandat de diriger le trafic maritime et, par conséquent, ne peuvent pas assigner à un navire une zone de mouillage spécifique ou lui en interdire l'accès.
Les renseignements concernant les mouillages que l'on trouve dans les Instructions nautiques traitent des caractéristiques physiques de l'endroit et aucune analyse n'est faite pour identifier les risques et/ou limiter l'accès. Il incombe au capitaine d'utiliser l'information dans les Instructions nautiques pour déterminer si un mouillage est adéquat. D'autre part, le capitaine d'un navire étranger, qui a des connaissances locales limitées, se laissera vraisemblablement guider par le pilote et/ou l'agent maritime.
Mis à part les prévisions météorologiques et le temps d'attente prévu initialement, on n'a pas évalué dans son ensemble toutes les circonstances et les conditions existantes. En outre, on ne s'est pas référé à des critères d'assignation des mouillages découlant d'une analyse de risques, et des décisions fondées sur de l'information incomplète ont été prises, mettant en danger le Yong Kang. Certains ports sur le Saint-Laurent ont établi des critères d'assignation des mouillages. Par exemple, dans le port de Montréal, une personne est chargée d'assigner les mouillages. Au nombre des critères axés sur le risque figurent notamment le trafic maritime, le tirant d'eau du navire, le type et les dimensions du navire, la durée du séjour et les avis du maître de port. Toutefois, une méthode similaire axée sur le risque n'est pas utilisée pour identifier et établir les critères pour les autres mouillages sur le fleuve.
Affectation d'un pilote à un navire au mouillage
Malgré le fait qu'on avait prévu que le Yong Kang ne serait au mouillage que pendant une brève période, on a décidé que les services du pilote n'étaient plus nécessaires. Cependant, le navire est demeuré au mouillage pendant cinq jours. Le capitaine, qui ne connaissait pas les lieux, a fait confiance au pilote et à l'agent maritime, et n'a pas remis en question la décision de mettre fin à l'affectation du pilote.
Les conséquences pour la sécurité liées à la décision du capitaine d'un navire sont basées sur l'exactitude et l'intégralité de l'information fournie par l'agent maritime et par le pilote. L'agent maritime peut conseiller le capitaine dans des circonstances comme celles-ci, mais la décision de garder un pilote à bord au mouillage demeure la responsabilité du capitaine. En d'autres mots, le capitaine doit évaluer seul la situation tout en tenant compte des pressions économiques qu'on lui impose.
À l'intérieur des zones de pilotage obligatoires, un navire en mouvement, comme le Yong Kang, doit avoir à son bord un pilote breveté ou une personne titulaire d'un certificat de pilotage; lorsqu'il est à quai ou au mouillage, les services d'un pilote ne sont pas obligatoires. Dans les mouillages exposés au vent et au courant de marée, il faut user de prudence et prendre des mesures de protection additionnelles pour diminuer le risque qu'un navire chasse sur son ancre et qu'il compromette la sécurité d'un chenal navigable et celle du navire, créant un danger pour l'environnement. Retenir les services d'un pilote est une façon d'atténuer ces risques.
À cet égard, les pilotes qui ont les connaissances et l'expérience nécessaires pour assurer la sécurité du navire et protéger l'environnement peuvent réduire la charge de travail du personnel navigant tout en atténuant les risques liés à la navigation. Ils peuvent également établir plus facilement la communication entre le navire et le centre des SCTM, les remorqueurs, les administrations portuaires et les autres navires. Selon l'APL, l'obligation d'assurer un service de pilotage à bord d'un navire au mouillage sur le Saint-Laurent n'a jamais fait l'objet d'une évaluation.
Plan d'intervention et ressources en cas d'urgence
Malgré l'appel à l'aide urgent du capitaine du Yong Kang, aucun des organismes gouvernementaux ou privés n'a agi selon un plan d'intervention préétabli. Parce qu'on n'a pas rapporté de pollution, Transports Canada et la Division de l'intervention environnementale n'ont fait que surveiller la situation. Le centre des SCTM a répondu à l'appel du Yong Kang et a transféré l'information aux directions compétentes au sein de Transports Canada et de Pêches et Océans Canada selon les procédures en place pour ce genre d'événement. Le centre d'opération régional a mis le NGCC Martha L. Black en attente, au cas où une intervention environnementale ou un sauvetage maritime aurait lieu; toutefois, environ deux heures avant que le Yong Kang ait été renfloué, on a informé le NGCC Martha L. Black que ses services n'étaient plus nécessaires. Bien que le capitaine du Yong Kang ait signalé aux autorités vers 7 h 15 qu'une situation d'urgence se développait à bord, le Ocean Charlie, à bord duquel se trouvait le pilote lamaneur, n'a appareillé qu'à 8 h 45. Quand le Ocean Delta a été demandé en renfort, il a dû rebrousser chemin en raison d'une panne mécanique. Aucun autre remorqueur ni aucune unité SAR n'ont été déployés pour le remplacer.
La clef du succès d'une intervention d'urgence est d'agir rapidement et de façon ordonnée. Pour réussir l'intervention, on doit prendre connaissance des principaux risques et dangers possibles ainsi que des enjeux économiques et environnementaux à protéger. Ce n'est qu'au terme de cette démarche qu'il sera possible d'établir des plans d'intervention, de prendre des décisions administratives préventives et de déterminer les ressources nécessaires pour appuyer les actions envisagées.
Dans son rapport d'enquête sur l'accident du AlcorNote de bas de page 5, le Bureau a recommandé que :
Le ministère des Transports du Canada, le ministère des Pêches et Océans Canada et les administrations de pilotage du Canada, après consultation avec des compagnies maritimes, élaborent et mettent en application des plans d'interventions permettant de contrer efficacement les risques découlant des situations d'urgence reliées à la navigation, et que des exercices de rodage soient organisés.
Recommandation M03-03 du BST (émise en janvier 2004)
Le présent événement démontre qu'aucune mesure efficace n'a été entreprise pour atténuer les risques, dans l'attente de l'élaboration d'un tel plan formel final. Bien que plusieurs organismes gouvernementaux aient été impliqués dans l'intervention, ils n'ont pas coordonné leur approche. Sans plan d'intervention, ils n'ont pas été en mesure d'évaluer la pertinence et la valeur des mesures prises. Une matrice des risques prédéfinie, contrôlée par les autorités appropriées, fournit un cadre pour évaluer le risque lié à la navigation dans les eaux canadiennes. Mises à part les opérations de recherche et sauvetage et de récupération d'hydrocarbures, certains autres types d'urgence maritime peuvent survenir sans faire l'objet d'une intervention appropriée. Alors que les risques associés aux interventions d'urgence SAR et aux interventions d'urgence environnementale non coordonnées ne sont pas tolérés, les risques associés aux situations d'urgence en développement reliées à la navigation sont tolérés.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Compte tenu du fort gabarit et du tirant d'eau du navire, du faible dégagement sous quille, de la force du courant et des vents, et de l'espace de manoeuvre restreinte, le Yong Kang n'était pas ancré dans un mouillage permettant d'assurer sa sécurité.
- L'échouement n'a pas pu être évité en raison des forts vents et du courant de marée, et on n'a pas pu bénéficier des services d'un pilote et d'un remorqueur des environs à temps.
Faits établis quant aux risques
- On n'utilise pas une méthode axée sur le risque pour identifier les mouillages qui posent des dangers particuliers, d'où le risque qu'un navire se voit assigner un mouillage qui pourrait ne pas lui convenir.
- Les risques associés aux interventions d'urgence de recherche et sauvetage non coordonnées ou aux interventions d'urgence environnementale non coordonnées ne sont pas tolérés; par contre, les risques associés aux situations d'urgence en développement reliées à la navigation sont tolérés.
Autres faits établis
- Ni le centre des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Québec ni le port de Québec n'ont l'équipement nécessaire pour vérifier à distance la position des navires dans l'ensemble des eaux sous leur responsabilité.
- Quand on a signalé que le Yong Kang avait chassé sur son ancre le 3 décembre 2003, le navire n'avait pas atteint la périphérie de la zone de sécurité programmée sur le radar du navire.