Rapport d'enquête maritime M06N0014

Incendie dans une citerne à cargaison
du pétrolier navette Kometik
dans la baie de la Conception Sud
(Terre-Neuve-et-Labrador)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 8 avril 2006, le pétrolier navette Kometik sur lest était à l'ancre dans la baie de la Conception (Terre-Neuve-et-Labrador). Un soudeur et un membre d'équipage effectuaient des réparations par soudage dans la citerne à cargaison no 5 tribord lorsque vers 11 h 13, heure avancée de Terre-Neuve, un mélange de vapeur explosif s'est enflammé dans la citerne. Le soudeur a réussi à s'échapper de la citerne mais a subi des blessures graves. Le corps du membre d'équipage a été récupéré par les pompiers de terre plus tard dans l'après-midi.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Nom du navire Kometik
    Numéro OMI 9131876
    Port d'immatriculation St. John's (T.-N.-L.)
    Pavillon Canada
    Type Pétrolier navette
    Jauge bruteNote de bas de page 1 76 216
    Longueur 271,8 m
    Tirant d'eau 14,8 m
    Construction Construit en 1997 par Samsung Heavy Industries Co. Ltd.
    Propulsion 2 moteurs Hyundai MAN B&W type 7S50MC de 18 904 kW (25 700 BHP) entraînant 2 hélices à pas variable
    Cargaison Navire sur lest
    Équipage 26 personnes
    Exploitant Canship Ugland, Ltd., St. John's (T.-N.-L.)
    Propriétaires Coentreprise entre Mobil, Chevron et Murphy Oil, St. John's (T.-N.-L.)

    Renseignements sur le navire

    Photo 1. Le pétrolier navette Kometik
    Image
    Le pétrolier navette Kometik

    Le Kometik est un pétrolier navette à deux courbes d'étambot et deux hélices. Il est pourvu de 12 citernes à cargaison, de 2 citernes à résidus, de 13 ballasts séparés et d'un système de chargement par l'avant installé sur le pont de gaillard. Il est également pourvu d'un système de positionnement dynamique qui actionne deux hélices à pas variable à l'avant et deux à l'arrière, ainsi que deux gouvernails de type Becker.

    Déroulement du voyage

    Le 4 avril 2006, le Kometik décharge à Whiffen Head dans la baie Placentia (T.-N.-L.) sa cargaison de pétrole brut qu'il a embarquée à Hibernia, puis il appareille pour se rendre au mouillage de la baie de la Conception (T.-N.-L.). Pendant la traversée, les 12 citernes à cargaison sont lavées, balayées au gaz inerte et dégazées en vue de réparer une fissure dans le pont au droit de la canalisation MARPOLNote de bas de page 2 au-dessus de la citerne à cargaison no 4 bâbord. On prévoit également faire une inspection de toutes les citernes à cargaison pour déterminer si des réparations à l'intérieur de celles-ci sont nécessaires. Le navire est aussi informé qu'il devra être de retour à Hibernia à 6 h le 11 avril 2006. Le 5 avril 2006 à 20 h 24Note de bas de page 3, le Kometik jette l'ancre dans la baie de la Conception. La Figure 1 montre la route approximative du voyage.

    Figure 1. Route approximative du Kometik
    Image
    Route approximative du Kometik

    Pour bien utiliser le temps passé au mouillage dans la baie de la Conception, les officiers supérieurs du navire, avec l'approbation du surintendant à terre, décident que les préposés aux citernes effectueront autant de réparations et d'inspections que possible dans la période de temps prévue. Sous la surveillance continue du premier lieutenant, les 12 citernes à cargaison, qui ont été nettoyées et dégazées, font l'objet d'une inspection à la recherche de dommages.

    Figure 2. Disposition des citernes à cargaison
    Image
    Disposition des citernes à cargaison

    Le matin du 6 avril 2006, un soudeur et un chimiste de la marineNote de bas de page 4 montent à bord du navire. Pendant que le soudeur effectue de petites réparations sur le pont principal et à proximité, le chimiste teste l'atmosphère dans les citernes à cargaison nos 4 bâbord et tribord. À 13 h, le chimiste délivre une attestation contre les dangers des gaz (un certificat de dégazage) valable seulement pour ces deux citernes. De même, le premier lieutenant rédige les permis d'entrée en espace clos et de travail à chaud tel qu'il est prévu dans le manuel de sécurité à bord du navire. Des membres d'équipage sont par la suite envoyés dans la citerne pour ériger des échafaudages et mettre en place des lignes de sécurité pour que le soudeur puisse effectuer les réparations prioritaires à l'intérieur de la citerne (sur la face inférieure du pont). Le chimiste quitte le navire dans la même journée. À 14 h, le premier lieutenant teste l'atmosphère des citernes à cargaison nos 5 bâbord et tribord avec un multimètre détecteur de gaz et constate que la concentration de méthane dans les deux citernes est de 0 % de la limite inférieure d'explosivité. À 19 h 10, le premier lieutenant et un autre membre d'équipage entrent dans les citernes pour faire une inspection et décèlent des avaries. Vers 22 h, le capitaine téléphone au surintendant (navires-citernes) pour l'informer de la situation.

    À 13 h 45 le 7 avril 2006, le premier lieutenant teste de nouveau l'atmosphère des citernes à cargaison nos 5 bâbord et tribord et constate que la concentration de méthane est toujours de 0 % de la limite inférieure d'explosivité. Le premier lieutenant et un membre d'équipage, cette fois accompagnés du surintendant (navires-citernes), retournent dans les citernes pour déterminer avec plus de précision l'étendue des réparations nécessaires. On note des fissures dans les goussets de retenue des collecteurs de cargaison dans les deux citernes, et des dispositions sont prises pour qu'un deuxième soudeur monte à bord du navire le lendemain pour aider aux réparations.

    Plus tard dans la soirée, vu les prévisions météorologiques défavorables, le capitaine décide d'amener le navire en eaux plus profondes. De plus, on décide de terminer les réparations et de débarquer le personnel de terre et son matériel dès que possible pour que le navire puisse partir au plus tard à midi le 9 avril 2006.

    À 8 h le 8 avril 2006 se tient une réunion de sécurité au cours de laquelle sont délivrés tous les permis nécessaires en vertu du système de gestion de la sécurité de la compagnieNote de bas de page 5. À 8 h 24, deux membres d'équipage entrent dans la citerne à cargaison no 6 tribord pour réparer la conduite hydraulique qui sert à actionner la vanne du collecteur d'assèchement de la citerne à cargaison no 5 tribord. Quelques minutes tard, le soudeur, le premier lieutenant et un membre d'équipage entrent dans la citerne à cargaison no 5 bâbord pour effectuer des travaux de soudure.

    À 9 h 29, les deux membres d'équipage à l'intérieur de la citerne à cargaison no 6 tribord ont terminé les travaux qu'ils devaient effectuer et demandent que l'on fasse ouvrir et fermer la vanne d'assèchement de la citerne à cargaison no 5 tribord afin de purger l'air de la conduite hydraulique qu'ils viennent de réparer. La vanne est actionnée depuis la commande à distance sur la passerelle et un cycle d'ouverture fermeture est effectué en 19 secondes. Les membres d'équipage sortent de la citerne peu après. Les registres du navire indiquent qu'à 10 h 7, la soupape a fait l'objet d'un autre cycle d'ouverture fermeture et qu'il a duré 15 secondes cette fois.

    Après une pause-café, le matériel de soudage est transféré de la citerne à cargaison no 5 bâbord à la citerne no 5 tribord. Bien que personne n'ait testé l'atmosphère dans cette citerne le matin de l'accident, un membre d'équipage et un deuxième soudeur y entrent. Ni l'un ni l'autre n'emportent d'appareil respiratoire d'urgence, et aucun contrôle continu de la présence de gaz n'est assuré, contrairement aux exigences du manuel de sécurité du navire. Le membre d'équipage et le soudeur ne portent ni harnais de sécurité ni filin de sécurité.

    Une manche à incendie est descendue dans la citerne mais elle n'est pas pressurisée. Une bâche est mise en place pour éliminer les étincelles, mais elle n'est pas humidifiée, contrairement aux indications de la section « conditions et précautions spéciales » du permis de travail à chaud qui a été délivré lors de la réunion de sécurité du matin.

    Vers 11 h 13, on entend un grand bruit et on observe une épaisse fumée noire qui s'échappe de la citerne à cargaison no 5 tribord. Quelques secondes plus tard, le soudeur blessé sort sur le pont à partir du trou d'homme aménagé à l'avant de la citerne. Il est aussitôt amené à l'hôpital du navire et par la suite évacué vers un hôpital à terre.

    Les équipes de lutte contre l'incendie du navire se rassemblent et éteignent l'incendie en moins de 15 minutes. Pendant ce temps, le membre d'équipage resté dans la citerne est en communication radio permanente avec le personnel pont. Par la suite, la chaleur intense qui se dégage de la citerne empêche qui que ce soit d'y entrer et on ne reçoit plus de communication du membre d'équipage enfermé dans la citerne.

    À 12 h 55, des membres du Conception Bay South Volunteer Fire Department (service des pompiers volontaires de la baie de la Conception Sud) montent à bord du navire. À 14 h 40, ils récupèrent le corps du membre d'équipage avec l'assistance de l'équipage. Le corps de la victime est transporté à l'hôpital local à bord d'un hélicoptère de recherche et sauvetage (SAR).

    Certificats du navire

    Le Kometik avait à son bord tous les certificats appropriés pour la classe du navire et le voyage. Le navire répondait aux exigences du Code international de gestion pour la sécurité de l'exploitation des navires et la prévention de la pollution (Code ISM).

    Brevets et certificats du personnel

    Le capitaine et les officiers du Kometik étaient titulaires de brevets valides pour la classe du navire et le service prévu. Tous les officiers et membres d'équipage avaient reçu la formation sur les fonctions d'urgence en mer (FUM) et avaient participé à un programme de formation interne conforme au système de gestion de la sécurité de la compagnie et aux exigences de Transports Canada, selon le poste qu'ils occupaient à bord.

    Antécédents du personnel

    Le capitaine naviguait sur des pétroliers depuis 1986, passant de simple matelot à capitaine. Il avait déjà rempli les fonctions de capitaine sur deux autres navires. Il exerçait les fonctions de premier lieutenant pour la compagnie exploitante depuis mars 2000 et occupait le poste de capitaine sur le Kometik depuis juin 2001.

    Il avait reçu son diplôme du programme de navigation maritime de la Fisheries and Marine Institute en 1996 et avait navigué sur différents navires, y compris des pétroliers. Il avait commencé à travailler sur le Kometik en mai 2000 comme troisième lieutenant, puis deuxième lieutenant. Il occupait le poste de premier lieutenant depuis décembre 2002. Il était titulaire d'un brevet de capitaine au long cours délivré le 22 décembre 2003, valide jusqu'au 21 décembre 2008.

    Victimes

    Le membre d'équipage qui est resté enfermé dans la citerne à cargaison est décédé après avoir inhalé de la fumée.

    Le soudeur a subi des brûlures graves ainsi que des blessures pulmonaires.

    Avaries au navire

    La structure du navire ne présentait aucune avarie. Cependant, les serpentins de chauffage au fond de la citerne présentaient de légers dommages survenus lors des opérations de récupération.

    Planification du travail

    Les activités initiales ont été menées dans le respect des procédures standard (par exemple, on a eu recours aux services d'un chimiste de la marine pour tester les citernes à cargaison nos 4 bâbord et tribord). À mesure que les opérations progressaient, d'autres travaux, entre autres des réparations aux goussets de retenue des collecteurs dans deux autres citernes (citernes à cargaison nos 5 bâbord et tribord) ont été ajoutés aux opérations et menés en utilisant les ressources immédiatement disponibles. Le premier lieutenant a testé l'atmosphère de toutes les citernes avec un détecteur portatif avant l'inspection des citernes. Il a utilisé la même méthode pour s'assurer qu'on pouvait entrer sans danger dans les citernes qui nécessitaient des réparations internes. Cependant, on n'a pas fait appel aux services d'un chimiste de la marine après la visite initiale du 6 avril 2006 pour attester du dégazage des citernes dans lesquelles du travail à chaud devait être effectué.

    Les travaux supplémentaires ont été entrepris :

    • sans plan global de coordination des activités individuelles;
    • sans évaluation du risque de l'ensemble des activités;
    • sans évaluation des besoins en effectif en fonction des travaux à effectuer.

    Le mauvais temps qui approchait a ajouté une contrainte à l'échéancier, l'équipage devant terminer les travaux à temps pour que le navire puisse quitter la zone au plus tard à midi le 9 avril 2006.

    Entretien des citernes

    Les citernes à cargaison sont habituellement nettoyées et dégazées en vue de l'inspection annuelle. Il peut cependant être nécessaire d'entrer dans une citerne à tout moment, par exemple pour réparer des vannes, des conduites de commande hydrauliques, des actionneurs. Lorsque cela se produit, on en profite pour faire une inspection de la citerne.

    Avant d'entrer dans une citerne, on doit procéder au nettoyage de la citerne. La procédure de nettoyage comprend le lavage de la citerne au pétrole brut (au cours du déchargement) suivi du lavage à l'eau. Le processus complet de nettoyage et de dégazage prend habituellement 48 heures. Il faut d'abord purger la citerne en introduisant du gaz inerte dans la citerne au moyen du système de gaz inerte. Lorsque la teneur en oxygène dans la citerne est suffisante, la citerne est lavée à l'eau. Pour effectuer le dégazage, on introduit de l'air frais dans la citerne au moyen des soufflantes du système de gaz inerte.

    Charge de travail

    Sur un pétrolier navette comme le Kometik, les voyages brefs exigent des temps de rotation de courte durée et de fréquentes opérations de manutention de la cargaison. Ces activités ont lieu 24 heures sur 24 et nécessitent de longues périodes de surveillance.

    Le premier lieutenant est responsable des opérations de manutention de la cargaison ainsi que de la direction et de la supervision du personnel pont. Il n'était pas appelé à assurer le quart à la passerelle. Deux autres officiers de pont étaient chargés du quart à la passerelle. Deux navires semblablesNote de bas de page 6, mais qui se rendaient aux États-Unis, avaient à leur bord un officier de pont qualifié supplémentaire pour aider aux opérations du navire, conformément aux exigences réglementaires des États-Unis.

    Le nettoyage des citernes est également une activité qui exige une surveillance étroite par un membre d'équipage expérimenté. Bien que cette opération ne soit pas fréquente, elle n'en est pas moins une procédure longue et critique sur le plan de la sécurité, et elle se déroule habituellement pendant les quarts de jour et de nuit et elle prend plusieurs jours.

    Depuis le début du voyage le 3 avril 2006, le premier lieutenant s'est presque continuellement occupé des opérations de manutention de la cargaison et du nettoyage des citernes, en plus de diriger et de superviser le travail du personnel pont et de surveiller les travaux de réparation effectués par les entrepreneurs de terre.

    Fatigue

    Le premier lieutenant effectuait habituellement le quart de jour de 12 heures. Lors de sa première journée de travail sur le navire le 3 avril 2006, il a fait une courte sieste vu qu'il devait effectuer un horaire de travail prolongé, puis il a travaillé toute la nuit aux opérations de déchargement de la cargaison. Le lendemain matin, il a pris environ 6 heures de sommeil puis il a travaillé le reste du quart de jour. Comme il l'a fait au cours des journées qui ont suivi, il a participé aux opérations du navire jusque tard dans la soirée. Il a mal dormi les deux nuits suivantes. Il souffrait de symptômes pseudo grippaux. Il prenait un médicament contre la grippe qui contenait un stimulant et il prenait aussi un antidépresseur d'ordonnance. Les deux nuits précédant l'accident, son sommeil a été moins perturbé et selon un horaire comparable à ses heures de sommeil normales.

    Les tableaux qui figurent à l'Annexe A du présent rapport illustrent les heures de sommeil du premier lieutenant. Toutes les heures sont des estimations fondées sur les rapports du premier lieutenant et sur un examen des registres pertinents.

    Le Code canadien du travail stipule que de nombreuses questions traitant de la santé et de la sécurité relèvent à la fois de l'employeur et de l'employéNote de bas de page 7. Un autre règlement canadien en vigueur au moment de l'accident précisait la fréquence et la durée minimales des heures de repos des employésNote de bas de page 8.

    Dans les jours précédant l'événement, l'horaire du premier lieutenant respectait l'exigence minimale de 6 heures de repos par période de 24 heures, mais avant l'événement, l'horaire du premier lieutenant ne respectait pas l'exigence additionnelle qui prescrit un minimum de 16 heures de repos par période de 48 heures.

    Système de gestion de la qualité et de la sécurité

    Le Code ISM adopté par l'Organisation maritime internationale (OMI) en 1993 « constitue une norme internationale de gestion pour la sécurité de l'exploitation des navires et pour la prévention de la pollution ». Les gouvernements doivent « prendre les mesures nécessaires pour protéger le capitaine du navire dans l'exercice approprié de ses responsabilités en matière de sécurité en mer et de protection du milieu marin ». Le Code ISM reconnaît également qu'il est « nécessaire que la gestion soit structurée de manière satisfaisante pour que le personnel navigant puisse assurer et maintenir un niveau élevé de sécurité et de protection de l'environnement ».

    Dans la pratique, on délivre un certificat de gestion de la sécurité au navire et un document de conformité (DOC) à la compagnie qui exploite le navire une fois que les systèmes en place ont été vérifiés par un organisme agréé. Le Kometik effectuait uniquement du commerce intérieur, mais il était néanmoins un navire ressortissant à la Convention de sécurité et qui satisfaisait aux prescriptions du Code ISM en vigueur depuis le 1er juillet 1998.

    La compagnie exploitante a développé un système de gestion de la qualité et de la sécurité pour satisfaire aux exigences du Code ISM. En conséquence, la société de classification Det Norske Veritas a délivré un document de conformité (DOC) à la compagnie, et l'American Bureau of Shipping a délivré un certificat de gestion de la sécurité au Kometik. Le certificat de gestion de la sécurité doit être renouvelé tous les cinq ans et faire l'objet d'une vérification intermédiaire par un organisme externe entre la deuxième et la troisième date anniversaire du certificat. Le document de conformité (DOC) de la compagnie doit faire l'objet d'une vérification annuelle qui doit comprendre des vérifications faites par un organisme externe. Conformément au Code ISM, le manuel de sécurité du navire Kometik prévoit des procédures de sécurité au travail, notamment sur le dégazage, l'entrée en espaces clos, le travail à chaud, les étiquettes de danger et le cadenassageNote de bas de page 9. Il y avait aussi en place des procédures relatives aux risques opérationnels connus et aux équipements et systèmes critiques pour la sécurité.

    Détecteurs de gaz combustibles

    L'instrument utilisé sur le Kometik est un détecteur de gaz portatif à piles. Cet instrument permet de mesurer la teneur en oxygène dans l'air ambiant et de détecter les substances toxiques ou inflammables qui pourraient être présentes dans une citerne à cargaison. Les données de l'enregistreur de données (notamment l'heure et la lecture, le pourcentage, le nombre de parties par million) peuvent être téléchargées dans un ordinateur. L'instrument offre un degré de précision de ±3 % de la limite inférieure d'explosivité. La mémoire intégrée de l'instrument indique une activité de surveillance continue seulement pendant le temps où l'équipage était dans la citerne à cargaison no 5 bâbord.

    Équipement de protection individuelle

    Dans le cas présent, le soudeur, un employé contractuel engagé pour effectuer le travail à chaud, portait une combinaison de travail en denim 100 % coton. Ce tissu est épais et tissé serré; il offre une bonne résistance naturelle à l'inflammabilité à basse température mais il ne protège pas contre les températures élevées d'un feu à inflammation instantanéeNote de bas de page 10. Le soudeur portait, par-dessus sa combinaison en denim, une combinaison jetable en polyéthylène fournie par le navire. Ni l'un ni l'autre de ces vêtements n'était traité pour en améliorer les propriétés ignifugeantes, et la combinaison jetable était contaminée par des produits pétroliers provenant des résidus huileux de la citerne. Quand le soudeur est sorti de la citerne, sa combinaison jetable avait presque complètement brûlé. Le membre d'équipage qui assistait le soudeur portait l'équipement de protection standard fourni par la compagnie, une combinaison de travail 100 % coton munie de bandes réfléchissantes.

    Toutes les fibres, qu'elles soient naturelles ou manufacturées, possèdent leurs propres caractéristiques de durabilité et d'inflammabilité. Les tissus faits de fibres cellulosiques ont tendance à être plus durables, mais ils sont aussi plus inflammables. Les tissus faits de fibres protéiniques, en revanche, sont moins durables mais moins inflammables. Les tissus de fibres synthétiques manufacturées, quoique durables, sont généralement sensibles à la chaleur. Les textiles modernes sont souvent produits en mélangeant des fibres naturelles et des fibres manufacturées, afin d'obtenir des caractéristiques d'inflammabilité et de durabilité.

    Les exigences maritimes en matière d'uniformes et de vêtements de protection sont précisées dans le Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires) et dans le Règlement sur les mesures de sécurité au travail, où il est stipulé que :

    Toute personne à qui est permis l'accès au lieu de travail doit utiliser l'équipement de protection prévu par la présente partie lorsque :
    1. d'une part, il est en pratique impossible d'éliminer ou de restreindre à un niveau sécuritaire le risque que le lieu de travail présente pour la sécurité ou la santé;
    2. d'autre part, l'utilisation de l'équipement de protection peut empêcher les blessures pouvant résulter de ce risque ou en diminuer la gravitéNote de bas de page 11.

    Le règlement stipule également que :

    L'équipement de protection doit à la fois :
    1. être conçu pour protéger la personne contre le risque pour lequel il est fourni;
    2. ne pas présenter de risque en soiNote de bas de page 12.

    Le règlement ne fournit toutefois aucune indication sur les tissus qui peuvent convenir pour les uniformes et les vêtements de protection. Cependant, la norme CAN/CGSB-155.20-2000, Vêtements de travail de protection contre les feux à inflammation instantanée causés par des hydrocarbures de l'Office des normes générales du Canada précise les exigences minimales de performances des vêtements de travail conçus pour protéger contre un tel danger. La norme fournit aussi des indications sur les avertissements et les renseignements qui doivent figurer sur l'étiquette du vêtement de travailNote de bas de page 13.

    Analyse

    Origine du feu à inflammation instantanée

    Une inspection de la citerne après l'événement a révélé la présence de résidus d'hydrocarbures qui n'étaient pas présents lors de l'inspection visuelle effectuée la veille de l'événement. La présence de ces résidus s'explique par l'ouverture et la fermeture de la vanne d'assèchement de la citerne à cargaison no 5 tribord le matin de l'événement; cette vanne est située dans la citerne adjacente (no 6 tribord). Ce fait a été démontré entre le 21 et le 22 avril 2006, lors d'un test effectué par la compagnie exploitante après l'événement, au cours duquel environ 1,7 m3 d'eau et de cargaison de pétrole a reflué dans le puisard d'aspiration lorsque la vanne d'assèchement de la citerne à cargaison no 5 tribord a été ouverte et fermée.

    L'incendie a donc probablement éclaté lorsque les vapeurs combustibles provenant du mélange d'eau et de pétrole qui avait reflué dans le lieu de travail ont été enflammées par l'arc et les étincelles de soudage.

    Gestion de la sécurité à bord du navire

    Des politiques et procédures adéquates fournissent à l'équipage d'un navire les outils nécessaires pour prendre les bonnes décisions dans ses activités de tous les jours. L'application du Code ISM permet aux compagnies maritimes de réduire au minimum le nombre de décisions fondées sur des erreurs humaines qui pourraient occasionner un accident.

    Un système de gestion de la sécurité efficace aux termes du Code ISM exige que tous les risques soient identifiés et que des procédures soient mises en place pour en atténuer l'impact potentiel. Une partie du manuel de sécurité du navire Kometik exige que soient identifiées toutes les procédures à suivre avant d'effectuer un travail à chaud en espace clos (comme une citerne à cargaison). Toutefois, à la réunion de sécurité du 8 avril 2006, au cours de laquelle devaient avoir lieu une telle évaluation du risque et la délivrance des permis, on n'a pas identifié d'éléments conflictuels particuliers entre les différents travaux prévus, ni le besoin d'étiqueter et de cadenasser les tuyauteries des citernes à cargaison où devait être effectué le travail à chaud.

    Plusieurs autres exigences procédurales du manuel de sécurité du navire n'ont également pas été respectées : on a utilisé des combinaisons de travail jetables, les manches à incendie n'étaient pas pressurisées, les personnes dans la citerne n'avaient pas d'appareil respiratoire d'urgence ni de détecteur de gaz portatif ni de filin de sécurité. Bien que le manuel de sécurité du navire exige que de telles mesures d'atténuation soient identifiées avant le début de tout travail, les procédures du manuel n'ont pas été entièrement suivies.

    Toutes les tâches mentionnées ci-devant sont comprises dans le manuel de sécurité du navire, mais elles n'ont pas été exécutées le matin de l'incident. Cela est en partie attribuable au fait qu'il fallait terminer les travaux et partir avant l'arrivée du mauvais temps.

    Fatigue et charge de travail

    Dans les jours précédant l'événement, le premier lieutenant souffrait de fatigue aiguë engendrée par les éléments suivants :

    • il est resté éveillé pendant environ 24 heures du 3 au 4 avril 2006 et, selon l'information recueillie, il aurait été privé de sommeil réparateur pendant deux autres jours;
    • le travail de déchargement et de nettoyage était exigeant, à la fois en termes de risque et d'échéancier;
    • il souffrait de symptômes pseudo grippaux depuis plusieurs jours.

    On ne sait pas si l'antidépresseur qu'il prenait a contribué à son état de fatigue ou a pu lui nuire dans l'exercice de ses fonctions.

    Son niveau de fatigue aurait atteint son plus haut niveau deux jours avant l'accident, alors que la plus grande partie des travaux à exécuter était au stade de la planification. Il était probablement encore fatigué au moment de l'accident puisqu'il n'a pas pu bénéficier d'un sommeil réparateur suffisant pour compenser son manque de sommeil antérieur.

    Selon le texte de l'OMI intitulé La fatigue et l'officier du navireNote de bas de page 14, la fatigue peut avoir différents effets; entre autres, elle peut causer un changement d'attitude (comme ne pas anticiper le danger ou ne pas respecter les vérifications et procédures normales) et diminuer la concentration et la capacité à prendre des décisions. Des heures de travail trop nombreuses et la fatigue peuvent provoquer des effets négatifs chez une personne; entre autres, la personne peut être portée à prendre plus de risques et de raccourcis. De plus, une personne fatiguée peut être incapable d'évaluer correctement son propre niveau de fatigue.

    Par exemple, depuis le début du voyage le 3 avril 2006, le premier lieutenant s'était occupé d'importantes opérations de déchargement et de nettoyage des citernes, en plus de diriger et de surveiller le travail du personnel pont et de surveiller les travaux de réparation effectués par les entrepreneurs de terre. Même si une analyse du risque et un échéancier ont été élaborés pour chacune des activités, aucune analyse du risque ni analyse de la charge de travail n'a été faite pour l'ensemble des activités de nettoyage et de réparations.

    Cette absence de plan d'ensemble et l'importante charge de travail du premier lieutenant alors qu'il était fatigué ont probablement eu des répercussions sur son rendement.

    Un système de gestion de la sécurité efficace aux termes du Code ISM exige que tous les risques soient identifiés et que des procédures soient mises en place pour en atténuer l'impact potentiel. Dans le présent cas, le manuel de sécurité du navire n'identifiait pas la fatigue ou la charge de travail comme étant des facteurs de risque et ne comprenait pas de procédures, comme une augmentation du nombre de membres d'équipage, qui auraient pu atténuer ces risques. Il est donc probable que, en raison de son état de fatigue et de sa charge de travail, le premier lieutenant n'a pas reconnu le conflit potentiel entre les travaux de soudage dans la citerne à cargaison no 5 tribord et les réparations à une vanne dans la citerne adjacente. Résultat, il n'a pas respecté les procédures en vigueur dans le manuel de sécurité du navire visant à mitiger ces risques.

    Équipement de protection personnel

    La combinaison de travail jetable en polyéthylène que portait le soudeur ne répondait pas aux exigences minimales de performances pour les vêtements de travail de protection contre les feux à inflammation instantanée causés par les hydrocarbures, telles que définies dans la norme CAN/CGSB-155.20-2000, Vêtements de travail de protection contre les feux à inflammation instantanée causés par des hydrocarbures, de l'Office des normes générales du Canada, et ne répondait pas non plus aux exigences du Code canadien du travail, qui exige que soient fournis l'équipement et les vêtements de protection individuelle appropriésNote de bas de page 15. Cette combinaison n'était pas ignifuge et était contaminée par des produits pétroliers provenant des résidus huileux de la citerne, qui eux-mêmes constituaient un risque. La combinaison de travail a donc probablement contribué à la gravité des blessures subies par le soudeur.

    Il existe sur le marché des vêtements de protection 88 % coton et 12 % nylon haute ténacité qui sont traités avec un produit visant à stopper la combustion lorsque la source d'inflammation est éliminée. Toutefois, les combinaisons de travail fournies par la compagnie comme vêtements de protection à bord du navire étaient des combinaisons 100 % coton et elles n'assuraient pas une protection appropriée contre les températures élevées d'un feu à inflammation instantanée.

    Étant donné les dangers, comme les feux à inflammation instantanée, auxquels sont exposés les personnes travaillant à bord de pétroliers, l'équipement de protection fourni ou mis à la disposition des membres d'équipage du Kometik ne convenait pas à leur degré d'exposition au risque.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Les procédures établies concernant le travail à chaud et les espaces clos n'ont pas été respectées.
    2. Un membre d'équipage a travaillé alors qu'il était fatigué et qu'il devait effectuer de nombreuses tâches critiques pour la sécurité, ce qui a donné lieu à une surveillance insuffisante des travaux de soudage.
    3. Des éléments conflictuels entre différents travaux n'ont pas été identifiés au moment de la planification du travail; entre autres, l'ouverture et la fermeture à deux reprises de la vanne d'assèchement de la citerne a permis la formation d'un mélange inflammable d'air et d'hydrocarbures dans la citerne où du travail à chaud devait être effectué.
    4. Du fait que l'atmosphère dans la citerne à cargaison no 5 tribord n'a pas été testée immédiatement avant ni pendant le travail, l'atmosphère explosive n'a pas été détectée.
    5. L'arc et les étincelles de soudage ont produit une source d'inflammation dans l'atmosphère inflammable de la citerne.
    6. Ni le soudeur ni le membre d'équipage ne portaient l'équipement de protection personnel approprié pour effectuer les travaux dans la citerne, s'exposant ainsi aux risques associés au travail qui leur avait été assigné.
    7. La combinaison de travail jetable en polyéthylène que portait le soudeur a probablement contribué à la gravité de ses blessures.

    Faits établis quant aux risques

    1. Étant donné les dangers, comme les feux à inflammation instantanée, auxquels sont exposés les personnes travaillant à bord de pétroliers, l'équipement de protection fourni ou mis à la disposition des membres d'équipage du Kometik ne convenait pas à leur degré d'exposition au risque.
    2. Le manuel de sécurité du navire n'identifiait pas la fatigue ou la charge de travail comme étant des facteurs de risque et ne comprenait pas de procédures pour atténuer ces risques.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Mesures prises par la compagnie exploitante

    Après l'événement, un officier supplémentaire par navire a été embauché pour travailler sur les navires-citernes Kometik, Vinland, et Mattea pour alléger la charge de travail du premier lieutenant de chaque navire. De plus, toute la planification du travail fait l'objet d'un contrôle mensuel par le personnel à terre.

    Le système de gestion de la qualité et de la sécurité de la compagnie a été revu et mis à jour. Les réunions de préparation aux tâches critiques ainsi que les réunions de planification sur le lieu de travail (toolbox meetings) ont été examinées et améliorées. Des séminaires axés sur la responsabilité et l'obligation de rendre compte sur la sécurité à bord des navires ont été tenus à l'intention du personnel de terre, en présence des équipages des navires.

    Le système de gestion de la qualité et de la sécurité révisé renforce l'exigence de l'employeur selon laquelle le capitaine doit être informé de tout médicament sur ordonnance pris par un membre d'équipage. Des amendements récents aux prescriptions applicables aux examens médicaux des gens de mer (en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada) sont venus compléter cette exigence de l'employeur.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

    Annexes

    Annexe A - Chronologie des heures de sommeil du premier lieutenant

    Les heures sont des estimations basées sur les rapports du premier lieutenant et sur un examen des registres pertinents. Le premier lieutenant a indiqué qu'il avait eu un sommeil perturbé et entrecoupé les 4, 5 et 6 avril 2006.

    Annexe A. Chronologie des heures de sommeil du premier lieutenant
    Image
    Chronologie des heures de sommeil du premier lieutenant

    Le symbole

    Image
    Symbole
    indique le moment de l'accident.