Chavirement et naufrage
du petit bateau de pêche Love and Anarchy
sur la côte ouest de l'île de Vancouver
(Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 4 septembre 2008, aux premières heures du jour, le petit bateau de pêche Love and Anarchy chavire et coule alors qu'il est au mouillage sur le banc Swiftsure, à 20 milles marins au sud-ouest du cap Beale (Colombie-Britannique). Le propriétaire et le membre d'équipage sont secourus par un autre bateau de pêche.
Renseignements de base
Fiche technique du navire
Nom du navire | Love and Anarchy |
Numéro d'immatriculation | 814390 |
Numéro de permis | VRN 29496 |
Port d'immatriculation | Vancouver (C.-B.) |
Pavillon | Canada |
Type |
Petit bateau de pêche (à ligne traînante et à chalut) |
Jauge brute | 14,57 |
LongueurNote de bas de page 1 | 10,82 m |
Construction | 1990, Vancouver (C.-B.) |
Propulsion |
Un moteur Detroit Diesel V6-71 de 149 kW entraînant une seule hélice à pas fixe |
Cargaison | Environ 800 kg de saumon et 3 t de glace |
Équipage | 2 personnes |
Propriétaire enregistré | Propriétaire privé, Comox (C.-B.) |
Renseignements sur le navire
Le Love and Anarchy a été construit comme petit bateau de pêche ponté à coque en acier soudé. Le rouf en aluminium, les emménagements et le compartiment moteur étaient situés à l'avant du milieu du bateau. La coque sous le pont de travail principal était divisée par trois cloisons transversales étanches, et elle abritait les emménagements, le compartiment moteur, quatre cales à poisson isolées ainsi que la cambuse (voir Annexe A-1).
La cambuse et les cales à poisson (trois longitudinales et une transversale) étaient situées à l'arrière. Chaque cale à poisson était pourvue d'un trou d'homme à plat-pont étanche et d'un panneau de cale non étanche en aluminium fixé sur un surbau de 5 cm. Des planches amovibles couvrant les trous d'homme servaient à rendre le pont de travail de niveau avec les panneaux de cale.
Le bateau était muni de deux réservoirs à carburant, un de chaque côté du moteur principal. Le réservoir d'eau douce était situé à l'arrière du bateau. Deux pompes de service général installées dans le compartiment moteur et raccordées à une tuyauterie commune servaient à assécher les fonds, la cambuse et les cales à poisson.
Le pont de travail principal était situé à l'arrière et était entouré d'un pavois plein. Ce pont renfermait l'engin de chalutage, une table de tri, les engins de pêche au saumon à la ligne traînante, une grande caisse à poisson et six petites caisses à poissonNote de bas de page 2. De plus, un deuxième enrouleur de chalut était installé au-dessus de l'enrouleur d'origine sur l'arrière du bateau.
Le rouf était équipé d'appareils de navigation et de communication comprenant un radar, un sondeur, trois radios VHFNote de bas de page 3, un pilote automatique et un système de positionnement global (GPS).
Le gréement du bateau était constitué d'un portique en aluminium en forme de A, d'un bras de levage en acier et de mâts pour la pêche à la ligne traînante.
Le bateau transportait un esquif de 2,3 m, un radeau de sauvetage pneumatique pour quatre personnes, une pompe à eau à moteur à essence, et des planches de séparation pour les cales à poisson. Le tout était arrimé sur le toit du rouf.
Le bateau avait une gîte permanente sur bâbord (voir Annexe C, Photo 3), qui était visible depuis au moins 1995.
Déroulement du voyage
Le 31 août 2008 au matin, à Ucluelet (C.-B.), on fait le plein des réservoirs à eau et à carburant et on embarque trois tonnes de glace. Une demi-tonne de glace est utilisée pour remplir quatre caisses à poisson sur le pont. Le reste de la glace est stocké dans la cale à poisson arrière, sans planches de séparationNote de bas de page 4. Pour éliminer la gîte sur bâbord, le propriétaire avait pompé de l'eau de mer et l'avait ajoutée dans la cale à poisson tribord et utilisait le carburant du réservoir bâbord. La pratique courante voulait que cette eau soit enlevée ultérieurement, à mesure que le carburant était consommé.
Le bateau appareille ensuite pour effectuer un voyage de pêche sportive avec le propriétaire et deux amis à bord. Plus tard dans la journée, le bateau accoste à Bamfield (C.-B.).
Le 1er septembre 2008, le bateau appareille de Bamfield. À ce moment, même si le propriétaire a utilisé du carburant du réservoir bâbord, le bateau a repris de la gîte sur bâbord. Dans l'espoir d'éliminer cette gîte inexpliquée, le propriétaire enlève la glace fondue de la cale à poisson arrière à l'aide d'une des pompes de service général. Il pompe ensuite de l'eau de mer et l'ajoute dans la cale à poisson tribord, ce qui élimine la gîte. La pompe émet un son inhabituel pendant le pompage, mais continue de fonctionner.
Plus tard dans la journée, le bateau se livre à la pêche à la crevette au chalut. La prise de 360 kg est stockée dans les caisses à poisson sur le pont et est déchargée plus tard à Ucluelet. Les deux amis quittent le bateau à ce moment-là et un membre d'équipage embarque pour prendre part à la pêche au saumon à la ligne traînante.
À 4 hNote de bas de page 5 le 2 septembre 2008, le bateau appareille de Ucluelet et se rend sur les lieux de pêche au saumon. Les petites caisses à poisson pourraient être placées dans les cales à poisson mais on préfère les garder sur le pont de travail pour faciliter le stockage et le déchargement des prises. Pour compenser la gîte qui continue d'augmenter sur bâbord, on stocke d'autres caisses de poisson sur le côté tribord du pont de travail. Au cours de la soirée, le bateau mouille l'ancre sur le banc Swiftsure.
Le 3 septembre 2008, la gîte inexpliquée sur bâbord continue d'augmenter, même si la prise d'environ 800 kg et la glace sont réparties également dans les caisses à poisson sur le pont. On pompe de l'eau de mer et on l'ajoute dans la cale à poisson tribord pour compenser, ce qui permet encore une fois d'éliminer temporairement la gîte sur bâbord. Le bateau mouille l'ancre pour la nuit sur le banc Swiftsure, à proximité d'autres bateaux de pêche, par 48°35.04′ N, 125°38.54′ W (voir Annexe B - Croquis des lieux de l'événement).
Pendant la nuit, le bateau se met en travers à la lame. Vers 3 h 30, le propriétaire est réveillé par le roulis du bateau et le bruit causé par le ripage de l'équipement. À ce moment, le bateau a une assiette sur cul et a repris de la gîte sur bâbord, et des paquets de mer s'abattent sur le pont, autour des panneaux de cale. Le propriétaire démarre alors le moteur et commence à pomper l'eau de la cale à poisson bâbord. Après quelques minutes, la pompe tourne toujours mais cesse de refouler, et la condition du bateau change très peu.
Après plusieurs tentatives infructueuses pour assécher les cales à poisson avec les deux pompes, le propriétaire réveille le membre d'équipage. Ce dernier endosse un gilet de sauvetage et se rend sur le pont. Le propriétaire retourne au compartiment moteur et continue d'essayer de redresser la situation.
Entre-temps, le membre d'équipage va chercher les combinaisons d'immersion dans les emménagements et les range sur le pont, contre la cloison arrière du rouf.
Après que le bateau a embarqué un paquet de mer par-dessus le pavois tribord, provoquant l'envahissement des cales à poisson, le membre d'équipage endosse partiellement sa combinaison d'immersion. Le propriétaire sort du compartiment moteur, et les deux hommes entrent dans le rouf pour envoyer un message de détresse. Le message ne peut être transmis. Vu l'augmentation de l'assiette sur cul et de la gîte sur bâbord, l'équipage renonce à tenter d'envoyer un message de détresse, et les deux hommes retournent sur le pont. Le membre d'équipage retire son gilet de sauvetage et finit d'endosser sa combinaison d'immersion. Comme la combinaison d'immersion du propriétaire est coincée contre le rouf par une caisse remplie de poisson qui a ripé lors d'un mouvement de roulis sur bâbord, le propriétaire endosse le gilet de sauvetage, et les deux hommes grimpent sur la coque à mesure que le bateau se retourne sur le côté.
Après s'être rendu à l'avant du bateau en passant sur la muraille tribord de la coque, le propriétaire dégage le radeau de sauvetage du toit du rouf, mais le radeau refuse de se gonfler. Le bateau chavire quelques minutes plus tard et les deux hommes montent sur la quille du bateau en se dirigeant vers l'arrière. Alors que l'avant du bateau s'enfonce, le membre d'équipage se met à nager vers les bateaux de pêche qui sont à proximité. Une fois que le bateau a complètement coulé, le propriétaire s'accroche à des débris flottant à la dérive.
Le membre d'équipage est récupéré par le bateau de pêche Pacific Reward qui repère ensuite le propriétaire, lui porte secours et le traite pour hypothermie. Les deux hommes sont ensuite transférés sur le garde-côte Cape Endesaw de la Garde côtière canadienne et emmenés à Ucluelet.
Brevets, certificats et expérience du personnel
Le propriétaire comptait plus de 25 années d'expérience sur les bateaux de pêche, dont les 13 dernières à bord du Love and Anarchy; il avait passé la plupart de ces années à pêcher le poisson de fond et la crevette au chalut et le saumon à la ligne traînante. Il n'était pas titulaire d'un brevet de compétence et n'était pas tenu de l'être selon la réglementation en vigueur. Il n'avait pas suivi la formation obligatoire sur les fonctions d'urgence en mer (FUM).
Le membre d'équipage avait suivi la formation FUM obligatoire. Il comptait 5 années d'expérience dans le domaine des bateaux de pêche et avait effectué annuellement plusieurs courts voyages de pêche à titre de membre d'équipage.
Certificats du bateau
Étant un petit bateau de pêche d'une jauge brute d'au plus 15, le Love and Anarchy était assujetti à la partie II du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche. À ce titre, il n'était pas tenu d'être inspecté par Transports Canada ni de présenter des données de stabilité pour approbation.
Conditions météorologiques et courants
La bouée météorologique d'Environnement Canada sur le banc La Perouse, à 20 milles marins à l'ouest du lieu de l'événement, faisait état de vagues d'une hauteur moyenne de 1,5 m et de vents du nord-ouest de 13 nœuds avec des rafales à 19 nœuds au cours de la matinée où s'est produit l'événement.
Les Tables des courants et marées de Pêches et Océans Canada pour le secteur ouest de Juan de Fuca, situé à 10 milles marins à l'est du lieu de l'événement, indiquaient que le courant de marée descendante maximal prévu était de 1,8 nœud à 0 h 20.
Règlement sur le personnel maritime
Depuis juillet 2007, le Règlement sur le personnel maritime exige que les conducteurs de bateaux de pêche d'une jauge brute d'au plus 15 soient titulaires d'un certificat de formation de conducteur de petits bâtiments. Le programme de formation pour l'obtention de ce certificat comprend une heure d'enseignementNote de bas de page 6 sur la stabilité des bâtiments. Une dispositionNote de bas de page 7 exempte toutefois de cette exigence les conducteurs de bateaux de pêche qui, avant juillet 2007, ont accumulé l'expérience d'au moins sept saisons de pêche en merNote de bas de page 8 à titre de capitaine.
La mise en application du Règlement sur le personnel maritime s'échelonnera dans le temps; les conducteurs de bateaux d'une taille semblable à celle du Love and Anarchy (6 à 12 m) devront obtenir leur certificat de formation de conducteur de petits bâtiments au plus tard le 7 novembre 2015Note de bas de page 9.
Modifications apportées au bateau
En vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, il incombe au propriétaire et au capitaine d'assurer la sécurité de leur navire. En particulier, pour les bateaux de pêche d'une jauge brute inférieure à 15, ils doivent signaler à Transports Canada les modifications apportées à leur bateau. Les propriétaires de bateaux de pêche d'une jauge brute inférieure à 15 sont incités à maintenir un registre des modifications et à faire appel à un consultant maritime si ces modifications peuvent avoir une incidence importante sur la sécurité et sur la stabilité du bateau. Le Bulletin de la sécurité des navires 01/2008 de Transports Canada traite en détail de ces procédures.
Historique des modifications
Le Love and Anarchy a été construit en 1990 selon un plan existant de chalutier d'une longueur de 11,3 m. Le plan original a été modifié de sorte que la partie avant du bateau a été raccourcie de 0,76 m pour satisfaire aux restrictions sur la longueurNote de bas de page 10 imposées par le ministère des Pêches et des Océans (MPO) pour le permis de pêche.
Les modifications suivantes ont également été faites par rapport au plan original : le rouf a été élargi de 1,5 m, le bras de levage a été surélevé et un portique en forme de A a remplacé le gréement prévu au départ.
En 1993, avant le programme de rejaugeage des bateaux de pêche du MPO, ce ministèreNote de bas de page 11 a approuvé l'allongement du bateau par l'ajout d'une rallonge de 0,61 m à l'arrière, qui comprenait un réservoir d'eau douce. De plus, une étrave à bulbe et des quilles anti-roulis ont été intégrées à la coque.
En 1994, le propriétaire actuel du bateau en a fait l'acquisition et y a apporté une série de modifications, dont :
- l'installation de gréement additionnel au portique en forme de A;
- l'ajout d'une grande table de tri sur le pont;
- l'installation d'un deuxième enrouleur de chalut au-dessus de l'enrouleur d'origine;
- l'ajout d'un toit-abri en aluminium pour protéger le pont de travail;
- la relocalisation des chandeliers du chalut au-dessus de l'enrouleur d'origine;
- la relocalisation des treuils de chalut plus haut et vers l'avant;
- le retrait des contenants d'eau douce de l'étrave.
Ces modifications ont permis d'armer le bateau de l'équipement nécessaire pour pratiquer la pêche au saumon à la ligne traînante, la pêche à la crevette au chalutNote de bas de page 12 et le chalutage par le fond. Il arrivait couramment que le bateau se livre à ces trois types de pêche dans la même journée.
À l'origine, la jauge brute du Love and Anarchy avait été établie à 14,57. Rien n'indique que les modifications apportées au bateau après sa vente en 1994 aient été signalées à Transports Canada ou que le bateau ait fait l'objet d'un rejaugeage à la suite des modifications.
Inspection d'assurance du bateau
Un bateau est habituellement inspecté avant d'être accepté pour une couverture d'assuranceNote de bas de page 13. L'inspection d'assurance a pour objectif premier de déterminer si le bateau est apte au service prévu et s'il constitue un risque acceptable. À cette fin, un expert maritime inspecte de nombreux éléments, notamment :
- la fiche technique du bateau;
- l'état de la coque au-dessus de la flottaison;
- l'état de la coque au-dessous de la flottaison (inspection facultative);
- la machinerie et l'équipement;
- l'hélice, le gouvernail et la ligne d'arbre (inspection facultative);
- les appareils de navigation électronique;
- l'équipement de sécurité;
- la stabilité (inspection facultative);
- la valeur à neuf et la valeur marchande.
Les lacunes décelées lors d'une inspection sont communiquées au propriétaire et à l'assureur, et la couverture d'assurance est souvent conditionnelle à ce que des mesures correctives soient prises.
Il n'est pas rare que des exploitants de petits bateaux de pêche se fient aux inspections indépendantes pour déterminer l'état de navigabilité de leur bateau. La dernière inspection d'assurance du Love and Anarchy remontait à novembre 2001, mais elle avait été effectuée alors que le bateau était à flot et ne comprenait pas la partie de la coque au-dessous de la flottaison ni les apparaux qui s'y trouventNote de bas de page 14. L'inspection avait révélé quelques lacunes que le propriétaire devait corriger. Entre autres, le propriétaire :
- devait faire effectuer l'entretien courant du radeau de sauvetage pneumatique et de la radiobalise de localisation des sinistres (RLS);
- devait remplacer les fusées de détresse;
- devait faire effectuer l'entretien courant des extincteurs.
L'inspection en venait à la conclusion suivante :
[Traduction]
En se fondant sur l'examen effectué, l'inspecteur soussigné est d'avis que le bateau est bien construit et en bon état, sous réserve des recommandations faites, et qu'il est apte au service prévu comme chalutier de pêche commerciale dans les eaux côtières de la Colombie-Britannique.
La protection d'assurance avait été consentie, mais il n'existe aucun registre indiquant que les lacunes avaient été corrigées ni aucun document indiquant que l'assureur aurait demandé une confirmation que les travaux avaient été faits.
L'assureur ne vérifie pas toujours si les lacunes cernées ont bel et bien été corrigées; on présume que le propriétaire se conformera aux recommandations du rapport et qu'il maintiendra le bateau en état de fonctionnement sécuritaire.
Événement antérieur
En 2007, le BST a enquêté sur une explosion survenue à bord du voilier commercial Chebucto HdNote de bas de page 15 alors qu'il était amarré à Nanaimo (C.-B.). Dans ce cas, le voilier avait été inspecté et approuvé pour l'obtention d'une couverture d'assurance à la condition que les lacunes notées soient corrigées. Le voilier avait par la suite effectué des voyages d'affrètement pendant trois mois avant d'entrer en chantier pour effectuer les réparations et les modifications exigées.
Selon l'information recueillie par le BST, le Chebucto Hd avait été partiellement inspecté par un expert maritime agréé, qui avait indiqué que le bâtiment nécessitait d'importantes réparations pour être admissible à une couverture d'assurance. Le propriétaire avait refusé les résultats de l'inspection et avait par la suite engagé un expert maritime non agréé, qui avait approuvé le bâtiment pour l'obtention d'une assurance à la condition que les lacunes soient corrigées.
Équipements de sauvetage, de sécurité et de détresse
Même si cela n'était pas obligatoire, le Love and Anarchy avait à son bord une RLS à dégagement libreNote de bas de page 16 installée à l'intérieur du rouf ainsi qu'un radeau de sauvetage pneumatique pouvant recevoir quatre personnesNote de bas de page 17. Le radeau de sauvetage était retenu dans son berceau par un croc à échappement attaché à des courroies de nylon et il ne pouvait être déployé que manuellement. Aucun registre n'indiquait que le radeau ou la RLS avait fait l'objet d'un entretien courant.
Il y avait trois gilets de sauvetage à bord. Comme l'exigeait la réglementationNote de bas de page 18, le bateau avait aussi à son bord des extincteurs, des fusées de détresse et au moins trois combinaisons d'immersion.
Analyse
Stabilité et chavirement du bateau
Le bateau n'ayant pas été récupéré, le BST n'a pu déterminer la cause exacte du naufrage. En outre, vu le manque d'information sur les modifications apportées au bateau, une évaluation de la stabilité après l'accident n'a pas été effectuée. L'enquête a toutefois révélé que les facteurs suivants avaient joué un rôle clé dans l'accident :
- l'ajout et l'enlèvement de poids en raison de nombreuses modifications;
- la présence d'engins de pêche additionnels;
- le stockage d'environ 800 kg de poisson (plus la glace) dans des caisses sur le pont;
- les liquides dans différents réservoirs et compartiments.
Le bateau avait subi plusieurs modifications; certaines visaient à satisfaire aux restrictions sur la longueur imposées par le ministère des Pêches et des Océans (MPO) tandis que d'autres avaient pour but de permettre différents types de pêche. Par exemple, les changements suivants (l'ajout d'un deuxième enrouleur de chalut au-dessus de l'enrouleur d'origine, l'enlèvement d'une longueur de 0,76 m de la partie avant du bateau et l'ajout d'une rallonge de 0,61 m à l'arrière du bateau) ont eu pour effet de modifier l'aire de flottaison et le déplacement du bateau. Conjugués au stockage des prises dans des caisses sur le pont plutôt que dans les cales, ces changementsNote de bas de page 19 ont probablement provoqué une élévation du centre de gravité.
En outre, ces modifications ont sans doute fait passer la jauge brute du bateau à plus de 15. Un rejaugeage aurait alors eu comme conséquence d'assujettir le bateau aux inspections quadriennales prévues à la partie I du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche.
Les deux facteurs suivants peuvent également avoir joué un rôle dans l'accident :
- D'abord, le bateau avait une gîte permanente sur bâbord pour une raison inconnue.
- Cette situation a été compliquée par le fait que le bateau a repris de la gîte sur bâbord pour une raison inexpliquée, et par l'incapacité du propriétaire à corriger cette gîte le 4 septembre 2008. Cela suggère la présence d'une voie d'eau au-dessous de la flottaison ou le déplacement d'un poids à bord. Quoi qu'il en soit, lorsque le bateau au mouillage s'est mis en travers à la lame, des paquets de mer ont été embarqués sur le pont, et l'eau s'est engouffrée dans les cales à poisson par les panneaux de cale non étanches. Il en est résulté un effet de carène liquide (causé par le déplacement des liquides dans les cales à poisson, dans les réservoirs et sur le pont) qui a aggravé l'élévation du centre de gravité virtuel du bateau.
Un centre de gravité élevé n'a pas nécessairement d'effet négatif sur la stabilité d'un navire, mais le navire qui a un centre de gravité élevé a moins d'énergie pour se redresser lorsqu'il est incliné par une force extérieure. Dans le cas qui nous occupe, le Love and Anarchy était plus vulnérable à de telles forces en raison de son centre de gravité élevé et des circonstances suivantes :
- le ripage d'une caisse remplie de poisson a fait augmenter la gîte sur bâbord;
- l'eau qui s'est engouffrée dans la cale à poisson arrière a probablement fait riper la glace à l'intérieur.
En outre, les engins de pêche stockés sur le pont et dans la cale à poisson centrale ont probablement ripé également à cause du mouvement de roulis, ce qui a contribué à faire augmenter la gîte sur bâbord.
En fin de compte, la stabilité du bateau a été réduite par les effets cumulés des modifications, de la répartition de l'équipement, du stockage du poisson dans des caisses sur le pont, et des carènes liquides. Le bateau s'est incliné en raison des conditions de la mer et a probablement chaviré lorsqu'il n'a pu se redresser par suite de la réduction de sa stabilité.
Connaissances de l'exploitant en matière de stabilité des bateaux
D'après cet événement et de nombreux autres sur lesquels le BST a enquêté ou qui lui ont été signalés, il est clair que certains capitaines de pêche ne comprennent pas les principes de base de la stabilité des navires. Les propriétaires et les exploitants qui ne connaissent pas les principes généraux de stabilité et les caractéristiques de stabilité de leur bateau continuent de s'exposer, avec leur équipage et leur bateau, à des risques inacceptables.
Les effets adverses des modifications au bateau, du stockage du poisson et de l'équipement sur le pont, et des carènes liquides ne sont souvent pas compris, ce qui fut le cas dans le présent accident. Malgré ses 25 années d'expérience sur des bateaux de pêche, le propriétaire n'avait pas de formation en matière de stabilité. En vertu du Règlement sur le personnel maritime, le capitaine n'était pas tenu d'être titulaire d'un certificat de formation de conducteur de petits bâtiments parce qu'il avait accumulé l'expérience d'au moins sept saisons de pêche en mer au cours de sept années différentes. Le programme de formation pour l'obtention de ce certificat comprend une heure d'enseignement sur la stabilité des bâtiments.
La formation conjuguée à la connaissance pratique et à l'expérience peut promouvoir la sensibilisation en matière de stabilité et contribuer à la sécurité des bateaux de pêche. En Colombie-Britannique, le programme « Fish Safe » offre une formation pratique sur la stabilité qui a été très bien acceptée. Une courte vidéo décrivant le programme peut être visionnée à www.fishsafebc.com (lien fonctionnel en date de la publication du rapport).
Le site Web de Transports Canada fournit à la communauté des pêcheurs des conseils sur la façon de tenir un registre et de déclarer les modifications à un bateau (Bulletin de la sécurité des navires 01/2008). Le site Web contient aussi des liens vers une documentation facile à comprendre portant sur les questions de stabilité, dont la publication Petits bateaux de pêche - Manuel de sécurité (TP 10038F).
Exigence relative aux données de stabilité
Un livret de stabilité sert à renseigner le capitaine et l'équipage sur les limites de sécurité du bateau dans diverses conditions d'exploitation.
Le permis de pêche à la crevette du Love and Anarchy lui permettait de transporter du hareng. Cependant, vu que sa jauge brute ne dépassait pas 15, il n'était pas tenu de disposer d'un livret de stabilité approuvé. Par contre, un bateau d'une jauge brute supérieure à 15 affecté à la pêche au hareng doit avoir un livret de stabilité. Transports Canada étudie présentement cette disparitéNote de bas de page 20, mais on ne s'attend pas à ce que la solution réglementaire proposée entre en vigueur avant l'automne 2010.
Le MPO permet que les bateaux de pêche détiennent plus d'un permis. Par conséquent, de nombreux petits bateaux de pêche d'une jauge brute d'au plus 15 subissent des modifications dans le but de se livrer à plus d'un type de pêche tout en respectant les restrictions sur la longueur spécifiées sur les permis délivrés par le MPO. Aucun de ces bateaux n'est toutefois tenu de disposer d'un livret de stabilité.
À la suite du chavirement du bateau de pêche Prospect Point survenu en 2004, Transports Canada et le MPO ont reconnu que les restrictions sur la longueur imposées par le MPO et que la classification des bateaux d'une jauge brute d'au plus 15 comme bateaux non inspectés par Transports Canada peuvent mener à des conditions dangereuses.
À la suite du chavirement du Prospect Point, les mesures de sécurité suivantes ont été prises conjointement par Transports Canada et le MPONote de bas de page 21 :
- Le MPO et Transports Canada ont convenu d'échanger de l'information et des données pour s'assurer que les bateaux de pêche possèdent les données adéquates et pertinentes sur la stabilité avant qu'un permis de pêche soit délivré. Des instructions précises ont été communiquées à tous les inspecteurs de la Région du Pacifique de Transports Canada, prescrivant la marche à suivre pour effectuer l'inspection des bateaux servant à la pêche au hareng ou au capelan.
- Afin d'assurer une démarche cohérente face à la sécurité des bateaux de pêche, le MPO a fourni à Transports Canada une liste des bateaux détenant un permis pour la pêche au hareng ainsi qu'une liste des codes utilisés sur les autocollants apposés sur les bateaux de pêche pour préciser les espèces de poissons que le bateau est autorisé à pêcher.
- Transports Canada a fourni au MPO un exemplaire d'un livret de stabilité approuvé, de sorte qu'avant de délivrer un permis pour la pêche au hareng ou au capelan, les agents des pêches puissent s'assurer que les propriétaires des bateaux possèdent le livret voulu.
- La Région du Pacifique de Transports Canada a désigné deux inspecteurs qui visiteront les installations de réparation des navires de façon ponctuelle expressément pour repérer les navires qui subissent des modifications pouvant miner la sécurité. Cette information sera communiquée aux responsables de la délivrance des permis du MPO, ce qui créera un lien entre la délivrance de permis de pêche par le MPO et la délivrance de certificats de sécurité par Transports Canada. En outre, les responsables du MPO pourront d'autant mieux prendre des décisions éclairées au sujet de permis demandés pour une pêche en particulier.
- Dans le cadre de l'examen préalable à la délivrance d'un permis, le personnel compétent du MPO portera une attention particulière à l'information reçue des propriétaires ou exploitants des bateaux de pêche et consultera Transports Canada lorsque des modifications ont été apportées à un bateau en vue de respecter les restrictions sur la longueur imposées par le MPO.
- Transports Canada et le MPO ont tous deux reconnu que les politiques du MPO sur les restrictions sur la longueur et la classification par Transports Canada des bateaux d'une jauge brute inférieure à 15 comme bateaux non inspectés permettent aux propriétaires de bateaux de pêche d'effectuer des modifications qui peuvent être dangereuses.
Les changements par rapport au plan original lors de la construction du Love and Anarchy, de même que les modifications ultérieures n'avaient pas été évalués afin d'établir leurs répercussions sur la stabilité du bateau ou afin de déterminer si les modifications avaient fait augmenter la jauge brute à plus de 15, auquel cas le bateau aurait été assujetti à l'inspection et aurait dû disposer d'un livret de stabilité.
Le Bureau a souvent exprimé ses préoccupations sur le fait que les caractéristiques de stabilité de la plupart des petits bateaux de pêche, qu'ils aient été modifiés ou non, ne sont pas évaluées de façon officielle et que, par conséquent, il se peut que leur exploitation en toute sécurité soit compromise. En réponse à une recommandation du BST (recommandation M05-04), Transports Canada a envoyé le Bulletin de la sécurité des navires 04/2006 aux propriétaires de petits bateaux de pêche d'une jauge brute d'au plus 15. Bien que ce bulletin soit destiné aux bateaux d'une jauge brute entre 15 et 150, Transports Canada encourage les propriétaires de bateaux d'une jauge brute d'au plus 15 à évaluer les risques auxquels sont exposés leurs bateaux.
Équipements de sauvetage, de sécurité et de détresse
Dans une situation d'urgence, il est essentiel que tous les équipements de sécurité et de détresse fonctionnent comme prévu, tant pour aider les personnes à bord que pour alerter les autorités de recherche et sauvetage d'une situation d'urgence.
Dans le cas du Love and Anarchy, divers équipements n'ont pas été utilisés ou n'ont pas fonctionné comme prévu. Aucun signal n'a été reçu de la radiobalise de localisation des sinistres (RLS) à dégagement libre, qui avait été installée à l'intérieur du rouf et qui a probablement coulé avec le bateau. Le bateau avait à bord des radios VHF, mais aucun message de détresse n'a été transmis, et le radeau de sauvetage pneumatique a été déployé mais il ne s'est pas gonflé.
Il se peut que l'équipement de sauvetage, l'équipement de détresse et le matériel de lutte contre l'incendie qui ne sont pas correctement installés ou maintenus en bon état ou vérifiés ou dont l'entretien courant n'a pas été effectué ne fonctionnent pas comme prévu en cas de besoin.
Inspections des bateaux
Les propriétaires de bateaux de pêche contractent une couverture d'assurance pour se prémunir contre les pertes. Avant d'accorder cette couverture, l'assureur exige que le bateau concerné soit inspecté par un expert maritime indépendant. En se fondant sur son inspection, l'expert maritime dresse un rapport dans lequel il décrit l'état général du bateau, détermine la valeur marchande et la valeur à neuf du bateau et fait état des lacunes relevées au cours de l'inspection.
Tel que mentionné précédemment, il n'est pas rare que les exploitants de petits bateaux de pêche se fient au rapport d'inspection pour leur indiquer les lacunes et obtenir l'assurance que leur bateau est en état de fonctionnement sécuritaire. En l'absence d'une inspection obligatoire des bateaux de pêche d'une jauge brute inférieure à 15 par les organismes de réglementationNote de bas de page 22, des inspections indépendantes détaillées, effectuées périodiquement par des experts maritimes dûment formés, peuvent fournir aux propriétaires de l'information précieuse et des indications sur l'état du bateau et sur son aptitude à l'utilisation prévue.
L'étendue des inspections d'assurance peut toutefois varier, et il se peut que des éléments importants du bateau ne soient pas inspectés ou que des défauts latents ne soient pas décelés. Que la couverture d'assurance soit accordée ou non, un rapport d'inspection n'est pas une confirmation écrite que le bateau est entièrement apte à tous les points de vue; il peut même s'avérer trompeur si les propriétaires le considèrent comme tel.
Les experts maritimes peuvent être membres d'une association professionnelle, mais il n'existe pas d'accréditation obligatoire pour ceux qui inspectent les bateaux de pêche pour en déterminer l'état ou la stabilité.
Dans le cas du Chebucto Hd (dossier du BST M07W0125), le bateau avait subi une première inspection par un expert maritime agréé, qui avait découvert de nombreux problèmes de fond qui devaient être corrigés. L'inspection avait été interrompue, et le propriétaire avait retenu les services d'un expert maritime non agréé, qui avait rédigé un rapport d'inspection favorable. La couverture d'assurance avait été accordée. La deuxième inspection avait indiqué un certain nombre d'éléments à corriger, mais le propriétaire n'avait pas effectué ces réparations immédiatement, et l'assureur n'avait pas effectué de suivi.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- La stabilité du bateau a été réduite par les effets cumulés des modifications, de la répartition de l'équipement, du stockage du poisson dans des caisses sur le pont, et des carènes liquides.
- Le bateau s'est incliné en raison des conditions de la mer et a probablement chaviré lorsqu'il n'a pu se redresser par suite de la réduction de sa stabilité.
Faits établis quant aux risques
- Il se peut que les propriétaires et les exploitants qui ne connaissent pas les principes généraux de stabilité et les caractéristiques de stabilité de leur bateau continuent de s'exposer, avec leur équipage et leur bateau, à des risques inacceptables.
- En l'absence d'une évaluation officielle des caractéristiques de stabilité des bateaux d'une jauge brute d'au plus 15, il se peut que les propriétaires de ces bateaux de pêche exploitent des bateaux dangereux.
- Il se peut que l'équipement de sauvetage, l'équipement de détresse et le matériel de lutte contre l'incendie qui ne sont pas correctement installés ou maintenus en bon état ou vérifiés ou dont l'entretien courant n'a pas été effectué ne fonctionnent pas comme prévu en cas de besoin.
- Du fait que les bateaux de pêche d'une jauge brute inférieure à 15 ne sont pas inspectés par Transports Canada, certains propriétaires se fient aux inspections d'assurance pour leur indiquer l'état et la sécurité de leur bateau. Cela peut s'avérer trompeur vu que l'étendue des inspections d'assurance peut varier, et il est possible que des éléments importants du bateau ne soient pas inspectés ou que des défauts latents ne soient pas décelés.
Autre fait établi
- Les modifications apportées au Love and Anarchy ont probablement fait passer sa jauge brute au-dessus du seuil de 15, auquel cas il aurait été assujetti aux exigences plus rigoureuses de la partie I du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Mesures prises par le Bureau de la sécurité des transports du Canada
Le 1er décembre 2008, le BST a envoyé à Transports Canada la Lettre d'information sur la sécurité maritime 11/08 portant sur la stabilité des bateaux qui se livrent à plusieurs types de pêche. Cette lettre informait Transports Canada des faits entourant le présent accident et réitérait l'importance d'évaluer la stabilité des bateaux de pêche.
Mesures prises par Transports Canada
Dans une lettre en date du 16 mars 2009, Transports Canada a indiqué qu'il continuait ses travaux visant à augmenter la sensibilisation aux facteurs de risque et aux dispositions que doivent prendre les propriétaires pour s'assurer que la stabilité de leur bateau est adéquate.
Les 3 et 4 mars 2009 s'est tenue une réunion interprovinciale sur la sensibilisation à la sécurité dans le domaine de la pêche. Ont participé à cette réunion : Transports Canada, le ministère des Pêches et des Océans, WorksafeBC, diverses agences des gouvernements provinciaux et territoriaux pour la santé et la sécurité au travail, des associations de l'industrie de la pêche, ainsi que des établissements d'enseignement pour promouvoir la sensibilisation aux programmes d'enseignement et aux pratiques exemplaires visant à améliorer la sécurité des bateaux de pêche.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes