Heurt
Vraquier Common Spirit
Trois Rivières (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 29 juillet 2012, à 17 h 08, heure avancée de l'Est, le vraquier Common Spirit, au cours de manœuvres d'accostage effectuées sous la conduite d'un pilote, a heurté le quai au coin des sections 16 et 17 du port de Trois Rivières (Québec). Le navire était assisté de 2 remorqueurs locaux. Il n'y a eu aucun blessé ni aucune pollution, mais le navire et le quai ont subi des dommages nécessitant des réparations.
Renseignements de base
Fiche technique du navire
Nom du navire | Common Spirit |
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Numéro officiel | 12080 |
Numéro OMI | 9594717 |
Port d’immatriculation | Le Pirée (Grèce) |
Pavillon | Grèce |
Type | Vraquier |
Jauge brute | 32 987 |
Longueur Note de bas de page 1 | 189,99 m |
Tirant d’eau | Avant : 7,31 m Arrière : 8,41 m |
Construction | 2010, Cosco Dalian Shipyard (Chine) |
Propulsion | Moteur B&W 6S50MC, à 2 temps et à simple effet, développant 9480 kW à 127 tours/minute et entraînant une hélice à pas fixe. |
Cargaison | Fonte brute et laitier à l’ilménite (21 500 tonnes métriques) |
Équipage | 24 |
Propriétaire enregistré | Common Life Compania Naviera S.A. (Panama) |
Gestionnaire | Common Progress S.A., Athènes (Grèce) |
Description du navire
Le Common Spirit est un vraquier en acier dont la salle des machines et les emménagements sont situés à l’arrière (photo 1). Ses 5 cales et écoutilles de chargement sont desservies par 4 grues électro-hydrauliques d’une capacité de 36 tonnes installées sur l’axe longitudinal du navire. Le navire est muni d’un bulbe d’étrave faisant partie intégrante de la citerne de lest du coqueron avant. Une cloison d’abordage sépare le coqueron avant des soutes à combustible bâbord et tribord, situées immédiatement derrière.
La passerelle est pourvue de tout le matériel de navigation nécessaire, y compris des radars de 3 cm et de 10 cm situés à tribord. Le navire est aussi pourvu d’un enregistreur des données du voyage (VDR). Le poste de barre est installé sur l’axe du navire, dans une console centrale, qui comprend aussi le transmetteur d’ordres de la passerelle. Les indicateurs de la console centrale donnent des renseignements sur le régime et la direction du moteur.
Affectation du pilote
Le 29 juillet 2012, à 8 h Note de bas de page 2, l’Administration de pilotage des Laurentides (APL) a affecté un pilote au navire Common Spirit au port de Sorel (Québec). Le navire devait appareiller à 12 h le même jour, en direction de la section 16 du port de Trois-Rivières (Québec). Avant le départ, le pilote a consulté les notes qu’il avait prises à titre d’apprenti afin de revoir les détails des manœuvres requises pour accoster un navire à la section 16.
Manœuvres d’accostage à la section 16
Au port de Trois-Rivières, la section 16 est située du côté sud d’un bassin qui comprend aussi les sections 14 et 15 (annexe A). La section 16 est reconnue comme un endroit où l’accostage est difficile par la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central (CPSLC). L’APL contracte des services de pilotage à la Corporation à cet endroit. L’entrée du bassin présente une largeur d’environ 110 m et est perpendiculaire au courant du fleuve. Le quai de la section 17 s’étend selon un axe de 210 °V à 030 °V Note de bas de page 3, et celui de la section 16, selon un axe de 273 °V à 093 °V (annexe A). Le quai de la section 16 présente une longueur de 175 m Note de bas de page 4 et dépasse de 1,9 m la marque d’eaux hautes la plus élevée.
Même s'il y a plusieurs façons d'accoster un navire à la section 16, la CPSLC enseigne à ses apprentis pilotes la méthode suivante, dont l'utilisation est recommandée (figure 1) :
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Approche
Utiliser d'abord le gouvernail et le moteur entre le cours inférieur du fleuve (section 10) et l'entrée du bassin à une distance de 3 largeurs de navire au large des quais. Les remorqueurs, dont l'utilisation est à la discrétion du pilote, doivent se trouver du côté tribord du navire, 1 à l'avant et 1 à l'arrière.
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Utilisation de l'ancre
L'ancre côté tribord doit être jetée dès les premières étapes de l'approche (près de la section 11, à environ 440 m du coin du quai aux sections 16 et 17) afin de faire en sorte qu'elle puisse réduire la vitesse du navire et faciliter le virage.
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Virage
Le navire doit d'abord faire un virage à tribord à environ 20 m du coin des sections 16 et 17 à l'aide du gouvernail, du moteur et des remorqueurs. Le remorqueur arrière assure le mouvement de rotation alors que le remorqueur avant aide à maintenir l'étrave en position tout en contrant les effets augmentés du courant sur la coque du navire. Ce virage d'environ 50° doit être amorcé à une vitesse sur le fond nulle ou légèrement supérieure afin de contrôler l'avance dans le bassin.
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Position finale
Le gouvernail, les moteurs et les remorqueurs sont utilisés pour contrer les effets augmentés du courant et pour faire avancer le navire le plus loin possible dans le bassin, de façon parallèle à la section 16. Le navire est alors approché et amarré.
Déroulement du voyage
Le 29 juillet 2012, vers 11 h 50, le pilote est monté à bord du navire, a installé son unité portative de pilotage (UPP) et a préparé la passerelle pour l’appareillage. À 13 h 15, le Common Spirit a quitté Sorel à destination de Trois-Rivières, partiellement chargé de 21 500 tonnes métriques de vrac. L’équipe à la passerelle était composée du pilote, du capitaine, du second officier agissant comme officier de quart et du timonier.
Alors que le navire naviguait sur le fleuve Saint-Laurent, le pilote a reçu un appel, au téléphone cellulaire, d’un collègue pilote sur un autre navire qui voulait savoir si le poste à quai de Sorel que le Common Spirit venait de quitter était libre. Au cours de cette conversation, le pilote du Common Spirit et son collègue ont discuté des manœuvres à adopter pour accoster à la section 16 à Trois-Rivières. Plus tard au cours du voyage, le pilote a expliqué au capitaine les manœuvres qu’il avait prévues pour accoster à la section 16; ces manœuvres comprenaient l’aide de 2 remorqueurs.
Le Common Spirit est arrivé à Trois-Rivières, au large de la section 17, à 16 h 15. Le pilote a amorcé la rotation du navire sur 180° afin de le positionner faceNote de bas de page 5 au courant. En plus des moteurs et de la barre, l’ancre à tribord a été utilisée pour faciliter le virage. Deux remorqueurs se trouvaient à proximité, mais n’aidaient pas encore le navire.
Vers 16 h 30, le vraquier avait complété la rotation et demeurait en position avec l’ancre. Les 2 remorqueurs, soit le Ocean Bravo et l’Avantage, sont venus le long du côté tribord du navireet s’y sont attachés à l’avant et à l’arrière respectivement.
À 16 h 36, l’ancre a été levée et le pilote a demandé qu’elle soit positionnée au niveau de l’eau, prête à être mouillée. Le pilote a alors lentement manœuvré le Common Spirit vers l’aval, amenant le navire à environ 100 m de la section 10 (figure 2).
À 16 h 57, le navire était près de la section 10 et a amorcé l’approche vers la section 16; le transmetteur d’ordres à la passerelle était réglé à « En avant très lente », soit une vitesse équivalente à 2 nœudsNote de bas de page 6. Le cap du navire était à 216° gyro (G). Au cours des manœuvres, le pilote a utilisé des commandes de barre pour donner des ordres au timonier et des ordres de régime moteur à l’officier de quart, qui était responsable du réglage du transmetteur d’ordres de la passerelle.
À 17 h 06, le navire se trouvait à 100 m environ au large de la section 13 avec une vitesse de 2,1 nœuds et un cap de 216 °G. Le pilote a demandé au capitaine d’informer le premier officier, qui se trouvait à l’avant du navire, qu’il devait se préparer à mouiller l’ancre et à fournir les distances entre le navire et le coin du quai des sections 16 et 17. Le premier officier a commencé à donner, à intervalles réguliers, les distances par rapport au coin du quai, par radiotéléphone à très haute fréquence (VHF), au capitaine sur la passerelle. Le premier officier fournissait les distances en grec et le capitaine les traduisait en anglais pour le pilote.
Peu de temps après, le capitaine du remorqueur avant a informé le pilote que l’avant du navire passait le coin de la section 14. Le pilote a demandé au capitaine du remorqueur avant s’il était sécuritaire de mouiller l’ancre tribord. Le capitaine du remorqueur a répondu par l’affirmative. Le pilote a dès lors demandé au capitaine du Common Spirit de mouiller l’ancre. Après avoir demandé confirmation au pilote, le capitaine a ordonné au premier officier de filer un maillon (90 pieds) de l’ancre tribord.
À 17 h 07, alors que l’avant du navire se trouvait à mi-chemin entre la section 14 et le coin des sections 16 et 17, la distance rapportée par rapport au coin était de 50 m. À ce moment, le premier officier a mouillé l’ancre tribord et a filé environ un maillon de chaîne dans l’eau, conformément aux directives qu’il avait reçues. Une fois la longueur de chaîne demandée filée, le frein du guindeau a été serré pour empêcher la chaîne de glisser. Vers 17 h 07 min 30 s, le navire avançait à une vitesse de 1,9 nœud et avec un cap à 217 °G, et la distance rapportée qui le séparait du coin du quai était de 30 m et diminuait rapidement.
C’est alors que le capitaine a fait part de ses inquiétudes au pilote au sujet de la vitesse du navire et de l’angle d’approche vers le coin du quai. Le pilote a alors demandé au remorqueur avant Ocean Bravo de pousser. Peu de temps après, à environ 20 m du quai, le pilote a ordonné que le moteur soit réglé à la vitesse « En avant lente » et la barre à « Tribord toute ». Il a aussi demandé au remorqueur avant de tirer en arrière toute. À ce moment, la vitesse du navire était de 1,8 nœud, et le cap, à 222 °G. Peu de temps après, le capitaine a informé le pilote que le navire se trouvait maintenant à 15 m du coin du quai et qu’une collision était imminente. Le pilote a alors ordonné à l’officier de quart de couper les moteurs.
À 17 h 08 min 26 s, l’avant-tribord du navire a heurté le coin du quai à une vitesse de 1,7 nœud, entraînant une perforation de la coqueNote de bas de page 7. Après le heurt, le pilote a reculé le navire pour dégager le coin et, après avoir évalué la situation avec le capitaine, a repris les manœuvres avec l’aide des remorqueurs. Le navire a finalement été amené le long de la section 16, sous la conduite du pilote, à 17 h 33.
Avaries au navire
Le bordé extérieur du Common Spirit, entre les couples 224 et 229, sur le côté tribord vers le coqueron avant, a été perforé et déformé par l’impact. Les plates-formes perforées de 6,9 m à 11,9 m de la quille ont aussi été endommagées.
Avaries au quai
L’impact a aussi endommagé les rideaux de palplanches et la poutre de couronnement en béton du quai, au coin des sections 16 et 17. De nombreuses fissures se prolongeant sur toute la hauteur de la poutre de couronnement en béton étaient visibles. De plus, une inspection sous-marine a révélé qu’un rideau de palplanches était brisé, et un autre, fissuré. Les rideaux de palplanches soutiennent la poutre de couronnement en béton du quai et en assurent la stabilité.
Conditions environnementales
Le jour de l’événement, le ciel était clair et les vents soufflaient de l’est-nord-est à une vitesse de 5 à 7 nœuds. La marée était basse à 17 h 42, et le niveau d’eau prévu était de 1,1 m au-dessus du zéro des cartes à marée basse. L’influence des marées à Trois-Rivières est minimale, avec une amplitude maximale d’environ 0,3 m. Cependant, au cours de l’année, le niveau d’eau moyen mensuel varie entre 0,7 m et 3 m au-dessus du zéro des cartes. La vitesse moyenne du courant dans le port est de 1,5 nœud.
Enregistreur des données du voyage
En plus des enregistrements audio sur la passerelle, le VDR conserve plusieurs renseignements, notamment : l’heure, le cap et la vitesse, l’information relative au gyrocompas, les alarmes, les communications par radiotéléphone VHF, les données radar, les données provenant de l’échosondeur, la vitesse et la direction du vent ainsi que les commandes envoyées à la barre et au moteur et les réponses à ces commandes. Sur le Common Spirit, le bouton d’enregistrement des données du VDR est installé sur la console du navire au-dessus d’un autocollant qui demande aux membres de l’équipage d’appuyer sur le bouton et de le maintenir enfoncé après un incident.
Afin que les données soient récupérables, le bouton d’enregistrement du VDR doit être enfoncé dans les 12 heures qui suivent un événement. Les données du VDR du Common Spirit n’ont pas pu être récupérées puisque l’équipe à la passerelle n’a pas appuyé sur le bouton d’enregistrement dans les 12 heures qui ont suivi l’événement. Les enquêteurs du Bureau de la sécurité des transports (BST) n’ont donc pas pu s’appuyer sur les données du VDR. Les administrations canadiennes n’ont aucun protocole pour informer les capitaines de mesures à prendre à l’égard du VDR à la suite d’un incident.
Les directives sur les VDR de l’Organisation maritime internationale (OMI) stipulent ce qui suit : « La récupération des renseignements du VDR devrait être entreprise dès que possible après un accident pour préserver au mieux les éléments de preuve pertinents, qui seront utilisés aussi bien par l’enquêteur que par le propriétaire du navire. » Les directives indiquent en outre que, comme il est très peu probable qu’un enquêteur lance une enquête dans les quelques heures qui suivent un accident, il incombe au propriétaire, par ses ordres permanents à bord, de garantir la conservation de ces preuves en temps opportunNote de bas de page 8.
Certificats du navire
Le Common Spirit avait les certificats et l’équipement exigés aux termes des règlements en vigueur.
Certification et expérience du personnel
Tous les membres de l’équipage du Common Spirit possédaient les certificats ou brevets appropriés pour les postes qu’ils occupaient à bord. Le capitaine avait été capitaine sur différents navires depuis 2006, et il est devenu capitaine du Common Spirit en juin 2012. C’était la première fois qu’il accostait à la section 16. L’officier de quart naviguait à titre d’officier de pont depuis mai 2012, mois où il s’est joint à l’équipage du Common Spirit. Le timonier naviguait depuis 2002 et s’est joint à l’équipage du Common Spirit à titre de timonier en octobre 2011.
Administrations de pilotage
Au Canada, il existe 4 administrations de pilotage, qui sont toutes régies par la Loi sur le pilotage Note de bas de page 9 et sont responsables des régions suivantes : Pacifique, Grands Lacs, Atlantique et Laurentides. Chaque région a ses propres règlements.
L’APL est une société d’État dont le mandat est de fournir des services de pilotage efficaces et sécuritaires dans la région du fleuve Saint-Laurent. Les responsabilités principales de l’APL comprennent notamment l’établissement des zones de pilotage obligatoire et la délivrance de brevets et de certificats de pilotage. L’APL emploie des pilotes brevetés et des apprentis pilotes dans 3 circonscriptions. La circonscription nº 1 s’étend de Montréal à Québec et est divisée en 2 secteurs : Montréal/Trois-Rivières et Trois-Rivières/Québec. La circonscription nº 1-1 couvre le Port de Montréal, et la circonscription nº 2, la région entre Québec et Les Escoumins. L’APL retient actuellement les services d’environ 185 pilotes.
Même si l’APL confie la formation des apprentis pilotes à la CPSLC, il lui incombe toujours de veiller à ce que les pilotes aient la formation et les brevets nécessaires.
L’APL collabore aussi avec la CPSLC pour établir la demande pour des pilotes et recruter le nombre d’apprentis requis. En moyenne, l’APL recrute 5 nouveaux apprentis chaque année. Certaines années, le nombre de candidats dépasse la demande. Le cas échéant, l’APL et la CPSLC évaluent les candidats et retiennent les meilleurs d’entre eux. En 2007, année où le pilote en cause dans cet événement a présenté une demande pour obtenir une formation d’apprenti, l’APL et la CPSLC avaient établi que 7 apprentis pilotes étaient requis et ont reçu 7 candidatures. Tous les candidats ont réussi les examens prescrits et ont été acceptés. Les 7 candidats ont réussi le programme d’apprentissage et ont reçu leur brevet de pilote.
Corporation des pilotes du Saint-Laurent central
La CPSLC est une entreprise privée de pilotage engagée par l’APL aux termes d’une entente de sous-traitance pour fournir un service de pilotage dans les circonscriptions nº 1 et 1-1 Note de bas de page 10. Selon cette entente, la CPSLC est aussi responsable de la coordination de la formation des apprentis pilotes dans la circonscription nº 1. Les apprentis pilotes doivent être formés par des pilotes de la CPSLC sur des navires de toutes les tailles durant au moins 2 ans avant d’être admissibles à l’examen menant à l’obtention d’un brevet de pilote de classe C. Le brevet de classe C, qui est délivré par l’APL, permet aux pilotes de travailler dans un secteur assigné de la circonscription nº 1, sur des navires d’une longueur maximale prescrite Note de bas de page 11.
Certification et expérience du pilote
Le pilote du Common Spirit était titulaire d’un brevet de capitaine, voyage intermédiaire, délivré le 12 décembre 2006 et naviguait à titre d’officier de quart depuis 2002. Le 8 janvier 2010, il a obtenu un brevet de pilote de classe C, circonscription nº 1 Note de bas de page 12 pour le secteur Montréal/Trois-Rivières, qui lui permettait de piloter des navires d’une longueur maximale de 165 m. Après une année d’expérience à titre de pilote de classe C, circonscription nº 1 dans ce secteur, il est devenu admissible à piloter des navires d’une longueur de 185 m ou moins. Le 8 janvier 2012, le pilote a obtenu un brevet de classe B, circonscription nº 1, qui lui permettait de piloter des navires de 195 m ou moins dans le secteur Montréal/Trois-Rivières.
Formation et brevet de pilotage, circonscription nº 1 (Montréal/Trois-Rivières)
Processus d’admission
Pour être admissibles à la formation de pilote, les candidats doivent d’abord satisfaire aux exigences minimales des Règlements de l’Administration de pilotage des Laurentides Note de bas de page 13 (Règlements de l’APL) et réussir un examen d’entrée écrit. Ils doivent ensuite passer une entrevue avec un comité d’admission composé de 2 pilotes de la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent (CPBSL) Note de bas de page 14, de 2 pilotes de la CPSLC, d’un représentant de l’APL et d’un psychologue.
L’examen d’entrée écrit permet d’évaluer les connaissances générales du candidat sur un éventail de sujets comme la météorologie, les marées, les règles et règlements, la navigation sur des eaux recouvertes de glaces et la conduite des navires. L’entrevue permet d’évaluer le jugement situationnel du candidat et de déterminer s’il possède les qualités requises pour devenir pilote. À la fin de l’entrevue, le psychologue indique si la candidature est recommandée, recommandée avec prudence ou non recommandée. Le comité décide ensuite de l’admissibilité du candidat. Une fois que le candidat est accepté, l’APL lui remet un permis d’apprenti pilote de classe D. Un permis de classe D permet à l’apprenti d’entreprendre une formation en pilotage avec un pilote breveté sur n’importe quel navire dans le secteur Montréal/Trois-Rivières.
Formation de 2 ans
La CPSLC coordonne la formation d’apprentissage d’au moins 2 ans, qui comprend des cours techniques et une formation à bord de navires sous la supervision d’un pilote breveté en service.
Au cours de la première année, les apprentis suivent des cours techniques et doivent passer des examens écrits sur la manœuvre des navires sur le fleuve et les conditions générales qui prévalent sur celui-ci. De plus, les apprentis, sous la supervision d’un pilote de la CPSLC, doivent prendre part à au moins 138 voyages intermédiaires ou complets (dont au moins 6 durant la saison de navigation hivernale) et au moins 83 accostages et appareillages à différents endroits et ports, à titre d’observateurs ou de participants, dans leur secteur. Il n’y a toutefois aucune ligne directrice sur le ratio entre le nombre d’heures qu’un apprenti doit passer à observer et le nombre d’heures où il doit effectuer des manœuvres sous la supervision d’un pilote de la CPSLC. De plus, il n’existe aucun critère normalisé ni registre officiel pour l’évaluation et le suivi du rendement des apprentis à bord de navires.
En comparaison, en Colombie-Britannique, l’Administration de pilotage du Pacifique (APP) demande à des pilotes-évaluateurs qualifiés Note de bas de page 15 d’évaluer les apprentis pilotes tous les 3 mois en fonction de critères normalisés, afin de mesurer la compétence des apprentis en matière de préparation du voyage, de gestion de l’équipe à la passerelle, de navigation et de manœuvres d’accostage et d’appareillage.
L’Administration de pilotage des Grands Lacs (APGL) a un manuel d’apprentissage normalisé qui permet aux formateurs de mieux évaluer les connaissances requises et les compétences à acquérir des apprentis pilotes. L’APGL exige que les apprentis pilotes effectuent un certain nombre de voyages avec des pilotes brevetés. Une fois le nombre de voyages requis réalisés, l’équipe de formateurs Note de bas de page 16 se réunit pour évaluer le niveau d’apprentissage. Le carnet de l’apprenti de l’APGL précise que l’évaluation doit respecter une méthode rigoureuse pour assurer l’objectivité Note de bas de page 17.
L’Administration de pilotage de l’Atlantique (APA) procède tous les mois à une révision normalisée de chaque voyage de formation des apprentis, et le directeur de l’APA et le président discutent de façon périodique des progrès de certains des apprentis. L’APA poursuit l’évaluation du rendement des pilotes même après la délivrance des brevets. Il est arrivé qu’un pilote autorisé à travailler en vertu d’un brevet donné visant les navires d’une certaine jauge soit réaffecté à des fonctions limitées ou à un autre programme de formation pour l’aider à atteindre les objectifs établis ou à respecter l’échéance déterminée par l’administration.
À la fin de la première année du programme d’apprentissage, les apprentis de la CPSLC doivent passer un examen écrit et un examen oral préparés et surveillés par la CPSLC. La note de passage pour les 2 examens est de 70 %; ces examens permettent d’évaluer les connaissances générales sur le fleuve et les compétences en matière de manœuvre des navires. Les candidats doivent répondre à des questions sur différents sujets dont la longueur des quais, la profondeur de l’eau le long de différents postes à quai, les courants, la nécessité d’utiliser des remorqueurs dans certaines zones et les particularités de certains navires.
Au cours de la seconde année du programme d’apprentissage, les apprentis suivent d’autres cours techniques et formations à bord de navires. Comme au cours de la première année, le niveau des cours pratiques à bord peut varier et il n’existe aucun critère normalisé ni aucun registre officiel pour évaluer le rendement des apprentis et en assurer le suivi. Depuis octobre 2011, la CPSLC exige que les apprentis suivent une formation sur simulateur de 3 jours qui porte sur les manœuvres dans des zones et à des quais particuliers dans leur secteur désigné.
À la fin de la seconde année, les apprentis auront pris part, à titre d’observateurs ou à titre de pilotes sous la supervision d’un pilote breveté, à un minimum de 276 voyages et de 166 accostages et appareillages. Ils doivent aussi passer d’autres examens écrit et oral administrés par la CPSLC. Les apprentis qui obtiennent au moins la note de passage de 70 % aux 2 examens feront l’objet d’une recommandation favorable à l’APL par la CPSLC pour être admis à l’examen d’obtention d’un brevet de pilote de classe C.
Examens pour l’obtention d’un brevet de classe C de l’APL
Afin d’obtenir un brevet de pilote de classe C, les candidats doivent passer 1 examen écrit et 1 examen oral administrés par l’APL. La note de passage minimale pour chacun de ces examens est de 70 %. Les examens portent sur les connaissances locales sur le fleuve, la météorologie, la navigation en saison hivernale, les règles et les règlements de pilotage et les manœuvres.
L’examen oral a lieu devant un comité d’examen composé d’un représentant de l’APL, de 3 pilotes de la CPSLC et d’un examinateur de Sécurité et sûreté maritime de Transports Canada Note de bas de page 18. Un observateur expérimenté dans ce secteur de navigation est aussi présent; depuis quelques années, l’APL fait appel à un capitaine retraité de la Garde côtière canadienne pour agir à ce titre. La durée de cet examen varie selon les aptitudes des candidats, mais s’étend généralement sur toute une journée. Les questions sont en général de nature situationnelle. Le fait d’échouer à l’un ou l’autre des 2 examens entraîne l’inadmissibilité à recevoir un brevet de classe C. En cas d’échec, l’APL et la CPSLC peuvent décider de prolonger la formation des apprentis. Les apprentis doivent réussir les formations et les examens en une période maximale de 3 ans.
Un apprenti qui échoue 3 fois à l’un ou l’autre des examens de l’APL ne pourra plus présenter une demande de brevet de pilote de classe C.
Obtention d’un brevet de classe supérieure
Une fois qu’il a obtenu un brevet de classe C, le nouveau pilote peut travailler seulement sur des navires d’une longueur maximale spécifiée Note de bas de page 19. Le pilote n’est l’objet d’aucune évaluation formelle au cours de cette période. Après 2 ans de travail dans cette classe de brevet, les pilotes sont admissibles à l’obtention d’un brevet de classe supérieure. La CPSLC exige que les pilotes suivent une formation sur simulateur de 2 jours avant de les recommander à l’APL pour l’obtention d’un brevet de classe supérieure.
La formation sur simulateur comprend différents exercices, dont un sur les manœuvres requises pour accoster des navires de plus en plus gros à des quais difficiles d’approche comme celui de la section 16 Note de bas de page 20. Au cours de cet exercice, le pilote doit réussir un accostage pour chaque taille de navire. Dès qu’une tentative est infructueuse, on reprend l’exercice; celui-ci peut être répété autant de fois que nécessaire jusqu’à ce que le pilote réussisse l’accostage. Le nombre de tentatives infructueuses n’est pas consigné. Après avoir acquis 2 ans d’expérience sur des navires de classe C et réussi la formation sur simulateur, le pilote peut demander que la CPSLC le recommande à l’APL en vue de l’obtention d’un brevet de classe B. La CPSLC vérifie le dossier du pilote Note de bas de page 21 et présente la recommandation, s’il y a lieu.
Les nouveaux titulaires d’un brevet de classe B de l’APL doivent travailler durant 3 ans sur des navires de longueur maximale prescrite avant de devenir admissibles à un brevet de classe A. Les pilotes ne sont pas évalués au cours de ces 3 ans à titre de pilote de classe B. Afin d’obtenir un brevet de classe A, les pilotes doivent suivre une autre formation sur simulateur de 2 jours qui porte sur différentes manœuvres à des endroits difficiles dans leur secteur Note de bas de page 22. Le pilote doit aussi participer à une formation de 5 jours sur les manœuvres à l’aide de modèles réduits dans des installations de formation maritime approuvées par la CPSLC. Il n’existe toutefois aucun registre officiel pour évaluer le rendement du pilote au cours de cette formation sur les manœuvres. Les pilotes qui ont complété la formation nécessaire reçoivent un certificat de présence qui confirme qu’ils ont suivi assidûment la formation. La CPSLC vérifie alors le dossier du pilote et recommande sa candidature à l’APL en vue de l’obtention d’un brevet de classe A, le dernier offert.
Formation et brevet du pilote du Common Spirit
Au printemps 2007, le pilote en cause dans cet événement a présenté sa candidature à l’APL pour devenir apprenti. Il a reçu un permis de classe D le 1er avril 2007 Note de bas de page 23. Peu de temps après, il a commencé la formation d’apprentissage dans le secteur Montréal/Trois-Rivières de la circonscription nº 1.
Selon les registres de l’APL, au cours de ses 2 ans d’apprentissage, le pilote s’est rendu à la section 16 à 5 reprises à bord de navires d’une longueur variant de 185 m à 222 m. À chaque occasion, sa participation se limitait à prendre des notes en observant le pilote manœuvrer le navire. Avant octobre 2011, les pilotes n’étaient pas tenus de suivre une formation sur simulateur; l’apprenti n’a donc pas reçu cette formation.
Au printemps 2009, après 2 ans de formation, la CPSLC, qui avait relevé quelques faiblesses d’ordre général au cours de la formation, a décidé de ne pas recommander la candidature de l’apprenti pilote à l’APL en vue de l’examen menant à l’obtention d’un brevet de pilote de classe C Note de bas de page 24. Bien que la CPSLC n’ait pas recommandé l’apprenti, l’APL a toutefois informé la CPSLC qu’étant donné que la formation de l’apprenti était terminée, celui-ci devait se présenter à l’examen écrit. L’apprenti pilote n’a pas réussi son premier examen écrit sur les connaissances générales sur le fleuve et n’a donc pas été admis à l’examen oral. L’APL et la CPSLC ont décidé de prolonger sa formation de 6 mois.
À l’automne 2009, au terme des 6 mois de formation additionnels, la CPSLC a recommandé l’apprenti pilote à l’APL en vue des examens menant à l’obtention d’un brevet de pilote de classe C. Après avoir réussi l’examen écrit, il a été inscrit à l’examen oral, mais n’a pas obtenu la note de passage. L’APL et la CPSLC ont de nouveau prolongé sa formation, cette fois de 3 mois. Il a alors suivi d’autres cours sur la conduite des navires avec les pilotes du Port de Montréal. L’apprenti pilote a passé environ le tiers de cette formation additionnelle dans le Port de Montréal à s’exercer à faire des manœuvres, et le reste en formation, sur le fleuve, entre Montréal et Trois-Rivières. Après les 3 mois, les pilotes du Port de Montréal qui l’ont supervisé n’ont produit aucune évaluation formelle de son rendement.
À la suite des 3 mois de formation additionnels, la CPSLC a recommandé à l’APL que l’apprenti passe les examens d’entrée. Il a réussi l’examen écrit et a été inscrit à l’examen oral. Il a obtenu à l’examen oral un résultat tout juste supérieur à la note de passage de 70 %. Il est alors devenu admissible à un brevet de classe C, que l’APL lui a délivré le 8 janvier 2010.
Après les 2 ans de travail obligatoires à titre de pilote de classe C, le pilote est devenu admissible à l’obtention d’un brevet de classe B. Il a suivi la formation sur simulateur du brevet de classe B 9 mois avant la fin de la période de travail obligatoire de 2 ans Note de bas de page 25. La CPSLC n’a pu fournir au BST aucun registre sur le nombre de tentatives requises pour réussir l’exercice d’accostage à la section 16, mais a confirmé que le pilote avait réussi.
Le pilote a demandé à la CPSLC qu’elle le recommande pour un brevet de classe B, et l’APL lui a délivré ce brevet le 8 janvier 2012. Au cours des 12 mois qui ont suivi la délivrance de son brevet de classe B, il pouvait alors travailler à bord de navires d’une longueur maximale de 195 m.
Évaluation des compétences des pilotes
En 1999, l’Office des transports du Canada (OTC) a fait parvenir au ministre des Transports le document Rapport sur l’Examen du système de pilotage, qui traitait des préoccupations de l’Office concernant le manque d’évaluation des pilotes. Le rapport recommande notamment « que les administrations de pilotage soient tenues d’élaborer et de mettre en œuvre un système équitable et raisonnable en vue d’évaluer les compétences des pilotes et la qualité de leurs services, après avoir consulté les intéressés. Ces évaluations devraient être effectuées à intervalles réguliers, au moins tous les 5 ans Note de bas de page 26. »
En 2008, l’Association des pilotes maritimes du Canada et les 4 administrations de pilotage au Canada, y compris l’APL, ont publié des lignes directrices Note de bas de page 27 pour aider les administrations à mettre en place des programmes d’évaluation des compétences des pilotes. Ces lignes directrices visent à permettre aux administrations de respecter la Recommandation nº 9 du Rapport sur l’Examen du système de pilotage de l’OTC ainsi que la Résolution A.960 de l’Organisation maritime internationale (OMI) Note de bas de page 28.
Il y a en tout 9 principes directeurs. Quatre de ces principes, qui portent sur l’évaluation des pilotes, sont indiqués ci-dessous; selon ces principes, l’évaluation des pilotes doit :
- être applicable à tous les pilotes;
- être faite régulièrement, et pas moins d’une fois tous les 3 ans;
- comporter plusieurs moyens d’évaluation; et
- offrir des mesures spécifiques et pratiques dans les cas où il est déterminé que la compétence ou le rendement d’un pilote doit être amélioré Note de bas de page 29.
L’Administration de pilotage du Pacifique (APP), qui régit le territoire de la côte du Pacifique de la Colombie-Britannique, exige que les pilotes soient évalués au moins tous les 3 ans par un pilote-évaluateur qualifié. Un exemplaire du dossier d’évaluation des pilotes est remis à l’APP. Ces évaluations fournissent une rétroaction précieuse aux pilotes, constituent une base de données pour l’APP et deviennent des références pour les formations additionnelles requises, le cas échéant.
L’APP exige aussi des voyages de contrôleNote de bas de page 30 pour l’évaluation régulière des compétences pratiques (à bord) des apprentis. L’APP utilise des méthodes d’évaluation normalisées et des pilotes-évaluateurs qualifiés pour évaluer, à intervalles réguliers, la formation à bord des apprentis et fournit des commentaires de façon continue afin que les apprentis et l’APP soient sensibilisés aux éléments à améliorer. Les commentaires continus fondés sur des critères d’évaluation normalisés donnent aux apprentis l’occasion de travailler sur les faiblesses ciblées et documentent le rendement des apprentis tout au long du programme de formation et d’obtention des brevets.
L’Administration de pilotage des Grands Lacs (APGL) et l’Administration de pilotage de l’Atlantique (APA) ont aussi des programmes d’évaluation des pilotes. En 2010, l’APGL a créé un système de gestion de la qualité qui exige que les pilotes suivent une formation sur simulateur d’une semaine au moins tous les 5 ans. La semaine de formation sur simulateur comprend 2 jours d’exercices pratiques dans des situations d’urgence. Au terme de cette semaine de formation, les pilotes sont évalués par un exercice au moyen d’un formulaire d’évaluation normalisé qui est ensuite conservé dans les dossiers. L’APA a aussi lancé récemment un programme d’évaluation des pilotes qui comprend des voyages de contrôle. L’APA s’est donné pour objectif que tous les pilotes soient évalués au cours de la prochaine année.
En 2009, l’APL a commandé un rapport Note de bas de page 31 sur les méthodes d’évaluation des compétences des pilotes de 6 administrations de pilotage, soit 2 en Australie, 3 au Royaume-Uni et 1 aux Pays-Bas. Le rapport a révélé que l’Australie et le Royaume-Uni ont des lignes directrices sur l’évaluation régulière de la compétence des pilotes : le Port Marine Safety Code du Royaume-Uni stipule que les pilotes doivent faire reconfirmer leur brevet tous les 5 ans et participer à une évaluation de leurs compétences; en Australie, les Guidelines for Marine Pilotage Standards in Australia prévoient des évaluations des compétences continues avec des pilotes-évaluateurs et des simulateurs maritimes. Le rapport comportait une recommandation voulant que l’APL prenne certaines mesures pour élaborer un programme d’évaluation continue des compétences des pilotes, notamment les suivantes :
- collaborer avec une tierce partie, comme Det Norske Veritas, pour travailler avec les pilotes afin de définir les compétences en pilotage et les critères d’évaluation de chacune de ces compétences;
- impliquer les pilotes dans la création des outils d’évaluation des compétences;
- lancer un programme d’évaluation des compétences au moyen d’instruments de simulation à participation volontaire en utilisant des pilotes d’expérience comme évaluateurs;
- mettre en place, après un délai de grâce suggéré de 2 ans, un programme d’évaluation des compétences sur simulateur obligatoire;
- procéder, après 3 ans, à l’évaluation des compétences au cours de voyages de contrôle.
L’APL n’a en ce moment aucun programme d’évaluation des compétences des pilotes.
Analyse
Événements ayant mené au heurt
L’accostage d’un navire le long de la section 16 est difficile en raison de la disposition du quai et des nombreuses manœuvres consécutives ou simultanées qui sont nécessaires. Ces manœuvres sont coordonnées par le pilote et demandent la participation de nombreux intervenants. La longueur et la largeur d’un navire comme le Common Spirit ajoutent à la complexité en raison de l’espace de manœuvre limité entre les sections 14 et 16. Dans le cas de cet événement, les facteurs suivants ont contribué au heurt : le moment où l’ordre de mouiller l’ancre a été donné, la vitesse d’approche du navire, la mauvaise coordination des remorqueurs, la poursuite des manœuvres et l’expérience du pilote.
Utilisation de l’ancre
Le fait de donner l’ordre de mouiller l’ancre à l’extrémité de la section 11 permet que l’ordre soit réalisé, que l’ancre soit déployée et que la vitesse du navire soit réduite en vue du virage à tribord vers la section 16. Il garantit aussi que le pilote ait suffisamment de temps pour évaluer l’efficacité de l’ancre avant d’entreprendre les mesures subséquentes et modifier son plan d’action, au besoin. Dans le cas qui nous occupe, l’ancre a été mouillée après que l’étrave ait passé la section 14; cette mesure n’a eu quasi aucun effet sur la réduction de la vitesse et le virage à tribord.
Vitesse d’approche du navire
Pour initier un virage à tribord vers la section 16, un navire de la taille du Common Spirit doit réduire sa vitesse sur le fond à une valeur nulle ou légèrement supérieure. Dans l’événement en cause, le capitaine communiquait au pilote les distances entre l’étrave et le coin alors que le navire approchait le coin des sections 16 et 17 à une vitesse de 1,8 nœud. Le pilote a poursuivi la manœuvre malgré le fait que le navire ne ralentissait pas assez pour amorcer le virage à tribord vers la section 16.
À environ 20 m du coin des sections 16 et 17, le pilote a ordonné que le moteur soit réglé à la vitesse « En avant lente » et la barre à « Tribord toute » pour tenter de faire virer le navire. Toutefois, en raison de la vitesse et de l’avanceNote de bas de page 32 du Common Spirit, le changement de barre n’a contribué que minimalement à faire tourner le navire dans l’espace disponible.
Utilisation des remorqueurs
Afin de faciliter l’accostage d’un navire à la section 16, des remorqueurs sont utilisés pour aider le navire à tourner, pour contrer l’effet augmenté du courant et pour maintenir le navire dans une position parallèle à la section 16 à mesure qu’il avance dans le bassin. Le remorqueur arrière fait pivoter le navire alors que le remorqueur avant aide à maintenir l’étrave en position. Dans cet événement, le remorqueur arrière n’a reçu aucun ordre. Le pilote a d’abord ordonné au remorqueur avant de pousser puis lui a ordonné de tirer, pour tenter de ralentir le navire et de le faire tourner. En raison de la vitesse d’approche du Common Spirit, le remorqueur avant ne pouvait pas ralentir le navire de façon significative. Sans la participation coordonnée des remorqueurs, le navire n’a pas tourné : le remorqueur arrière n’a pas été sollicité, et le remorqueur avant n’a pas pu faire pivoter le navire.
Poursuite de la manœuvre
Lorsqu’une manœuvre d’accostage ne se déroule pas comme prévu, le pilote ou le capitaine doit prendre les mesures qui s’imposent. Dans le présent cas, malgré les signes qui indiquaient que le navire ne tournait pas et que sa vitesse était excessive, le pilote a poursuivi la manœuvre parce qu’il avait sous-estimé l’avance du navire et qu’il croyait que le navire répondrait dans l’espace disponible. La poursuite de la manœuvre indique une tendance à s’en tenir au planNote de bas de page 33; c’est cette tendance qui pousse une personne ou une équipe à poursuivre un plan même si les conditions ont changé au point où elles auraient pu être jugées inacceptables si elles avaient été présentes au début des opérations.
Le capitaine a informé le pilote qu’un heurt était imminent lorsque la distance entre le coin des sections 16 et 17 était inférieure à 20 m. Comme le capitaine ne connaissait pas les manœuvres d’accostage à la section 16, il a laissé la conduite du navire au pilote. Aucune mesure d’évitement n’a été prise, le pilote croyant que l’espace était suffisant pour faire un virage à tribord et le capitaine misant quant à lui sur l’expertise du pilote pour exécuter la manœuvre. Le navire a donc continué à avancer vers le coin des sections 16 et 17 et a heurté le quai à une vitesse de 1,7 nœud.
Expérience du pilote à la section 16
Le pilote avait récemment obtenu un brevet de classe supérieure; il s’agissait de sa première affectation à la section 16 à bord d’un navire de la taille du Common Spirit. Avant de monter à bord du navire, le pilote a consulté ses notes d’apprenti pour vérifier les manœuvres requises à la section 16. Au cours des 2 années précédentes à titre de pilote, il avait effectué ces manœuvres une seule fois sur un navire d’environ 140 m de longueur. Comme ce navire était plus petit que le Common Spirit, leniveau de difficulté de l’accostage à la section 16 était moindre. À titre d’apprenti, il avait observé l’accostage à la section 16 à 5 reprises et avait exécuté les manœuvres sur le simulateur environ un an et demi avant l’événement.
En ce qui a trait à cet événement, les décisions et gestes ci-après du pilote ont eu un effet sur les manœuvres à la section 16 : le retard de l’ordre de mouiller l’ancre, l’amorce du virage à une vitesse excessive pour un navire de cette taille, l’utilisation non coordonnée des remorqueurs et la poursuite des manœuvres malgré des signes qui indiquaient un échec. Le déroulement des événements indique que le pilote n’avait pas toutes les compétences et l’expérience nécessaires pour accoster un navire de la taille du Common Spirit à la section 16.
Formation et évaluation des apprentis pilotes
Les évaluations avec rétroaction sont importantes pour mesurer le rendement d’une personne, cibler ses forces et ses faiblesses et offrir du temps pour l’amélioration de certains éléments au cours de la formation. La Corporation des pilotes du Saint-Laurent central (CPSLC) fait passer des tests écrits à intervalles réguliers et des examens écrits et oraux tous les ans pour évaluer les progrès des apprentis, mais n’a pas de méthode normalisée pour conserver les résultats de ces évaluations. De plus, même si des apprentis pilotes reçoivent les commentaires des pilotes au cours de la formation à bord de navires, il n’y a aucune méthode normalisée pour évaluer les compétences des apprentis lorsqu’ils pilotent et manœuvrent un navire. Il existe des exigences sur le nombre de voyages que les apprentis doivent effectuer, mais aucune ligne directrice sur le nombre d’heures durant lesquelles un apprenti doit conduire le navire sous la supervision d’un pilote. Ainsi, le nombre d’heures de pratique peut différer d’un apprenti à un autre, et l’expérience en manœuvres de certains apprentis peut être limitée. En outre, aucun registre n’est conservé pour documenter le rendement des apprentis qui pilotent des navires.
Dans le cas qui nous occupe, l’Administration de pilotage des Laurentides (APL) et la CPSLC ont prolongé le programme d’apprentissage du pilote parce qu’il a échoué à 2 examens, à différentes étapes de sa formation. Aucun registre sur le rendement de l’apprenti au cours de cette formation pratique additionnelle n’est disponible. Il en va de même pour les fiches d’évaluation conservées par la CPSLC au cours de cette formation de 2 ans. Cela suggère que le suivi et l’évaluation du rendement de l’apprenti au cours de sa formation étaient limités.
Avant de recommander un apprenti à l’APL pour l’obtention d’un brevet de classe C, la CPSLC doit être convaincue que l’apprenti réussira les examens de l’APL. Pour établir la capacité d’un apprenti, la CPSLC doit rigoureusement superviser et évaluer l’apprenti tout au long de son programme de formation. Cependant, les méthodes d’évaluation des apprentis actuellement mises en œuvre par la CPSLC ne comprennent aucune évaluation à bord des navires documentée et fondée sur des critères normalisés. Sans évaluations normalisées et documentées du rendement des apprentis pilotes qui sont en formation à bord de navires, il est possible que des apprentis deviennent des pilotes brevetés sans avoir acquis les aptitudes et l’expertise nécessaires pour garantir une conduite sécuritaire des navires.
Évaluations des compétences des pilotes
Dans la plupart des lieux de travail, les employés sont soumis à des évaluations régulières du rendement visant à confirmer qu’ils possèdent les connaissances et les aptitudes nécessaires pour effectuer efficacement leurs tâches. Les résultats de ces évaluations sont généralement consignés dans des registres qui deviennent le dossier de rendement de l’employé. Les pilotes régis par l’APL ne sont l’objet d’aucune évaluation formelle après qu’ils ont obtenu un brevet, alors que les 3 autres administrations de pilotage canadiennes ont des procédures pour confirmer, de façon continue, la compétence de leurs pilotes. À l’heure actuelle, le principal outil utilisé par l’APL pour vérifier le dossier des pilotes est une base de données sur les accidents, les incidents signalés et les plaintes. En l’absence d’évaluations régulières des compétences des pilotes, il est possible que des pilotes ne possèdent pas les aptitudes requises pour piloter un navire en toute sécurité.
Le processus d’obtention d’un brevet de classe supérieure est le moment opportun de fournir une formation additionnelle aux pilotes et de procéder à des évaluations à bord des navires afin de confirmer que les pilotes ont les compétences requises pour les brevets de classe supérieure. Aux termes du Règlement de l’Administration de pilotage des Laurentides, les pilotes deviennent admissibles à l’obtention d’un brevet de classe supérieure lorsqu’ils ont travaillé durant une période donnée sur des navires de la classe du brevet en cause, mais ne sont pas tenus de se soumettre à des évaluations à bord de navires. La CPSLC exige que les pilotes suivent une formation sur simulateur de 2 jours avant l’obtention de tout brevet de classe supérieureNote de bas de page 34. Même si un instructeur doit être présent au cours de la formation sur simulateur, il n’existe ni critère normalisé pour évaluer le rendement des pilotes, ni règle sur la création de registres. L’absence d’évaluations et de registres normalisés au cours du processus d’obtention d’un brevet de classe supérieure fait en sorte que la CPSLC et l’APL ont peu de renseignements pour établir la compétence des pilotes pour les différentes classes de brevet : il est donc possible que des pilotes n’aient pas les compétences requises pour le niveau de brevet suivant.
Formation sur la conduite des navires à des endroits difficiles
La CPSLC reconnaît que l’accostage est particulièrement difficile à certains endroits, comme à la section 16. Ainsi, les apprentis doivent observer des pilotes et suivre des formations sur simulateur à ces endroits difficilesNote de bas de page 35. Avant d’obtenir un brevet de classe supérieure, les pilotes doivent aussi suivre une formation sur simulateur à de tels endroits.
Cette formation sur simulateur peut permettre aux apprentis et aux pilotes de mieux comprendre les manœuvres requises à certains quais, comme celui de la section 16, mais elle ne peut se comparer à des accostages réels dans des conditions réelles. Par exemple, l’efficacité de l’ancre et les interactions avec l’équipe à la passerelle ne sont pas réalistes.
Bien que les apprentis puissent observer des pilotes qui accostent des navires à des endroits difficiles, l’observation ne leur fournit pas nécessairement les compétences requises pour effectuer eux-mêmes les manœuvres. De plus, lorsque les pilotes reçoivent un brevet de classe supérieure, leur expérience en accostage, quoique pertinente, ne garantit pas qu’ils possèdent les compétences requises pour accoster des navires de plus grande taille.
Sans formation pratique adéquate à bord des navires sur la conduite de ces derniers aux endroits difficiles préalable à l’obtention d’un brevet ou d’un brevet de classe supérieure, il est possible que des pilotes ne soient pas suffisamment préparés pour accoster à ces endroits en toute sécurité.
Enregistreur des données du voyage
Les enregistreurs des données du voyage (VDR) permettent de créer et de maintenir un registre sécurisé et récupérable des renseignements indiquant la position, le mouvement, l’état physique et la maîtrise d’un navire pendant les 12 dernières heures de manœuvre. La disponibilité de données objectives est inestimable pour les enquêteurs lorsqu’ils cherchent à comprendre la séquence des événements et à cerner les problèmes opérationnels et les facteurs humains.
Comme l’équipe à la passerelle du Common Spirit n’a pas appuyé sur le bouton d’enregistrement, le VDR a continué à enregistrer des données après le heurt, et, ce faisant, a écrasé les données enregistrées au moment du heurt. Quand les données du VDR ne sont pas disponibles pour une enquête, cela peut nuire à l’identification et à la communication des défaillances relatives à la sécurité qui permettraient d’améliorer la sécurité des transports.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L’ancre a été mouillée trop tard et cette manœuvre n’a contribué que dans une très faible mesure à réduire la vitesse du navire et à amorcer le virage à tribord.
- La vitesse du Common Spirit étant excessive pour un navire de cette taille, il n’a pas répondu au changement de barre en raison de son avance et de l’espace disponible.
- Le remorqueur arrière n’ayant pas été sollicité pour faire pivoter le navire et le remorqueur avant ayant une capacité limitée de le faire pivoter, le navire a poursuivi sa route.
- Aucune mesure d’évitement n’a été prise, puisque le pilote croyait que l’espace était suffisant pour le virage à tribord, et que le capitaine misait sur l’expertise du pilote pour exécuter la manœuvre. Le navire a donc continué à avancer vers le coin des sections 16 et 17 et a heurté le quai à une vitesse de 1,7 nœud.
- Le pilote n’avait pas toutes les compétences et l’expérience nécessaires pour accoster un navire de la taille du Common Spirit à la section 16.
Faits établis quant aux risques
- Sans évaluations normalisées et documentées du rendement des apprentis pilotes qui sont en formation à bord de navires, il est possible que des apprentis deviennent des pilotes brevetés sans avoir acquis les aptitudes et l’expertise nécessaires pour garantir une conduite sécuritaire des navires. L’absence d’évaluations et de registres normalisés au cours du processus d’obtention d’un brevet de classe supérieure fait en sorte que la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central et l’Administration de pilotage des Laurentides ont peu de renseignements pour établir la compétence d’un pilote pour les différentes classes de brevet. Il est donc possible que des pilotes n’aient pas les compétences requises pour le niveau de brevet suivant.
- Sans formation pratique adéquate à bord sur la conduite de navires et sans évaluation aux endroits difficiles avant la délivrance d’un brevet ou d’un brevet de classe supérieure, il est possible que des pilotes ne soient pas suffisamment préparés pour accoster à ces endroits en toute sécurité.
- En l’absence d’évaluations régulières des compétences des pilotes, il est possible que des pilotes ne possèdent pas les aptitudes requises pour piloter un navire en toute sécurité.
Autres faits établis
- Quand les données d’un enregistreur des données du voyage ne sont pas disponibles pour une enquête, cela peut nuire à l’identification et à la communication des défaillances relatives à la sécurité qui permettraient d’améliorer la sécurité des transports.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
À la suite de l’événement mettant en cause le vraquier Common Spirit, la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central a exigé que le pilote suive une formation additionnelle sur simulateur, sous la supervision d’un pilote d’expérience, afin qu’il puisse s’exercer à accoster des navires à la section 16.
Préoccupations liées à la sécurité
Processus d’évaluation à bord des pilotes et des apprentis pilotes
En 1999, l’Office des transports du Canada (OTC) a remis au ministre des Transports le Rapport sur l’Examen du système de pilotage, qui traitait des préoccupations de l’Office à l’égard du manque d’évaluation des pilotes. Le rapport recommande notamment « que les administrations de pilotage soient tenues d’élaborer et de mettre en œuvre un système équitable et raisonnable en vue d’évaluer les compétences des pilotes et la qualité de leurs services, après avoir consulté les intéressés […]Note de bas de page 36 ». Par la suite, 3 des 4 administrations de pilotage au Canada (l’Administration de pilotage du Pacifique (APP), l’Administration de pilotage de l’Atlantique (APA) et l’Administration de pilotage des Grands Lacs (APGL)), ont mis en place des processus d’évaluation normalisés et documentés. L’Administration de pilotage des Laurentides (APL) n’a pas de processus normalisé et documenté pour garantir que les apprentis pilotes soient évalués au cours de leur formation à bord et que les compétences des pilotes brevetés soient réévaluées à des intervalles réguliers. Ainsi, des apprentis pilotes peuvent obtenir leur brevet et des pilotes peuvent obtenir un brevet de classe supérieure de l’APL sans aucune évaluation à bord.
Le Bureau est préoccupé par l’absence d’évaluations normalisées et documentées du rendement à bord qui fait en sorte que certains apprentis pourraient obtenir un brevet de pilote sans avoir acquis les compétences et l’expertise nécessaires. De plus, sans évaluation périodique, normalisée et documentée des compétences, le Bureau craint que des pilotes brevetés ne conservent pas les niveaux de compétence et d’expertise requis pour piloter un navire en toute sécurité.
Le présent rapport met un terme à l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le . Il est paru officiellement le .
Annexes