Rapport d'enquête maritime M13C0071

Heurt et échouement subséquent
Navire de charge Claude A. Desgagnes
Iroquois (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 6 novembre 2013, vers 23 h 5, heure normale de l'Est, le navire de charge Claude A. Desgagnes heurte le mur d'approche en amont de l'écluse d'Iroquois dans la Voie maritime du Saint-Laurent, à proximité d'Iroquois (Ontario). Le navire traverse ensuite le chenal de navigation et s'échoue. Il n'y a ni blessé ni pollution, mais le navire subit des avaries mineures.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Nom du navire Claude A. Desgagnes
    Numéro OMI* 9488059
    Port d'immatriculation Bridgetown, Barbade
    Pavillon Barbade
    Type Navire de charge
    Jauge brute 9627 tonneaux
    LongueurNote de bas de page 1 138,5 m
    Tirant d'eau au moment de l'événement Avant : 7,95 m
    Arrière : 8,00 m
    Construction 2011, Taizhou Sanfu Ship Engineering Co. Ltd., Chine
    Propulsion Un moteur diésel 4 temps à régime moyen (5400 kW à 514 tr/min) entraînant une hélice à pas variable
    Cargaison Maïs (10 700 tonnes métriques)
    Membres d'équipage 16
    Propriétaire enregistré Transport Desgagnés Inc., Québec (Canada)
    Gestionnaire Clipper Projects Shipping Ltd., Nassau (Bahamas)

    *OMI : Organisation maritime internationale

    Description du navire

    Le Claude A. Desgagnes est un navire de charge à coque en acier dont les espaces pour les machines et les aménagements se trouvent à l'arrière (Photo 1). Le navire est muni de 3 cales à marchandises desservies par 2 grues d'une force de levage de 150 tonnes chacune, installées du côté bâbord. Il est aussi équipé d'un propulseur d'étrave de 500 kW.

    Photo 1. Claude A. Desgagnes
    Image
    Photo of Image du Claude A. Desgagnes

    Le pupitre de commande principal de la passerelle, installé sur l'axe longitudinal du navire, comprend les appareils de navigation suivants : échosondeur, système électronique de visualisation des cartes, radar et GPS. La table des cartes et la console du système mondial de détresse et de sécurité en mer (SMDSM) se trouvent derrière le pupitre principal.

    Déroulement du voyage

    Le 6 novembre 2013, à 4 hNote de bas de page 2, le Claude A. Desgagnes appareille de Hamilton (Ontario) à destination de Londonderry (Irlande du Nord). Sous la conduite d'un pilote maritime, le navire se dirige vers l'est sur le lac Ontario et arrive à la station de pilotage de Cape Vincent (New York) à 16 h 50, où un pilote de relève monte à bord. Le pilote de relève a été affecté par l'Administration de pilotage des Grands Lacs pour conduire le navire de Cape Vincent jusqu'à l'écluse d'Iroquois, un voyage d'environ 6 heures sur une distance de 64 milles marins (nm). Après être monté à bord, le pilote de relève échange des renseignements avec le pilote qu'il remplace au sujet des caractéristiques de manœuvre du navire. Le pilote de relève discute également avec le capitaine des points qui figurent sur la liste d'échange de renseignements.

    Le navire a amorcé son voyage sur le fleuve Saint-Laurent en direction de l'écluse d'Iroquois sous la gouverne d'une équipe à la passerelle composée du pilote, de l'officier de quart et d'un timonier. Deux autres navires descendaient le fleuve devant le Claude A. Desgagnes : l'Algolake et le Rt. Hon. Paul J. Martin.

    Alors que le Claude A. Desgagnes se dirigeait vers l'aval, le pilote a vérifié que le navire devait maintenir une vitesse minimale de 6 nœudsNote de bas de page 3 pour conserver l'erre nécessaire pour gouverner et demeurer à distance sécuritaire à l'arrière du Rt. Hon. Paul. J. Martin. Au moment où le navire passait sous le pont d'Ogdensburg, le pilote a dû commencer à donner plus souvent des ordres de barre et des ordres de régime des machines afin de conserver l'erre nécessaire pour gouverner, compte tenu du courant et des caractéristiques de manœuvre du navire.

    À 22 h 18, le pilote a informé l'officier de quart de la possibilité d'utiliser l'ancre de tribord pour ralentir le navire et manœuvrer jusqu'au mur d'approche en amont lorsque le navire atteindrait l'écluse. L'ancre serait alors abaissée lentement et tirée sur le fond. Le pilote considérait la possibilité d'utiliser cette option, appelée « dérape », pour plusieurs raisons, notamment la difficulté de conserver l'erre nécessaire pour gouverner à vitesse réduite et la présence de trafic devant le navire. Le pilote croyait qu'on perdrait l'erre nécessaire pour gouverner en raison de l'effet de blocage de l'hélice à pas variable sur le gouvernail.

    À 22 h 23, le capitaine est monté à la passerelle. Quatre minutes plus tard, le pilote a communiqué avec le personnel de la Voie maritime à IroquoisNote de bas de page 4, qui l'a alors avisé que l'Algolake serait le premier navire à entrer dans l'écluse d'Iroquois, suivi du Rt. Hon. Paul J. Martin. Le Claude A. Desgagnes serait le troisième. À ce moment, on ne signalait aucun trafic en amont.

    À 22 h 41, le pilote a informé le capitaine de son intention de faire déraper l'ancre de tribord pour ralentir le navire en vue de la manœuvre en direction du mur d'approche en amont. Le capitaine a demandé des précisions, mais la manœuvre envisagée par le pilote n'a pas fait l'objet d'une discussion plus approfondie.

    L'Algolake a ensuite quitté l'écluse d'Iroquois pour se diriger vers l'aval. À 22 h 48, le Rt. Hon. Paul J. Martin entrait dans l'écluse. Le Claude A. Desgagnes se trouvait alors à environ 550 m derrièreNote de bas de page 5 et avançait à environ 5 nœuds. À 22 h 53, le pilote a demandé au capitaine d'abaisser l'ancre de tribord jusqu'à la ligne de flottaison. Le capitaine a exécuté la manœuvre, tout en signalant au pilote qu'il y avait un risque à cause de la profondeur d'eau. Le pilote a répondu qu'il s'agissait d'une manœuvre standard.

    À 22 h 54, le capitaine a suggéré de réduire la vitesse, mais le pilote a expliqué que cette option n'était pas envisageable à cause de la direction et de la force du courant.

    À 22 h 59, au moment où le navire approchait de l'entrée de l'écluse, le pilote a demandé d'abaisser l'ancre de tribord pour ralentir le navire et le faire déraper vers bâbord en direction du mur d'approche en amont. Le capitaine n'a pas exécuté cette manœuvre. Le pilote a alors demandé au capitaine de prendre le commandement et la conduite du navire, mais ce transfert de conduite n'a pas été répété ni confirméNote de bas de page 6. Le pilote et le capitaine ont tous deux continué à donner des ordres au timonier, lequel a finalement décidé d'exécuter les ordres du capitaine. Le pilote a également donné des ordres au capitaine à propos du régime des machines. Le capitaine a exécuté ces ordres et les a répétés au pilote.

    À 23 h 5, le pilote a de nouveau demandé d'abaisser l'ancre de tribord, mais cette fois encore, la manœuvre n'a pas été exécutée. Pendant que le navire continuait à virer à tribord, le pilote a demandé d'abaisser l'ancre de bâbord pour ralentir le navire et le faire déraper à tribord afin d'empêcher la poupe de heurter le mur d'approche en amont, mais le capitaine n'a pas exécuté cette manœuvre. À 23 h 5 min 59 s, le navire avançait à 3 nœuds. Le pilote a alors signalé au personnel de la Voie maritime à Iroquois que le capitaine refusait d'utiliser les ancres. À 23 h 6 min 26 s, la hanche bâbord du navire a heurté le mur d'approche en amont.

    Immédiatement après le heurt, le capitaine a fait machine arrière et a ordonné au deuxième  officier d'abaisser l'ancre de poupe pour tenter de ralentir le navire. Le pilote et le capitaine ont continué à donner des ordres de barre et des ordres de régime des machines pour tenter de réorienter le navire, mais ils n'ont pas réussi à reprendre la maîtrise de la direction et de la vitesse du navire. Le navire a traversé le chenal de navigation et s'est échoué à 23 h 12.

    Peu de temps après l'échouement, les réservoirs ont été sondés, et le navire s'est dirigé vers le mur d'approche en amont par ses propres moyens. Le pilote a alors quitté le navire. À 23 h 30, le capitaine a indiqué dans le journal de bord que le navire était amarré. Lorsque le nouveau pilote est monté à bord, il a fait un rapport identique au personnel de la Voie maritime à Iroquois.

    Après l'événement, le trafic vers l'aval sur la Voie maritime du Saint-Laurent a été interrompu durant plus de 15 heures pendant qu'une inspection du Claude A. Desgagnes était effectuée pour y déceler des avaries.

    Avaries au bâtiment

    L'inspection a révélé la présence de 2 renfoncements entre les couples 0 et 6 du côté bâbord arrière de la coque au niveau du pont supérieur. Le bordé extérieur était embouti et perforé au-dessus du pont principal. Dix couples faisant partie de la structure interne étaient déformés.

    Conditions environnementales

    Le soir de l'événement, le ciel était couvert, il y avait des périodes de pluie intense et la visibilité était réduite. Un vent de 15 à 20 nœuds soufflait du sud-ouest, et la température de l'air était de 0 °C. Le courant coulait vers le nord-est à 1,5 nœud, une vitesse considérée comme normale pour cette partie du fleuve.

    Certificats du navire

    Le Claude A. Desgagnes était certifié et équipé conformément aux règlements en vigueur.

    Le 25 octobre 2013, l'Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent a inspecté le Claude A. Desgagnes et l'a autorisé à poursuivre son voyage. Au cours de l'inspection, on a remarqué que le navire n'était pas muni de mâts de débarquement et qu'il était donc tenu de se conformer au service d'amarrage de la Voie maritime aux murs d'approche pour naviguer sur la Voie maritime du Saint-Laurent.

    Brevets et expérience du personnel

    Les membres de l'équipage du Claude A. Desgagnes étaient titulaires de brevets appropriés pour les postes qu'ils occupaient à bord du navire. Le capitaine avait obtenu son brevet de capitaine en 2005 et commandait le Claude A. Desgagnes depuis octobre 2013. Le capitaine avait navigué sur la Voie maritime du Saint-Laurent une douzaine de fois depuis 2001 et avait obtenu un certificat de navigation au radar en 2010, qui comprenait le travail d'équipe à la passerelle.

    L'officier de quart naviguait comme officier de pont depuis janvier 2013 et s'était joint à l'équipage du Claude A. Desgagnes en octobre 2013. Le timonier naviguait depuis 2007 et faisait partie de l'équipage du Claude A. Desgagnes depuis octobre 2013. En 2012, le timonier avait navigué à bord d'un autre navire de l'entreprise, qui empruntait la Voie maritime du Saint-Laurent.

    Le pilote était titulaire d'un brevet d'officier de la marine marchande des États-Unis, délivré par la Garde côtière américaine le 25 mars 2009. Ce brevet l'autorisait à travailler comme pilote de première classe sur les navires de n'importe quelle jauge brute dans la circonscription 1 des Grands Lacs aux États-UnisNote de bas de page 7. Il était au service de la St. Lawrence Seaway Pilots Association et avait obtenu la certification en gestion des ressources à la passerelle (GRP) en 2011.

    Pilotage dans le tronçon Montréal-lac Ontario

    Selon la réglementation, tous les navires qui empruntent la Voie maritime du Saint-Laurent entre Montréal et le lac Ontario doivent être conduits par un piloteNote de bas de page 8. Ce tronçon comprend 7 écluses. Son chenal de navigation a une largeur minimale de 61 m et une profondeur contrôléeNote de bas de page 9 de 8,23 m.

    Manœuvre à l'approche de l'écluse d'Iroquois

    Lorsqu'un navire s'approche ou s'éloigne d'une écluse ou y entre, le navigateur doit soupeser certains facteurs : l'heure d'arrivée prévue, les autres navires dans l'écluse ou à proximité de celle-ci, les techniques d'approche, les conditions environnementales (p. ex., courant et conditions météo), l'utilisation des ancres et les manœuvres d'urgence.

    Dans l'événement en cause, le pilote a demandé d'utiliser une ancre pour exécuter une manœuvre appelée « dérape », dont l'usage est pratique courante à l'écluse d'Iroquois. Pour exécuter cette manœuvre, l'ancre est d'abord utilisée brièvement pour ralentir le navire, puis elle sert de pivot pendant que le courant agit sur la coque et le gouvernail pour déplacer le navire latéralement. L'efficacité maximale est atteinte lorsque l'ancre se trouve du côté du navire opposé à la direction vers laquelle celui-ci doit se diriger.

    La manœuvre privilégiée par le capitaine consistait à réduire la vitesse du navire à l'aide de la machine principale pour s'approcher de l'écluse. Le capitaine n'avait pas l'habitude d'utiliser l'ancre à l'approche des écluses et ne l'avait jamais fait à l'écluse d'Iroquois.

    Profondeur d'eau sous quille

    La profondeur d'eau sous quille est la différence entre la profondeur d'eau et le tirant d'eau du navire. Dans les eaux peu profondes, le dégagement sous quille peut être modifié par le squat, c'est-à-dire la réduction de la profondeur d'eau sous quille causée par l'enfoncement du navire dans l'eau et le changement d'assiette qui se produit lorsqu'il se déplace dans l'eau.

    Au moment de l'événement, le tirant d'eau moyen du Claude A. Desgagnes était de 7,9 m et la profondeur d'eau minimale à cet endroit était de 9,83 m. Par conséquent, le dégagement sous quille minimal était de 1,93 m, soit 25 % du tirant d'eau maximal du navire. En raison de la faible vitesse du navire, les effets du squat étaient négligeables.

    Prise de décision

    Le processus de prise de décision se déroule en 4 étapes : la collecte d'information, le traitement de cette information, la prise de décision en fonction des choix possibles et la mise en application de la décision. Lorsqu'une décision a été mise en application, le processus recommence dès que de nouveaux éléments d'information sont recueillis et que les répercussions de la décision sont évaluées. Les décisions peuvent dépendre de plusieurs facteurs, comme la perception individuelle de la situation, l'expérience, la formation, les attentes, les contraintes de temps et les éléments contextuels. Lorsqu'une décision est prise, les individus ont tendance à s'y conformer à moins d'avoir de bonnes raisons de s'en écarter. De plus, les gens recherchent souvent des éléments qui renforcent et appuient la décision prise plutôt que de la contredire. Une expérience antérieure dans des circonstances similaires peut rendre les gens réticents à choisir une autre façon de faire.

    Dans l'événement en cause, une des décisions importantes qu'il fallait prendre concernait la façon d'approcher le mur de l'écluse. Le pilote a proposé de faire déraper l'ancre pour ralentir le navire parce qu'il avait utilisé cette méthode avec succès par le passé à bord de navires aux caractéristiques semblables à celles du Claude A. Desgagnes. Le choix du pilote se fondait également sur d'autres facteurs, notamment le temps, la vitesse et la direction du vent, le courant et l'espace limité en raison de la présence d'un navire devant lui dans l'écluse.

    Le capitaine a estimé que la meilleure façon d'approcher l'écluse consistait à réduire la vitesse du navire à l'aide de la machine principale plutôt que de faire déraper l'ancre. Sa décision se fondait sur les conditions qui régnaient à ce moment-là, sur ses antécédents et sur son expérience antérieure. Il avait notamment acquis de l'expérience dans une entreprise qui ne permettait pas qu'on déploie les ancres en dehors des situations d'urgence ou lorsque la profondeur d'eau sous quille était de moins de 3 mètres. Cette exigence de l'entreprise découlait d'un incident au cours duquel un navire de l'entreprise manœuvrant à proximité d'une écluse avait déployé l'ancre,  passé par-dessus et subi des avaries.

    Même si le pilote donne des ordres et avise le capitaine, ce dernier est l'ultime responsable de la sécurité du navire et son autorité prévaut sur toutes les décisions, y compris quels ordres doivent être exécutés.

    Communications à la passerelle

    Des communications efficaces à la passerelle constituent l'un des principes de base de la GRPNote de bas de page 10, car elles permettent aux membres de l'équipe à la passerelle d'avoir une vision commune (modèle mental partagé) du déroulement du voyage et de la façon dont seront exécutées chacune des tâches. Pour que la GRP soit efficace, les membres de l'équipe à la passerelle doivent communiquer et mettre à jour l'information et leurs intentions à mesure que le voyage progresse.

    Pour être efficaces, les communications entre les membres de l'équipe à la passerelle doivent être toujours ouvertes et interactives. Pour atteindre ce but, les membres de l'équipe à la passerelle doivent participer activement aux échanges d'information et chercher à communiquer « en boucle fermée », un processus selon lequel chaque information communiquée par l'émetteur est répétée par le récepteur, puis confirmée de nouveau par l'émetteur. La communication en boucle fermée contribue à réduire le risque de malentendu et est couramment utilisée pour les tâches comme le transfert de la conduite. L'Organisation maritime internationale (OMI) a élaboré le modèle de pratique exemplaire suivant pour le transfert de la conduite entre les officiers. Ce modèle, basé sur la répétition et la confirmation, permet de s'assurer que tous les membres de l'équipe à la passerelle savent qui assure la conduite du navire.

    (Le capitaine ou l'officier passant le quart devrait dire :)

    « À vous le soin maintenant. »

    (L'officier de relève devrait confirmer et dire :)

    « Je prends. »

    (Le capitaine, lorsqu'il est appelé à la passerelle et lorsqu'il prend officiellement la responsabilité du quart, devrait confirmer et dire :)

    « Je prends. »

    (L'officier de quart devrait confirmer et dire :)

    « À vous le soin maintenantNote de bas de page 11. »

    Les communications efficaces forment également un élément essentiel de l'échange entre le capitaine et le pilote, qui permet aux deux parties de s'entendre avant le départ sur les plans, les procédures et les mesures d'urgence et de continuer à échanger de l'information sur la navigation pendant toute la traversée. L'OMI a formulé des recommandations sur les échanges entre les capitaines et les pilotes et précise que cet échange doit être un processus continu qui commence lorsque le pilote monte à bord du navire et se poursuit pendant toute la traverséeNote de bas de page 12. De plus, l'OMI rappelle que le plan de traversée constitue une indication de base des intentions du pilote et du capitaine, mais que ces derniers doivent être prêts à s'en écarter si les circonstances l'exigent.

    Événements précédents

    En 1995, le BST a publié le rapport d'enquête maritime intitulé Étude de sécurité portant sur les rapports de travail entre les capitaines et les officiers de quart, et les pilotes de navireNote de bas de page 13. Cette étude avait pour but de cerner les manquements à la sécurité liés au travail d'équipe à la passerelle, y compris la communication entre les pilotes et les capitaines ou les officiers de quart. Le rapport portait sur 273 événements mettant en cause des navires conduits par des pilotes dans les eaux canadiennes. Dans 84 événements, on a constaté des malentendus entre le pilote et le capitaine, de l'inattention ou des communications déficientes entre le pilote et l'officier de quart. De plus, le rapport concluait que les déficiences des communications ou du travail d'équipe à la passerelle avaient apparemment été des facteurs contributifs dans bon nombre de ces événements. Entre autres, les malentendus entre les membres de l'équipe à la passerelle, l'absence d'échanges d'information adéquats et la compréhension incomplète des manœuvres à exécuter se sont avérés symptomatiques des mauvaises pratiques en vigueur sur les passerelles dans les zones où le pilotage est obligatoire.

    En novembre 2012, le vraquier TundraNote de bas de page 14 était conduit par un pilote lorsqu'il a quitté le chenal de navigation du fleuve Saint-Laurent et s'est échoué. L'enquête du BST a permis de constater que l'inefficacité des communications avait joué un rôle. En effet, le pilote et les autres membres de l'équipe à la passerelle n'échangeaient pas d'information et l'équipe à la passerelle ne savait donc pas que le pilote prévoyait un changement de cap.

    En décembre 2012, le vraquier Cape ApricotNote de bas de page 15 était conduit par un pilote lorsqu'il a heurté le pont sur chevalets et le convoyeur reliant le quai d'amarrage nº 1 de Westshore Terminals au terminal principal de Robert Banks (Colombie-Britannique). L'enquête du BST a révélé que les communications entre le capitaine et le pilote avaient été inefficaces pendant l'approche. Les deux officiers n'avaient pas détecté le risque qui croissait pendant que la manœuvre était exécutée et n'avaient donc pas pris des mesures correctives au moment opportun.

    Analyse

    Événements ayant mené au heurt et à l'échouement

    Pendant que le navire descendait le fleuve, le pilote et le capitaine se sont parlés, mais ne sont pas arrivés à une compréhension commune de la manœuvre à exécuter à l'approche de l'écluse d'Iroquois. Bien que le pilote ait expliqué plus tôt à l'officier de quart qu'il comptait faire déraper l'ancre, les détails du plan n'ont pas été communiqués au capitaine lorsqu'il est arrivé à la passerelle. Même si le pilote a ensuite informé le capitaine de son intention sans donner de détails, le capitaine n'a pas confirmé qu'il avait compris la manœuvre et qu'il était d'accord pour l'exécuter. Le capitaine et le pilote n'ont pas discuté des détails du plan pendant que le navire s'approchait de l'écluse. Lorsque le capitaine a ordonné de réduire la vitesse du navire, le pilote lui a recommandé de ne pas le faire à cause de la direction et de la force du courant à ce moment-là. Même si le pilote avait demandé à quelques reprises de sortir les ancres avant, le capitaine a refusé de le faire chaque fois.

    Lorsque le navire a atteint un point critique à proximité de l'écluse, le pilote a demandé une fois de plus de sortir l'ancre pour ralentir le navire, mais le capitaine n'a pas donné suite à cet ordre. La dérape de l'ancre n'a pas été exécutée et aucun autre moyen n'a été utilisé pour ralentir le navire, qui a poursuivi sa route et heurté le mur d'approche en amont de l'écluse. Après que le navire a heurté le mur de l'écluse, le capitaine et le pilote ont tenté de réorienter le navire, mais n'ont pas réussi à reprendre la maîtrise à cause de la vitesse du navire, du vent et du courant. Le navire a traversé le chenal de navigation et s'est échoué.

    Échanges entre le capitaine et le pilote

    Les échanges entre le capitaine et le pilote constituent un processus continu qui commence avec l'échange initial, plus officiel, et se prolonge pendant toute la période au cours de laquelle le navire est conduit par le pilote. Au cours de ces échanges, le capitaine et le pilote s'entendent sur les plans et les procédures, conviennent des mesures d'urgence pour la traversée prévue et discutent des conditions particulières. Ces échanges sont essentiels pour que l'équipe à la passerelle travaille de façon efficace. Des échanges inadéquats ou insuffisants peuvent faire en sorte que les membres de l'équipe à la passerelle n'aient pas une compréhension commune.

    Le pilote et le capitaine du Claude A. Desgagnes ne communiquaient pas efficacement, ne s'entendaient pas sur les manœuvres à exécuter à l'approche de l'écluse, et n'ont pas discuté de leur plan respectif en détail. Une compréhension commune d'une situation permet de coordonner les actions, grâce à des communications ouvertes et interactives, qui se transforment en communications en boucle fermée dans lesquelles l'information est transmise par l'émetteur, répétée par le récepteur puis confirmée de nouveau par l'émetteur. Le pilote et le capitaine savaient qu'il fallait réduire la vitesse d'approche du navire, mais chacun était convaincu que sa méthode, fondée sur son expérience personnelle et ses connaissances, était la mieux indiquée pour ralentir le navire.

    Le pilote et le capitaine n'ont pas échangé assez d'éléments d'information pour pouvoir élaborer une vision commune et « fermer la boucle ». Par conséquent, ils ne pouvaient pas s'entendre en temps opportun ni prendre des décisions optimales. Même si un échange officiel entre le capitaine et le pilote avait eu lieu au début du voyage et qu'une liste de contrôle détaillée avait été utilisée, il n'a pas été question de la manœuvre de dérape que le pilote comptait exécuter pour ralentir le navire. Le pilote a demandé de sortir l'ancre, mais chaque fois, le capitaine a refusé de le faire. À un moment donné, le capitaine a suggéré de réduire la vitesse à l'aide de la machine principale, mais le pilote a répondu que cette manœuvre ne devait pas être exécutée à cause de la direction et de la force du courant.

    Dans l'événement en cause, les lacunes constatées dans les échanges entre le capitaine et le pilote correspondent aux conclusions du Rapport d'enquête maritime du BST publié en 1995, intitulé Étude de sécurité portant sur les rapports de travail entre les capitaines et officiers de quart, et les pilotes de navires. Cette enquête a déterminé que les malentendus entre les capitaines et les pilotes, souvent attribuables à des communications inadéquates, étaient des facteurs prépondérants dans de nombreux événements mettant en cause des navires conduits par des pilotes.

    Par conséquent, si les membres de l'équipe à la passerelle n'échangent pas d'information de manière continue pour élaborer une vision commune des manœuvres du navire, il est possible que certaines manœuvres vitales pour naviguer en toute sécurité ne soient pas exécutées en temps opportun.

    Transfert de la conduite

    Pour que la navigation se fasse en toute sécurité, il est essentiel qu'un seul officier assure la conduite du navire. S'il y a plus d'un officier à la conduite du navire, des ordres contradictoires peuvent être donnés et des décisions risquent d'être retardées. Le transfert de la conduite doit être effectué de façon claire pour s'assurer que l'équipe à la passerelle sait qui commande le navire.

    Généralement, le capitaine, les officiers de quart et les pilotes participant au transfert de la conduite répètent et confirment leurs intentions. Le fait de répéter et de confirmer les intentions permet de clarifier le processus de transfert et de veiller à ce que les ordres soient donnés et que les décisions soient prises par un seul officier. Dans l'événement en cause, le transfert de la conduite n'a pas été effectué de façon claire, et le timonier recevait des ordres à la fois du capitaine et du pilote.

    Si les membres de l'équipe à la passerelle ne reçoivent pas d'ordres précis d'un officier qui assure la conduite du navire, il est possible qu'il y ait confusion sur la personne qui conduit le navire, ce qui risque de nuire au processus de prise de décision et à l'exécution des ordres.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Les manœuvres qui auraient pu servir à ralentir le navire n'ont pas été exécutées parce que le capitaine et le pilote ne s'entendaient pas sur la meilleure méthode à utiliser à l'approche de l'écluse d'Iroquois.
    2. Aucune manœuvre visant à ralentir le navire, comme la dérape de l'ancre ou l'utilisation de la machine principale, n'a été exécutée. Le navire a donc heurté le mur d'approche en amont de l'écluse d'Iroquois.
    3. Après le heurt, l'équipe à la passerelle n'a pas réussi à reprendre la maîtrise du navire, qui a traversé le chenal de navigation et s'est échoué.

    Faits établis quant aux risques

    1. Si les membres de l'équipe à la passerelle n'échangent pas d'information de manière continue pour élaborer une vision commune des manœuvres du navire, il est possible que certaines manœuvres vitales pour naviguer en toute sécurité ne soient pas exécutées en temps opportun.
    2. Si les membres de l'équipe à la passerelle ne reçoivent pas d'ordres précis d'un officier qui assure la conduite du navire, il est possible qu'il y ait confusion sur la personne qui conduit le navire, ce qui risque de nuire au processus de prise de décision et à l'exécution des ordres.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Transport Desgagnés Inc.

    À la suite de l'événement à l'étude, le propriétaire a révisé et mis à jour le Manuel d'instructions de la passerelle du Système de gestion de la qualité, sécurité, sûreté et environnement. La nouvelle version comprend une directive opérationnelle sur la gestion des ressources à la passerelle qu'il faut suivre lorsque le navire est conduit par un pilote et, plus particulièrement, les responsabilités qui incombent au capitaine et à l'officier de quart, la surveillance du pilote, la conduite en toute sécurité du navire, et l'accès à la passerelle et à l'équipement.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il est paru officiellement le .

    Annexes

    Annexe A – Route du navire jusqu'à l'écluse d'Iroquois

    Image
    Carte du route du navire jusqu'à l'écluse d'Iroquois

    Nota :

    • Nœuds (kn)
    • Heure (h)
    • Cap
    • Croquis basé sur une carte électronique de navigation fournie par le Service hydrographique du Canada.

    Annexe B – Emplacement de l'événement

    Image
    Carte d'emplacement de l'événement

    (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

    Nota :

    • 23 h 6 – Le navire heurte le mur d'approche en amont de l'écluse d'Iroquois
    • 23 h 12 – Le navire s'échoue
    • 23 h 30 – On signale que le navire est amarré au mur d'approche en amont de
      l'écluse d'Iroquois