Envahissement par l’eau et échouement subséquent
du vraquier John I
au large de la côte sud-ouest
de Terre-Neuve-et-Labrador
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 14 mars 2014, le vraquier John I s’est trouvé désemparé lorsque la salle des machines a été envahie par l’eau alors que le navire se trouvait au large de la côte sud-ouest de Terre-Neuve-et-Labrador. Le navire a dérivé sur environ 41 milles marins avant de s’échouer, le lendemain, sur les hauts-fonds Rose Blanche Shoals. Personne n’a été blessé et les 23 membres d’équipage ont été évacués par hélicoptère. Aucune pollution n’a été signalée.
Renseignements de base
Fiche technique du navire
Nom du navire | John I |
---|---|
Numéro de l'Organisation maritime internationale (OMI) | 8902486 |
Port d'immatriculation | Panama City |
Pavillon | Panama |
Type | Vraquier |
Jauge brute | 24 606 |
LongueurNote de bas de page 1 | 182,8 m |
Tirant d'eau au moment de l'accident | À l'avant : 3,6 m À l'arrière : 6,5 m |
Construction | 1991, Hyundai Heavy Industries, Corée |
Propulsion | Un moteur diésel 5 cylindres de 8504,4 kW entraînant une seule hélice |
Cargaison | Lest |
Membres d'équipage | 23 |
Propriétaire inscrit | John F. Navigation S.A., Panama |
Compagnie de gestion | Ceren Denizcilik Sanayi LTD.STI, Istanbul, Turquie |
Description du navire
Le John I est un vraquier fait d'acier dont la salle des machines et les emménagements sont situés à l'arrière (photo 1). Il comprend 5 cales à marchandises munies de double-fonds qui sont desservies par 4 grues électrohydrauliques. La passerelle comprend l'équipement de navigation, notamment 2 radars pourvus d'aides de pointage radar automatique (ARPA), un échosondeur et un système d'identification automatique. Le navire est aussi équipé d'un enregistreur des données du voyage (VDR) simplifié.
Déroulement du voyage
Le 3 mars 2014, le John I a quitté Las Palmas de Gran Canaria, en Espagne, à destination de Montréal (Québec) pour prendre une cargaison de céréales. En cours de route, l'agent maritime canadien a transmis à l'équipage de l'information sur l'entrée du navire dans les eaux canadiennes. Parmi ces renseignements se trouvaient un rapport d'information préalable à l'arrivée et le document Mandatory Winter Navigation Information for Sea Water Cooling TypesNote de bas de page 2 de Transports Canada (TC) qui comprend, notamment, une liste de vérification sur la navigation sécuritaire dans les eaux envahies par les glaces et des schémas de différents types de circuits de refroidissement. Le document précisait en outre les documents relatifs à la navigation dans les eaux envahies par les glacesNote de bas de page 3 que les navires doivent avoir à bord lorsqu'ils se trouvent dans les eaux canadiennes.
Le document Mandatory Winter Navigation Information for Sea Water Cooling Types exigeait que le capitaine indique quel type de circuit de refroidissement à l'eau de mer était installé à bord du vraquier. Le capitaine a d'abord indiqué qu'il s'agissait d'un circuit de refroidissement à l'eau de mer de type 2, mais TC l'a informé que les circuits de type 2 ne convenaient pas à la navigation dans les eaux envahies par les glaces. Le capitaine a alors transmis d'autres détails et un schéma du circuit de refroidissement du navire à TC. Après avoir étudié le schéma, TC a conclu qu'il s'agissait d'un circuit de refroidissement de type 4Note de bas de page 4, qui était conforme aux exigences relatives à la navigation dans les eaux envahies par les glaces.
Le 7 mars, après que le capitaine a convenu d'expliquer le fonctionnement du circuit de refroidissement à ses mécaniciens et de procéder à la mise à l'essai dudit circuit, TC a autorisé le vraquier à entrer dans les eaux canadiennes et à se diriger vers Montréal. Le chef mécanicien a préparé une liste de vérification sur les directives d'utilisation du circuit de refroidissement et a demandé au personnel de la salle des machines de bien lire et de s'assurer de bien comprendre ces directives.
Le 13 mars, le vraquier s'est approché de Saint-Pierre et Miquelon, en France (situé à 14 milles marins au large de la côte sud de Terre-Neuve) où un conseiller sur les glacesNote de bas de page 5 devait monter à bord à la fin de la journée le lendemain. Le capitaine a ordonné de ralentir puis d'arrêter la propulsion pour permettre au navire de dériver en attendant l'arrivée du conseiller sur les glaces à Saint-Pierre et Miquelon. Alors que le navire dérivait depuis environ 6 heures, les conditions météorologiques se sont détériorées. Le capitaine a consulté l'agent maritime et a décidé de se rendre à Les Escoumins (Québec) sans conseiller sur les glaces à bord. Aux fins de navigation, le capitaine utilisait 20 photocopies en noir et blanc (chacune mesurant 21,59 x 27,94 cm) tirées de la carte marine de l'Amirauté britannique nº 4002 (annexe A). L'échelle de la carte est de 1:750 000. L'enquête n'a pas permis d'établir la version de la carte utilisée. L'ensemble de documents ne fournissait pas tous les renseignements nécessaires à la navigation à proximité du littoral dans le golfe du Saint-Laurent.
En vue de l'entrée dans les eaux envahies par les glaces, le chef mécanicien a préparé une liste de vérification, a donné des consignes pour la nuit à l'équipage, a vérifié toutes les vannes du circuit de refroidissement et a ouvert le robinet d'admission de vapeur du caisson de prise d'eau de mer inférieur.
Vers 21 hNote de bas de page 6, le navire est entré dans les eaux envahies par les glaces (annexe B). Le circuit de refroidissement du vraquier aspirait alors l'eau par le caisson de prise d'eau de mer inférieurNote de bas de page 7 (annexe C). À 21 h 6, le capitaine a demandé des renseignements aux responsables de la zone de services de trafic maritime de l'Est du Canada (ECAREG) sur la formation de glace à l'emplacement où se trouvait le navire et, à 21 h 16, a reçu l'information pertinente avec 4 cartes des glaces.
Le 14 mars, vers 1 h 30, le troisième mécanicien était de quart et a remarqué une augmentation de la température dans le circuit de refroidissement à l'eau douce. Il a appelé le chef mécanicien, qui a attribué l'augmentation de la température à une obstruction dans le dispositif d'aspiration du caisson de prise d'eau de mer inférieur. Le chef mécanicien a fermé la vanne du caisson de prise d'eau de mer inférieur et a ouvert la vanne du caisson de prise d'eau de mer supérieur afin de refroidir l'eau douce. Toutefois, la circulation de l'eau de mer dans cette conduite était elle aussi entravée.
Après avoir obtenu l'autorisation du capitaine pour aspirer l'eau de la citerne de ballast avant, le chef mécanicien a réglé à la position voulue toutes les vannes et tous les robinets appropriés dans la salle des machines (annexe C). Le capitaine s'est alors rendu dans la salle de contrôle des ballasts, où il a ouvert toutes les vannes nécessaires pour permettre à l'eau de commencer à circuler dans le circuit de refroidissement à l'eau de mer, ce qui a fait baisser la température de l'eau douce. Pressentant une accumulation de glace, le chef mécanicien a déboulonné le couvercle du boîtier de la crépine du caisson de prise d'eau de mer inférieurNote de bas de page 8. Le deuxième mécanicien est arrivé dans la salle des machines et s'est mis à aider l'équipage à retirer la glace et la bouillie de glace du boîtier de la crépine d'eau de mer désormais à découvert.
Vers 3 h 20, alors qu'ils retiraient la glace et la bouillie de glace, les membres d'équipage ont constaté que de l'eau commençait à déborder du boîtier de la crépine d'eau de mer. Le deuxième mécanicien a tenté de serrer à la main la vanne du caisson de prise d'eau de mer inférieur. N'étant pas en mesure de déplacer la roue, il a tenté d'utiliser une clé en FNote de bas de page 9, ce qui a provoqué le bris du mécanisme de fonctionnement de la vanne. La pression hydrostatique sur le disque de soupapeNote de bas de page 10 a poussé le mécanisme de fonctionnement de la vanne (qui n'était plus fixé) vers le haut, ce qui a permis à l'eau de mer de pénétrer dans le boîtier de la crépine d'eau de mer non fermé et d'envahir la salle des machines.
Le chef mécanicien a immédiatement informé le capitaine de la situation et celui-ci est venu le rejoindre dans la salle des machines. Le chef mécanicien, ainsi que le personnel de la salle des machines ont tenté plusieurs fois de remettre le couvercle sur le boîtier de la crépine d'eau de mer. Toutefois, leurs tentatives sont demeurées vaines en raison du débit de l'eau. En environ 10 minutes, l'eau dans la salle des machines a atteint presque 4 mètres de hauteur et le niveau du caillebotis, à partir duquel l'équipage a tenté de remettre le couvercle sur le boîtier de la crépine d'eau de mer (annexe D). Après avoir vu des étincelles électriques, le capitaine a ordonné la coupure de l'alimentation électrique du navire et l'équipage a évacué la salle des machines.
Vers 3 h 50, les membres d'équipage ont été rassemblés sur le pont supérieur et ont discuté de la situation. On a fait démarrer et fonctionner la génératrice de secours. Le premier officier a préparé l'équipage et le navire en vue d'un abandon possible. Le capitaine a ordonné qu'on observe le niveau d'eau dans la salle des machines et qu'on vérifie si l'eau s'infiltrait dans les compartiments adjacents. Vers 4 h 10, le capitaine a informé la compagnie de gestion du navire de la situation et celle-ci a fait des appels afin qu'un remorqueur vienne en aide au vraquier. La compagnie a aussi communiqué avec des entrepreneurs pour rétablir l'alimentation électrique et préparer le navire pour un remorquage.
Vers 5 h 56, le capitaine a informé les Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Port aux Basques de la situation. Les SCTM ont transmis l'information au Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage (JRCC) de Halifax en Nouvelle-Écosse et ont ajouté qu'un remorqueur commercial allait venir en aide au navire. Les SCTM ont aussi informé la Direction des interventions environnementales de la Garde côtière canadienne (GCC). Le JRCC a demandé au vraquier de fournir des mises à jour toutes les 2 heures. À ce moment, le navire se trouvait à environ 9 milles marins de Cape Ray (Terre-Neuve-et-Labrador) (annexe B), et les vents soufflaient du nord-ouest à 20 nœuds. Le navire a dérivé vers l'est, parallèlement à la côte.
À 11 h 30, la compagnie de gestion a retenu les services du remorqueur Ryan Leet afin qu'il vienne en aide au vraquier et le remorqueur s'est préparé à partir. Ce remorqueur était en période non opérationnelle avec disponibilité à court préavis, avait un équipage limité et était en mesure de quitter le terminal maritime de Mulgrave (Nouvelle-Écosse), à 0 h 30 le lendemain.
À 20 h 9, le JRCC a obtenu des prévisions révélant que les vents allaient augmenter le jour suivant, ce qui pouvait faire dériver le vraquier vers l'île de Terre-Neuve. De plus, le JRCC avait estimé que si le John I se mettait à dériver vers la côte, le remorqueur Ryan Leet, qui n'était pas encore en route, n'arriverait pas à temps pour prévenir l'échouement du vraquier. À 21 h, le vraquier a signalé aux SCTM qu'il dérivait vers l'est à une vitesse approximative de 1,5 nœud. Une heure plus tard, le JRCC a demandé au navire de la Garde côtière canadienne (NGCC) Earl Grey, qui était à quai à Sydney (Nouvelle-Écosse) d'aller aider le John I. Le NGCC Earl Grey a quitté le quai 30 minutes plus tard.
Le 15 mars, à 3 h 55, le remorqueur Ryan Leet a quitté Mulgrave et, selon les estimations, il devait arriver sur les lieux à 18 h; toutefois, il a affronté de mauvaises conditions météorologiques et des formations de glace en cours de route et a repoussé son heure d'arrivée estimée à trois reprises. La dernière estimation était 6 h le 16 mars.
À 7 h, les vents soufflaient du sud à 2 nœuds et le John I dérivait vers le nord à une vitesse de 0,5 nœud vers les hauts-fonds Rose Blanche Shoals qui se trouvaient à environ 7 milles marins plus loin.
Le NGCC Earl Grey est arrivé sur place vers 8 h et s'est positionné à environ 1 mille marin du vraquier. À 10 h 10, le NGCC Earl Grey a informé le John I qu'il risquait de s'échouer au cours des 3 ou 4 prochaines heures et que le remorqueur Ryan Leet n'arriverait pas à temps pour lui venir en aide. Le NGCC Earl Grey a aussi signalé au capitaine la présence de hauts-fonds près du village de Rose Blanche, et lui a offert de le remorquer à l'écart du rivage. Le capitaine a répond au NGCC Earl Grey que les hauts-fonds n'étaient pas indiqués sur sa carte et a demandé la profondeur de l'eau sous son navire, car son échosondeur était hors service.
À 10 h 54, le capitaine a informé le NGCC Earl Grey qu'il avait avisé la compagnie de gestion du navire de la situation et que celle-ci tentait d'accélérer l'arrivée du remorqueur. Il a ajouté qu'il envisageait la possibilité de jeter l'ancre. L'équipage du NGCC Earl Grey a informé le John I de l'augmentation prévue des vents du sud (de 40 à 50 nœuds) plus tard dans la journée et que le NGCC était équipé d'un dispositif de remorquage pour service léger, efficace seulement dans de bonnes conditions météorologiques. Le capitaine a répondu qu'il allait transmettre cette information au à la compagnie de gestion du vraquier.
À 11 h 12, le JRCC a communiqué avec le capitaine du John I pour l'informer qu'il n'avait plus de temps pour consulter la compagnie de gestion du navire en raison de l'augmentation prévue des vents du sud. Le JRCC a aussi confirmé que l'utilisation des ancres devrait être envisagée seulement en dernier recours. Le capitaine a répondu qu'il allait rappeler dans 10 minutes. Il a alors demandé à l'agent maritime s'il pouvait s'informer des coûts d'un remorquage par la GCC.
À 11 h 37, le NGCC Earl Grey a informé le capitaine que le John I se trouvait à environ 2 milles marins des hauts-fonds. Trois minutes plus tard, le capitaine a demandé à la GCC combien coûtait le remorquage proposé et la GCC a répondu qu'il était sans frais. Le capitaine a alors accepté que son navire soit remorqué.
Peu de temps après, alors que l'équipage du John I hissait le câble de remorquage, une longueur du câble a glissé dans l'eau et a été sectionnée par une des hélices du NGCC Earl Grey. On a alors mis à l'eau l'embarcation rapide de sauvetage du NGCC Earl Grey, et son équipage a tenté d'épisser le câble de remorquage avec des amarres descendues par le John I; les 2 navires dérivaient toujours vers les hauts-fonds. Lorsque l'échosondeur du NGCC Earl Grey a indiqué une profondeur de moins de 40 mètres d'eau, le capitaine du NGCC Earl Grey a mis fin à la tentative de remorquageNote de bas de page 11 et a conseillé au capitaine du John I de jeter l'ancre.
Le vraquier a jeté l'ancre de tribord vers 12 h 33, puis 5 minutes plus tard, l'ancre de bâbord. Toutefois, le navire a continué à dériver à cause du vent et s'est échoué sur les hauts-fonds Rose Blanche Shoals, vers 12 h 45, à la position 47°35,30′ N, 058°42,64′ O (annexe B). Les membres de l'équipage ont par la suite été évacués par un hélicoptère de recherche et sauvetage en mer (SAR).
À 16 h 10 le 15 mars, les opérations de recherche et sauvetage n'étant plus requises, le JRCC a cédé le cas à la Direction des interventions environnementales de la Garde côtière canadienne (GCC).
Le NGCC George R. Pearkes est arrivé sur les lieux vers 22 h pour prendre la relève du NGCC Earl Grey et surveiller le mouvement du John I qui avait été libéré des hauts-fonds par les vents et la marée. Le vraquier John I, qui chassait sur ses ancres, a coupé un câble à fibre optique appartenant à un fournisseur de service Internet haute vitesse de la Nouvelle-Écosse.
Le 16 mars, le remorqueur Ryan Leet est arrive sur les lieux à 6 h 16, suivi, le lendemain, des entrepreneurs embauchés pour préparer le remorquage du vraquier. À 8 h 20 le 20 mars, le remorqueur Atlantic Fir est arrivé sur place et les 2 remorqueurs ont commencé à remorquer le John I vers Argentia (Terre-Neuve-et-Labrador); les 3 navires sont arrivés à destination à 18 h 45 le 22 mars.
Aucune pollution n'a été signalée.
Avaries au bâtiment
La coque a subi des déchirures, des perforations et des traces de chocs. Les dommages se trouvaient principalement du côté bâbord du navire, approximativement entre le centre du navire et le couple 32, qui est situé à 5,6 mètres à l'arrière de la cloison avant de la salle des machines (annexe D). Les machines et les appareils électriques de la salle des machines installés sous la ligne d'eauNote de bas de page 12 étaient inutilisables.
Brevets et expérience du personnel
Tous les membres de l'équipage du John I possédaient les brevets appropriés pour les postes qu'ils occupaient à bord, émis par l'Egyptian Authority for Maritime Safety et conformes à la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (Code STCW)Note de bas de page 13.
Le capitaine détenait un brevet de capitaine sans restriction émis en février 2013. Il naviguait depuis 2002 et s'était joint à l'entreprise et au navire 9 mois avant l'événement. Il avait déjà navigué dans des eaux envahies par les glaces sur la mer d'Azov et la mer Noire.
Le chef mécanicien était titulaire d'un brevet d'officier mécanicien en chef sans restriction, émis le 3 février 2010. Il naviguait depuis 1997 et travaillait pour cette entreprise depuis 2005. Il possédait 4 ans d'expérience à titre de chef mécanicien et s'était joint au navire 6 mois avant l'événement.
Le second mécanicien avait un brevet d'officier mécanicien de deuxième classe sans restriction, émis le 14 novembre 2012. Il naviguait depuis 2001 et travaillait pour cette entreprise depuis 2006. Il possédait 2 ans d'expérience à titre de second mécanicien et s'était joint au navire 6 mois avant l'événement.
Le voyage en cause était le premier voyage du capitaine et du chef mécanicien en eaux canadiennes envahies par les glaces.
Certificats du navire
Les certificats et l'équipement du John I étaient conformes à la réglementation en vigueur. Le navire avait fait l'objet d'une inspection de la société de classification le 28 juillet 2010 au terme de laquelle on avait recommandé que le navire demeure dans la société. On avait mis en place à bord du navire un système de gestion de la sécurité (SGS), et l'entreprise détenait un document de conformité valide jusqu'au 14 décembre 2016. Le navire détenait un certificat de gestion de la sécurité émis le 14 octobre 2013 et valide jusqu'au 2 octobre 2018.
Information environnementale
Au moment de l'envahissement, vers 3 h 30 le 14 mars, le ciel était couvert et la température tout juste sous le point de congélation. Le navire a aussi signalé que la quasi-totalité des eaux étaient recouvertes de glace et que les vents dominants soufflaient du sud-ouest à une force 7 sur l'échelle de Beaufort. Après l'envahissement, les vents soufflaient principalement du nord-ouest, et le vraquier dérivait vers l'est.
Vers 7 h le 15 mars, le navire a signalé des vents du sud à 2 nœuds qui ont atteint 10 nœuds à 9 h. Le navire dérivait alors vers les hauts-fonds. Immédiatement avant l'échouement, vers 12 h 45, les vents soufflaient du sud-est entre 20 et 25 nœuds approximativement.
Les hauts-fonds Rose Blanche Shoals, qui se trouvent entre 0,5 et 1 mille marin au sud-ouest de la pointe de Rose Blanche, comprennent de nombreux rochers immergés à 4 à 6 mètres. À l'approche des hauts-fonds à partir du sud, le lit marin monte rapidement (la profondeur de l'eau passe de 100 à moins de 40 mètres sur une distance d'environ 500 mètres).
Navigation dans les eaux envahies par les glaces
Avec la publication du document intitulé Navigation dans les glaces en eaux canadiennesNote de bas de page 14, la CGC vise à aider les navires opérant dans les eaux envahies par les glaces partout au Canada. Le document donne aussi de l'information sur les lois et règlements, les services d'aide à la navigation, les dangers et les techniques de navigation dans les glaces. Le document indique notamment que « l'appareil propulsif et l'appareil à gouverner de tout navire devant naviguer dans les glaces doivent être fiables et capables de réagir rapidement aux ordres de manœuvre ». Il stipule aussi que « les crépines d'aspiration de la salle des machines doivent pouvoir s'enlever facilement et être maintenues exemptes de glace et de neige ».
TC publie aussi le document Mandatory Winter Navigation Information on Sea Water Cooling Types (en anglais seulement) destiné à tous les navires qui arrivent dans les eaux canadiennes; le document contient de l'information sur les règlements qui régissent la navigation dans les eaux envahies par les glaces. Ces règlements stipulent que les navires doivent être dotés d'un système qui empêche la formation de glace et d'obstructions dans le caisson de prise d'eau afin de garantir un débit d'eau de refroidissement continu. Le document comprend aussi la liste de vérification « Marine Safety Guide Checklist for Operation in Ice Infested Waters » (annexe E) qui compte 32 éléments et qui précise notamment
- que la prise d'eau de mer doit être maintenue à 20 °C, et
- que la vanne d'évacuation à la mer principale ne doit pas être ouverte de plus de 5 à 10 %.
Le point 25 de la liste précise que la vapeur ou l'air comprimé dirigés vers le caisson de prise d'eau ne préviennent pas l'accumulation de glace ou de bouillie de glace puisque la vapeur et l'air comprimé n'ont pas la capacité d'empêcher la formation de glace ou de bouillie de glace dans le caisson en service normal.
Depuis la saison 2011-2012, les navires qui naviguent à l'ouest de Les Escoumins sont tenus de remplir la liste de vérification de ce document, et de la retourner à TC. Avant d'entrer dans les eaux canadiennes, le capitaine du John I avait reçu le document Mandatory Winter Navigation Information on Sea Water Cooling Types de TC et avait rempli et retourné la liste de vérification sur la navigation dans les eaux envahies par les glaces, tel qu'exigé. Toutes les cases de la liste de vérification avaient été cochées (annexe E).
Circuit de refroidissement des machines
Les machines des navires fonctionnent à des températures élevées et sont dotées de circuits de refroidissement conçus pour protéger leurs pièces contre la surchauffe, car la surchauffe peut détériorer les propriétés mécaniques de certaines pièces et causer des pannes catastrophiques.
Les pièces mobiles de la machine principale du John I sont lubrifiées avec de l'huile lubrifiante et de l'eau douce traitée chimiquementNote de bas de page 15, pompées dans les passages internes de la machine pour refroidir, notamment, les cylindres et la culasse. La chaleur produite par les pièces de la machine est transférée à l'huile lubrifiante et à l'eau douce par processus de convectionNote de bas de page 16. Afin de dissiper la chaleur avant qu'elles ne recirculent dans la machine, l'eau douce et l'huile lubrifiante circulent dans des échangeurs thermiquesNote de bas de page 17 où la chaleur est transférée à de l'eau de mer qui y est aspirée, en conditions normales, du caisson de prise d'eau de mer supérieur ou inférieur. Les températures des circuits de refroidissement à l'eau douce ou à l'huile lubrifiante sont contrôlées par des vannes qui régulent la quantité d'huile lubrifiante et d'eau douce qui passent dans les échangeurs thermiques. Ces vannes sont actionnées manuellement ou automatiquement par un groupe de commandes thermostatiques.
Un examen du John I après l'événement a révélé que le circuit de refroidissement à l'eau de mer du navire (annexe C) était de type 4 et pouvait en plus acheminer l'eau de mer vers l'échangeur thermique par la pompe d'eau de mer, une fonction qu'on retrouve normalement sur les circuits de type 2. Par conséquent, en réglant le débit par la vanne à 3 voies (photo 3) et les autres vannes, l'eau de mer réchauffée à la sortie des différents échangeurs thermiques pouvait être
- directement retournée à l'aspiration de la pompe d'eau de mer principale,
- évacuée par-dessus bord, ou
- acheminée dans le caisson de prise d'eau de mer inférieur pour se mélanger à l'eau de mer aspirée afin de faire fondre la glace et la bouillie de glace.
L'examen après l'événement a aussi révélé que le réglage de la vanne à 3 voies du John I permettait à l'eau de mer chauffée quittant les différents échangeurs thermiques de la machine principale d'être partiellement évacuée par-dessus bord et partiellement retournée à l'aspiration de la pompe d'eau de mer.
Toujours selon cet examen, la vanne qui permettait la recirculation de l'eau de mer dans le caisson de prise d'eau de mer inférieur était fermée.
Le schéma des circuits de refroidissement à l'eau de mer principal et auxiliaire du navire indique que la vanne à 3 voies était asservie à des commandes thermostatiques. En mode automatique, les commandes thermostatiques détectent la température de l'eau de mer qui entre dans l'échangeur thermique puis transmettent des signaux à un actionneur qui règle la vanne à 3 voies afin de maintenir une température d'eau de mer préétablie. Selon le réglage de la vanne à 3 voies, l'eau de mer chauffée est automatiquement refoulée dans le circuit de refroidissement ou dans le caisson de prise d'eau de mer et la vanne d'évacuation à la mer.
Même si le siège de l'actionneur de la vanne à 3 voies était toujours en place au moment de l'événement, et que le schéma des circuits de refroidissement à l'eau de mer principal et auxiliaire du navire montre que la vanne est dotée d'un actionneur, ce dernier et ses composants avaient été retirés (photo 3). La vanne à 3 voies pouvait donc fonctionner seulement en mode manuel. On ne sait pas quand l'actionneur avait été retiré.
Mécanisme de fonctionnement du robinet à soupape du caisson de prise d'eau de mer inférieur
Sur le John I, le robinet à soupape d'équerre du caisson de prise d'eau de mer inférieur s'ouvre et se ferme à l'aide d'un engrenage. La rotation d'une grande roue fait monter et descendre la tige par 2 bagues accouplées qui forment une seule unitéNote de bas de page 18. La bague supérieure est en laiton et la bague inférieure est en acier (figure 1). La bague en laiton est pourvue d'un filetage interne pour la tige du robinet alors que la bague en acier est lisse. La tige et les bagues sont maintenues en place par un pont (fixé au robinet). La bague en acier est pourvue d'une bride qui retient le mécanisme de fonctionnement du robinet lorsqu'une force vers le haut est exercée sur le disque de soupape.
Après l'événement, on a constaté que les bagues en laiton et en acier étaient séparées. Le réassemblage des bagues a montré qu'elles ne s'emboîtaient pas correctement.
Les filets en laiton s'accouplaient avec les filets en acier seulement lorsque la bague en laiton était bien insérée dans la bague en acier. Les filets inférieurs de la bague en laiton étaient en mauvais état, mais le filetage des bagues n'était pas fausséNote de bas de page 19.
On a trouvé des résidus d'adhésif frein-filetNote de bas de page 20 sur les 2 bagues; cet adhésif était le seul moyen de prévenir le desserrage des bagues. On a aussi décelé une soudure préexistante sous la bride de la bague en acier (photo 4).
Indicateurs de position de la soupape
Les caissons de prise d'eau de mer inférieur et supérieur du circuit de refroidissement à l'eau de mer du John I sont chacun pourvus d'une soupape qui contrôle l'aspiration. Ces soupapes sont dotées d'une tige de commande allongée qui peut être actionnée par 3 roues à commande manuelle (une installée sur le caillebotis, une sur le deuxième pont et une sur le troisième pont, dans la salle des machines) (annexe D). À chaque endroit, la tige de commande allongée était munie d'un indicateur de position de la soupape qui montre si celle-ci est ouverte, fermée ou à une position médiane. Si les disques de soupape du caisson de prise d'eau de mer ne sont pas complètement fermés pour former un joint étanche, de l'eau de mer peut entrer dans le circuit de refroidissement par le pourtour du disque de soupape.
Chaque indicateur de position de la soupape était composé d'une plaque verticale permanente portant les marquages Open [ouvert] dans le haut et Closed [fermé] dans le bas. La plaque a une rainure verticale dans laquelle un indicateur fixé aux filets de la tige de commande allongée de la soupape se déplaçait vers le haut ou vers le bas pour indiquer la position du disque de soupape lorsque la tige de commande allongée tourne (figure 2). L'inspection après l'événement a révélé que la plaque verticale de l'indicateur de position de la soupape installé sur le caillebotis était cambrée vers l'extérieur, que l'indicateur était plié vers le haut et qu'il ne se trouvait plus dans la rainure de la plaque verticale permanente (photo 5).
Dans cet état, l'indicateur pouvait tourner librement dans la tige de commande allongée de la soupape et n'était pas déplacé de haut en bas par l'effet des filets de l'arbre, empêchant l'indication de la position du disque de soupape en service. On a décelé que les indicateurs de position des soupapes des caissons de prise d'eau de mer inférieur et supérieur étaient en mauvais état à 5 autres endroits, les rendant peu fiables (photo 6 et photo 7).
Système de gestion de la sécurité
L'Organisation maritime internationale (OMI) a adopté le Code international de gestion pour la sécurité de l'exploitation des navires (Code ISM)Note de bas de page 21, qui a pour objectifs d'assurer la sécurité en mer, de prévenir les blessures et les pertes de vies, et d'éviter les dommages à l'environnement. Le Code ISM exige que les entreprises documentent leurs méthodes de gestion, et définissent et stipulent par écrit les responsabilités du capitaine.
Le SGS de l'entreprise était daté du 29 août 2011 et approuvé par le directeur général. Le chapitre 7 du SGS de l'entreprise, qui traite de l'entretien, indique que l'entreprise a mis en place un programme d'entretien et d'inspection de routine. Le manuel fournit une liste des dispositifs et systèmes critiques, qui comprend les pompes d'eau de mer principales du circuit de refroidissement.
Le chapitre 12 (12.2.18) traite des mesures à prendre pour la navigation dans des eaux froides et indique que l'entreprise a fourni aux navires une liste de vérification sur les précautions générales à prendre pour la navigation par temps froid et neigeux et dans les eaux envahies par les glaces. La liste de vérification du John I comprenait bon nombre de précautions. La seule propre au circuit de refroidissement à l'eau de mer au cours de la navigation dans les eaux envahies par les glaces stipulait que [traduction] « les membres d'équipage devraient toujours se trouver dans la salle des machines pour remédier à toute accumulation de glace dans les circuits de refroidissement, s'il y a lieu ».
Le John I avait aussi à bord un manuel d'intervention d'urgence approuvé par la compagnie de gestion, daté du 25 avril 2013, et qui précisait que [traduction] :
Le capitaine a le pouvoir et la responsabilité première de prendre les décisions qui ont trait à la sécurité de la vie humaine, des biens et de l'environnement; les exigences, instructions ou conseils de la direction à terre ne doivent pas porter atteinte à l'autorité ou aux responsabilités du capitaine lorsque la sécurité ou la prévention de la pollution est en cause; le capitaine ne doit pas attendre d'autorisations pour agir.
Remorquage d'urgence au Canada
Lorsque des navires sont désemparés dans les eaux canadiennes, il incombe aux propriétaires de prendre des dispositions en vue d'un remorquage par un navire privé ou commercial. Toutefois, lorsqu'un navire désemparé met en péril des vies humaines ou l'environnement, la GCC évalue les risques et peut procéder à un remorquage.
Les remorquages d'urgence de la GCC sont gratuits. Avant d'effectuer un remorquage d'urgence, la GCC exige que le navire accepte une entente de remorquage qui décrit les risques de l'opération et exonère la CGC de toute responsabilité, et notamment des dommages causés au navireNote de bas de page 22.
Pouvoirs des responsables des interventions d'urgence
En vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (L.C. 2001), le ministre des Pêches et des Océans, de qui relève la GCC, peut « prendre les mesures qu'il estime nécessaires en vue de prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution... s'il a des motifs raisonnables de croire qu'un bâtiment rejette ou risque de rejeter un polluant »Note de bas de page 23. Le ministre peut en outre, dans le cas où il l'estime nécessaire, ordonner à toute personne ou à tout bâtiment de prendre ou ne pas prendre les mesures proposées. La GCC confie ces opérations à l'agent d'intervention environnementale de la Direction des interventions environnementales qui agira comme commandant sur place pour l'incident.
Conformément à la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, « dans le cas où il a des motifs raisonnables de croire qu'un bâtiment pourrait rejeter un polluant, l'agent d'intervention environnementale peut ordonner au bâtiment... de se diriger vers le lieu qu'il spécifie, par la route et de la manière qu'il précise et de s'amarrer à quai, de mouiller ou de rester à cet endroit pour la période raisonnable qu'il spécifie »Note de bas de page 24.
Les coordonnateurs de sauvetage du JRCC coordonnent les efforts de sauvetage, surveillent l'évolution des situations et, si nécessaire, font des recommandations aux navires en détresse. La Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada précise les pouvoirs des coordonnateurs de sauvetage du JRCC, notamment « donner les autres ordres qu'ils jugent nécessaires pour les opérations de recherche et sauvetage de la personne, du bâtiment ou de l'aéronef »Note de bas de page 25. Un coordonnateur peut ainsi ordonner à un navire d'en aider un autre dans le cadre des opérations de recherche et sauvetage, mais ne peut pas obliger un navire en détresse à accepter de l'aide, comme un remorquage.
Toujours en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, les inspecteurs de TC, au nom du ministre des Transports, ont le droit de donner des ordres à un navire dans les cas où ils ont des motifs raisonnables de croire que ledit navire pourrait rejeter ou pourrait avoir rejeté un polluant. Ils peuvent notamment « ordonner au bâtiment de se rendre, de la façon et par la route qu'ils spécifient, à l'endroit qu'ils précisent »Note de bas de page 26.
Dans l'événement à l'étude, le JRCC, la Direction des interventions environnementales de la GCC et TC ont été informés de la situation du John I et la considéraient comme une opération de recherche et sauvetage. Selon la politique de la GCC, aucune intervention environnementale n'est lancée avant la fin des opérations de recherche et sauvetage, c'est-à-dire « le moment où les personnes à bord du navire désemparé ont été transférées vers un lieu sécuritaire »Note de bas de page 27. Le NGCC Earl Grey, qui était sur place, participait à l'opération de recherche et sauvetage, mais aucun membre de l'équipage à bord n'avait les pouvoirs d'un agent d'intervention environnementale; l'intervention d'un agent d'intervention environnementale de la Direction des interventions environnementales de la GCC ou d'un agent de prévention de la pollution de TC n'a pas été demandée.
Incidents relatifs à des problèmes d'aspiration de l'eau de mer
La Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports n'exige pas la déclaration des incidents liés à des problèmes d'aspiration de l'eau de mer. Ces problèmes peuvent toutefois être signalés au BST de façon volontaire. Selon la base de données du BST, entre 2003 et 2013, 251 incidents du genre ont été signalés; le plus grand nombre de ces incidents, au total 35, ont été rapportés en 2009 et le moins grand nombre, soit 11, en 2013.
Rapports du laboratoire du BST
Le BST a complété le rapport de laboratoire suivant la présente enquête:
- LP 100/14 – Valve Examination [Examen des vannes]
Analyse
Événements ayant mené à l'envahissement par l'eau et à l'échouement
Envahissement par l'eau
Lorsque le John I est entré dans les eaux envahies par les glaces, le circuit de refroidissement à l'eau de mer n'était pas réglé pour faire circuler l'eau de mer réchauffée dans le caisson de prise d'eau de mer inférieur, où elle aurait fait fondre la glace et la bouillie de glace. La crépine d'eau de mer s'est bloquée ce qui empêchait la circulation de l'eau de mer entre le caisson de prise d'eau de mer inférieur et les différents échangeurs thermiques de la machine principale.
Afin de tirer de l'eau de mer de la citerne de ballast du coqueron avant pour refroidir les machines principale et auxiliaire, l'équipage a tenté de fermer le robinet à soupape d'équerre du caisson de prise d'eau de mer inférieur; mais le disque de soupape ne s'est pas complètement fermé. Ceci a probablement été causé par de la glace qui bloquait le mécanisme de fonctionnement de la soupape ou par le disque de soupape qui ne formait pas un joint étanche avec le siège (pour d'autres raisons comme l'usure, des dommages, un mauvais alignement, etc.). L'équipage ne savait pas que le disque de soupape n'était pas complètement fermé et n'avait aucun moyen visuel de confirmer que le disque était complètement fermé.
Lorsqu'on a enlevé le couvercle du boîtier de la crépine d'eau de mer pour retirer la glace de la crépine, la différence de pression a fait circuler l'eau dans la vanne partiellement ouverte. L'eau a rempli le boîtier de la crépine avant d'envahir la salle des machines. La tentative de serrer davantage la soupape du caisson de prise d'eau de mer inférieur au moyen de la clé en F a imposé des contraintes excessives au mécanisme de fonctionnement de la soupape et les bagues en laiton et en acier de la tige de commande de la soupape, dont l'emboîtement était déficient, se sont séparées. Une fois les bagues séparées, la pression de l'eau de mer a poussé le mécanisme de fonctionnement de la soupape (y compris le disque, la tige, la bague en laiton et l'engrenage solidaire) vers le haut, permettant à une plus grande quantité d'eau d'entrer dans la salle des machines. L'eau a envahi la salle des machines jusqu'à l'atteinte de l'équilibre avec la pression extérieure. Le capitaine a ordonné de couper l'alimentation électrique et le navire est parti à la dérive.
Échouement
Alors que le John I dérivait, le capitaine calculait la position du navire, mais la carte photocopiée et à petite échelle qui se trouvait à bord donnait peu de détails sur les dangers le long de la côte. En l'absence d'autres données de navigation, le capitaine ne savait pas que le lit marin montait rapidement et qu'il y avait des hauts-fonds le long de la côte vers laquelle son navire dérivait
À son arrivée sur les lieux, le navire de la Garde côtière canadienne (NGCC) Earl Grey a informé le capitaine du John I de la présence des hauts-fonds et lui a offert un remorquage. Toutefois, le capitaine craignant des coûts ou des demandes d'indemnisation pour sauvetage associés au remorquage, a choisi d'avoir de nombreux échanges avec la compagnie de gestion du navire à propos des prochaines mesures à prendre, ce qui a réduit le temps de réaction.
Le capitaine pouvait jeter l'ancre, mais n'était pas en mesure d'estimer la difficulté de cette manœuvre dans la zone en cause et dans les conditions météorologiques qui prévalaient à ce moment. Il ne connaissait pas non plus les limites de l'aide que pouvait lui fournir le NGCC Earl Grey.
Le NGCC Earl Grey et le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage (JRCC), sachant que le remorqueur Ryan Leet était retardé et que les vents poussaient le John I vers la côte, ont continué à presser le capitaine d'agir compte tenu de l'urgence de la situation. Ni Transports Canada (TC) ni la Direction des interventions environnementales de la Garde côtière canadienne (GCC), qui ont tous deux le pouvoir d'ordonner à un navire d'agir, y compris d'accepter l'offre de remorquage, n'ont été appelés à intervenir.
La réticence du capitaine à accepter le remorquage et la tentative de remorquage infructueuse ont fait en sorte que le navire était trop près des hauts-fonds et du lit marin escarpé pour tenter un second remorquage. Malgré le fait que le John I avait jeté ses ancres, il n'a pu éviter les hauts-fonds et s'est échoué.
Préparation à la navigation dans des eaux envahies par les glaces
Un navire qui navigue dans des eaux envahies par les glaces doit prendre des précautions spéciales, particulièrement en ce qui trait aux circuits de refroidissement à l'eau de mer des machines principale et auxiliaire. Sans mesures de prévention adéquates, des accumulations de glace et de bouillie de glace peuvent se former rapidement dans le circuit de refroidissement à l'eau de mer et entraîner la surchauffe et l'arrêt de la machine. Les membres de l'équipage doivent donc être conscients des dangers que l'eau froide, la glace et la bouillie de glace représentent pour le circuit de refroidissement à l'eau de mer et configurer le fonctionnement du circuit en conséquence.
Des éléments du voyage démontrent que l'équipage ne connaissait pas bien le circuit de refroidissement et n'avait pas bien préparé ce dernier pour la navigation dans les eaux envahies par les glaces :
- l'équipage n'a pas bien identifié le type de circuit de refroidissement à l'eau de mer du navire la première fois que TC lui a demandé cette information;
- l'eau de mer réchauffée qui quittait les différents échangeurs thermiques de la machine ne circulait pas vers le caisson de prise d'eau de mer inférieur pour y faire fondre la glace; et
- on a ouvert le robinet d'admission de vapeur du caisson de prise d'eau de mer inférieur afin de prévenir l'accumulation de glace et de bouillie de glace alors que les documents de TC indiquent que cette méthode n'est pas efficace.
Même si le capitaine avait indiqué que toutes les précautions liées à la navigation dans les eaux envahies par les glaces figurant sur la liste de vérification de TC avaient été prises, certaines mesures importantes relatives à la protection du circuit de refroidissement n'étaient pas en place. En outre, malgré le fait que le chef mécanicien avait créé une liste de vérification relative à l'utilisation du circuit de refroidissement à l'eau de mer, il a été impossible d'obtenir une copie de cette liste et donc d'établir si les consignes données étaient suffisantes pour prévenir les accumulations de glace. La vanne à 3 voies rejetait l'eau de mer réchauffée par-dessus bord, ce qui laisse croire que l'équipage n'a pas suivi la liste de vérification, que la liste de vérification ne comprenait pas toutes les précautions nécessaires ou que la liste de vérification donnait des instructions erronées.
Dans l'événement à l'étude, en raison de l'absence de mesures de prévention efficaces (eau de mer chauffée), la bouillie de glace et la glace se sont accumulées dans la crépine au cours des 4 heures suivant l'entrée du vraquier dans les eaux envahies par les glaces. Lorsqu'un équipage connaît mal la préparation et le fonctionnement du circuit de refroidissement à l'eau de mer du navire au cours de la navigation dans des eaux envahies par les glaces, les machines principales et auxiliaires risquent de surchauffer, entraînant une perte de propulsion ou d'alimentation électrique du navire.
Gestion de l'intervention d'urgence
Dans une situation d'urgence où la vie, les biens ou l'environnement sont menacés, les autorités doivent absolument prendre des décisions en temps opportun et miser sur la coordination pour bien gérer l'événement. Une mauvaise coordination des mesures d'intervention par les différentes autorités peut retarder des interventions critiques et aggraver les conséquences.
Dans une situation d'urgence, le capitaine est le plus apte à juger de l'état du navire, des conditions météorologiques et d'autres facteurs déterminants dans la prise des décisions. En fait, le manuel d'intervention d'urgence à bord du John I stipule que le capitaine a le pouvoir et la responsabilité première de prendre les décisions qui ont trait à la sécurité de la vie humaine, des biens et de l'environnement. Cependant, si des gestes ne sont pas posés dans les meilleurs délais, les autorités nationales, qui ont les pouvoirs requis pour prévenir la perte de vies humaines et les dommages matériels, doivent intervenir. Au nom du ministère des Pêches et des Océans, les agents d'intervention environnementale de la Direction des interventions environnementales de la GCC peuvent prendre les mesures qu'ils estiment nécessaires en vue de prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution s'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'un bâtiment risque de rejeter un polluant.
Dans l'événement à l'étude, même si le NGCC Earl Grey et le JRCC ont maintes fois répété l'importance de procéder au remorquage et l'urgence de la situation au John I, TC et la Direction des interventions environnementales de la GCC, soit les organismes qui possèdent les pouvoirs législatifs d'ordonner à un navire de prendre certaines mesures, n'ont pas été appelés et n'ont pas exercé ces pouvoirs. Alors que le JRCC tentait de convaincre le capitaine d'accepter le remorquage, une mission de recherche et sauvetage était en cours et, conformément à la pratique établie, le transfert de la responsabilité à TC ou à la Direction des interventions environnementales de la GCC s'est effectué seulement lorsque la mission de recherche et sauvetage a été terminée.
Dans l'événement à l'étude, le report de la manœuvre de remorquage a été l'une des causes de l'échouement. Le délai a été causé par la réticence du capitaine à accepter l'offre de remorquage et par la façon dont les autorités ont géré la situation.
Le JRCC participait à la mission de recherche et sauvetage et n'avait pas le pouvoir d'ordonner au capitaine du John I d'accepter le remorquage. La Direction des interventions environnementales de la GCC et TC, 2 entités qui ont le pouvoir de donner des ordres à un navire, n'ont pas participé activement aux premières étapes des opérations alors qu'il était clair que le temps de réaction était de plus en plus limité et que les risques environnementaux liés à l'échouement du navire augmentaient. Si tous les organismes responsables de la gestion d'une urgence ne sont pas appelés rapidement et ne travaillent pas de façon concertée, les mesures d'intervention risquent d'être limitées et la situation peut s'aggraver.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L'eau de mer réchauffée de l'échangeur thermique était à la fois évacuée par-dessus bord et retournée à la pompe alors qu'elle aurait dû être acheminée dans le caisson de prise d'eau de mer inférieur; la glace et la bouillie de glace ont ainsi bloqué la crépine d'eau de mer, et le navire a perdu ses capacités d'aspiration de l'eau de mer à partir du caisson de prise d'eau de mer inférieur.
- Lorsque l'équipage a tenté de fermer la soupape du caisson de prise d'eau de mer inférieur, le disque de soupape ne s'est pas complètement fermé probablement à cause de morceaux de glace coincés entre le disque et le siège de la soupape ou du disque de soupape qui ne formait pas un joint étanche avec le siège.
- Sans indicateur en bon état de marche, l'équipage n'avait aucun moyen visuel de confirmer que le disque de la soupape du caisson de prise d'eau de mer inférieur était complètement fermé.
- Les bagues en laiton et en acier de la tige de commande du robinet, dont l'emboîtement était déficient, se sont séparées lorsque le mécanisme de fonctionnement de la soupape du caisson de prise d'eau de mer inférieur a été soumis à des contraintes excessives au moment du serrage.
- La pression de l'eau de mer a poussé le mécanisme de fonctionnement de la vanne vers le haut, augmentant le débit de l'eau qui entrait dans la salle des machines. L'eau a envahi la salle des machines.
- La salle des machines étant envahie par les eaux, le capitaine a ordonné la coupure de l'alimentation électrique, et le navire est parti à la dérive.
- Le capitaine du John I n'a pas immédiatement accepté l'offre de remorquage du navire de la Garde côtière canadienne (NGCC) Earl Grey; il a plutôt choisi de discuter des prochaines mesures à prendre avec la GCC et la compagnie de gestion du navire, ce qui a retardé la tentative de remorquage.
- Une fois que le capitaine a accepté le remorquage, la première tentative d'installation du câble de remorquage à bord du John I par le NGCC Earl Grey a échoué. Par la suite, le vraquier était trop près des hauts-fonds pour tenter un second remorquage et, même après avoir jeté ses 2 ancres, le John I s'est échoué sur les hauts-fonds.
Faits établis quant aux risques
- Lorsqu'un équipage connaît mal la préparation et le fonctionnement du circuit de refroidissement à l'eau de mer du navire au cours de la navigation dans des eaux envahies par les glaces, les machines principales risquent de surchauffer, entraînant une perte de propulsion.
- Si tous les organismes responsables de la gestion d'une urgence ne sont pas appelés rapidement et ne travaillent pas de façon concertée, les mesures d'intervention risquent d'être limitées et la situation peut s'aggraver.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .
Annexes
Annexe A – Photographie de la carte transportée à bord du John I
Annexe B – Lieu de l'événement
Annexe C – Schéma simplifié du circuit de refroidissement du navire
Annexe D – Profil du John I jusqu'au couple 39
Nota : La ligne « Niveau de l'eau » indique le niveau d'eau dans la salle des machines après l'envahissement.