Rapport d'enquête maritime M17C0060

Accident d'amarrage
Vraquier Nord Quebec
Trois-Rivières (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 22 mai 2017, le second officier du vraquier Nord Quebec a été mortellement blessé au cours d'un accident d'amarrage tandis que le navire accostait au quai 16 du port de Trois-Rivières (Québec). Le navire n'a subi aucun dommage et aucune pollution n'a été signalée.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Tableau 1. Fiche technique du navire
    Nom du navire Nord Quebec
    Numéro OMI* 9612296
    Port d'immatriculation Singapour
    Pavillon Singapour
    Type Vraquier
    Matériaux Acier
    Jauge brute 22 850 tonneaux
    Longueur hors tout 177,85 m
    Tirant d'eau (d'été) 10,87 m
    Construction 2013, Onomichi Dockyard Company Ltd. (Japon)
    Propulsion 1 moteur diesel 2 temps à régime lent (8280 kW) entraînant une seule hélice à 5 pales à pas fixe
    Cargaison Aucune (ballast)
    Équipage 19
    Propriétaire enregistré Norden Shipping Singapore Pte Ltd. (Singapour)
    Gestionnaire Dampskibsselskabet Norden A/S (Danemark)

    *  Organisation maritime internationale

    Description du navire

    Le Nord Quebec (figure 1) est un vraquier à double coque avec un port en lourd (été) de 36 546 tonnes, équipé de 4 grues de bord électrohydrauliques de 30 tonnes. Il est fait d'acier et comporte 5 cales à marchandises. La salle des machines et les quartiers d'équipage se trouvent à l'arrière. Le navire est propulsé par un moteur diesel d'une puissance maximale continue de 8280 kW à un régime de 129 tours/minute. Il n'a pas de propulseur d'étrave.

    Figure 1. Nord Quebec (Source : Marc Piché)
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    Vraquier Nord Quebec

    Le poste d'amarrage avant se trouve sur le pont de gaillard d'avant. Les appareils d'amarrage de bâbord et de tribord sont de type combiné guindeau et treuil d'amarrage. Chacun comporte 2 tambours d'amarre (intérieur et extérieur), un guindeau pour la chaîne d'ancre, un tambour de halage (poupée de cabestan) à l'extrémité extérieure et des freins manuels à bandes de friction. Un seul moteur hydraulique à pistons radiaux à vitesse variable entraîne chaque appareil, et des embrayages à couronnes permettent à l'opérateur de sélectionner le composant à actionner. L'enquête a permis de déterminer qu'au moment de l'événement à l'étude, les appareils d'amarrage avant étaient en bon état de marche et ne présentaient aucun défaut apparent.

    Les amarres du Nord Quebec sont des cordages en mélange de polymères (polyoléfine et polyester haute ténacité) à 8 torons de 48 mm de diamètre approuvés par DNV GL et ayant une force de rupture minimale certifiée de 451 kilonewtons. Au moment de l'événement à l'étude, les 2 câbles utilisés comme gardes montantes de l'avantNote de bas de page 1 étaient en bon état et ne présentaient aucun défaut apparent.

    Déroulement du voyage

    Le 17 mai 2017, le Nord Quebec est parti en lest de Port Alfred (Québec) à destination du mouillage situé près de Trois-Rivières (Québec) pour subir une inspection préalable au chargement de grain.

    Le 22 mai, à 13 h 42Note de bas de page 2 , un pilote et 2 apprentis de la Corporation des pilotes du Saint-Laurent Central sont montés à bord du Nord Quebec et se sont postés à la passerelle de navigation pour accoster bâbord le long de la jetée au quai 16 du port de Trois-Rivières (annexe A). Le capitaine et le pilote ont effectué un échange formel d'information au cours duquel fut convenu la manœuvre d'accostage et le plan d'amarrage. À 14 h, les remorqueurs Ocean Bravo et Ocean Charlie ont été amarrés à la hanche et à l'épaule tribord du navire. L'ancre a été levée à 14 h 2. À ce moment, l'équipe à la passerelle était composée du pilote, des 2 apprentis, du capitaine, du premier officier et de 1 timonier.

    Le Nord Quebec a quitté la zone de mouillage et s'est dirigé vers l'amont à une vitesse moyenneNote de bas de page 3 de 1,6 nœud. À 14 h 36, le pilote a ordonné un changement de cap à tribord pour entrer dans le bassin où se trouvent les quais 14, 15 et 16 (annexe B). Tandis que le troisième officier était responsable du poste d'amarrage arrière, le second officier s'occupait du poste d'amarrage avant avec l'aide du maître d'équipage aux commandes du guindeau, ainsi que de 1 matelot pont et de 1 marin qualifié pont qui manipulaient les amarres sur le pont de gaillard d'avant. Le second officier, le troisième officier, le maître d'équipage et le capitaine communiquaient à l'aide de radiotéléphones portatifs à très haute fréquence (VHF).

    À 15 h, le navire était en approche finale, parallèle au quai de la section 16; sa vitesse a été réduite à 0,5 nœud, et les 2 remorqueurs ont reçu l'ordre de pousser la coque du navire. À 15 h 2, le capitaine a ordonné à l'équipe d'amarrage avant de déployer les 2 gardes montantes. Étant donné la taille du Nord Quebec et l'espace de manœuvre limité dans le bassin, l'équipe à la passerelle a décidé d'utiliser 2 gardes montantes de l'avant pour des raisons de sécurité et de redondance. Une équipe de 4 préposés aux amarres se trouvait sur le quai pour attraper les amarres avant et les placer sur les bittes d'amarrage conformément aux ordres du pilote transmis par radiotéléphone VHF. À 15 h 5, la première garde montante a été placée à terre; la seconde garde montante a été attachée par la suite à la même bitte d'amarrage sur le quai. Les 2 gardes montantes ont été tendues au moyen de l'appareil d'amarrage bâbord du navire, sur les tambours intérieur et extérieur, et passées dans différents chaumards sur la proue bâbord (figures 2, 3 et 4).

    Figure 2. Photo du Nord Quebec le long du quai 16 au port de Trois-Rivières (Québec) montrant la configuration d'amarrage et l'emplacement de la bitte d'amarrage, des chaumards et des gardes montantes de l'avant à la suite de l'événement à l'étude
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    Nord Quebec le long du quai16 au port de Trois-Rivières (Québec) montrant la configuration d'amarrage et l'emplacement de la bitte d'amarrage, des chaumards et des gardes montantes de l'avant à la suite de l'événement à l'étude
    Figure 3. Photo du Nord Quebec le long du quai 16 au port de Trois-Rivières (Québec) montrant la configuration d'amarrage et l'emplacement de la bitte d'amarrage, de la défense et des gardes montantes de l'avant à la suite de l'événement à l'étude
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    Nord Quebec le long du quai16 au port de Trois-Rivières (Québec) montrant la configuration d'amarrage et l'emplacement de la bitte d'amarrage, de la défense et des gardes montantes de l'avant à la suite de l'événement à l'étude
    Figure 4. Photo du Nord Quebec le long du quai 16 au port de Trois-Rivières (Québec) montrant la configuration d'amarrage sur le pont de gaillard d'avant et l'emplacement des chaumards et des gardes montantes de l'avant à la suite de l'événement à l'étude
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    Nord Quebec le long du quai16 au port de Trois-Rivières (Québec) montrant la configuration d'amarrage sur le pont de gaillard d'avant et l'emplacement des chaumards et des gardes montantes de l'avant à la suite de l'événement à l'étude

    Au cours de leur déploiement, les 2 gardes montantes ont d'abord été laissées lâches entre le quai et le navire. À 15 h 9, le pilote a avisé le capitaine que le Nord Quebec était en position. Le moteur principal était déjà arrêté. Le capitaine a ordonné au second officier de tendre les gardes montantes pour maintenir le navire en place. Le second officier a transmis cet ordre au maître d'équipage, et les 2 gardes montantes ont été tendues à l'aide de l'appareil d'amarrage bâbord, immobilisant ainsi le navire.

    Les 2 remorqueurs poussaient encore le navire pour le maintenir en contact avec les défenses en caoutchouc installées sur la paroi du quai. Les 2 câbles descendaient alors des chaumards de la proue du Nord Quebec et passaient horizontalement sous une des défenses en caoutchouc du quai avant de remonter à la bitte d'amarrage sur le quai.

    Les figures 5, 6 et 7 montrent en gros plan la défense en caoutchouc du quai et les gardes montantes coincées sous celle-ci. Les figures 6 et 7 sont des images fixes tirées d'une animation créée par le BST pour démontrer le déroulement de l'événement à l'étude; elles sont incluses uniquement à titre indicatifNote de bas de page 4 .

    Figure 5. Gros plan d'une défense en caoutchouc du quai
     
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    Gros plan d'une défense en caoutchouc du quai
    Figure 6. Illustration des gardes montantes coincées sous la défense
     
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    Illustration des gardes montantes coincées sous la défense
    Figure 7. Illustration de la disposition des gardes montantes les montrant coincées sous la défense
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    Illustration de la disposition des gardes montantes les montrant coincées sous la défense

    Tandis que la tension des gardes montantes augmentait, les préposés aux amarres ont entendu le bruit caractéristique des câbles synthétiques qui s'étirent. Les préposés aux amarres se sont aperçus que les amarres s'étaient coincées, de sorte qu'elles ne passaient pas directement des chaumards du navire à la bitte d'amarrage sur le quai comme elles l'auraient dû normalement. Le préposé aux amarres qui tenait le radiotéléphone VHF a signalé le problème au pilote, qui en a informé le capitaine.

    À 15 h 12, le capitaine a ordonné au second officier de régler le problème et de disposer correctement les gardes montantes. Le second officier, alors penché au-dessus de la rambarde bâbord du pont principal afin d'évaluer l'état des amarres, a dit au maître d'équipage de virer encore sur le treuil pour augmenter la tension sur les amarres.

    Le pilote a ordonné au remorqueur à l'avant de cesser de pousser, ce qu'il a fait à 15 h 13. Neuf secondes plus tard, la proue du Nord Quebec a commencé à se déplacer latéralement, s'écartant ainsi des défenses du quai. Un des préposés aux amarres sur le quai a crié en anglais au second officier de s'éloigner de la rambarde. Le second officier a reculé quelques secondes, mais il s'est repenché au-dessus de la rambarde pour observer le point de pincement des gardes montantes.

    À 15 h 14, les 2 gardes montantes se sont libérées de la défense et ont été projetées vers le haut dans un mouvement de fronde. La première amarre est montée bien au-dessus de la rambarde du Nord Quebec et a heurté le second officier sous le menton. Le second officier est tombé inconscient sur le pont principal.

    À 15 h 15, un des préposés aux amarres a composé le 911, et une ambulance a été assignée. Le garde de sécurité en service de l'administration portuaire a été informé de l'accident à 15 h 19. L'ambulance est arrivée à la barrière d'entrée du port à 15 h 23. Le garde de sécurité a commandé l'ouverture de la barrière 17 secondes plus tard.

    Entre 15 h 27 et 15 h 50, des pompiers locaux, d'autres ambulanciers paramédicaux et des équipes de police sont arrivés sur les lieux. Le second officier a été évacué du Nord Quebec à 15 h 56, et à 15 h 58, l'ambulance est partie vers l'hôpital local. À 18 h 18, le décès du second officier a été constaté.

    Conditions environnementales

    Le 22 mai, à 15 h, à Trois-Rivières (Québec), le vent soufflait à 4,9 nœuds du sud-sud-est (150°). La température de l'air était de 12,4 °C et l'humidité relative était de 88 %. Le ciel était couvert et la visibilité était de 8,7 milles marins.

    Certificats du navire

    Le Nord Quebec avait tous les certificats requis pour sa classe de navire et le voyage prévu. La plus récente inspection périodique (annuelle) avait été effectuée le 11 février 2017 par l'organisme reconnu par l'État du pavillon.

    Certification et expérience du personnel

    Le capitaine du Nord Quebec détenait un brevet de capacité de capitaine au long cours et avait depuis 2009 rempli les fonctions de capitaine à bord de différents navires. Il s'était joint à l'équipage du navire le 14 mai 2017. Il s'agissait de son troisième mandat pour cette compagnie et de son deuxième à bord du Nord Quebec.

    Le second officier détenait un certificat d'officier de quart à la passerelle délivré le 21 juillet 2015. Il s'était joint à l'équipage du Nord Quebec en décembre 2016 et était chargé du quart 12–4Note de bas de page 5 . L'enquête a permis de déterminer que le second officier n'était pas dans un état de fatigue au moment de l'événement à l'étudeNote de bas de page 6 . Le second officier avait obtenu une note parfaite au cours d'anglais maritime suivi à terre en octobre 2016, il parlait couramment anglais.

    Le pilote détenait un brevet de capacité de capitaine au long cours et avait obtenu un brevet de pilote de classe A de l'Administration de pilotage des Laurentides en 2010. Les 2 apprentis pilotes détenaient respectivement un brevet de capacité de capitaine au long cours et un brevet de capacité de capitaine, à proximité du littoral. Les 2 apprentis avaient obtenu un brevet de pilote de classe D de l'Administration de pilotage des Laurentides en 2016.

    Sécurité lors des opérations d'amarrage

    Le capitaine et le pilote avaient convenu que les remorqueurs seraient amarrés à la proue et à la hanche tribord du Nord Quebec et que lorsque le côté bâbord du navire serait assez proche du quai, les 2 gardes montantes seraient les premières envoyées à terre. Lorsque le navire s'est approché du quai 16 à Trois-Rivières, ce plan a été exécuté comme prévu.

    Système de gestion de la sécurité du navire

    Le chapitre 7 du Code international de gestion de la sécurité (Code ISM)Note de bas de page 7 stipule que les entreprises [traduction]

    devraient mettre en place des procédures de préparation de plans et de consignes, ainsi que des listes de contrôle, s'il y a lieu, pour les principales opérations à bord concernant la sécurité du navire et la prévention de la pollution. Les diverses tâches en jeu devraient être définies et assignées à un personnel qualifiéNote de bas de page 8 .

    Le système de gestion de la sécurité (SGS) du Nord Quebec répond à ces exigences dans son chapitre sur les opérations d'amarrageNote de bas de page 9 . Selon le SGS, l'équipage doit veiller à ce qu'une évaluation des risques, l'établissement des procédures de travail ainsi qu'une réunion d'équipe préparatoire aient été faites avant toute opération d'amarrageNote de bas de page 10 .

    Selon un registre de bord modifié et rempli le 25 mai, une évaluation des risques de l'amarrage avait été faite sur le Nord Quebec avant qu'il accoste le 22 mai. Ce registre indique que l'évaluation portait sur les risques des opérations d'amarrage, y compris les types de blessures possibles et leur probabilité, ainsi que les directives, les protections et les mesures de prévention à mettre en place. Cette évaluation des risques ne portait pas spécifiquement sur les quais du port de Trois-Rivières, mais le document cite, entre autres risques généraux, [traduction] « [l]es risques de blessures causées par des aussières rebondissant comme un fouet […] »Note de bas de page 11 .

    Après cette évaluation des risques, on estimait que les mesures d'atténuation mises en place avaient réduit le niveau de risque de majeur (niveau 7) à modéré (niveau 5)Note de bas de page 12 . Le document précisait qu'une réunion d'information en santé et sécurité avait eu lieu et que les résultats de l'évaluation des risques et de tous les dangers potentiels avaient été abordés avant les opérations d'amarrage. Il indiquait également que [traduction] « la ECR [salle de contrôle des machines]Note de bas de page 13 et tous les membres d'équipage concernés en ont été informés ». Tous les documents exigés par le SGS avaient été remplis et signés par le premier officier et le maître d'équipage.

    Formation et familiarisation

    En octobre 2016, le second officier avait terminé avec succès une formation à terre sur la sécurité personnelle et le leadership. Il avait suivi une formation et une séance de familiarisation sur la sécurité à son arrivée à bord du Nord Quebec. Les sujets abordés comprenaient le fonctionnement de l'équipement d'amarrage, la description des tâches et responsabilités du second officier ainsi que les ordres permanents du capitaine et du premier officier.

    Le second officier était à bord du navire depuis 6 mois; il connaissait bien l'environnement et toutes les procédures de travail de routine, comme les opérations d'amarrage.

    Politiques d'accès de l'administration portuaire

    Le Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (Code ISPS)Note de bas de page 14 est

    la base d'un régime de sûreté complet et obligatoire pour le secteur des transports maritimes internationaux. Le Code […] présente des prescriptions détaillées relatives à la sûreté maritime et à la sûreté portuaire auxquelles […] les autorités portuaires […] doivent impérativement adhérer afin d'être en conformité avec le Code. […] [Le] Code fournit un ensemble de recommandations sur les dispositions à prendre pour satisfaire aux prescriptions et obligations […]Note de bas de page 15 .

    L'application des dispositions du Code ISPS garantit la mise en place de mesures de sécurité maritime adéquates et proportionnelles à bord des navires et dans les ports. Les installations portuaires auxquelles s'applique le chapitre XI-2 du Code ISPS sont tenues de dresser et de tenir à jour un plan de sûreté de ces installations en fonction des résultats de leur évaluation de sûreté. Ces installations doivent également désigner des agents de sûreté. En collaboration avec le personnel de sûreté compétent des installations portuaires, ils établissent et mettent en œuvre des mesures de sûreté visant à prévenir l'accès non autorisé aux installations portuaires et à leurs zones réglementées, ainsi qu'aux navires qui y sont amarrés.

    Au Canada, les dispositions du Code ISPS relèvent d'une loiNote de bas de page 16 et d'un règlementNote de bas de page 17 . Ces exigences réglementaires s'appliquent au port de Trois-RivièresNote de bas de page 18 , qui est tenu de dresser et de suivre un plan de sûreté d'installations maritimes en consultation avec les fournisseurs de services d'intervention d'urgenceNote de bas de page 19 . Entre autres exigences, l'autorité portuaire doit surveiller et contrôler l'accès à ses installations.

    Au port de Trois-Rivières, toutes les zones visées par les dispositions du Règlement sur la sûreté du transport maritime sont clôturées. Des barrières de sécurité télécommandées limitent l'accès à ces zones, y compris au quai 16. Les barrières d'accès sont surveillées au moyen d'un système de caméras en circuit fermé et sont commandées depuis un bureau de sécurité et de réception à proximité, où est posté en permanence un garde de sécurité durant le jour. Au cours du quart de nuit, ce garde doit effectuer périodiquement des rondes de sécurité, en patrouillant les installations portuaires en véhicule motorisé. Si quelqu'un demande l'accès aux installations pendant ce temps, un système de communication vocale interne lui permet de parler au garde de sécurité. Ce dernier doit alors revenir en voiture au bureau de sécurité et de réception pour commander l'ouverture de la barrière, pouvant potentiellement entraîner un délai. Le même protocole s'applique à tous, y compris aux premiers répondants.

    Centre d'appels d'urgence 911

    Tous les appels d'urgence au 911 dans la région de Trois-Rivières sont acheminés à un centre de répartition exploité par une entreprise privée.

    Trente-cinq secondes après avoir reçu l'appel au 911 du préposé aux amarres sur le quai à proximité du Nord Quebec, le répartiteur a transféré l'appel aux services paramédicaux. Le répartiteur a fourni aux services paramédicaux la seule adresse enregistrée dans la base de données pour le quai 16 du port de Trois-Rivières, soit le 1545, rue du Fleuve. Cette adresse est celle des bureaux administratifs de l'administration portuaire, qui sont situés à environ 2 km des barrières d'accès au quai 16.

    Événements antérieurs

    Selon les données sur les accidents d'amarrage compilées par la mutuelle de protection et d'indemnisation UK P&I Club sur une période de 20 ans, les amarres se sont rompues dans 53 % des cas et ont sauté ou glissé dans 42 % des cas; des défaillances d'équipement expliquent les 5 % restants. UK P&I Club note en outre que [traduction] « bien que les blessures qui surviennent lors de l'amarrage soient la septième plus fréquente cause de blessures répertoriées par la mutuelle, elles se classent au troisième rang des coûts par réclamation, ce qui donne une indication du niveau de gravité qu'elles peuvent atteindreNote de bas de page 20  ». Enfin, UK P&I Club indique que 14 % des accidents d'amarrage compilés ont causé des décèsNote de bas de page 21 .

    Événements au Canada

    De 2007 à 2017, 24 événements (en comptant celui à l'étude) mettant en cause des opérations d'amarrage au Canada sur des navires battant pavillon canadien ou étranger ont été signalés au BST. Dans ces événements, 24 personnes ont subi des blessures graves, et 2 personnes ont subi des blessures mortelles. Dans 9 de ces événements, des amarres qui se sont rompues ont rebondi comme un fouet (phénomène appelé « coup de fouet »); dans 5 cas, des amarres sous tension ont réagi comme des frondes ou des catapultes; dans 10 cas, des membres d'équipage ont chuté, ont trébuché ou ont été écrasés au cours d'opérations d'amarrage.

    Voici un sommaire des événements au Canada mettant en cause des problèmes d'amarrage.

    Événement maritime M07C0060 du BST – Le 25 septembre 2007, lors de l'amarrage au mur de guidage de l'écluse 1 du canal Welland (Ontario), 2 membres d'équipage à bord du vraquier Canadian Olympic ont été heurtés à la tête par un câble d'amarrage en acier qui s'est rompue. Les 2 ont été gravement blessés.

    Événement maritime M08L0153 du BST – Le 31 octobre 2008, un membre de l'équipage du vraquier Algoisle a été mortellement blessé après avoir été heurté par une amarre lors du déplacement du navire le long du quai de Havre-Saint-Pierre (Québec). Un autre membre de l'équipage a été gravement blessé au cours de cet événement.

    Événement maritime M10L0115 du BST – Le 26 août 2010, un membre d'équipage à bord du porte-conteneurs Hanjin Montreal a été gravement blessé par une amarre rompue pendant que le navire accostait au port de Montréal (Québec).

    Événement maritime M12L0089 du BST – Le 18 juillet 2012, un membre d'équipage à bord du transporteur de produits/chimiquier Sarah Desgagnes a été gravement blessé lorsqu'une amarre s'est rompue pendant que le navire accostait au quai 87 du port de Québec (Québec).

    Événement maritime M14P0088 du BST – Le 12 mai 2014, un membre d'équipage à bord du vraquier Grand Future a été entraîné par-dessus bord par une amarre au cours de l'accostage au terminal de Roberts Bank à Delta (Colombie-Britannique). Ce membre d'équipage a heurté la jetée avant de tomber à l'eau et a subi de graves blessures.

    Événement maritime M15C0201 du BST – Le 30 novembre 2015, un membre d'équipage à bord du vraquier Mamry a été gravement blessé après avoir été heurté par une amarre qui s'est rompue lors de l'amarrage du navire dans l'écluse 6 du canal Welland (Ontario).

    Événements internationaux

    Plusieurs événements mettant en cause des complications lors de l'amarrage, comme celui à l'étude, ont été signalés sur la scène internationale.

    Le 2 mars 2015, un membre d'équipage à bord du transporteur de gaz naturel liquéfié (GNL) Zarga a subi des blessures graves après avoir été heurté par une amarre qui s'est rompue lors de l'accostage au terminal de GNL de South Hook à Milford Haven (Royaume-Uni). Entre autres constatations, la Marine Accident Investigation Branch (Direction des enquêtes sur les accidents maritimes) du Royaume-Uni a déterminé que : le membre d'équipage blessé se trouvait dans la zone de fouet des gardes montantes de l'avant; l'exploitant du navire et l'équipage avaient sous-estimé le risque de coup de fouet; les évaluations du risque de coup de fouet du navire ne prenaient pas bien en compte toutes les variables cruciales, comme les caractéristiques de chaque amarre. L'enquête a permis de déterminer qu'une évaluation adéquate du risque de coup de fouet aurait défini l'ensemble du pont avant du Zarga comme étant une zone de fouetNote de bas de page 22 .

    Depuis 2013, la Marine Accident Investigation and Shipping Security Policy Branch (la Direction des enquêtes sur les accidents maritimes et de la politique de sécurité sur le transport des marchandises) de Hong Kong a enquêté sur 4 accidents d'amarrage au cours desquels des membres d'équipage ont subi des blessures mortelles. Un de ces événements mettait en cause un navire étranger accostant dans les eaux de Hong Kong, tandis que les autres étaient survenus au cours d'opérations d'amarrage de navires battant pavillon hongkongais dans des eaux étrangèresNote de bas de page 23 .

    Le 10 septembre 2015, la garde montante de l'avant du vraquier Ocean Gold (immatriculé à Hong Kong) s'est coincée sous une défense d'un poste d'amarrage. Lorsque le navire s'est écarté légèrement de la défense, la tension sur la garde montante a fait décrocher l'amarre de la défense et l'a projetée vers un membre d'équipage. La garde montante a heurté un membre d'équipage au cou, le blessant mortellement. Entre autres constatations, l'enquête a déterminé qu'on n'avait pas rappelé comme il se doit au membre d'équipage de se tenir à l'écart de la zone de danger entourant une amarre sous tension au cours des opérations d'amarrageNote de bas de page 24 .

    Le 8 mars 2013, le navire de croisière Norwegian Jade battant pavillon bahamien finissait d'accoster, côté bâbord au quai, au port de Katakolo, dans le Péloponnèse (Grèce), lorsque la garde montante de l'avant s'est rompue; elle a alors fouetté un membre d'équipage se trouvant sur la plateforme d'amarrage, l'a entraîné par-dessus la rambarde et par-dessus bord, lui infligeant des blessures mortelles. Le Hellenic Bureau for Marine Casualties Investigation (le Bureau hellénique d'enquête sur les accidents de mer) a déterminé, entre autres constatations, que les plateformes d'amarrage du navire n'avaient pas été évaluées et désignées comme des zones de fouet. Le membre d'équipage se tenait donc dans une zone dangereuse lorsque l'événement est survenuNote de bas de page 25 .

    Entre 2007 et 2016, le Federal Bureau of Maritime Casualty Investigation (le Bureau d'enquêtes sur les accidents maritimes) de l'Allemagne a publié des rapports d'enquête sur 3 accidents de merNote de bas de page 26 au cours desquels des membres d'équipage ont subi des blessures graves et sur 2 accidents de mer très gravesNote de bas de page 27 au cours desquels des membres d'équipage ont subi des blessures mortelles. Dans les 5 cas, les amarres ont jailli comme un fouet après s'être rompues ou s'être coincées au cours des opérations d'amarrage, et ont heurté des membres d'équipageNote de bas de page 28 .

    Entre 2010 et 2017, la Marine Accident Investigation and Analysis Division (Division des enquêtes et de l'analyse des accidents maritimes) du Chili a publié des rapports d'enquête sur 2 accidents de mer graves au cours desquels des membres d'équipage ont été gravement blessés et sur 3 accidents de mer très graves au cours desquels des membres d'équipage ont subi des blessures mortelles. De ces 5 accidents d'amarrage, 4 ont été causés par un coup de fouet d'amarres qui se sont rompues et ont frappé des membres d'équipage.

    En 2010 et en 2012, le Dutch Safety Board (le Bureau de la sécurité des Pays-Bas) a enquêté sur 2 accidents d'amarrage qui se sont produits à bord de navires battant pavillon néerlandais et qui ont causé 2 décès et 1 blessure grave à un membre d'équipage. Dans les 2 cas, les amarres se sont rompues et ont fouetté les membres d'équipageNote de bas de page 29 Note de bas de page 30 .

    Entre 2007 et 2016, la Swedish Transport Agency (l'Agence suédoise des transports) a publié des rapports d'enquête sur 21 accidents liés aux opérations d'amarrage dans les ports du pays. De ces 21 événements, 8 ont été causés par des coups de fouet d'amarres qui se sont rompues, 6 par des amarres coincées et 7 par une chute ou un trébuchement ou par un choc subi par une personne participant aux opérations d'amarrage. Un décès et 20 blessures graves ont été provoqués par ces accidents.

    Analyse

    L'enquête a révélé que le second officier du Nord Quebec a été mortellement blessé par une des 2 gardes montantes qui se sont libérées brusquement après s'être coincées sous une des défenses en caoutchouc du quai 16 au port de Trois-Rivières.

    Facteurs ayant mené à l'accident

    Le Nord Quebec était en train d'accoster en lest au quai 16 du port de Trois-Rivières avec l'aide de 2 remorqueurs portuaires. Le second officier était responsable de la supervision de l'amarrage à l'avant du navire avec 3 autres membres d'équipage, ce qui était suffisant pour la tâche prévue. Le second officier n'était pas en état de fatigue et avait les compétences et l'expérience requises pour la tâche prévue. De plus, l'évaluation des risques et la réunion d'information en santé et sécurité requises avant l'accostage avaient eu lieu avec les membres de l'équipage concernés. Le capitaine et le pilote avaient discuté et convenu des manœuvres d'accostage et du plan d'amarrage.

    Le plan d'amarrage du navire n'était pas inhabituel; il suivait les pratiques maritimes standards : les 2 gardes montantes ont été les premières envoyées à terre. Toutefois, elles n'ont pas été tendues immédiatement, car le navire se dirigeait à basse vitesse vers la position requise par rapport à l'équipement de chargement des marchandises du quai. Lorsque le pilote a déterminé que le navire était en position, il fallait freiner son mouvement résiduel vers l'avant. Alors que les 2 remorqueurs maintenaient le navire contre le quai, on a tendu les gardes montantes pour immobiliser le navire. Il n'y avait pas d'espace entre la coque du navire et les défenses du quai pour que les gardes montantes puissent se tendre directement des chaumards du navire à la bitte d'amarrage sur le quai. C'est pourquoi les 2 gardes montantes se sont coincées sous les défenses en caoutchouc du quai.

    Alors que l'équipage tentait de libérer les 2 gardes montantes, le second officier s'est penché au-dessus de la rambarde du navire pour évaluer visuellement la situation; le haut de son corps s'est alors trouvé dans la zone de fouet des gardes montantes coincées. Le second officier s'est éloigné de la zone de fouet après un avertissement verbal de la part d'un des préposés aux amarres, mais il s'est peu après repenché au-dessus de la rambarde. L'enquête n'a pas permis de déterminer la raison pour laquelle le second officier est revenu dans la zone de fouet.

    Lorsque la coque du navire s'est éloignée de la défense en caoutchouc et que les gardes montantes se sont libérées, l'énergie emmagasinée dans les fibres synthétiques des amarres les a fait rebondir dans un mouvement de fronde le long du bordé extérieur latéral du Nord Quebec. La première garde montante a jailli au-dessus de la rambarde du pont principal, blessant mortellement le second officier.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Alors que le Nord Quebec était en train d'accoster au quai 16 du port de Trois-Rivières avec l'aide de 2 remorqueurs, ses 2 gardes montantes se sont coincées sous une des défenses en caoutchouc du quai.
    2. Le second officier s'est penché au-dessus de la rambarde du navire pour évaluer visuellement la situation; le haut de son corps s'est alors trouvé dans la zone de fouet des gardes montantes coincées.
    3. Le second officier s'est éloigné de la zone de fouet après un avertissement verbal de la part d'un des préposés aux amarres, mais il s'est peu après repenché au-dessus de la rambarde.
    4. Lorsque la coque du navire s'est éloignée de la défense en caoutchouc et que les gardes montantes se sont libérées, l'énergie emmagasinée dans les fibres synthétiques des amarres les a fait rebondir dans un mouvement de fronde le long du bordé extérieur latéral du Nord Quebec.
    5. La première garde montante a jailli au-dessus de la rambarde du pont principal, blessant mortellement le second officier.

    Autres faits établis

    1. Pendant la nuit, les barrières d'accès du port de Trois-Rivières sont laissées périodiquement sans surveillance lors des patrouilles de sécurité de routine, ce qui pourrait retarder l'accès des premiers répondants d'urgence aux installations et aux navires à ce moment.
    2. La seule adresse enregistrée dans la base de données de répartition du service 911 pour le port de Trois-Rivières était celle d'un endroit situé à 2 km des barrières d'accès du port.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Bureau de la sécurité des transports du Canada

    Le 18 janvier 2018, le BST a envoyé la Lettre d'information sur la sécurité maritime 01/18 à Transports Canada (TC), avec une copie à l'administrateur maritime de la République des Îles Marshall et à la Marine Accident Investigation Branch du Royaume-Uni, dans lequel il faisait état de diverses statistiques recueillies par le BST et d'autres États membres de l'Organisation maritime internationale (OMI). Celles-ci révélaient que de multiples décès liés à un amarrage étaient survenus dans le secteur maritime, tant au Canada qu'à l'étranger, ce qui démontrait la portée internationale des questions de sécurité entourant les opérations d'amarrage à bord des navires de la marine marchande. Le BST invitait TC, en tant que représentant du Canada à l'OMI, à communiquer cette information au Sous-comité de la conception et de la construction du navire (SDC) de l'OMI puisque ce dernier était chargé de proposer des changements au chapitre II-1, partie A-1, règle 3-8 (Équipement de remorquage et d'amarrage) de la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), de réviser les directives de la circulaire MSC.1/Circ.1175 relatives au matériel de remorquage et d'amarrage de bord, et de rédiger de nouvelles directives relatives à la sécurité des opérations d'amarrage applicables à tous les navires.

    Transports Canada

    Après avoir reçu la Lettre d'information sur la sécurité maritime 01/18, TC a assisté à la 5e session du sous-comité SDC de l'OMI, qui a eu lieu à Londres (Royaume-Uni) à la fin de janvier 2018. La délégation canadienne a fixé comme priorité de participer au groupe de travail sur la sécurité des opérations d'amarrage, avec 25 autres États membres de l'OMI et 13 organisations non gouvernementales. Par la suite, TC a transmis au BST un résumé des activités récentes de ce groupe de travail. Il convient de noter que le sous-comité SDC a mis la dernière main aux modifications de la règle II-1/3-8 de SOLAS. Pendant ce temps, le groupe de travail a mis au point les directives révisées de la circulaire MSC.1/Circ.1175 et les nouvelles directives sur l'inspection et l'entretien de l'équipement d'amarrage, sur la conception de dispositifs d'amarrage et sur le choix d'équipement et d'accessoires d'amarrage appropriés pour la sécurité des opérations d'amarrage. De plus, TC prévoit participer à un groupe de travail par correspondance pendant l'intersession pour peaufiner ces directives, étudier les modifications corrélatives à d'autres instruments pertinents de l'OMI et assister à la 6e session du sous-comité SDC en 2019.

    Dampskibsselskabet Norden A/S

    Après l'événement, Dampskibsselskabet Norden A/S a immédiatement envoyé une lettre d'information sur la sécurité à tous ses navires, et un bulletin de sécurité officiel a été distribué à toute la flotte peu après. Une campagne de sécurité axée sur l'évaluation des risques, y compris la préparation et l'exécution d'une évaluation des risques des opérations d'amarrage, a eu lieu dans l'entreprise. L'événement en cause a également été abordé lors du séminaire annuel 2017 des officiers de l'entreprise. De plus, le programme de formation informatisée de bord de l'entreprise comprend maintenant un chapitre consacré à l'amarrage.

    Transport Safety Investigation Bureau de Singapour

    Après l'événement, le Transport Safety Investigation Bureau (Bureau d'enquête sur la sécurité des transports) de Singapour a publié une circulaire de sécurité pour le secteur, dans laquelle il faisait ressortir les causes présumées de l'événement et rappelait aux intervenants du secteur le risque que des amarres causent des blessures graves, même sans se briser sous l'effet de la tension.

    Administration portuaire de Trois-Rivières

    L'Administration portuaire de Trois-Rivières a fait ajouter l'adresse de la principale barrière d'accès à ses installations (le 132, rue de la Commune) à la base de données de répartition du service 911 pour les services ambulanciers et des incendies.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

    Annexes

    Annexe A – Lieu de l'événement

    Annexe B – Vue aérienne du lieu de l'événement montrant le bassin où se trouvent les quais 14, 15 et 16 du port de Trois-Rivières (Québec), Canada

    Source : Google Earth, avec annotations du BST
    Image
    Vue aérienne du lieu de l'événement montrant le bassin où se trouvent les quais 14, 15 et 16 du port de Trois-Rivières (Québec), Canada