Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M21P0030

Naufrage avec pertes de vie
Remorqueur Ingenika et chaland Miller 204
Canal Gardner (Colombie-Britannique)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 10 février 2021, le remorqueur Ingenika, avec 3 membres d’équipage à bord, remorquait le chaland chargé Miller 204 dans le canal Gardner lorsque le remorqueur a coulé à environ 16 milles marins à l’ouest-sud-ouest de la baie Kemano (Colombie-Britannique). Le chaland a ensuite dérivé et s’est échoué à environ 2,5 milles marins au sud-ouest de l’endroit où le remorqueur avait coulé. L’opération de recherche et sauvetage a permis de retrouver 1 membre d’équipage survivant sur terre et de récupérer les corps des 2 autres membres d’équipage dans l’eau. Le chaland a été récupéré; le remorqueur n’a pas été retrouvé. Au moment de l’événement, le remorqueur avait 3500 L de carburant diesel dans des réservoirs à bord.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 Fiche technique des navires

    Tableau 1. Fiche technique des navires
    Nom du navire Ingenika Miller 204
    Numéro officiel 329577 802725
    Port d’immatriculation Vancouver (C.-B.) New Westminster (C.-B.)
    Pavillon Canada Canada
    Type Remorqueur Chaland
    Jauge brute 14,63 849,46
    Longueur 11,06 m 60,96 m
    Largeur 4,72 m 15,24 m
    Profondeur 1,65 m 2,80 m
    Année de construction 1968 1982
    Propulsion 2 moteurs diesel (526 kW au total) à hélices
    jumelles à pas fixe dans des tuyères Kort
    Non propulsé
    Équipage 3 s.o.
    Propriétaire enregistré et représentant autorisé Bates Properties Ltd. Bates Properties Ltd.
    Compagnie de gestion / d’exploitation Wainwright Marine Services Wainwright Marine Services

    1.2 Description des navires

    1.2.1 Ingenika

    L’Ingenika (figure 1) était un remorqueur à hélices jumelles dont la coque était en acier. Il avait un seul pont plat, une étrave élancée, une poupe arrondie et un bouchain vif. La coque était divisée par 2 cloisons étanches transversales. Ces cloisons séparaient les quartiers d’équipage, la salle des machines et la cambuse.

    La timonerie était logée dans une superstructure en aluminiumNote de bas de page 1 et affleurait le pont. La timonerie avait 2 portes extérieures étanches : 1 à bâbord et 1 à l’arrière. Il y avait des fenêtres coulissantes sur les côtés de la timonerie et 1 dans la porte arrière. L’une des fenêtres de tribord était normalement laissée partiellement ouverte pour assurer la ventilation d’une cuisinière située dans la timonerie.

    La timonerie était équipée des commandes du moteur principal et de la propulsion, d’un pilote automatique, d’un radar, d’un système de positionnement mondial, d’un radiotéléphone à très haute fréquence avec système d’appel sélectif numérique (VHF-ASN), de 2 appareils électroniques de visualisation des cartes marines et d’un système d’identification automatique (SIA) de classe BNote de bas de page 2. La timonerie contenait également un panneau d’alarme de la salle des machines.

    Figure 1. Photo et diagrammes (vues de profil et de dessus) de l’Ingenika (Source de la photo : tierce partie, avec annotations du BST. Source des diagrammes : BST)
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    Photo et diagrammes (vues de profil et de dessus) de l’Ingenika (Source de la photo : tierce partie, avec annotations du BST. Source des diagrammes : BST)

    Il y avait un autre poste de conduite sur le dessus de la timonerie. Un radeau de sauvetage pour 4 personnes et une radiobalise de localisation des sinistres (RLS) de catégorie 1 étaient rangés sur le dessus de la timonerie; le radeau de sauvetage se trouvait à l’avant et la RLS se trouvait à l’arrière, à bâbord. La RLS et le radeau de sauvetage étaient tous deux munis de largueurs hydrostatiques. Les largueurs hydrostatiques sont conçus pour s’activer automatiquement sous l’effet de la pression de l’eau lorsqu’ils sont submergés et pour libérer l’équipement de sauvetage afin qu’il flotte librement.

    Une écoutille étanche dans la timonerie s’ouvrait sur une échelle permettant de descendre dans les quartiers d’équipage, situés dans le gaillard d’avant. Les quartiers d’équipage étaient également dotés d’une écoutille d’évacuation avec hiloire qui donnait sur le pont à l’avant de la timonerie. Il y avait 3 couchettes dans les quartiers : 2 à tribord et 1 à bâbord.

    On accédait à la salle des machines depuis le pont par une écoutille rectangulaire munie d’une hiloire. Deux fentes avaient été découpées dans le panneau d’écoutille, et du plexiglas avait été boulonné au-dessus des fentes pour faire office de claire-voie. La salle des machines était équipée d’un système de ventilation forcée ainsi que d’évents d’échappement situés à l’arrière de la timonerie (figure 2). Les clapets des évents d’échappement étaient situés à côté de leurs évents respectifs. Pour fermer les évents d’échappement, il fallait placer manuellement les clapets sur les évents et les fixerNote de bas de page 3. Le bord inférieur des évents d’échappement se trouvait à environ 1 m du pont. Lorsque les ouvertures du pont étaient bien fermées, les évents d’échappement ouverts constituaient le point d’envahissement le plus bas du remorqueur.

    Figure 2. Vue de l’arrière de l’Ingenika montrant les évents d’échappement de la salle des machines (Source : tierce partie, avec annotations du BST)
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    Vue de l’arrière de l’Ingenika montrant les évents d’échappement de la salle des machines (Source : tierce partie, avec annotations du BST)

    L’Ingenika était muni d’un treuil de remorquage électrohydraulique à un seul tambour situé à l’arrière de la timonerie. Le treuil était équipé d’un câble de remorquage en acier de 350 m et d’un diamètre approximatif de 22 mm. Il y avait 3 endroits sur le remorqueur à partir desquels on pouvait desserrer le frein du treuil pour interrompre le remorquage ou filer le câble de remorquage : localement au treuil, de l’intérieur de la timonerie ou du dessus de la timonerie. Le remorqueur était équipé de guides rétractables de câble de remorquage manuels qui pouvaient être montés sur le tableau arrière. Ils n’étaient pas utilisés au moment de l’événement.

    Le navire avait fait l’objet d’une modernisation à mi-vie entre juillet 2019 et mai 2020, au cours de laquelle les 2 moteurs principaux ont été remplacésNote de bas de page 4. Les nouveaux moteurs principaux ont été reliés aux boîtes d’engrenages existantes. Les batteries ont également été remplacées, et le système électrique a été modernisé. Les batteries étaient situées dans la salle des machines, dans des boîtes couvertes et ventilées. Elles alimentaient le projecteur du navire, le SIA et le radiotéléphone VHF.

    1.2.2 Miller 204

    Le Miller 204 (figure 3) est un chaland de transport de cargaison en pontée fait en acier soudé. Il a une étrave et une poupe inclinées, des bouchains ronds menant à un fond plat, ainsi que 2 crosses situées à l’arrière. Le chaland possède une rampe arrière articulée et des bittes doubles situées à l’avant et à l’arrière sur les côtés bâbord et tribord du pont, ce qui permet de remorquer le chaland de l’une ou l’autre des extrémités.

    Figure 3. Chaland échoué avec sa cargaison (Source : tierce partie)
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    Chaland échoué avec sa cargaison (Source : tierce partie)

    1.3 Déroulement du voyage

    Le 10 février 2021, l’Ingenika devait remorquer le Miller 204 de Kitimat (Colombie-Britannique) à Kemano (Colombie-Britannique). Le Miller 204 était affrété par un entrepreneur de Kemano qui utilisait le chaland pour transporter de l’équipement et des fournitures de construction.

    Vers 8 hNote de bas de page 5 le 10 février, le capitaine et le matelot de pont 1 (MP1) se sont rencontrés à Prince Rupert (Colombie-Britannique) et ont fait le voyage d’environ 2 heures en voiture jusqu’à Kitimat, où l’Ingenika était amarré. Le matelot de pont 2 (MP2) les a rejoints à Kitimat, après avoir voyagé de Terrace (Colombie-Britannique), un voyage d’environ 1 heure en voiture.

    L’équipage est monté à bord de l’Ingenika vers midi. Le MP2, qui en était à son 1er voyage sur l’Ingenika, a accompagné le MP1 pendant que ce dernier effectuait les vérifications avant le départ. Le MP1 s’est acquitté des tâches énumérées sur la liste de vérification avant le départ, notamment le débranchement de la connexion électrique sur le quai et la vérification visuelle de la salle des machines et de la cambuse, y compris les cales. Ne trouvant aucun problème, il a démarré les moteurs principaux.

    À 15 h 04, l’Ingenika s’est dirigé vers les lieux de chargement. Le câble de remorquage de l’Ingenika a été relié aux bittes de la poupe du Miller 204 à l’aide de pattes d’oie en corde synthétique, et le chargement a commencé. Pendant le chargement du chaland, le capitaine de l’Ingenika a discuté du mauvais temps avec le propriétaire/capitaine d’une autre compagnie de remorquage. Le capitaine de l’Ingenika a également vérifié les prévisions météorologiques sur son téléphone cellulaire en utilisant l’application météorologique WindyNote de bas de page 6. Le radiotéléphone VHF de l’Ingenika était réglé sur le canal qui diffuse les prévisions météorologiques maritimes d’Environnement Canada.

    À 15 h 05, le capitaine a appelé le bureau de Wainwright Marine Services à partir de son téléphone cellulaire, sans toutefois obtenir de réponse. À 15 h 10, le propriétaire de Wainwright Marine Services a appelé le téléphone cellulaire du capitaine et a eu une conversation avec le capitaine qui a duré 2 minutes. Au cours de cette conversation, ils ont discuté des conditions météorologiques et d’un voyage précédent au cours duquel un autre remorqueur de la compagnie, le CadalNote de bas de page 7, avait été utilisé pour remorquer le Miller 204 dans des conditions météorologiques défavorables. À 15 h 13, le capitaine a également appelé chez lui.

    À 15 h 37, le chargement du chaland était terminé. Le chaland transportait plusieurs remorques contenant de l’équipement lourd et de la poudre de ciment en vrac, des véhicules avec environ 1100 L de carburant diesel, 6,5 tonnes d’acide sulfurique dans 3 remorques-citernes, et 3 semi-remorques chargées avec de la nourriture pour Kemano. Le tirant d’eau moyen du chaland a été estimé à 0,9 m, et son déplacement a été estimé à 2300 tonnesNote de bas de page 8.

    Peu après, l’Ingenika a quitté Kitimat en remorquant le Miller 204. Le capitaine en a informé les Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Prince Rupert. Environ 305 m de câble de remorquage ont été filés au moment du départ.

    Après le départ, le capitaine et les 2 matelots de pont sont restés dans la timonerie. Le remorqueur était en mode de pilotage automatiqueNote de bas de page 9 sur un cap sud-sud-ouest, et le capitaine a augmenté progressivement la vitesse à 8,9 nœuds. Le capitaine a ensuite confié le quart à la passerelle au MP2 alors que le MP1 supervisait le MP2. Pendant que le MP2 assurait le quart, le MP1 l’a familiarisé avec l’équipement de navigation, de communication et de sécurité qui se trouvait dans la timonerie.

    Vers 16 h 20, alors que le remorqueur était adjacent à l’île Coste (figure 4), la couverture cellulaire a été perdueNote de bas de page 10. À ce moment-là, les vagues atteignaient environ 1 m et se déplaçaient vers le sud, dans la même direction que le remorqueur. Le capitaine a utilisé le radiotéléphone VHF pour informer les SCTM que le navire devrait être à la pointe Staniforth (figure 4) vers 19 h 30. Peu après l’appel, le capitaine est allé se reposer sur sa couchette dans les quartiers.

    Figure 4. Carte marine, carte marine en médaillon et carte en médaillon indiquant le lieu de l’événement (Source de la carte marine et de la carte marine en médaillon : Service hydrographique du Canada, avec annotations du BST. Source de la carte en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST)
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    Carte marine, carte marine en médaillon et carte en médaillon indiquant le lieu de l’événement (Source de la carte marine et de la carte marine en médaillon : Service hydrographique du Canada, avec annotations du BST. Source de la carte en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST)

    Vers 19 h, le capitaine est retourné à la timonerie et a soupé. Après le souper, le capitaine et le MP2 ont pris le quart pendant que le MP1 soupait. À ce moment-là, la vitesse du remorqueur était de 7,3 nœuds et l’état de la mer restait inchangé par rapport à celui observé plus tôt dans le voyage.

    À 19 h 15, le capitaine a avisé les SCTM que l’Ingenika avait atteint la pointe Staniforth et qu’il allait interrompre la communicationNote de bas de page 11. Le remorqueur faisait route vers le sud-sud-est à une vitesse de 5,8 nœuds. À 19 h 19, le capitaine a appelé le bureau de Wainwright Marine Services à l’aide d’un téléphone satellite. Le numéro du bureau a été acheminé au répartiteur de la soirée, qui était le propriétaire. Le capitaine a informé le propriétaire que le remorqueur et le chaland étaient sur la bonne voie pour atteindre Kemano comme prévu et que les conditions météorologiques étaient acceptables. Le remorqueur faisait route vers le sud-sud-est à une vitesse de 6 nœuds. Après le souper, le MP1 s’est retiré dans les quartiers et s’est allongé sur la couchette tribord pour se reposer. À ce moment-là, le remorqueur avait commencé à bercer dans les vagues.

    Alors que le remorqueur passait devant l’île Rix, sa vitesse s’est mise à fluctuer et à diminuer. À 21 h 52, alors que le remorqueur et le chaland contournaient la pointe Europa, la vitesse du remorqueur a baissé à moins de 1 nœud (figure 4, 1re baisse de vitesse). Le remorqueur a repris un peu de vitesse, mais à 22 h 13, sa vitesse a baissé de nouveau à moins de 1 nœud (figure 4, 2e baisse de vitesse). Le remorqueur a ensuite suivi une trajectoire est-nord-est, la vitesse continuant à fluctuer entre 0,6 et 3,1 nœuds.

    À un moment donné, il y a eu une forte détonation et le MP1, qui se reposait sur la couchette, a été soudainement projeté contre le côté tribord de la coque. Lorsqu’il s’est relevé, il a dû se tenir en équilibre, car le remorqueur était gîté à tribord d’environ 30°. Peu après, le MP2 a ouvert le panneau d’écoutille menant aux quartiers (figure 5) et a demandé au MP1 de lui passer les combinaisons d’immersion.

    Figure 5. Vue de la timonerie montrant l’écoutille menant aux quartiers (Source : tierce partie, avec annotations du BST)
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    Vue de la timonerie montrant l’écoutille menant aux quartiers (Source : tierce partie, avec annotations du BST)

    Le MP1 a récupéré 3 combinaisons d’immersion dans un casier des quartiers et les a remises au MP2, une par une puisqu’elles étaient encombrantes.

    Le MP1, vêtu d’un pantalon de pyjama et d’une chemise à manches longues, a quitté les quartiers et a grimpé l’échelle jusqu’à la timonerie. L’échelle était inclinée en raison de la gîte à tribord du navire. Alors que le MP1 gravissait l’échelle, le capitaine lançait un appel Mayday à l’aide du radiotéléphone VHF et enfilait une combinaison d’immersion. Le MP2 enfilait également une combinaison d’immersion. Les moteurs du remorqueur ne tournaient plusNote de bas de page 12. La dernière transmission du SIA du remorqueur a été enregistrée à 23 h 11 min 27 s. À ce moment-là, l’Ingenika se trouvait dans la passe Europa à la position 53°25.89′ N, 128°29.4′ W, à environ 16 milles marins (NM) de Kemano (figure 4).

    Lorsque le MP1 a atteint la timonerie, la poupe et le côté tribord du pont étaient inondés. Peu après, l’eau a commencé à pénétrer dans la timonerie. À mesure que l’eau pénétrait dans la timonerie, le sac contenant la combinaison d’immersion du MP1 a flotté vers le côté tribord de la timonerie.

    Alors que le MP1 récupérait sa combinaison d’immersion, l’eau avait atteint le niveau du seuil de la porte de bâbord. Peu après, le capitaine a ordonné à l’équipage d’abandonner le navire. Sans avoir le temps d’enfiler sa combinaison d’immersion, le MP1 a ouvert la porte de bâbord, est entré dans l’eau et s’est éloigné du navire à la nage. Le capitaine et le MP2 ont suivi le MP1 et ont nagé sur une courte distance jusqu’à l’endroit où se trouvait le MP1, non loin du remorqueur. À ce moment-là, le chaland n’était pas visible près de l’équipage du côté bâbord du remorqueur.

    Le capitaine et le MP2 ont flotté sur le dos dans leur combinaison d’immersion. Le MP1 s’est accroché brièvement au MP2 et lui a dit qu’il s’accrochait à lui parce qu’il ne portait pas de vêtement de flottaison. Le MP2 lui a fait savoir qu’il avait compris.

    Alors que le remorqueur continuait de couler par l’arrière, le dessus de la timonerie est arrivé au ras de l’eau. Le MP1 a lâché le MP2 et a nagé sur 5 à 10 m vers le radeau de sauvetage qui était toujours attaché au navire. Il a tenté de défaire les sangles qui fixaient le radeau de sauvetage à son berceau, mais les sangles étaient gelées et recouvertes de glace. Le MP1 est retourné à la nage vers le capitaine et le MP2. Il s’est accroché au capitaine et a expliqué qu’il n’avait pas de vêtement de flottaison. Le capitaine lui a fait savoir qu’il avait compris. Le MP2 a commencé à s’éloigner à la dérive du capitaine et du MP1.

    Peu après le naufrage du remorqueur, le largueur hydrostatique du radeau de sauvetage s’est activé. Le radeau de sauvetage s’est déployé et s’est gonflé environ 20 secondes plus tard. Il a flotté à environ 20 m du MP1 et du capitaine. Le MP1 a nagé vers le radeau de sauvetage et l’a atteint au bout de quelques minutes. Le capitaine a lancé un cri au MP1 alors que ce dernier montait à bord du radeau de sauvetage. Le MP1 a crié au capitaine et au MP2 de le rejoindre, mais ils n’ont pas répondu. Le MP1 a actionné périodiquement les fusées éclairantes du radeau de sauvetage pour lancer un appel à l’aide. Après avoir dérivé pendant environ 30 à 40 minutes, le radeau de sauvetage a atteint le rivage. Le MP1 a débarqué sur la rive pour s’abriter dans la forêt.

    1.3.1 Recherche et sauvetage

    Le 10 février à 23 h 43, le Centre conjoint de coordination de sauvetage (JRCC) de Victoria a reçu un signal d’activation de RLS en provenance de 53°25.8′ N, 128°29.5′ W, soit environ 0,1 NM au sud-sud-ouest du dernier signal du SIA de l’Ingenika. Le JRCC a déterminé que le signal de la RLS venait de l’Ingenika et a relayé ce renseignement aux SCTM. Les SCTM ont alors tenté à plusieurs reprises de communiquer avec le navire, sans toutefois recevoir de réponse. Le JRCC a dépêché les ressources de recherche et sauvetage (SAR) à la passe Europa.

    À 2 h 50, les ressources SAR sont arrivées à la passe Europa et ont commencé à fouiller le secteur. À 3 h 27, elles ont localisé le Miller 204. Il était échoué à environ 4 NM à l’ouest-sud-ouest de la passe Europa. Le câble de remorquage était toujours attaché au chaland, mais il traînait dans l’eau et n’était plus attaché au remorqueur. La majeure partie de la cargaison du chaland s’était déplacée vers le côté tribord.

    À 8 h 58, les ressources SAR avaient retrouvé les corps du MP2 et du capitaine. Le corps du MP2 a été retrouvé à environ 3 NM à l’ouest de la passe Europa, et le corps du capitaine a été retrouvé du côté est de l’île Rix. Près de l’île Rix, les ressources SAR ont également trouvé une bouée de sauvetage, 2 gilets de sauvetage standard et un gilet de sauvetage gonflable. La RLS du remorqueur a été localisée près de la position du chaland échoué.

    À 9 h 04, les ressources SAR ont localisé le MP1 et le radeau de sauvetage sur la terre ferme, à environ 1 NM à l’ouest de la dernière position du SIA du remorqueur. Le MP1 a été transporté aux services de santé d’urgence à Kitimat, où il a été hospitalisé et a reçu des soins pour hypothermie et engelures.

    Le 15 février, le chaland s’est dégagé pendant une marée haute. Le câble de remorquage a été coupé et le chaland a été remorqué jusqu’à Prince Rupert. L’examen ultérieur du câble de remorquage effectué par le BST a permis de déterminer qu’il présentait de légers dommages et des plis, mais qu’il ne montrait aucun signe de rupture sous tension.

    À l’endroit où l’événement s’est produit, l’eau avait une profondeur d’environ 200 m. Malgré les efforts déployés par divers organismes fédéraux à la suite de l’événement, l’Ingenika n’a pas été retrouvé.

    1.4 Voyages antérieurs

    Le voyage à l’étude était le 4e voyage effectué en février dans le cadre du même affrètement, l’Ingenika et le Miller 204 ayant déjà effectué des voyages les 1er, 3 et 5 février (tableau 2). Le capitaine dans l’événement à l’étude était également le capitaine lors de ces 3 voyages antérieurs. La durée moyenne des trajets de l’Ingenika entre Kitimat et Kemano lors de ces voyages antérieurs où il avait remorqué le Miller 204 était d’environ 10 heures. Le remorqueur était habituellement en mode de pilotage automatique pendant toute la durée du voyage. Le chargement du chaland était effectué à la discrétion de l’entrepreneur en fonction des exigences opérationnelles. Les poids chargés sur le chaland lors des voyages antérieurs avaient varié.

    Tableau 2. Comparaison des vitesses de transit et des prévisions météorologiques entre les voyages antérieurs et le voyage à l’étude
    Date Vitesse de transit à la pointe Staniforth (nœuds) Vitesse de transit à Shearwater Hot Springs Conservancy (nœuds) Vitesse de transit à l’endroit de la 1re baisse de vitesse le 10 février (nœuds) Vitesse de transit à l’endroit de la 2e baisse de vitesse le 10 février (nœuds) Vitesse de transit à l’endroit où le signal du SIA a été perdu le 10 février (nœuds) Prévisions de la vitesse (nœuds) et de la direction du vent
    2021-02-01 6,3 5,3 4,9 4,3 5,1 15-25 NE
    2021-02-03 4,8 5,3 5,8 5,2 5,3 10-20 NE
    2021-02-05 6,3 7 6,6 6,7 6,5 15 NW
    2021-02-10 (voyage à l’étude) 5,83 1,75 0,97 0,39 1,55 35-45 NE

    La route suivie lors du voyage à l’étude était similaire à celle suivie lors des voyages antérieurs (figure 6).

    Figure 6. Comparaison de la route suivie lors du voyage à l’étude avec les routes suivies lors des voyages antérieurs (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
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    Comparaison de la route suivie lors du voyage à l’étude avec les routes suivies lors des voyages antérieurs (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

    À d’autres occasions, surtout par mauvais temps, le chaland avait ralenti la vitesse de l’Ingenika. À ces occasions, le câble de remorquage avait parfois dévié de l’axe du remorqueur, surtout lorsque le remorqueur et le chaland effectuaient un virage. Lorsque cela se produisait, l’équipage manœuvrait généralement le remorqueur de façon à ce que le chaland soit derrière lui. Il était également arrivé que l’équipage désactive le mode de pilotage automatique du navire et qu’il le gouverne manuellement pour réduire l’embardée du remorqueur. À l’occasion, le câble de remorquage était également filé pour maintenir la maîtrise du chaland.

    1.5 Blessures et morts

    La cause de la mort du capitaine et du MP2 est la noyade. Le MP1 a reçu des soins à l’hôpital pour hypothermie et engelures.

    1.6 Avaries aux navires

    L’Ingenika a coulé et n’a pu être localisé. Le Miller 204 a subi des dommages aux sections de sa coque en raison de son choc contre le rivage lors de vents violents.

    1.7 Conditions environnementales

    Les données météorologiques pour la zone précise de l’événement dans la passe Europa sont limitées. La passe Europa est un fjord naturel où les conditions peuvent changer considérablement et rapidement. Les prévisions et les conditions présentées ci-dessous sont fondées sur les données météorologiques recueillies disponibles dans les endroits les plus près.

    Le 10 février, les prévisions météorologiques pour le chenal Douglas, émises à 4 h et en vigueur jusqu’à 21 h 28, indiquaient des coups de vent et des embruns verglaçants avec des vents sortants du nord-est de 35 à 45 nœuds. Des périodes de neige et des températures descendant jusqu’à −7 °C étaient également prévues. Les vents dans la baie Kemano devaient venir du nord à 30 nœuds, avec des rafales pouvant atteindre 40 nœuds.

    Entre 0 h 01 et 2 h 50 le 11 février, la température de l’air dans les environs de la pointe Europa était de −9 °C avec un refroidissement éolien de −24. Les vents soufflaient entre 40 et 50 nœuds. Il y avait des embruns verglaçants et des vagues de 1 à 2 m, espacées de 3 m environ. La température de l’eau était d’environ 5 °C. Il n’y avait pas d’éclairage ambiant, le ciel était dégagé et la visibilité était bonne.

    La marée basse dans la baie Kemano était de 0,7 m à 19 h 54 le 10 février, et la marée haute était de 5,5 m à 1 h 07 le 11 février. Pour estimer le courant au moment et au lieu de l’événement, le BST a demandé une simulation des conditions océanographiques à l’Institut des sciences de la mer de Pêches et Océans Canada. La simulation a indiqué que l’ampleur du courant à la surface était de 1 à 1,2 m/s et que l’ampleur du courant à une profondeur de 5 m était de 0,9 à 1 m/s.

    1.8 Certification et inspection du navire

    En tant que navire à utilisation commerciale d’une jauge brute de 15 ou moins, l’Ingenika devait être immatriculé auprès de Transports Canada (TC), mais il n’était pas tenu d’avoir un certificat d’inspection pour être exploité, ni de faire l’objet d’inspections périodiques par TC.

    En vertu de l’article 106 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (LMMC 2001) le représentant autorisé (RA) d’un navire est chargé de veiller à ce que le navire se conforme à tous les règlements applicables. TC a le pouvoir d’effectuer des inspections aléatoires de tout navire pour vérifier la conformité avec la LMMC 2001 et ses règlementsNote de bas de page 13.

    L’Ingenika était immatriculé auprès de TC. Aucun dossier n’indiquait que TC avait inspecté le navire au cours de ses plus de 50 années d’exploitation. L’Ingenika n’avait pas fait l’objet d’une évaluation officielle de sa stabilité ou de sa puissance de traction. TC peut demander une évaluation de la stabilité s’il estime que des modifications apportées à un navire nuisent à sa stabilité; toutefois, TC n’a jamais exigé que l’Ingenika fasse l’objet d’une telle évaluation. Une évaluation de la puissance de traction n’est pas exigée par la réglementation (voir la section 1.11.1 pour des renseignements sur la puissance de traction).

    1.9 Activités de la compagnie

    L’Ingenika et le Miller 204 étaient gérés et exploités par Wainwright Marine Services. Wainwright Marine Services est en propriété exclusive de Bates Properties Ltd., qui a acheté Wainwright Marine Services à son ancien propriétaire en juillet 2020. Le bureau de Wainwright Marine Services est situé à Prince Rupert, et Bates Properties Ltd. exerce ses activités à partir de Vancouver (Colombie-Britannique).

    Au moment de l’événement, Wainwright Marine Services fournissait des services d’affrètement de remorqueurs et de chalands dans le nord de la Colombie-Britannique et gérait 6 remorqueurs, dont l’Ingenika. Quatre de ces 6 remorqueurs avaient une jauge brute de 15 ou moins. Wainwright Marine Services gérait également 9 chalands et 1 bateau de travail. Les remorqueurs étaient habituellement en service 24 heures par jour, 7 jours par semaine, et dotés d’un équipage de 3 personnes qui travaillait plus ou moins 2 semaines à la fois. Les mêmes remorqueurs étaient utilisés pour les affectations de remorquage côtier et de remorquage fluvial. La gestion de la sécurité et des opérations sur les remorqueurs était confiée à chaque capitaine.

    1.10 Brevets et expérience du personnel

    Le capitaine détenait un brevet de capitaine, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de moins de 60, délivré en 2007; il avait commencé à travailler pour Wainwright Marine Services en tant que matelot de pont en septembre 2017. Après avoir reçu une formation en cours d’emploi, il a été familiarisé avec le rôle de capitaine sur l’Ingenika en avril 2019. De juillet 2019 à mai 2020, alors que l’Ingenika faisait l’objet d’une modernisation à mi-vie, il a travaillé comme matelot de pont sur un autre remorqueur de la compagnie, le Cadal. Le 9 juin 2020, le capitaine s’est vu confier le commandement de l’Ingenika et, depuis, il avait effectué environ 22 voyages en tant que capitaine sur l’Ingenika, remorquant le Miller 204 entre Kitimat et Kemano. Le voyage à l’étude était son 4e voyage en février 2021.

    Le capitaine avait commencé à travailler dans l’industrie maritime en 1998, et la majeure partie de son expérience avait été acquise sur des navires de pêche et des traversiers à passagers. Le capitaine détenait un certificat restreint d’opérateur — commercial maritime. Il avait également suivi 3 cours de fonctions d’urgence en mer (FUM). L’un des cours de FUM avait été suivi en 2006 (FUM A2), et les 2 autres en 2010 (FUM Sécurité de base STCWNote de bas de page 14 et FUM Aptitude à l’exploitation des bateaux de sauvetage et des canots de secours, autres que des canots de secours rapides).

    Le MP1 avait commencé sa carrière maritime chez Wainwright Marine Services le 8 janvier 2020. Son 1er voyage sur l’Ingenika avait eu lieu le 21 juillet 2020. En plus de travailler sur l’Ingenika, le MP1 avait également travaillé sur d’autres remorqueurs et chalands exploités par Wainwright Marine Services. Il détenait un certificat FUM A3 et un certificat restreint d’opérateur – maritime. Le MP1 ne détenait aucun brevet.

    Le MP2 s’était joint à Wainwright Marine Services le 10 février 2021, et le voyage à l’étude était son 1er voyage avec la compagnie et la 1re fois qu’il se trouvait sur un remorqueur. Il avait commencé à travailler dans l’industrie maritime en 2015, obtenant de l’expérience dans l’industrie de la pêche de 2017 à 2019 et exploitant une embarcation gonflable à coque rigide Hurricane 753 pour Pêches et Océans Canada en 2020. Il était titulaire d’un certificat de formation de conducteur de petits bâtiments, d’un certificat FUM A3 et d’un certificat restreint d’opérateur – maritime. Le MP2 ne détenait aucun brevet.

    1.11 Évaluation des opérations de remorquage

    Il y a un certain nombre de considérations liées à la sécurité qui doivent être évaluées avant d’entreprendre une opération de remorquage. Un grand nombre de ces considérations sont décrites dans le Programme de conformité des petits bâtiments – Remorqueur (PCPB–R), un programme de TC lancé en janvier 2022 qui vise à aider les propriétaires de remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins à exercer leurs activités en toute sécuritéNote de bas de page 15. L’inscription au PCPB–R est volontaire. Le programme couvre de nombreuses exigences réglementaires que les propriétaires doivent respecter. On y fournit également des consignes pour favoriser des opérations de remorquage sécuritaires, en plus de recommander que les propriétaires et les RA 

    • procèdent à une évaluation de la stabilité et s’assurent que les membres de l’équipage comprennent le livret de stabilité et les limites de stabilité pour l’exploitation du remorqueur, y compris les effets des forces exercées par le câble de remorquage sur la stabilité du remorqueur;
    • mesurent la puissance de traction du remorqueur et s’en servent pour établir les limites opérationnelles du remorqueur;
    • s’assurent que les membres de l’équipage comprennent les limites opérationnelles du remorqueur et qu’ils sont soutenus dans leur décision de ne pas naviguer là où les limites opérationnelles du remorqueur seraient dépassées;
    • s’assurent que les membres de l’équipage sont suffisamment nombreux, expérimentés et certifiés pour entreprendre en toute sécurité le voyage prévu, en gardant à l’esprit que le remorquage est une compétence spécialisée dont l’acquisition requiert de l’expérience;
    • s’assurent qu’un plan de voyage et un plan de remorquage sont en place avant chaque opérationNote de bas de page 16.

    Au moment de l’événement, le PCPB–R n’était pas en place. En 2006, un groupe de travail du Conseil consultatif maritime canadien a été mis sur pied pour discuter d’un rapport produit par un groupe de travail sur les remorqueurs et les chalands réuni en 2004 après un engagement mortel. Ce groupe de travail a recommandé, entre autres, que la puissance de traction des remorqueurs, qui est utilisée pour déterminer s’ils conviennent à des opérations telles que le remorquage de chalands, soit calculée selon une méthode commune et consignée officiellement. À la suite de cette recommandation, TC a élaboré une orientation sur la puissance de traction visant les chalands transportant des hydrocarbures ou des produits chimiques dangereux en vrac. L’orientation a été publiée dans le TP 11960, Normes sur la construction, l’inspection et l’exploitation des chalands de transport d’hydrocarbures ou de produits chimiques dangereux en vrac. La recommandation n’a pas été mise en œuvre dans le cas des remorqueurs effectuant d’autres types d’opérations de remorquage.

    Pour d’autres types d’opérations de remorquage, TC a fourni le TP 15180, Lignes directrices concernant la construction, l’inspection, la certification et l’exploitation de remorqueurs de moins de 24 mètres de longueur. Ce document fait référence aux lignes directrices de l’Organisation maritime internationale (OMI) et des sociétés de classification pour les opérations de remorquage (p. ex., les Guidelines for Safe Ocean Towing de l’OMIet les Guidelines for the Approval of Towing Vessels de GL-Noble Denton). Le paragraphe 1.5.3 de ce document renvoie au TP 11960 comme orientation additionnelle pour déterminer si le remorqueur est d’une taille et d’une puissance appropriées pour remorquer la charge voulue.

    TC a également publié le Bulletin de la sécurité des navires 16/2020, intitulé Dangers et risques liés à l’engagement pendant les opérations de remorquage, qui contient des conseils sur la planification d’un remorquage et qui précise que le plan doit tenir compte de la capacité du remorqueur à la fois en termes de cheval-puissance et de puissance de traction.

    1.11.1 Puissance de traction

    La puissance de traction est une mesure de la capacité de remorquage d’un remorqueur et est définie comme la poussée développée par le système de propulsion d’un navire lorsqu’il n’a pas de vitesse vers l’avant. Le calcul de la puissance de traction d’un remorqueur fournit un point de données pour aider les propriétaires et les exploitants à évaluer les limites opérationnelles d’un remorqueur. Toutefois, le calcul de la puissance de traction ne suffit pas à lui seul à évaluer avec précision les limites opérationnelles d’un remorqueur pour une opération de remorquage donnée. La taille, la conception de la coque, le franc-bord, le cheval-puissance, la manœuvrabilité, la visibilité depuis la timonerie et l’équipement de remorquage du remorqueur font également partie des éléments à prendre en compte pour déterminer les limites opérationnelles, de même que la taille, le franc-bord, la surface exposée au vent et toute structure sur le pont telle que la cargaison et les rampes du remorqué. Les forces environnementales doivent également être prises en compte, dont la vitesse du vent, la hauteur des vagues et la vitesse du courant. Il faut obtenir des renseignements environnementaux pour la période spécifique de l’année où le remorquage est censé avoir lieu. Par exemple, si l’opération de remorquage est effectuée en février, il faut consulter les données environnementales de décembre à mai. Les valeurs les plus extrêmes de la période doivent être utilisées pour calculer la puissance de traction.

    Pour les opérations de remorquage du type entrepris par l’Ingenika, aucune exigence réglementaire n’oblige à déterminer la puissance de traction du remorqueur; il n’existe pas non plus de critères clairs pour déterminer la puissance de traction requise selon les dimensions du remorqué. La puissance de traction de l’Ingenika n’avait pas été calculée avant l’événement.

    En se fondant sur les normes de l’industrieNote de bas de page 17, le BST a calculé que la puissance de traction maximale de l’Ingenika était probablement d’environ 8 tonnesNote de bas de page 18. En tenant compte d’un facteur d’efficacité de 80 %Note de bas de page 19, la puissance de traction effective du remorqueur était d’environ 6 tonnes en eaux calmes (figure 7). Au moment de l’événement, dans les conditions environnementales prévues, la puissance de traction requise pour que le Miller 204 maintienne son erre était d’environ 12 tonnes.

    Figure 7. Puissance de traction effective de l’Ingenika et puissance de traction requise pour remorquer le Miller 204 à différentes vitesses du vent (Source : BST)
    Image
    Puissance de traction effective de l’Ingenika et puissance de traction requise pour remorquer le Miller 204 à différentes vitesses du vent (Source : BST)

    1.12 Culture de sécurité

    La culture de sécurité est la manière dont la sécurité est perçue, valorisée, priorisée et gérée à tous les niveaux d’une entreprise. Elle englobe les attitudes, les croyances, les perceptions et les valeurs de tous les employés d’une organisation en ce qui concerne la sécurité. L’un des facteurs les plus importants de la culture de sécurité est le degré d’engagement de la direction de l’entreprise envers la sécurité. Il est essentiel que les propriétaires et les exploitants démontrent activement leur engagement en faisant preuve de leadership et en fournissant des ressources pour gérer la sécurité. Par exemple, la direction devrait appuyer les employés afin qu’ils exercent leurs activités de manière sécuritaire et signalent les problèmes de sécurité, et elle devrait leur fournir des procédures documentées. Une façon d’encourager une bonne culture de sécurité est de mettre en œuvre des processus formels de gestion de la sécurité; un système de gestion de la sécurité (SGS) est un outil qui aide une entreprise ou un navire à mettre en œuvre ces processus.

    1.13 Systèmes de gestion de la sécurité

    La gestion de la sécurité nécessite la participation de personnes à tous les niveaux de l’organisation et exige le recours à une approche systématique relativement à la détermination et à l’atténuation des risques opérationnels. Les SGS sont des cadres reconnus à l’échelle internationale qui permettent aux compagnies de cerner les dangers, de gérer les risques et d’améliorer la sécurité de leurs activités, idéalement avant que ne survienne un accident. L’objectif principal d’un SGS à bord d’un navire est de garantir la sécurité en mer, de prévenir les blessures et les pertes de vie, et d’éviter les dommages aux biens et à l’environnement.

    Un SGS efficace prévoit notamment les éléments suivants :

    • des procédures et des listes de vérification pour les opérations du navire;
    • des procédures d’entretien du navire et de son équipement connexe;
    • des procédures de documentation et de tenue de dossiers;
    • des procédures de détermination des dangers et de gestion des risques;
    • des procédures de préparation et de réaction aux situations d’urgence;
    • des exercices, de la formation et de la familiarisation pour l’équipage du navire.

    À l’heure actuelle, seuls les navires canadiens qui effectuent des voyages internationaux et qui sont assujettis au chapitre IX de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer sont tenus de se conformer au Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments en vigueur. Ce règlement ne s’applique pas à la majeure partie des navires canadiens.

    TC a indiqué récemment qu’il envisage d’élargir l’application de ce règlement. En vertu du Règlement sur le système de gestion de la sécurité maritime proposé, les bâtiments de classe IV (tels que les remorqueurs comme l’Ingenika) seraient tenus d’élaborer un SGS documenté qui désigne un gestionnaire de navireNote de bas de page 20 et de soumettre leur SGS à l’approbation de TC. TC délivrerait alors un certificat canadien de gestion de la sécurité si le SGS répond aux exigences ci-dessous. Le gestionnaire du navire serait tenu de procéder à un examen interne du SGS à des intervalles ne dépassant pas 12 mois. Aucune vérification externe ne serait exigée.

    Un SGS documenté devrait comprendre 

    • une politique de sécurité et de protection de l’environnement;
    • des instructions et des procédures pour assurer la conformité aux dispositions de la LMMC 2001 et de ses règlements concernant l’exploitation sécuritaire du navire et la protection de l’environnement;
    • des niveaux d’autorité et des lignes de communication définis entre les membres du personnel à terre et du personnel de bord, et parmi eux;
    • des procédures pour signaler les sinistres maritimes et la non-conformité avec les exigences du SGS;
    • des procédures de préparation et de réaction aux situations d’urgence;
    • des procédures d’examen interne du SGS. 

    Les instructions et les procédures visant à assurer la conformité avec les dispositions de la LMMC 2001 et de ses règlements doivent aborder expressément

    • l’inspection, l’entretien et la mise à l’essai de l’équipement;
    • les mesures visant à garantir l’état de navigabilité et la stabilité du navire;
    • la planification du voyage, la sécurité de la navigation et la conduite du navire;
    • les mesures visant à garantir la sécurité en mer et à prévenir les blessures, les pertes de vie, et les dommages au milieu marin et aux biens.

    Les procédures requises pour la préparation et la réaction aux situations d’urgence doivent aborder spécifiquement

    • la préparation et la réaction aux sinistres maritimes et aux accidents de personnel;
    • la gestion des pannes d’équipement;
    • l’intervention à la suite d’incidents de pollution;
    • le signalement des situations d’urgence.

    TC a publié le projet de règlement dans la Partie I de la Gazette du Canada en juin 2022 et prévoit publier le règlement définitif dans la Partie II de la Gazette du Canada en avril 2023.

    En vertu des règlements en vigueur au moment de l’événement, l’Ingenika n’était pas tenu d’avoir un SGS.

    1.14 Gestion de la sécurité au sein de la compagnie

    Les navires qui ne sont pas tenus d’avoir un SGS doivent quand même se conformer au paragraphe 106(1) de la LMMC 2001, qui exige que le RA fournisse des procédures assurant l’exploitation sécuritaire du navire et permettant de faire face aux urgences, et qu’il veille à ce que l’équipage reçoive une formation en matière de sécuritéNote de bas de page 21.

    1.14.1 Procédures d’exploitation sécuritaire et procédures d’urgence

    En 2014, Wainwright Marine Services a volontairement élaboré un manuel du SGS. Ce manuel contenait des procédures d’exploitation sécuritaire et des procédures d’urgence. Au moment de l’événement, la dernière mise à jour du manuel du SGS remontait à 2019. Toute la documentation relative au SGS a été transférée à Bates Properties Ltd. lorsque celle-ci a acheté Wainwright Marine Services en juillet 2020.

    Lorsque Wainwright Marine Services était en activité sous la direction de son ancien propriétaire, le RA avait confié aux capitaines de chaque navire la responsabilité de mettre en œuvre les procédures de l’organisation à bord. Cependant, la mesure dans laquelle le SGS volontaire était mis en œuvre sous la direction de l’ancien propriétaire de Wainwright Marine Services n’était pas claire, car il n’y avait pas de processus de supervision servant à valider si le SGS était mis en œuvre sur les navires. Au moment de l’événement, Bates Properties Ltd. n’avait pas encore examiné toute la documentation relative au SGS qu’elle avait reçue lors de l’achat de Wainwright Marine Services.

    Le manuel du SGS contenait 3 documents que les capitaines utilisaient couramment pendant les opérations de remorquage :

    • une liste de vérification avant le départ;
    • une feuille de vérification du plan de voyage/plan de remorquage;
    • une feuille de route des remorqueurs et des chalands.

    La liste de vérification avant le départ invitait l’équipage à vérifier tout l’équipement opérationnel, comme les commandes de la passerelle et des moteurs, ainsi que l’équipement de navigation. La feuille de vérification du plan de voyage/plan de remorquage invitait l’équipage à inscrire les points de cheminement du voyage et à prendre note de tout danger (p. ex., ponts, circulation ou autres restrictions). La feuille de route des remorqueurs et des chalands permettait à l’équipage de consigner les marchandises transportées pour chaque client affrété. Après un quart de travail, des copies de ces 3 documents étaient généralement remises à Wainwright Marine Services ou laissées à bord pour que le personnel de la compagnie les récupère.

    Le manuel du SGS contenait également des procédures écrites assurant l’exploitation sécuritaire des navires et permettant de faire face aux urgences telles qu’un incendie, l’abandon du navire, l’échouement, une personne à la mer, une collision, une défaillance de la propulsion et l’engagement. Enfin, le manuel du SGS englobait des sujets tels que le remorquage et le déhalage des chalands, les heures de travail et de repos, les réunions de sécurité et les rapports d’exercices, la revue du capitaine, l’embauche et la formation des employés, de même que les opérations.

    L’enquête a permis de déterminer que les capitaines ne remplissaient pas tous de la même façon les listes de vérification avant le départ, les feuilles de vérification du plan de voyage/plan de remorquage et les feuilles de route des remorqueurs et des chalands, et que certains capitaines ne remplissaient pas certaines sections des documents.

    Le SGS ne contenait aucune procédure ou directive concernant les limites opérationnelles en fonction des conditions météorologiques, et les capitaines devaient surveiller eux-mêmes les prévisions météorologiques maritimes avant chaque voyage et décider de partir ou non. Les capitaines communiquaient normalement leurs préoccupations ou leurs observations notables concernant les conditions météorologiques et le moment d’un voyage au service de répartition de Wainwright Marine Services.

    1.14.2 Familiarisation

    Au moment de l’événement, le RA devait fournir au capitaine des instructions écrites pour familiariser les membres de l’équipage avec l’équipement du navire, les instructions opérationnelles et les tâches qui leur sont confiéesNote de bas de page 22. Le manuel du SGS comportait une liste de vérification de familiarisation d’application universelle qui invitait les membres d’équipage à se familiariser avec l’emplacement et le fonctionnement de l’équipement de sécurité, notamment le radeau de sauvetage, le canot de secours, les combinaisons d’immersion et les trousses de premiers soins.

    Le capitaine avait initialement rempli la liste de vérification de familiarisation en avril 2017 lorsqu’il avait travaillé comme matelot de pont. Il a rempli la même liste de vérification de familiarisation une deuxième fois le 30 avril 2019 lorsqu’il est devenu capitaine de l’Ingenika. Le MP1 a rempli la liste de vérification de familiarisation en juillet 2020.

    Puisque le voyage à l’étude était le 1er voyage du MP2 avec cette compagnie, il était prévu qu’il s’agirait du voyage au cours duquel il remplirait sa liste de vérification de familiarisation. Avant l’événement, le MP2 s’était familiarisé avec les détails de la salle des machines propres au remorqueur et avec l’emplacement des gilets de sauvetage et des combinaisons d’immersion. Au cours du voyage à l’étude, le MP1 l’avait familiarisé avec l’équipement de navigation, de communication et de sécurité qui se trouvait dans la timonerie.

    Dans le cadre de la familiarisation, l’équipage s’était vu montrer l’emplacement des combinaisons d’immersion, sans toutefois s’exercer à les enfiler.

    1.14.3 Exercices

    Au moment de l’événement, le RA était tenu de s’assurer que des procédures étaient établies concernant l’utilisation de l’équipement de sauvetage et de l’équipement d’extinction d’incendie en cas d’urgence et que l’équipage s’exerçait à suivre les procédures afin d’être en mesure de bien les exécuter en tout tempsNote de bas de page 23.

    Le manuel du SGS contenait des rapports d’exercices. Ces rapports contenaient des suggestions de différents types d’exercices et exigeaient que le type d’exercice effectué soit indiqué. Les rapports devaient également indiquer les mesures prises pendant l’exercice et les leçons apprises. Le formulaire comportait une ligne permettant au bureau d’indiquer qui avait reçu le rapport d’exercice et à quelle date.

    Wainwright Marine Services n’avait pas établi de calendrier officiel des exercices, et les capitaines étaient libres de décider si, quand et comment les exercices étaient effectués. Il n’était pas d’usage que des exercices soient effectués à bord de l’Ingenika.

    1.14.4 Inspections de l’équipement de bord

    L’Ingenika disposait d’un système d’entretien planifié informatisé qui était programmé avec les dates auxquelles certaines inspections de l’équipement de bord devaient être effectuées. Le système n’était pas utilisé de façon uniforme et n’était pas à jour au moment de l’événement. Un registre généré par la compagnie le 18 février 2021 indiquait la fréquence d’inspection et les dates de dernière inspection suivantes pour les éléments applicables à l’événement à l’étude (tableau 3).

    Tableau 3. Fréquence d’inspection et dates de dernière inspection pour des éléments dans le système d’entretien planifié de l’Ingenika en date du 18 février 2021 (Source : BST, d’après des renseignements tirés du registre d’entretien planifié de l’Ingenika)
    Élément Fréquence d’inspection Dernière inspection
    Inspecter les combinaisons d’immersion Une fois par année 1er janvier 2020
    Vérifier les guides rétractables de câble de remorquage Une fois par mois 31 mai 2020
    Inspecter les gilets de sauvetage et les vêtements de flottaison individuels Une fois tous les 6 mois 1er janvier 2020
    Inspecter la RLS Une fois par année 14 juin 2019
    Remplacer les piles des combinaisons de survie Une fois par année 11 avril 2018
    Inspecter les joints des portes étanches Une fois par mois 14 juin 2019

    1.14.5 Composition de l’équipage et brevets

    Au moment de l’événement, TC exigeait que le RA s’assure que le navire avait un équipage conforme aux exigences du Règlement sur le personnel maritimeNote de bas de page 24. Il fallait donc s’assurer que le capitaine et l’équipage possédaient les brevets nécessaires pour exploiter le navire.

    En vertu du Règlement sur le personnel maritime, l’équipage del’Ingenika devait être composé d’un capitaine titulaire d’au moins un brevet de capitaine, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de moins de 60, applicable au type de navire et à sa zone d’opérations, et d’au moins 1 autre membre d’équipage. Toute personne responsable du quart à la passerelle devait être titulaire d’un brevet.

    Dans l’événement à l’étude, le capitaine était titulaire d’un brevet de capitaine, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de moins de 60, mais ce brevet n’était valide que pour les navires exploités par Metlakatla Ferry Service Ltd. qui naviguaient entre Prince Rupert et Metlakatla (Alaska) aux États-Unis, et à moins de 25 NM de la côte. De 2009 à 2017, le capitaine avait travaillé pour Metlakatla Ferry Service Ltd., exploitant le Koprino Wind, un traversier à passagers d’une jauge brute de 24,05, sur une route entre Prince Rupert et Metlakatla. La durée d’une traversée dans une direction pour cette route est d’environ 15 minutes. Le brevet du capitaine n’était pas valide pour l’exploitation d’un remorqueur. Aucun des 2 matelots de pont n’était titulaire d’un brevet.

    1.14.6 Équipement de sécurité du navire

    L’Ingenika avait à son bord l’équipement de sécurité requis pour le navire, notamment 2 bouées de sauvetage rangées de chaque côté de la timonerie, un boyau d’incendie, des extincteurs, un radeau de sauvetage, 3 gilets de sauvetage, 3 combinaisons d’immersion, des fusées éclairantes et une RLS.

    1.14.6.1 Combinaisons d’immersion

    Les combinaisons d’immersion sont conçues pour garder une personne à flot, au chaud et au sec. Elles peuvent réduire les effets du choc hypothermique, retarder l’apparition de perte de motricité due au froid et de l’hypothermie, ainsi que prévenir la noyade. Elles rendent également les personnes plus visibles dans l’eau, ce qui facilite le sauvetage.

    Au moment de l’événement, l’Ingenika avait à son bord 3 combinaisons d’immersion. La combinaison dans laquelle le capitaine a été retrouvé était une combinaison de taille adulte fabriquée en 1997 Note de bas de page 25. Elle était munie d’un support de tête gonflable avec un tuyau de gonflage, d’un capuchon en néoprène, de gants rangés dans les manches, de joints de poignet, de sangles de cheville, de bottes antidérapantes intégrées et d’un sifflet de sauvetage. La combinaison dans laquelle le MP2 a été retrouvé était une combinaison de taille adulte fabriquée en 2017. Elle était munie de gants et de bottillons intégrés, de sangles de cheville, d’un harnais pour faciliter la récupération dans l’eau, d’un tuyau de gonflage, d’un sifflet de sauvetage et d’un feu stroboscopique. La taille de la 3e combinaison à bord de l’Ingenika était inconnue.

    Pour enfiler efficacement une combinaison d’immersion, l’utilisateur doit enfiler la combinaison comme s’il s’agissait d’une combinaison de travail, enfiler le capuchon, puis remonter complètement la fermeture éclair pour empêcher l’eau de pénétrer. Le capuchon doit être enfilé avant de remonter la fermeture éclair de la combinaison, car il faut un élan pour fixer la fermeture éclair, ce qui n’est possible que lorsque le capuchon est enfilé et que les côtés gauche et droit de la combinaison sont rapprochés. Si la combinaison comporte des sangles de cheville et de poignet, celles-ci doivent être fixées. Si la combinaison comporte des gants séparés, par exemple qui rentrent dans les manches, il faut les enfiler pour maintenir l’étanchéité et réduire les effets du choc hypothermique. Si la combinaison est équipée d’un support de tête gonflable, l’utilisateur doit gonfler le support de tête pour maintenir l’angle de flottaison idéal.

    Étant donné que la fermeture éclair doit être complètement fermée avant que l’utilisateur entre dans l’eau, les fabricants incluent fréquemment des avertissements dans leurs documents d’orientation. Par exemple, le document d’orientation de la combinaison d’immersion du capitaine avertit que le fait de ne pas fermer complètement la fermeture éclair étanche entraînera une fuite d’eau dans la combinaison et réduira le temps de survie dans l’eau. Dans l’avertissement, on indique aux utilisateurs de vérifier 2 fois la fermeture éclair pour s’assurer qu’elle est complètement fermée contre son bouchon d’étanchéité.

    En 2000, TC a publié un bulletin de la sécurité des navires indiquant que les exercices offrent aux membres d’équipage la possibilité de s’exercer à enfiler leur combinaison d’immersion, de s’assurer qu’elle est de la bonne taille et de veiller à ce que la fermeture éclair soit bien graissée Note de bas de page 26. Grâce aux exercices, les membres d’équipage peuvent également vérifier si leur combinaison est endommagée et se familiariser avec les étapes clés de l’enfilage de la combinaison, comme s’assurer que la fermeture éclair est entièrement fermée. Même lorsqu’elle est graissée, la fermeture éclair d’une combinaison d’immersion est naturellement difficile à remonter parce qu’elle a une certaine résistance inhérente et que, selon la taille de la personne, les 2 côtés de la fermeture peuvent devoir être rapprochés pour la remonter. En 2019, TC a également publié un bulletin de la sécurité des navires sur les mesures de sécurité concernant les engins de sauvetage, qui portait sur l’importance, pour les membres d’équipage, d’essayer leur combinaison d’immersion avant le départ afin de s’assurer qu’elle est bien adaptée Note de bas de page 27.

    Le SGS de la compagnie exigeait que les combinaisons d’immersion soient inspectées chaque année. Le fabricant des combinaisons d’immersion recommandait que les fermetures éclair soient testées et graissées pour s’assurer de leur bon fonctionnement. L’enquête a révélé que les combinaisons d’immersion à bord de l’Ingenika n’avaient pas fait l’objet d’un entretien régulier, ce qui comprend le graissage des fermetures éclair.

    Lorsque les intervenants SAR ont récupéré les corps du capitaine et du MP2, ils ont constaté que la fermeture éclair de leurs combinaisons était partiellement fermée et que leurs capuchons n’étaient pas enfilés. Les supports de tête gonflables n’étaient pas gonflés et les combinaisons étaient saturées d’eau et de glace à l’intérieur. Les gants de la combinaison du capitaine ont été retrouvés rangés dans les manches.

    1.14.6.2 Radiobalise de localisation des sinistres

    Les RLS sont conçues pour alerter les autorités SAR en cas d’urgence. Certaines RLS sont munies d’un largueur hydrostatique qui permet à la RLS de flotter à l’écart d’un navire et d’émettre automatiquement un signal de détresse lorsqu’elle est submergée. L’activation d’une RLS avec largueur hydrostatique nécessite que le navire s’enfonce à une certaine profondeur. Lorsqu’une RLS s’active, elle transmet un signal aux ressources SAR. Ce signal permet aux ressources SAR de cibler l’emplacement précis de la RLS, ce qui peut accélérer le sauvetage.

    Au moment de l’événement, TC exigeait que les navires de moins de 12 m de longueur naviguant dans les eaux intérieures ou effectuant des voyages de classe 2 à proximité du littoral aient à bord une RLS à dégagement libre ou à activation manuelle, ou encore une radiobalise individuelle de repérage (PLB) Note de bas de page 28. Par l’intermédiaire du PCPB–R, TC recommande également que les RA et les propriétaires s’assurent que l’équipement d’urgence est disponible et bien entretenu. TC souligne que les RLS doivent être enregistrées correctement, car cela facilite la tâche des autorités SAR en cas d’urgence et aide à éliminer les fausses alertes.

    Les RLS dont les renseignements d’immatriculation sont à jour peuvent faciliter l’accès du personnel SAR à des données utiles sur les navires en situation de détresse : par exemple, quel type de navire rechercher, combien de personnes ont besoin d’aide, quel type d’aide pourrait être nécessaire et comment communiquer avec le propriétaire.

    L’Ingenika était équipé d’une RLS à dégagement libre de catégorie 1 avec un largueur hydrostatique, comme l’exige la réglementation. Le largueur hydrostatique était conçu pour s’activer automatiquement lorsqu’il était submergé dans 1,5 à 4 m d’eau. Lors de l’événement, la RLS s’est automatiquement déployée et a flotté librement, comme prévu. La RLS était enregistrée au nom de l’Ingenika, mais les renseignements d’immatriculation n’avaient pas été mis à jour et étaient toujours ceux de l’ancien propriétaire. Cela a entraîné un retard d’environ 35 minutes avant que les ressources SAR puissent communiquer avec le propriétaire actuel de l’Ingenika. Ce retard n’a toutefois pas eu d’incidence sur le moment de l’intervention SAR, car les ressources SAR ont été dépêchées peu après la réception du signal de la RLS.

    Fait établi : Autre

    Les renseignements d’immatriculation de la RLS de l’Ingenika n’étaient pas à jour, ce qui signifie que les ressources SAR n’ont pas été en mesure de communiquer immédiatement avec le propriétaire actuel du remorqueur.

    1.15 Radiobalises individuelles de repérage

    Les PLB sont des dispositifs portatifs qui peuvent transmettre un signal de détresse à peu près de la même manière que les RLS. Les PLB sont conçues pour être transportées ou portées par des personnes et doivent être enregistrées pour que le dispositif fournisse des renseignements personnels essentiels (nom, adresse, numéros de téléphone d’urgence et affections médicales). Les PLB sont activées manuellement et fonctionnent sur une fréquence de 406 MHz avec une balise de localisation intégrée de faible puissance qui transmet sur une fréquence de 121,5 MHz. Les PLB sont également dotées d’un dispositif GPS intégré, ce qui leur permet de transmettre des coordonnées de localisation précises lorsqu’un signal de détresse est envoyé. Une PLB munie d’un feu stroboscopique peut également aider les sauveteurs dans leurs recherches.

    Bien que les PLB puissent améliorer les chances de survie en cas d’urgence, il n’existe actuellement aucune réglementation obligeant les membres d’équipage à en porter. Certaines associations de sécurité au Canada font la promotion de leur utilisation, surtout dans l’industrie de la pêche, où les membres d’équipage courent un risque accru de tomber par-dessus bord ou de subir un chavirement soudain.

    1.16 Immersion en eau froide

    Lorsqu’une personne est immergée en eau froide, particulièrement de l’eau de moins de 15 °C, elle peut subir un choc hypothermique initial qui entraînera une respiration haletante. Le port d’une combinaison d’immersion, d’un vêtement de flottaison individuel ou d’un gilet de sauvetage peut prévenir la noyade au cours du choc hypothermique initial en maintenant la bouche de la personne éloignée de la surface de l’eau, ce qui empêche l’ingestion d’eau.

    Le choc hypothermique est suivi d’une perte de motricité due au froid, qui réduit la capacité de la personne à nager. L’hypothermie peut survenir rapidement selon la température de l’eau; des activités comme nager ou tenter d’embarquer dans un radeau de sauvetage augmentent la perte de chaleur et accélèrent le déclenchement de l’hypothermie. Cela peut entraîner une perte de motricité supplémentaire et la mort si la personne n’est pas secourue. En attendant d’être secourue, une personne qui se trouve dans l’eau doit être protégée des éléments pour survivre (tableau 4).

    Tableau 4. Incidence de l’équipement de sauvetage sur la survie en mer à différentes étapes de l’immersion et du sauvetage en eau froide (Source : BST)
    Étape de l’immersion / du sauvetage Radeau de sauvetage Combinaison d’immersion Gilet de sauvetage/vêtement de flottaison individuel Aucun équipement
    Entrée dans l’eau froide Temps d’exposition minimal ou nul dans l’eau Entrée dans l’eau Entrée dans l’eau Entrée dans l’eau
    Choc hypothermique initial Prévient ou atténue la réaction au choc hypothermique Prévient le déclenchement de la réaction au choc hypothermique et maintient la personne à flot Garde la tête et la bouche de la personne au-dessus de la surface de l’eau lorsque sa respiration est haletante Halètement, ingestion d’eau, réaction cardiaque
    Réaction psychologique Réduit la menace pour la vie et possiblement la réaction de stress Réduit la menace pour la vie et possiblement la réaction de stress Réduit dans une certaine mesure la menace pour la vie et possiblement la réaction de stress Menace immédiate pour la vie; le stress exacerbe la réaction au choc hypothermique
    Perte de motricité due au froid Prévient ou atténue les effets du froid Retarde l’apparition des effets du froid Maintient la personne à flot après la perte de dextérité et de sa capacité à nager Respiration erratique, perte de la capacité à nager, frissonnement
    Hypothermie Pourrait retarder considérablement les effets si la personne reste au sec Pourrait retarder considérablement les effets si la personne reste au sec Déclenchement de l’hypothermie – chances de survie réduites Déclenchement de l’hypothermie – survie improbable
    Sauvetage grâce à un signal de détresse* Survie probable Survie probable Réduction des chances de survie Survie improbable

    * Un signal peut être des communications radio envoyées pendant les préparatifs d’urgence ou peut provenir d’une PLB ou d’une RLS portative ou à dégagement libre.

    1.17 Surveillance réglementaire des remorqueurs

    Au moment de l’événement, au Canada, les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins n’étaient pas tenus d’être inspectés et certifiés par TC en vertu du Règlement sur l’inspection des coques ou du Règlement sur les certificats de bâtimentNote de bas de page 29. Par conséquent, ces remorqueurs n’étaient assujettis à aucune restriction quant aux voyages, au type d’activité (p. ex., remorquage) ou aux conditions d’exploitation (p. ex., conditions météorologiques). En outre, même si les inspecteurs de la sécurité maritime de TC avaient le pouvoir d’effectuer des inspections de surveillance fondées sur le risque pour vérifier la conformité avec la LMMC 2001 et ses règlements, il n’y avait pas de dispositions précises dans ces règlements pour l’application des restrictions de voyage à ces remorqueurs.

    En septembre 2022, il y avait environ 1343 remorqueurs à coque d’acier d’une jauge brute de 15 ou moins qui étaient immatriculés au Canada, dont environ 1035 en Colombie-Britannique. Ces remorqueurs ne font pas partie d’un cycle d’inspection structuré, bien que TC ait inspecté quelques-uns d’entre eux à la suite d’événements signalés et qu’il se soit récemment fixé comme cible annuelle d’inspecter 3 % des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins à l’échelle nationale. TC a également inspecté certains d’entre eux lors de campagnes d’inspection concentrées, qui ciblent des préoccupations liées à la sécurité particulières et qui ont tendance à englober divers navires, dont les remorqueurs, qui sont sélectionnés en fonction des risques et des objectifs de la campagne.

    En comparaison, en septembre 2022, il y avait environ 494 remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 immatriculés au Canada, dont environ 240 en Colombie-Britannique . Ces remorqueurs doivent être inspectés avant d’être certifiés, puis périodiquement par TC en vertu du Règlement sur les certificats de sécurité de bâtiment. Les inspections comprennent l’embarquement à bord du remorqueur pour valider les engins de sauvetage ainsi que les procédures et exercices d’urgence. Les inspections comprennent également l’observation d’un exercice d’urgence. Dans le cadre du processus d’inspection, les remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 reçoivent des restrictions de voyage et/ou des restrictions en fonction des conditions météorologiques et/ou du type d’activité (p. ex., remorquage) pour lequel ils sont exploités. Les remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 reçoivent également des directives sur le nombre de membres d’équipage dans un document concernant l’effectif de sécurité.

    D’avril à octobre 2022, TC a effectué 30 inspections de surveillance fondées sur le risque de remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins. Dans l’ensemble, 21 de ces inspections ont révélé un total de 62 lacunes, dont 13 liées à l’équipement de sauvetage, 12 liées à la structure ou à la stabilité, 8 liées aux brevets d’équipage, 6 liées à la sécurité incendie et 5 liées à la sécurité de la navigation.

    D’avril à octobre 2022, TC a également effectué 120 inspections réglementaires de remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15. Soixante-quatre de ces inspections ont révélé des lacunes. En outre, TC a effectué 30 inspections de surveillance fondées sur le risque de remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 en fonction des constatations tirées des inspections réglementaires. De ces 30 inspections de surveillance fondées sur le risque, 19 ont révélé des lacunes.

    En 2018-2019, TC a mené une campagne d’inspection concentrée sur les navires canadiens. Selon le rapport de la campagneNote de bas de page 30, 83 navires ont été inspectés à l’échelle du pays, dont 49 dans la catégorie de l’inspection annuelle et 34 selon les inspections quadriennales réalisées en vertu du Règlement sur l’inspection des coquesNote de bas de page 31. Dix-neuf des navires inspectés étaient des remorqueurs, mais aucun n’était d’une jauge brute de 15 ou moins. Les données ont démontré que les navires inspectés tous les 4 ans présentaient plus de lacunes que ceux inspectés chaque année.

    TC s’est également concentré sur les remorqueurs dans le cadre d’une campagne d’inspection concentrée menée en Colombie-Britannique de janvier à mars 2017. Trente remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins et 30 remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 ont été choisis pour être inspectés. TC a conclu que les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins présentaient beaucoup plus de cas de non-conformité avec la réglementation que les remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15Note de bas de page 32.

    1.17.1 Exigences en matière de brevets pour les capitaines de remorqueurs d’une jauge brute de moins de 15

    Au moment de l’événement, pour exploiter un remorqueur d’une jauge brute de moins de 15, une personne devait être titulaire d’un brevet de capitaine, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de moins de 60Note de bas de page 33. Ce brevet était obtenu en acquérant une expérience pertinente sur le type de navire pour lequel le brevet était demandé et en suivant les formations FUM appropriéesNote de bas de page 34.

    Les candidats qui souhaitaient obtenir un brevet de capitaine, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de moins de 60 devaient réussir à un examen écrit et oral, comme le prévoit le document Examens des gens de mer et délivrance des brevets et certificatsNote de bas de page 35. Ces examens exigeaient des candidats qu’ils démontrent, entre autres, une bonne connaissance de la zone pour laquelle le brevet serait valide, une connaissance de base de la stabilité et de son application, ainsi que la capacité de faire face à des situations d’urgence (collision, échouement, inondation, incendie, etc.).

    Dans le cas des candidats ayant l’intention d’effectuer des opérations de remorquage, leurs connaissances, leur compréhension et leur compétence en matière d’opérations de remorquage faisaient également l’objet d’un examen. Les sujets examinés comprenaient les suivants :

    • les câbles utilisés pour le remorquage et les longueurs exigées;
    • le point de remorquage;
    • l’effet du câble de remorquage sur le centre de gravité du remorqueur et sur sa stabilité;
    • les événements susceptibles de provoquer le chavirement du remorqueur;
    • les systèmes d’arrêt du remorquage.

    Aucun cours de formation officiel propre aux opérations de remorquage n’était requis pour obtenir un brevet de capitaine, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de moins de 60, valide pour les opérations de remorquage. De même, il n’y avait pas d’exigence de formation FUM périodique pour les membres d’équipage qui naviguent sur des navires effectuant des voyages à proximité du littoral ou en eaux abritées Note de bas de page 36.

    1.18 Dispenses de pilotage côtier

    L’Administration de pilotage du Pacifique (APP) est une société d’État qui a été établie en 1972 en vertu de la Loi sur le pilotage. L’APP a pour mandat d’établir, d’exploiter, de maintenir et d’administrer des services de pilotage sécuritaires et efficaces dans les eaux côtières de la Colombie-Britannique, y compris le fleuve Fraser. Les services de pilotage sont fournis par des pilotes brevetés, qui sont des navigateurs hautement qualifiés qui mettent à profit leur connaissance des eaux locales pour diriger un navire et le faire naviguer en utilisant la route la plus sûre. Ces routes peuvent changer quotidiennement en fonction de facteurs tels que le trafic maritime, le vent et les marées.

    Au moment de l’événement, l’APP avait le pouvoir, notamment :

    • d’établir des zones de pilotage obligatoire;
    • de déterminer quels navires sont assujettis au pilotage obligatoire;
    • d’établir les circonstances dans lesquelles il peut y avoir dispense du pilotage obligatoire Note de bas de page 37.

    L’APP avait mis en place un processus par lequel certains navires, principalement des remorqueurs et des chalands Note de bas de page 38, pouvaient obtenir des dispenses de pilotage, ce qui rendait ces navires exempts du pilotage obligatoire dans les zones de pilotage désignées (annexe B), si les exploitants répondaient à certaines exigences. En vertu de ces exigences, chacune des personnes responsables du quart à la passerelle devait remplir les conditions suivantes :

    a) elle est titulaire du brevet ou du certificat exigé par la partie 2 du Règlement sur le personnel maritime ou, s’agissant d’un navire non canadien, de certificats équivalents;

    b) elle a effectué, à titre de personne responsable du quart à la passerelle des voyages dans la région :

    (i) soit au moins cent cinquante jours de service au cours des dix-huit mois précédents,

    (ii) soit au moins trois cent soixante-cinq jours de service au cours des soixante mois précédents, dont au moins soixante jours au cours des vingt-quatre mois précédents;

    c) elle a servi à titre de personne responsable du quart à la passerelle dans la zone de pilotage obligatoire pour laquelle la dispense est demandée au moins une fois au cours des vingt-quatre mois précédents Note de bas de page 39.

    De plus, les navires devaient :

    • utiliser un système d’alarme de quart à la passerelle;
    • être dotés d’un SIA de classe A en état de transmission;
    • avoir 2 personnes à la passerelle lorsqu’ils naviguent en eaux restreintes Note de bas de page 40 ou dans des conditions de visibilité réduite, ou durant les heures de noirceur.

    Selon le système de dispense de l’APP, une norme de diligence acceptable devait être maintenue par la compagnie, le navire et l’équipage dispensés, de sorte que le risque pour la vie, les biens et l’environnement ne soit pas considérablement plus élevé que celui qui serait prévu si le navire était commandé par un pilote Note de bas de page 41.

    Avant d’accorder une dispense, l’APP demandait que le RA fournisse une déclaration de conformité signée concernant le service en mer de chaque personne de quart. L’APP consignait les renseignements fournis par les RA, mais n’en vérifiait pas l’exactitude.

    Pour les navires qui accostaient à des terminaux à divers endroits en Colombie-Britannique, l’APP fournissait des directives concernant la taille minimale (puissance de traction) et le nombre de remorqueurs à utiliser. Il n’existait cependant aucune directive de ce genre pour les remorqueurs qui étaient approuvés dans le cadre du système de dispense de l’APP et qui étaient utilisés pour remorquer les chalands.

    Les remorqueurs et les chalands appartenant à Bates Properties Ltd. étaient exploités dans des zones de pilotage obligatoire au large de la côte ouest du Canada et dans les états du nord-ouest des États-Unis. Au moment de l’événement, l’Ingenika naviguait dans la zone 4, qui est désignée comme une zone de pilotage obligatoire par l’APP. Wainwright Marine Services, la compagnie qui exploitait l’Ingenika, avait demandé et obtenu une dispense de pilotage de l’APP en mars 2017 pour tous les employés de la compagnie susceptibles d’exercer des fonctions de quart à la passerelle sur un remorqueur. La dispense visait les 6 remorqueurs de la compagnie, de même que 8 de ses chalands et 23 employés.

    Au moment de l’événement, ni la compagnie ni l’APP n’avait établi que le capitaine, à qui l’on avait accordé une dispense de pilotage, ne répondait pas aux exigences d’admissibilité de l’APP en ce qui concerne son brevet. De plus, le MP1, qui n’était pas titulaire d’une dispense de pilotage, était responsable d’un quart à la passerelle de 16 h 20 à 19 h lors du voyage à l’étude et le capitaine n’était pas dans la timonerie pendant ce temps. Enfin, l’Ingenika n’était pas équipé d’un système d’alarme de quart à la passerelle, et il n’était pas doté d’un SIA de classe A.

    Le BST a constaté des problèmes similaires dans des événements mettant en cause le remorqueur Ocean Monarch Note de bas de page 42 en 2017 et le remorqueur Nathan E. Stewart Note de bas de page 43 en 2016. Lors de l’événement mettant en cause l’Ocean Monarch, l’officier de pont n’avait pas de dispense de pilotage et assurait seul le quart à la passerelle la nuit. Dans le cas du Nathan E. Stewart, le second officier n’avait pas de dispense de pilotage et assurait seul le quart à la passerelle la nuit. Le Nathan E. Stewart n’était pas non plus équipé d’un système d’alarme de quart à la passerelle.

    1.19 Événements antérieurs

    Depuis 2015, le BST a enquêté sur 6 événements mettant en cause des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins exploités sur la côte ouest du Canada, événements qui ont soulevé des questions liées au caractère adéquat de la surveillance réglementaire (annexe A). À la suite de l’un de ces événements Note de bas de page 44, le Bureau a émis une préoccupation liée à la sécurité indiquant qu’à défaut d’une surveillance appropriée par le ministère des Transports, les lacunes de gestion de la sécurité et d’exploitation des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins pourraient ne pas être traitées.

    Deux des 6 événements susmentionnés ont également révélé que les compagnies de remorquage exploitant les remorqueurs à l’étude n’avaient pas de processus officiel de gestion des risques Note de bas de page 45. Le BST a également enquêté sur un 3e événement où les risques des opérations maritimes entreprises n’avaient pas été évalués et où les capitaines ont dû prendre des décisions improvisées Note de bas de page 46.

    Le BST a déterminé que la tendance des accidents et incidents de tous genres confondus mettant en cause des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins est relativement stable depuis 2013, se situant entre 11 et 16 événements par année, à l’exception de 2016, où 27 événements ont été enregistrés.

    1.20 Liste de surveillance du BST

    La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

    La gestion de la sécurité est un enjeu figurant sur la Liste de surveillance 2022. Même si l’Ingenika n’était pas tenu d’avoir un SGS, Wainwright Marine Services en avait élaboré un volontairement. Toutefois, au moment de l’événement, le SGS volontaire n’était pas entièrement mis en œuvre et il y avait des lacunes dans la gestion de la sécurité, notamment l’absence d’orientation pour aider les capitaines à évaluer si les remorqueurs sont en mesure d’effectuer des opérations sécuritaires.

    MESURES À PRENDRE

    L’enjeu de la gestion de la sécurité dans le transport maritime demeurera sur la Liste de surveillance jusqu’à ce que 

    • TC mette en œuvre de la réglementation obligeant tous les exploitants commerciaux à adopter des processus formels pour la gestion de la sécurité;
    • les transporteurs qui ont un SGS démontrent à TC qu’il fonctionne bien et qu’il permet donc de cerner les dangers et de mettre en œuvre des mesures efficaces pour atténuer les risques.

    La surveillance réglementaire est un enjeu figurant sur la Liste de surveillance 2022. À l’heure actuelle, les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins ne sont pas soumis à des inspections régulières de TC, ce qui signifie qu’il y a peu de possibilités de déceler et de corriger les infractions à la réglementation avant qu’un accident ne se produise. Dans l’événement à l’étude, des exigences réglementaires n’avaient pas été respectées, tel que démontré par l’absence d’exercices d’urgence, des inspections et l’entretien de l’équipement de sauvetage qui étaient en retard, ainsi que des membres d’équipage qui ne possédaient pas les brevets requis pour le voyage entrepris.

    MESURES À PRENDRE

    L’enjeu de la surveillance réglementaire dans le transport maritime demeurera sur la Liste de surveillance jusqu’à ce que TC assure une plus grande surveillance des processus d’inspection des navires commerciaux en démontrant que sa supervision et sa surveillance sont efficaces pour veiller à ce que les représentants autorisés et les organismes reconnus s’assurent que les navires respectent les exigences réglementaires, et que TC démontre une augmentation de la surveillance proactive.

    1.21 Rapports de laboratoire du BST

    Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

    • LP055/2021 – Survival Suits Examination [Examen des combinaisons de survie]
    • LP093/2022 – Investigation of tug girding conditions [Enquête sur les conditions d’engagement des remorqueurs]

    Dans le cadre de l’enquête sur cet événement, le laboratoire du BST a examiné les combinaisons d’immersion portées par le capitaine et le MP2 afin de déterminer leur efficacité. Les 2 combinaisons présentaient une résistance dans le fonctionnement de la fermeture éclair. La combinaison du capitaine présentait une résistance dans les 53 premiers centimètres de la fermeture éclair, et la combinaison du MP2 présentait une résistance dans la partie centrale de la fermeture éclair. Lorsque les corps du capitaine et du MP2 ont été récupérés, il a été constaté que la fermeture éclair de leurs combinaisons s’était arrêtée dans la zone de résistance.

    Le laboratoire du BST a également utilisé les données recueillies au cours de l’enquête pour examiner l’influence de certains paramètres, comme la longueur du câble de remorquage ainsi que la vitesse et la direction du vent et du courant pour une combinaison remorqueur–chaland généralisée qui était semblable à la combinaison de l’Ingenika et du Miller 204. L’examen portait plus particulièrement sur la stabilité à l’état intact du remorqueur.

    2.0 Analyse

    L’analyse portera sur les facteurs causals et contributifs qui ont probablement conduit au naufrage du remorqueur et à la perte de vies. L’analyse portera également sur la gestion des risques dans les opérations de remorquage et sur la surveillance réglementaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins.

    2.1 Naufrage de l’Ingenika

    Les opérations de remorquage présentent des risques particuliers qui doivent être gérés efficacement pour garantir la sécurité du navire, de l’équipage et de l’environnement. Même si, dans le cadre du Programme de conformité des petits bâtiments – Remorqueur, il est souligné que les propriétaires et les représentants autorisés (RA) doivent s’assurer que les limites opérationnelles d’un remorqueur ont été déterminées, beaucoup se fient encore uniquement à l’expérience et au jugement de chaque capitaine pour cette tâche. Chez Wainwright Marine Services, la détermination des limites opérationnelles d’un remorqueur était laissée à la discrétion de chaque capitaine, et il n’y avait pas d’orientation pour aider les capitaines à accomplir cette tâche essentielle à la sécurité. Par conséquent, les évaluations étaient faites de façon improvisée, sans que soient établies des limites météorologiques, des limites de charge, des données sur la puissance de traction effective ou encore de l’information sur la stabilité du remorqueur.

    Le capitaine du voyage à l’étude possédait une certaine expérience du remorquage et avait évalué de façon informelle les effets potentiels des conditions météorologiques et du courant sur le remorqueur et le remorqué pour le voyage à l’étude.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    En l’absence d’orientation permettant une évaluation complète de la capacité de l’Ingenika à effectuer l’opération de remorquage, le remorqueur et le chaland ont appareillé dans des conditions météorologiques défavorables qui ne convenaient pas à l’opération.

    La séquence exacte des événements qui ont conduit au naufrage n’a pu être reconstituée; toutefois, à un moment donné, alors que le remorqueur et le chaland contournaient la pointe Europa, le remorqueur a soudainement gîté à tribord et a commencé à prendre l’eau. Le BST a calculé que la puissance de traction maximale de l’Ingenika était probablement d’environ 8 tonnes, avec une puissance de traction effective d’environ 6 tonnes en eaux calmes. Au moment de l’événement, dans les conditions environnementales prévues, la puissance de traction requise pour que le Miller 204 maintienne son erre était d’environ 12 tonnes. Les calculs du BST concernant la puissance de traction de l’Ingenika démontrent qu’au moment de l’événement, dans les conditions météorologiques qui prévalaient, la puissance de traction effective du remorqueur n’était pas suffisante pour remorquer le chaland.

    Le remorqueur a quitté Kitimat la mer de l’arrière; toutefois, lorsqu’il a commencé à contourner la pointe Europa, il a rencontré un vent et un courant contraires. Ces conditions ont probablement fait diminuer la puissance de traction effective du remorqueur jusqu’à ce qu’elle soit insuffisante pour remorquer le chaland. Alors que le remorqueur tentait de contourner la pointe, le chaland lourdement chargé a possiblement poursuivi sa trajectoire au lieu de suivre le remorqueur. Cela aurait pu créer une force de traînée sur le remorqueur, laquelle, combinée au franc-bord relativement faible du remorqueur, a pu avoir fait gîter le remorqueur et submerger le livet du pont.

    Lorsque le remorqueur a gîté, il a été possible pour l’eau de pénétrer dans la coque par les ouvertures du pont, par exemple par les évents d’échappement ouverts de la salle des machines. Les évents d’échappement de la salle des machines constituaient le point d’envahissement le plus bas du remorqueur lorsque les autres ouvertures du pont étaient fermées. En peu de temps, l’eau entrant par ces ouvertures aurait commencé à inonder le remorqueur, le faisant couler.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Alors que le remorqueur et le chaland contournaient la pointe Europa dans un vent et un courant contraires et avec une puissance de traction effective réduite, la force de traînée du chaland a pu faire gîter le remorqueur et submerger le livet du pont, entraînant un envahissement par les ouvertures du pont et le naufrage du navire.

    Les mesures prises par le capitaine et le MP2 dans les instants qui ont précédé l’entrée du MP1 dans la timonerie ne sont pas connues. Cependant, le fait que le câble de remorquage n’était plus attaché au remorqueur après l’événement et qu’il ne présentait aucun signe de rupture sous tension semble indiquer que le frein du treuil de remorquage aurait été desserré à un moment donné pour tenter d’interrompre le remorquage et d’empêcher le remorqueur de chavirer ou de couler.

    2.2 Possibilités de survie

    Alors que le remorqueur coulait, les 3 membres d’équipage ont été contraints d’abandonner le navire dans des conditions de mer froide et agitée. Le capitaine et le MP2 étaient en train d’enfiler leur combinaison d’immersion avant qu’ils entrent dans l’eau. Pour qu’une combinaison d’immersion fonctionne de manière optimale, sa fermeture éclair doit être entièrement fermée, le capuchon et les gants doivent être enfilés, le support de tête gonflable doit être gonflé et les sangles de cheville doivent être fixées. Si la fermeture éclair de la combinaison n’est que partiellement fermée ou si le capuchon n’est pas enfilé, l’eau peut pénétrer dans la combinaison et agir comme un poids et ainsi faire couler la personne. Si les sangles de cheville ne sont pas fixées, des poches d’air peuvent s’accumuler dans la partie inférieure de la combinaison et faire flotter les pieds de la personne à la surface. Si le support de tête gonflable n’est pas gonflé, la personne est privée d’un support de tête flottant qui lui permettrait de maintenir sa tête hors de l’eau. Une personne qui flotte horizontalement dans l’eau sans support de tête gonflable a plus de mal à maintenir sa tête hors de l’eau qu’une personne avec un support de tête gonflable.

    Après l’événement, il a été déterminé que les combinaisons d’immersion portées par le capitaine et le MP2 n’étaient pas entièrement enfilées. Un certain nombre de raisons possibles l’expliquent : les membres d’équipage disposaient d’un temps limité pour enfiler leur combinaison avant d’abandonner le remorqueur, et ils se sont probablement dépêchés de le faire sans aide sur une surface mouillée et instable. L’enquête a également permis de déterminer que les membres d’équipage ne s’étaient pas exercés à enfiler leur combinaison lors d’exercices parce qu’il n’était pas d’usage que des exercices soient effectués à bord de l’Ingenika, ce qui a nui à leur capacité de se familiariser avec l’enfilage des combinaisons et d’apprendre l’importance des étapes à suivre.

    L’enquête a par ailleurs révélé que la fermeture éclair de la combinaison du capitaine et du MP2 présentait une zone de résistance avant d’être complètement fermée. Les fermetures éclair des combinaisons d’immersion présentent une certaine résistance inhérente, mais il n’a pas été possible de déterminer exactement quelle a été la résistance des fermetures éclair avant que le capitaine et le MP2 entrent dans l’eau. Néanmoins, l’enquête a effectivement permis d’établir que les combinaisons n’avaient pas fait l’objet d’un entretien régulier, ce qui comprend notamment le graissage des fermetures éclair. Cette situation peut avoir aggravé la résistance ressentie en essayant d’enfiler les combinaisons. La résistance des fermetures éclair peut donc avoir été un autre facteur ayant contribué à ce que les combinaisons du capitaine et du MP2 ne soient que partiellement fermées.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Les combinaisons d’immersion de 2 des membres d’équipage n’étaient que partiellement enfilées, ce qui a permis à l’eau froide d’entrer dans les combinaisons et a causé la mort des membres d’équipage par hypothermie, puis par noyade.

    Une fois qu’une personne se trouve dans l’eau, sa survie dépend de sa capacité à se maintenir à flot, à garder sa bouche hors de l’eau, à conserver sa chaleur corporelle et à prendre les mesures de survie nécessaires. Dans l’événement à l’étude, compte tenu de la séquence des événements, il y avait 2 différences clés qui ont eu une incidence sur les chances de survie du MP1 par rapport au capitaine et au MP2 :

    1. Des combinaisons d’immersion partiellement enfilées et l’omission d’utiliser les caractéristiques clés des combinaisons ont réduit les chances de survie du capitaine et du MP2. En particulier, ces facteurs ont aggravé la perte de chaleur, augmenté le risque d’ingestion d’eau et entravé leur capacité à manœuvrer.
    2. La capacité de rester à flot, l’absence de restrictions dues à une combinaison d’immersion partiellement enfilée et la capacité du MP1 à entrer dans le radeau de sauvetage ont augmenté ses chances de survie.

    Même s’il ne disposait d’aucun dispositif de flottaison et d’aucune protection thermique, le MP1 a pu rester à flot en s’accrochant aux autres membres de l’équipage et il n’était pas limité physiquement par une combinaison partiellement enfilée et pleine d’eau, ce qui signifie qu’il était initialement dans une meilleure situation de survie que le capitaine et le MP2. Cependant, la nage subséquente du MP1 vers le radeau de sauvetage et à partir de celui-ci a entraîné une perte de chaleur aiguë et une nouvelle ingestion d’eau, ce qui signifie que, comparativement, le MP1 s’est retrouvé dans une situation de survie pire que celle du capitaine et du MP2. Puisque le radeau de sauvetage s’est déployé dans un laps de temps critique où la capacité de nage en baisse du MP1 correspondait encore à la distance nécessaire pour nager jusqu’au radeau, le MP1 a pu sortir de l’eau avant que la perte de motricité due au froid n’entraîne sa noyade.

    Fait établi : Autre

    Le membre d’équipage survivant, n’étant pas encombré par les restrictions d’une combinaison d’immersion partiellement enfilée, a pu sortir de l’eau et entrer dans le radeau de sauvetage avant que la perte de motricité due au froid n’entraîne sa noyade.

    2.2.1 Formation et exercices

    En cas d’urgence, les membres d’équipage peuvent être amenés à prendre des décisions dans un environnement très stressant. Ils peuvent disposer d’un temps limité pour réagir et avoir peu d’expérience antérieure des situations d’urgence. Lorsque les membres d’équipage ont l’occasion de s’exercer régulièrement à réagir à différents scénarios d’urgence par l’intermédiaire d’exercices, la probabilité d’une intervention réussie augmente.

    Dans l’événement à l’étude, même si les exercices étaient exigés par la réglementation, Wainwright Marine Services n’assurait ni le suivi des exercices ni leur exécution, et les exercices n’étaient pas effectués à bord de l’Ingenika. Cela signifie que les membres d’équipage n’avaient pas l’occasion de s’exercer régulièrement à l’abandon du navire et aux étapes connexes comme la transmission d’un signal de détresse, le déploiement du radeau de sauvetage et l’enfilage des combinaisons d’immersion.

    De plus, même si le capitaine avait suivi des cours de formation aux fonctions d’urgence en mer (FUM) en 2006 et en 2010, il n’était pas tenu de suivre une formation FUM périodique. Dans l’événement à l’étude, le capitaine a dû se fier à la formation FUM qu’il avait suivie plusieurs années auparavant, et les compétences acquises pendant la formation s’étaient probablement dégradées avec le temps.

    Faits établis quant aux risques

    Si les membres d’équipage n’ont pas l’occasion de s’exercer régulièrement à réagir aux situations d’urgence au moyen d’exercices, ils risquent de ne pas réagir efficacement en cas d’urgence, ce qui réduit leurs chances de survie.

    Si une formation FUM périodique n’est pas exigée pour les membres d’équipage qui effectuent des voyages intérieurs, il y a un risque qu’ils ne maintiennent pas leurs compétences ou qu’ils ne maîtrisent pas les plus récentes connaissances et pratiques de gestion des urgences.

    2.3 Gestion des risques dans les opérations de remorquage

    Les opérations de remorqueurs et de chalands effectuées le long de la côte ouest de la Colombie-Britannique peuvent nécessiter des passages dans des régions éloignées pour remorquer de grandes quantités de mazout et d’autres marchandises dangereuses; il est donc essentiel que ces opérations soient effectuées en toute sécurité. Les accidents de remorquage qui se produisent dans ces régions mettent en danger la vie des membres d’équipage et l’environnement, car les alertes de détresse, les opérations de recherche et sauvetage, et l’intervention environnementale peuvent être plus difficiles à réaliser parce que les stations d’intervention sont moins nombreuses et que les signaux VHF ou cellulaires ne sont pas toujours disponibles.

    La gestion des risques dans les opérations de remorquage peut être une entreprise complexe étant donné que les risques changent en fonction de variables telles que les caractéristiques du remorqué, la configuration de remorquage, la route empruntée ainsi que les conditions météorologiques, du vent, des vagues et du courant. Les compagnies doivent accorder la priorité à la gestion des risques et élaborer une orientation sur la gestion des risques à l’intention des capitaines. Plus précisément, une orientation complète décrivant les limites opérationnelles aide les capitaines à prendre des décisions visant à utiliser des stratégies d’élimination ou d’atténuation des risques, comme le report du départ jusqu’à ce que les conditions météorologiques s’améliorent, la modification de la configuration de remorquage (p. ex., l’utilisation de goupilles de remorquage ou d’autres dispositifs de retenue), la demande d’un remorqueur de renfort ou l’utilisation d’un plus gros remorqueur dont la puissance de traction est plus élevée.

    Chez Wainwright Marine Services, il n’y avait aucune orientation pour aider les capitaines à gérer les risques de chaque opération de remorquage. Le capitaine du voyage à l’étude possédait une certaine expérience du remorquage et avait évalué de façon informelle les effets potentiels des conditions météorologiques et du courant sur le remorqueur et le remorqué pour le voyage à l’étude. Toutefois, en l’absence d’une orientation, il ne disposait pas de limites opérationnelles, de données sur la puissance de traction effective ou d’information sur la stabilité établies pour l’aider dans son évaluation. Ce problème n’est pas propre à cette compagnie; des enquêtes antérieures du BST ont révélé l’absence de processus officiels de gestion des risques dans d’autres compagnies de remorquage.

    Fait établi quant aux risques

    Si les compagnies de remorquage n’accordent pas la priorité à la gestion des risques et ne fournissent pas d’orientation pour aider les capitaines à évaluer si les remorqueurs conviennent aux opérations de remorquage qu’ils entreprennent, les limites opérationnelles peuvent être dépassées, ce qui met en danger l’équipage, le remorqueur, le remorqué et l’environnement.

    2.4 Surveillance réglementaire

    2.4.1 Transports Canada

    Une surveillance efficace de la part de Transports Canada (TC) est nécessaire pour s’assurer que les propriétaires et les exploitants de remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins respectent les règlements essentiels à la sécurité. Contrairement aux grands remorqueurs, les petits navires de cette catégorie particulière ne sont pas tenus d’être certifiés ou inspectés en vertu du cadre réglementaire actuel. Par conséquent, ces remorqueurs ne sont assujettis à aucune restriction quant aux voyages, au type d’activité pour lequel le navire est utilisé (p. ex., remorquage) ou aux conditions d’exploitation de ce dernier (p. ex., conditions météorologiques).

    Pour faciliter la gestion des risques, TC exige que les RA élaborent des procédures d’exploitation sécuritaire et des procédures d’urgence. Toutefois, la définition d’une procédure d’exploitation sécuritaire est sujette à interprétation, et cette exigence n’a pas permis de s’assurer que les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins disposent de processus de gestion des risques servant à aider les capitaines de remorqueurs à évaluer les dangers présents dans leurs opérations de remorquage.

    Dans l’événement à l’étude, en plus de l’absence d’une orientation sur la capacité du remorqueur, certaines exigences réglementaires n’ont pas été respectées. Cette enquête a permis de déterminer ce qui suit :

    • les exercices d’urgence n’étaient pas effectués;
    • l’entretien de l’équipement de sauvetage n’était pas toujours effectué selon le calendrier prévu;
    • les dossiers d’inspection n’étaient pas à jour;
    • le brevet du capitaine était limité aux navires à passagers exploités par une compagnie précise, et les connaissances pratiques qu’avait le capitaine des opérations de remorquage n’avaient pas été évaluées par TC;
    • le matelot de pont chargé d’un quart à la passerelle n’était pas titulaire d’un brevet.

    En l’absence de surveillance réglementaire du remorqueur par TC, ces problèmes ont persisté.

    Le BST a déjà émis une préoccupation liée à la sécurité sur la question de la surveillance réglementaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins. Au cours des 15 dernières années, TC a entrepris certaines initiatives relatives aux enjeux touchant les remorqueurs et les chalands, mais aucune d’entre elles n’a servi à réduire le nombre de situations dangereuses signalées. En 2022, TC a fourni une orientation supplémentaire aux propriétaires et aux RA par l’intermédiaire du Programme de conformité des petits bâtiments – Remorqueur. Cependant, la participation à ce programme n’est pas obligatoire et, en l’absence d’inspections régulières par TC, il n’y a aucun moyen de vérifier son efficacité.

    Fait établi quant aux risques

    Si les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins ne font pas l’objet d’une surveillance réglementaire adéquate, il y a un risque que les conditions et les pratiques dangereuses ne soient pas résolues, conduisant à des accidents.

    2.4.2 Administration de pilotage du Pacifique

    Dans le cadre du système de dispense de pilotage, l’Administration de pilotage du Pacifique (APP) compte sur les entreprises pour s’assurer que, pendant les voyages, les membres d’équipage de la compagnie maintiennent un niveau de sécurité comparable à celui d’un pilote breveté. L’APP prévoit des exigences que les détenteurs d’une dispense doivent respecter en ce qui concerne les membres d’équipage chargés d’un quart à la passerelle, ainsi que l’équipement de navigation qui doit se trouver à bord.

    L’enquête sur cet événement a révélé des lacunes dans le respect par Wainwright Marine Services des conditions de sa dispense de pilotage et de la surveillance du système de dispense fourni par l’APP. Par exemple, même si le capitaine avait obtenu une dispense de pilotage, il était titulaire d’un brevet réservé aux navires à passagers exploités par une compagnie particulière et, à ce titre, il n’aurait pas dû être admissible à une dispense pour un navire remorqueur. De plus, le MP1 avait, à diverses occasions, été chargé d’un quart à la passerelle sur l’Ingenika, sans toutefois être titulaire d’un brevet ou d’une dispense de pilotage. En outre, le remorqueur n’était pas équipé d’un système d’alarme de quart à la passerelle et n’avait pas de système d’identification automatique de classe A, deux exigences applicables à un navire exploité en vertu d’une dispense.

    Étant donné que l’APP n’examine pas systématiquement les restrictions sur les brevets avant d’accorder une dispense et qu’elle se fie aux RA pour vérifier si les membres d’équipage et les navires respectent les exigences de l’APP, ces lacunes sont passées inaperçues.

    Fait établi quant aux risques

    Sans vérification que les membres d’équipage et les navires satisfont aux exigences en matière de dispense de l’APP, il y a un risque que la non-conformité avec les exigences de la dispense passe inaperçue et compromette la sécurité dans les zones de pilotage obligatoire.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

    1. En l’absence d’orientation permettant une évaluation complète de la capacité de l’Ingenika à effectuer l’opération de remorquage, le remorqueur et le chaland ont appareillé dans des conditions météorologiques défavorables qui ne convenaient pas à l’opération.
    2. Alors que le remorqueur et le chaland contournaient la pointe Europa dans un vent et un courant contraires et avec une puissance de traction effective réduite, la force de traînée du chaland a pu faire gîter le remorqueur et submerger le livet du pont, entraînant un envahissement par les ouvertures du pont et le naufrage du navire.
    3. Les combinaisons d’immersion de 2 des membres d’équipage n’étaient que partiellement enfilées, ce qui a permis à l’eau froide d’entrer dans les combinaisons et a causé la mort des membres d’équipage par hypothermie, puis par noyade.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

    1. Si les membres d’équipage n’ont pas l’occasion de s’exercer régulièrement à réagir aux situations d’urgence au moyen d’exercices, ils risquent de ne pas réagir efficacement en cas d’urgence, ce qui réduit leurs chances de survie.
    2. Si une formation en fonctions d’urgence en mer périodique n’est pas exigée pour les membres d’équipage qui effectuent des voyages intérieurs, il y a un risque qu’ils ne maintiennent pas leurs compétences ou qu’ils ne maîtrisent pas les plus récentes connaissances et pratiques de gestion des urgences.
    3. Si les compagnies de remorquage n’accordent pas la priorité à la gestion des risques et ne fournissent pas d’orientation pour aider les capitaines à évaluer si les remorqueurs conviennent aux opérations de remorquage qu’ils entreprennent, les limites opérationnelles peuvent être dépassées, ce qui met en danger l’équipage, le remorqueur, le remorqué et l’environnement.
    4. Si les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins ne font pas l’objet d’une surveillance réglementaire adéquate, il y a un risque que les conditions et les pratiques dangereuses ne soient pas résolues, conduisant à des accidents.
    5. Sans vérification que les membres d’équipage et les navires satisfont aux exigences en matière de dispense de l’Administration de pilotage du Pacifique, il y a un risque que la non-conformité avec les exigences de la dispense passe inaperçue et compromette la sécurité dans les zones de pilotage obligatoire.

    3.3 Autres faits établis

    Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

    1. Les renseignements d’immatriculation de la radiobalise de localisation des sinistres de l’Ingenika n’étaient pas à jour, ce qui signifie que les ressources de recherche et sauvetage n’ont pas été en mesure de communiquer immédiatement avec le propriétaire actuel du remorqueur.
    2. Le membre d’équipage survivant, n’étant pas encombré par les restrictions d’une combinaison d’immersion partiellement enfilée, a pu sortir de l’eau et entrer dans le radeau de sauvetage avant que la perte de motricité due au froid n’entraîne sa noyade.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    4.1.1 Wainwright Marine Services

    Après l’événement, Wainwright Marine Services a procédé à un examen de tous les brevets des membres d’équipage et a travaillé avec tous les membres d’équipage actuels et nouveaux pour s’assurer que leur brevet n’était pas limité à d’autres organisations ou navires. De plus, Wainwright Marine Services a embauché une personne pour donner une formation aux membres d’équipage sur la prise de décisions, la stabilité et l’engagement. Enfin, Wainwright Marine Services a numérisé son système de gestion de la sécurité afin de faciliter les mises à jour et de garantir que les employés de la compagnie peuvent y accéder à tout moment.

    4.1.2 Transports Canada

    En janvier 2022, Transports Canada (TC) a créé le Groupe consultatif sur la sécurité des remorqueurs et des bateaux de travail de la côte Pacifique, qui comprend des représentants de l’industrie, des syndicats et du gouvernement de la Colombie-Britannique. L’objectif du groupe est de soulever des questions, d’élaborer des initiatives et de proposer des solutions pratiques et des pratiques exemplaires de l’industrie. De plus, le groupe présente des constatations et fait des recommandations aux organismes fédéraux de réglementation de la sécurité maritime ainsi qu’aux organismes provinciaux de réglementation de la santé et de la sécurité au travail concernant des changements éventuels aux régimes de réglementation, d’application de la loi, et de santé et sécurité.

    TC a également intensifié ses efforts de sensibilisation de manière à inscrire les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins au Programme de conformité des petits bâtiments – Remorqueur. TC a communiqué directement avec les représentants autorisés de tous ces remorqueurs. Dans la région du Pacifique, une campagne d’inspection de surveillance ciblée a été lancée en janvier 2022 pour vérifier la conformité des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins. En septembre 2022, plus de 50 inspections de conformité avaient été effectuées.

    Enfin, on est à élargir la portée du protocole d’entente existant entre TC et WorkSafeBC pour y inclure tous les navires commerciaux en Colombie-Britannique, y compris les remorqueurs. Auparavant, le protocole d’entente se limitait à l’échange de renseignements sur les préoccupations liées aux opérations ou à la santé et sécurité au travail visant les bateaux de pêche.

    4.2 Mesures de sécurité à prendre

    4.2.1 Exploitation sécuritaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins

    Le 10 février 2021, le remorqueur Ingenika, avec 3 membres d’équipage à bord, remorquait le chaland chargé Miller 204 dans le canal Gardner lorsque le remorqueur a coulé à environ 16 milles marins à l’ouest-sud-ouest de la baie Kemano (Colombie‑Britannique). Le chaland a ensuite dérivé et s’est échoué à environ 2,5 milles marins au sud-ouest de l’endroit où le remorqueur avait coulé. L’opération de recherche et sauvetage a permis de retrouver 1 membre d’équipage survivant sur terre et de récupérer les corps des 2 autres membres d’équipage dans l’eau. Le chaland a été récupéré; le remorqueur n’a pas été retrouvé. Au moment de l’événement, le remorqueur avait 3500 L de carburant diesel dans des réservoirs à bord.

    4.2.1.1 Surveillance réglementaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins

    En septembre 2022, il y avait environ 1343 remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins immatriculés au Canada, dont environ 1035 étaient immatriculés en Colombie-Britannique. Depuis 2015, le BST a enquêté sur 6 événements mettant en cause des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins exploités sur la côte ouest du Canada, événements qui ont soulevé des questions liées au caractère adéquat de la surveillance réglementaire Note de bas de page 47.

    TC ne certifie pas les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins, et ces navires ne sont pas tenus de subir des inspections régulières. En comparaison, avant d’être certifiés par TC en vertu du Règlement sur les certificats de sécurité de bâtiment, les remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15, mais de moins de 150 doivent faire l’objet d’une inspection quadriennale, et les remorqueurs d’une jauge brute de 150 ou plus, d’une inspection annuelle. Bien que TC se soit fixé comme cible annuelle d’inspecter 3 % des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins à l’échelle nationale, la plupart d’entre eux passeront des années sans être inspectés et pourraient ne jamais l’être pendant toute la durée de vie du navire. Par exemple, l’Ingenika a été construit en 1968 et était en service depuis plus de 50 ans avant l’événement à l’étude; l’enquête a révélé qu’il n’y avait aucun dossier indiquant que TC avait effectué une inspection à un moment quelconque de la vie opérationnelle du remorqueur.

    Le BST a aussi récemment fait enquête sur un autre événement mettant en cause un remorqueur d’une jauge brute de 15 ou moins, le Risco Warrior Note de bas de page 48, qui a été construit en 1961 et qui n’avait jamais été inspecté. Cette enquête a révélé que sans une surveillance réglementaire complète et des mesures d’application de la réglementation, il y a un risque que les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins continueront d’être exploités avec de l’équipement et des pratiques non sécuritaires. Bien que les propriétaires et les exploitants de navires soient les premiers responsables de la gestion de la sécurité, il est essentiel que TC assure une surveillance efficace et intervienne de façon proactive pour s’assurer que les propriétaires et les exploitants de navires se conforment aux règlements et aux normes et peuvent gérer efficacement la sécurité de leurs activités.

    D’avril à octobre 2022, TC a effectué 30 inspections de surveillance fondées sur le risque de remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins. Dans l’ensemble, 21 de ces inspections ont révélé un total de 62 lacunes, dont 13 liées à l’équipement de sauvetage, 12 liées à la structure ou à la stabilité, 8 liées aux brevets d’équipage, 6 liées à la sécurité incendie et 5 liées à la sécurité de la navigation.

    D’avril à octobre 2022, TC a également effectué 120 inspections réglementaires de remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15. Soixante-quatre de ces inspections ont révélé des lacunes. Les inspections réglementaires sont généralement plus complètes que les inspections de surveillance fondées sur le risque. En outre, TC a effectué 30 inspections de surveillance fondées sur le risque de remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 en fonction des constatations tirées des inspections réglementaires. De ces 30 inspections de surveillance fondées sur le risque, 19 ont révélé des lacunes.

    En 2018-2019, TC a mené une campagne d’inspection concentrée sur les navires canadiens. Selon le rapport de la campagne Note de bas de page 49, 83 navires ont été inspectés à l’échelle du pays, dont 49 dans la catégorie de l’inspection annuelle et 34 selon les inspections quadriennales réalisées en vertu du Règlement sur l’inspection des coques Note de bas de page 50. Dix-neuf des navires inspectés étaient des remorqueurs, mais aucun n’était d’une jauge brute de 15 ou moins. Les données ont démontré que les navires inspectés tous les 4 ans présentaient plus de lacunes que ceux inspectés chaque année.

    TC s’est également concentré sur les remorqueurs dans le cadre d’une campagne d’inspection concentrée menée en Colombie-Britannique de janvier à mars 2017. Trente remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins et 30 remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 ont été choisis pour être inspectés. TC a conclu que les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins présentaient beaucoup plus de cas de non-conformité avec la réglementation que les remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 Note de bas de page 51.

    Dans le cas des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins, il incombe au représentant autorisé (RA) d’assurer la conformité avec les règlements et l’exploitation sécuritaire du navire. Toutefois, dans sa Liste de surveillance 2022, le BST a souligné que de nombreux RA de petits navires, comme l’Ingenika, connaissent peu les articles clés de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et le cadre réglementaire général. D’autres RA peuvent ne pas être motivés à se conformer à la réglementation, étant donné qu’il est bien connu que TC n’inspectera probablement pas leur navire et que la probabilité d’application de la loi est faible.

    En 2016, reconnaissant le niveau de risque présent, le Bureau a émis une préoccupation liée à la sécurité Note de bas de page 52 sur la question de la surveillance réglementaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins. Le 25 juin 2022, TC a publié au préalable le Règlement sur le système de gestion de la sécurité maritime proposé, qui obligera les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins à élaborer un système de gestion de la sécurité et à obtenir un certificat canadien de gestion de la sécurité. TC a également élaboré et mis en œuvre le Programme de conformité des petits bâtiments – Remorqueur (PCPB–R), qui offre une description simplifiée des exigences réglementaires ainsi que des renseignements utiles que les compagnies et les RA peuvent utiliser pour évaluer leur conformité réglementaire. Bien que ces initiatives soient encourageantes, elles ne remplacent pas l’inspection des navires dans le cadre d’un programme plus vaste de surveillance réglementaire, qui offrirait la possibilité d’examiner un navire et son équipement pour vérifier s’ils sont conformes aux exigences réglementaires et exploités de façon sécuritaire. Sans une surveillance adéquate de la part de TC, les lacunes dans la gestion de la sécurité et l’exploitation des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins continueront de ne pas être corrigées, ce qui entraînera des accidents. Par conséquent, le Bureau recommande que

    le ministère des Transports élargisse son programme de surveillance pour y inclure des inspections régulières des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins afin de vérifier si ces navires respectent les exigences réglementaires.
    Recommandation M23-01 du BST

    4.2.1.2 Évaluations des risques pour les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins

    Le BST a noté qu’outre la nécessité d’une surveillance réglementaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins, les compagnies de remorquage qui exploitent ces remorqueurs ne sont pas actuellement tenues d’évaluer les risques qui pourraient être présents dans leurs opérations, même lorsqu’il s’agit d’une chose aussi essentielle qu’évaluer si leurs remorqueurs conviennent aux opérations de remorquage qu’ils entreprennent. Même si la présente enquête portait sur les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins, il a été noté qu’il n’existe pas non plus d’exigences d’évaluation des risques pour les remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15.

    Bien que la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada exige que le RA de tout navire élabore des procédures d’exploitation sécuritaire et que le capitaine assure la sécurité du navire et de toute personne à bord, ce qui constitue des procédures d’exploitation sécuritaire est sujet à interprétation, et ces exigences n’ont pas donné lieu à une gestion efficace des risques sur les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins. Si l’on ajoute à cela le fait que les remorqueurs de cette catégorie ne sont que rarement inspectés et que leurs activités ne sont soumises à aucune restriction, des accidents comme celui de l’Ingenika risquent de se produire.

    Il existe des exigences d’évaluation des risques pour certains navires de remorquage; TC exige qu’une évaluation des risques soit menée lorsqu’un navire remorque un navire transportant des hydrocarbures ou des produits chimiques dangereux en vrac Note de bas de page 53. Ces types d’évaluation des risques offrent la possibilité d’examiner chaque aspect de l’opération de remorquage, comme les conditions météorologiques, les dangers posés par la cargaison et la capacité du remorqueur à effectuer le remorquage. Le PCPB–R Note de bas de page 54, récemment mis au point par TC, offre par ailleurs des données utiles qui peuvent être utilisées dans les évaluations des risques pour favoriser des opérations de remorquage sécuritaires.

    Depuis l’événement mettant en cause l’Ingenika, TC a entrepris certaines initiatives pour améliorer la sécurité des remorqueurs en élaborant le PCPB–R et en publiant au préalable le Règlement sur le système de gestion de la sécurité maritime proposé dans la Partie I de la Gazette du Canada. Le projet de règlement, en particulier, donne à TC la possibilité d’élaborer des dispositions réglementaires pour s’assurer que les compagnies exploitant des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins intègrent des évaluations des risques dans leurs opérations. Cependant, bien que le PCPB–R et le projet de règlement constituent des avancées positives, dans leur forme actuelle, ils n’exigent pas explicitement que les exploitants de remorqueurs effectuent des évaluations des risques. Ainsi, les risques liés aux opérations de remorquage continueront de passer inaperçus et de ne pas être atténués, mettant en danger les équipages, les remorqueurs, les remorqués et l’environnement. Par conséquent, le Bureau recommande que

    le ministère des Transports exige que les représentants autorisés des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins évaluent les risques présents dans leurs opérations, entre autres évaluer si leurs remorqueurs conviennent aux opérations de remorquage particulières qu’ils entreprennent.
    Recommandation M23-02 du BST

    4.2.1.3 Surveillance des dispenses de pilotage par l’Administration de pilotage du Pacifique

    Au moment de l’événement, l’Ingenika était exploité dans une zone de pilotage obligatoire qui relève de la responsabilité de l’Administration de pilotage du Pacifique (APP). L’APP est une société d’État qui a pour mandat d’établir, d’exploiter, de maintenir et d’administrer des services de pilotage sécuritaires et efficaces en Colombie-Britannique. Les services de pilotage sont fournis par des pilotes brevetés, qui sont des navigateurs hautement qualifiés qui mettent à profit leur connaissance des eaux locales pour diriger un navire et le faire naviguer en utilisant la route la plus sûre.

    L’APP a un système de dispense de pilotage en vertu duquel certains navires, principalement les remorqueurs, peuvent obtenir des dispenses qui les exemptent de l’obligation d’embarquer un pilote breveté dans les zones de pilotage désignées si les exploitants et les remorqueurs répondent à certaines exigences. Cependant, lorsqu’une compagnie demande une dispense de pilotage, l’APP ne vérifie pas les renseignements présentés pour s’assurer qu’ils répondent aux exigences réglementaires, et l’APP compte sur les exploitants pour s’assurer qu’ils respectent les conditions de la dispense une fois celle-ci accordée. En Colombie-Britannique, il y a actuellement 364 remorqueurs, appartenant à 85 compagnies différentes, qui sont exploités en vertu de dispenses de pilotage.

    L’enquête a révélé que, même si le capitaine de l’Ingenika avait obtenu une dispense de pilotage, il était titulaire d’un brevet réservé aux navires à passagers exploités par une compagnie particulière et, à ce titre, il n’aurait pas dû être admissible à une dispense pour un navire remorqueur. De plus, l’un des matelots de pont avait, à diverses occasions, été chargé d’un quart à la passerelle sur l’Ingenika, sans toutefois être titulaire d’un brevet ou d’une dispense de pilotage. En outre, le remorqueur n’était pas équipé d’un système d’alarme de quart à la passerelle et n’avait pas de système d’identification automatique de classe A, deux exigences applicables à un navire exploité en vertu d’une dispense.

    Cette enquête n’est pas la première à relever des lacunes dans le processus d’octroi de dispenses de l’APP et dans la façon dont cette dernière compte sur les compagnies pour assurer le respect continu des conditions des dispenses. Le BST a trouvé des questions similaires dans des événements mettant en cause le remorqueur Ocean Monarch Note de bas de page 55 en 2017 et le remorqueur Nathan E. Stewart Note de bas de page 56 en 2016.

    En l’absence d’un processus efficace permettant de vérifier que les membres d’équipage et les navires satisfont aux exigences en matière de dispense de l’APP, il y a un risque que la non-conformité avec les exigences de la dispense passe inaperçue et compromette la sécurité dans les zones de pilotage obligatoire. Compte tenu de la nécessité de s’assurer que les navires dispensés sont exploités à un niveau de sécurité comparable à celui que procure un pilote breveté, le Bureau recommande que

    l’Administration de pilotage du Pacifique vérifie si les exigences d’admissibilité sont respectées avant d’accorder des dispenses de pilotage aux compagnies qui exploitent des remorqueurs dans des zones de pilotage obligatoire.
    Recommandation M23-03 du BST

    l’Administration de pilotage du Pacifique mette en place un processus permettant de vérifier la conformité continue aux conditions des dispenses par les compagnies qui exploitent des remorqueurs dans des zones de pilotage obligatoire.
    Recommandation M23-04 du BST

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

    Annexes

    Annexe A – Événements mettant en cause la surveillance réglementaire de remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins exploités sur la côte ouest du Canada

    M20P0230 (Risco Warrior) – Le 7 août 2020, une explosion est survenue dans le compartiment des batteries du remorqueur Risco Warrior pendant que celui-ci se trouvait au quai du bras Bute (Colombie-Britannique). Le navire a subi des dommages structuraux, et 2 personnes à bord ont subi des blessures mineures. L’enquête sur l’événement a révélé que, sans une surveillance réglementaire complète et des mesures d’application de la réglementation, il y a un risque que les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins continueront d’être exploités avec de l’équipement et des pratiques non sécuritaires.

    M19P0246 (Sheena M) – Le 1er octobre 2019, le remorqueur Sheena M remorquait un chaland chargé lorsqu’il a chaviré et coulé près de Williamsons Landing (Colombie-Britannique). Les 2 personnes à bord ont été secourues par un remorqueur de billes situé à proximité. L’enquête sur cet événement a révélé que, sans une surveillance adéquate de la part de Transports Canada, les lacunes dans la gestion de la sécurité et l’exploitation des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins pourraient ne pas être corrigées.

    M17P0244 (Ocean Monarch) – Le 9 juillet 2017, le remorqueur Ocean Monarch remorquait un chaland lorsqu’il a touché le fond dans le chenal Princess Royal (Colombie-Britannique). La coque ainsi que la tuyère de tribord du remorqueur ont été endommagées. L’enquête sur cet événement a permis de déterminer que si les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins ne font pas l’objet d’une surveillance réglementaire adéquate, il y a un risque que des lacunes dans leur exploitation ne soient pas corrigées, ce qui mettrait en danger l’équipage, le navire et l’environnement.

    M16P0241 (Ken MacKenzie) – Le 11 juillet 2016, un incendie a éclaté dans la salle des machines du remorqueur Ken Mackenzie alors que celui-ci naviguait sur le fleuve Fraser (Colombie-Britannique). Les 2 membres de l’équipage ont abandonné le navire et l’incendie a été éteint. L’enquête sur cet événement a permis de déterminer que si les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins ne font pas l’objet d’une surveillance réglementaire adéquate, du matériel et des conditions d’exploitation non sécuritaires peuvent persister, ce qui pose des risques pour les personnes, les actifs et l’environnement.

    M16P0062 (H.M. Scout) – Le 2 mars 2016, le remorqueur H.M. Scout a perdu les 2 chalands qu’il remorquait lorsque le câble de remorquage s’est rompu au large de Victoria (Colombie-Britannique). Le câble de remorquage rompu s’est ensuite coincé dans l’hélice du remorqueur. L’enquête sur cet événement a permis de déterminer que si les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins ne sont pas soumis à une surveillance réglementaire adéquate pour assurer la conformité à la réglementation, il est possible que des lacunes d’exploitation ne soient pas corrigées.

    M15P0037 (Syringa) – Le 18 mars 2015, le remorqueur Syringa remorquait un chaland chargé lorsque le remorqueur a coulé à 6 milles marins à l’ouest de Sechelt (Colombie-Britannique). À la suite de l’enquête sur le naufrage, le Bureau a émis une préoccupation liée à la sécurité indiquant qu’à défaut d’une surveillance appropriée par le ministère des Transports, les lacunes de gestion de la sécurité et d’exploitation des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins pourraient n’être pas traitées.

    Annexe B – Zones de pilotage obligatoire de l’Administration de pilotage du Pacifique

    Annexe B – Zones de pilotage obligatoire de l’Administration de pilotage du Pacifique
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    Zones de pilotage obligatoire de l’Administration de pilotage du Pacifique