Collision à un passage à niveau
Canadien National
Manoeuvre numéro 9 du CN
Point milliaire 135,28, subdivision Saint-Laurent
Point milliaire 0,7, embranchement Langelier
Saint-Léonard (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Vers 13 h 50, heure normale de l'Est (HNE), le 6 juin 1995, un train de marchandises du Canadien National (CN), soit la manoeuvre no 9, a heurté un tracteur à semi-remorque à un passage à niveau public équipé de panneaux réfléchissants normalisés au point milliaire 0,7 de l'embranchement Langelier, près de Saint-Léonard (Québec).
Un membre de l'équipe de train a été mortellement blessé.
This report is also available in English.
Autres renseignements factuels
La manoeuvre no 9 se dirige vers le sud sur l'embranchement Langelier, vers le passage à niveau public du boulevard Couture, avec à sa tête le wagon-citerne UTLX 641138 et à sa queue la locomotive 7052, lorsqu'elle entre en collision avec un tracteur à semi-remorque qui roule vers l'est. Le chef de train et l'agent de train se trouvent sur la plate-forme située à la tête du wagon-citerne. Le chef de train est du côté ouest du wagon-citerne, le dos tourné à la circulation vers l'est. L'agent de train se trouve du côté est du wagon-citerne, le dos tourné à la circulation vers l'ouest. Dans les circonstances, le mécanicien, qui est aux commandes du côté est de la locomotive, peut voir l'agent de train mais non le chef de train ni les véhicules qui approchent et se dirigent vers l'est. Comme le train se prépare à franchir le passage à niveau, l'agent de train remarque un tracteur à semi-remorque qui approche du côté ouest et file en direction est. L'agent de train a déclaré par la suite qu'il avait fait certains signes de la main en approchant du passage à niveau, mais il n'a pas pu se rappeler lesquels. Le chef de train était en train de transmettre des ordres d'envoi au mécanicien, au moyen d'une radio portative.
Les témoins de l'événement ont déclaré que ni le chef de train ni l'agent de train ne sont descendus pour arrêter la circulation sur le boulevard Couture. Le train ne s'est pas arrêté avant de s'engager sur le passage à niveau et n'a jamais ralenti suffisamment pour permettre à une personne d'en descendre.
Comme le tracteur à semi-remorque approche du passage à niveau, son conducteur et un passager s'aperçoivent des gestes de l'agent de train. Le conducteur interprète les gestes comme signifiant qu'il a la permission de franchir le passage à niveau avant le train, mais il ne peut se souvenir de la nature exacte des gestes en question. Quant au passager, il juge que ces gestes signifient qu'il faut arrêter le tracteur à semi-remorque à l'ouest du passage à niveau, pour permettre au train de le franchir. Il communique cette interprétation au conducteur, mais sans pouvoir lui non plus se souvenir de la nature exacte des gestes en question.
Le tracteur à semi-remorque poursuit sa route vers l'est, sans s'arrêter, pour franchir le passage à niveau avant le train. Le wagon-citerne heurte l'arrière de la semi-remorque. Le chef de train a été coincé entre les deux surfaces d'impact et mortellement blessé. L'agent de train est descendu pour se mettre à l'abri. Ni le conducteur du tracteur à semi-remorque ni son passager n'ont été blessés.
L'article 411 du Code de la route du Québec exige que le conducteur d'un véhicule s'arrête à cinq mètres d'un passage à niveau public protégé par un signaleur qui signale l'arrivée d'un train. En outre, si le conducteur d'un véhicule voit ou entend un train s'approcher, il doit arrêter son véhicule.
Le passage à niveau public du boulevard Couture est protégé par des panneaux réfléchissants normalisés. Sa surface asphaltée est divisée en deux voies par une ligne jaune discontinue. La circulation se fait d'est en ouest, et le passage à niveau vient croiser l'embranchement Langelier presque à angle droit. Les lignes de visibilité relatives aux véhicules roulant vers l'est dans le triangle nord-ouest sont illimitées sur une distance d'environ 100 mètres à partir du passage à niveau.
La règle 103 b) du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) se lit comme suit :
- Lorsque des voitures ou des wagons non précédés par une locomotive, un chasse-neige ou autre matériel roulant équipé d'un sifflet et d'un phare avant sont déplacés sur un passage à niveau public non protégé par un gardien ou des barrières, un membre de l'équipe doit protéger manuellement le passage à niveau public.
La règle 103 g) du REF se lit pour sa part comme suit :
- Lorsqu'un membre de l'équipe doit protéger manuellement un passage à niveau, il sera posté au sol en avant du train ou de la locomotive de façon à pouvoir arrêter la circulation routière et les piétons avant que le train ou la locomotive obstruent le passage à niveau; pour ce faire, il aura recours à un signal de la main le jour, et à un feu rouge ou une torche allumée à flamme rouge la nuit. Le train ou la locomotive ne doivent pas obstruer le passage à niveau tant qu'ils n'ont pas reçu, du membre de l'équipe qui protège manuellement le passage à niveau, un signal de le faire.
Les instructions spéciales du CN stipulent en outre ce qui suit : «Un membre de l'équipe ne doit pas donner aux véhicules routiers le signal de franchir un passage à niveau».
Le chef de train et l'agent de train ne portaient aucun vêtement grâce auquel les automobilistes les auraient identifiés comme d'éventuels signaleurs.
Le REF et les instructions du CN n'indiquent pas quel signal doit être donné pour arrêter la circulation routière ou celle des piétons. Il existe toutefois une règle prévoyant l'arrêt d'un train ou d'une locomotive au moyen d'un signal de la main. La règle 12 du REF, SIGNAUX À MAIN, recommande l'utilisation de la main, d'un drapeau ou d'une lanterne, et décrit un signal d'arrêt d'un train ou d'une locomotive comme : «Lanterne balancée perpendiculairement à la voie».
La formation ferroviaire en matière de protection par signaleur de la circulation routière indique expressément aux employés qu'ils ne doivent jamais se tenir devant les véhicules ni mettre d'une façon quelconque leur vie en danger en essayant d'arrêter la circulation.
Les données du consignateur d'événements de la locomotive indiquent qu'on a fait passer la manette des gaz de la position no 3 à la position no 8 entre 17 h 48 min 11 s et 17 h 48 min 17 s. La vitesse est passée de 2 mi/h à 8 mi/h pendant le même intervalle. La manette des gaz est ensuite portée de la position no 8 à la position de ralenti à 17 h 48 min 17 s. Les freins d'urgence sont serrés à 17 h 48 min 18 s, alors que le train roule à une vitesse consignée de 8 mi/h. Le sifflet de la locomotive est actionné à 17 h 48 min 11 s et 17 h 48 min 15 s. La cloche retentit continuellement entre 17 h 48 min 12 s et 17 h 48 min 33 s, c'est-à-dire jusqu'à ce que la vitesse consignée du train soit de 0 mi/h.
Le ciel est ensoleillé et clair, et la température, de 24 ° C.
Analyse
Lorsque le mécanicien a été avisé par le chef de train que le train pouvait franchir le passage à niveau, il a ouvert la manette des gaz pour que le train accélère. Les données du consignateur d'événements de la locomotive indiquent que le train a effectivement accéléré en direction du passage à niveau puisque la manette des gaz est passée de la position no 3 à la position no 8, et que la vitesse a grimpé de 2 mi/h à 8 mi/h au cours d'un intervalle de quatre secondes. L'équipe a cru que le tracteur à semi-remorque ralentissait pour arrêter. Comme le train franchissait le passage à niveau, le mécanicien a vu la semi-remorque surgir devant le wagon-citerne. Il a immédiatement placé la manette des gaz à la position de ralenti et serré les freins d'urgence. Le train a heurté la semi-remorque, et le chef de train a été mortellement blessé.
En n'arrêtant pas le train et en ne protégeant pas manuellement le passage à niveau, l'équipe du train a contrevenu aux procédures de sécurité établies pour prévenir un tel événement. Le conducteur du tracteur à semi-remorque s'est trouvé dans une situation où il a dû à la fois interpréter un geste ambigu d'un employé des chemins de fer qui se tenait sur le côté d'un wagon et décider d'une ligne de conduite. Si un signaleur s'était tenu sur le sol, lui-même et ses signaux auraient peut-être été plus visibles.
L'enseignement donné en matière de protection par signaleur vise à mettre l'accent avant tout sur la sécurité des employés. Par conséquent, il peut assouplir un peu la rigueur de la règle en tenant compte du fait que, dans certains cas, un employé a tout intérêt, pour sa sécurité, à se tenir sur le côté d'un wagon lorsque le train franchit un passage à niveau, plutôt que sur le sol, tout près des véhicules routiers en marche. Le REF indique assez clairement l'obligation pour un signaleur de se poster au sol lorsqu'il protège manuellement un passage à niveau non pourvu de dispositifs de signalisation automatique, mais la meilleure position à adopter semble laissée au bon jugement de l'employé. On peut alléguer qu'en arrêtant un train juste avant qu'il arrive à un passage à niveau, on risque de créer à cet endroit un intervalle entre le train et les véhicules routiers, qui peut à lui seul compromettre la sécurité. Ce qui ne fait pas de doute dans ce cas, c'est que l'équipe a choisi de ne pas arrêter le train pour utiliser le drapeau à un endroit situé au sol.
Le REF et les instructions ferroviaires ne font état d'aucun signal manuel approuvé pour arrêter la circulation des véhicules et des piétons. Il est tout à fait possible qu'en l'absence d'un tel signal, un employé des chemins de fer ait recours à un signal visant à arrêter les trains alors que ce sont les véhicules routiers qu'il faut arrêter. Le conducteur d'un véhicule routier pourrait donner une fausse interprétation au signal manuel approuvé destiné à arrêter les trains, c'est-à-dire le drapeau ou la lanterne «balancé perpendiculairement à la voie». Dans le cas présent, comme la nature exacte des gestes de l'agent de train ne peut être déterminée, il se peut qu'il ait donné un signal d'arrêt ferroviaire pour arrêter le tracteur à semi-remorque.
Dans la plupart des cas où des gens doivent diriger la circulation des véhicules, comme un agent de police à une intersection, ils doivent porter des vêtements réfléchissants ainsi que des gants ou une lampe de poche pour accroître la visibilité de leurs mains. Ces exigences ont plusieurs buts : permettre aux automobilistes d'identifier facilement le signaleur comme quelqu'un qui est chargé de diriger la circulation, et rendre cette personne plus visible pour que ses signaux à main soient plus efficaces et sa sécurité personnelle, accrue. Le chef de train et l'agent de train ne portaient aucun vêtement qui les aurait fait reconnaître immédiatement comme signaleurs. La signalisation fait communément partie des fonctions d'un agent de train ou d'un chef de train. Elle est parfois une très faible partie de l'ensemble de leurs fonctions, mais le port de vêtements à haute visibilité ne pourrait qu'accroître la sécurité, même lorsqu'ils s'acquittent de leurs autres tâches.
Faits établis
- L'équipe de train ne s'est pas arrêtée et ne s'est pas postée au sol pour protéger manuellement le passage à niveau avant que le train obstrue le passage à niveau.
- Le conducteur du tracteur à semi-remorque a interprété les gestes de l'agent de train comme indiquant qu'il pouvait franchir le passage à niveau.
- Les règles du gouvernement et les instructions de la compagnie obligent les équipes à arrêter la circulation des véhicules ou des piétons, mais ils n'indiquent aucun signal manuel précis à utiliser à cette fin, et ils n'obligent pas les employés à porter des vêtements de sécurité réfléchissants lorsqu'ils agissent comme signaleurs.
Cause et facteurs contributifs
La collision s'est produite lorsque l'équipe de train a choisi de ne pas arrêter le train et se poster au sol pour effectuer ses signaux. L'absence d'un signaleur au passage à niveau a permis au tracteur à semi-remorque de s'en approcher sans s'arrêter. Les gestes de la main ambigus de l'agent de train ont été interprétés par le conducteur du tracteur à semi-remorque comme un signal d'avancer plutôt que de s'arrêter, ce qui a également contribué à l'accident.
Mesures de sécurité prises
Après l'événement en question, le CN a publié une circulaire pour mettre l'accent sur l'application de la règle 103 du REF. De plus, le district du CN chargé des activités ferroviaires dans ce secteur a fourni des gilets de sécurité aux employés pour que ces derniers les portent lorsqu'ils protégeront un passage à niveau public. Au passage à niveau en question, le CN a aussi installé des panneaux indicateurs d'arrêt pour que les trains s'arrêtent avant de franchir ce passage.
Transports Canada a envoyé une lettre à l'Association des chemins de fer du Canada pour lui indiquer qu'il fallait respecter les instructions provinciales visant la signalisation lorsqu'on communique des renseignements aux conducteurs de véhicules routiers. Transports Canada a aussi recommandé à l'Association des chemins de fer du Canada de rédiger un manuel d'instructions pour enseigner aux employés les bonnes façons de diriger la circulation routière.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.