Rapport d'enquête ferroviaire R95Q0045

Déraillement
Canadian American Railroad Company
Train numéro 291-23
Point milliaire 65,97,
subdivision Sherbrooke du CP
Lennoxville (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Vers 9 h 45, heure avancée de l'Est (HAE), le 24 juin 1995, sept wagons du train no 291-23 (train 291) de la Canadian American Railroad Company (CARC), qui roulait vers l'ouest dans la subdivision Sherbrooke du Canadien Pacifique Limitée (CP), ont déraillé à Lennoxville (Québec). Trois d'entre eux contenaient un résidu de propane (UN 1075). Le produit ne s'est pas déversé. Quelque 300 résidants ont été évacués. Personne n'a été blessé.

    Autres renseignements factuels

    Le train 291 de la CARC, composé de 6 locomotives, de 60 wagons chargés et de 16 wagons vides, roule vers l'ouest à environ 22 mi/h. Il mesure environ 6 793 pieds de long et pèse quelque 4 622 tonnes. Au moment où le train franchit la traversée oblique de Lennoxville au point milliaire 65,97 de la subdivision Sherbrooke du CP, les freins desserrés et la manette des gaz en position no 5, les freins d'urgence se déclenchent, ce qui fait immobiliser le train. Après avoir effectué les mesures d'urgence voulues, l'équipe du train, composée d'un mécanicien, d'un chef de train et d'un superviseur des mécaniciens de la CARC, détermine que les 48e à 54e wagons ont déraillé juste à l'ouest de la traversée oblique.

    Le service local d'incendie arrive sur les lieux vers 10 h<1>, et le plan d'urgence de Lennoxville est mis en oeuvre. Le service d'incendie crée immédiatement un périmètre de sécurité de 150 mètres autour des citernes de résidu de propane qui ont déraillé, et quelque 150 résidants qui habitent dans ce périmètre sont évacués. Vers 10 h 45, la Sûreté du Québec se charge du contrôle du périmètre de sécurité. Vers 18 h, elle porte ce périmètre à 350 mètres des wagons-citernes, ce qui nécessite l'évacuation de 150 autres résidants.

    Deux des wagons-citernes de résidu de propane qui ont déraillé, les wagons UTPX 932006 et CGTX 63665, ont une pression manométrique intérieure de 44 et de 80 livres au pouce carré (lb/po2) respectivement à cause de la température extrême (35 ° C). Les employés du gouvernement, de la compagnie ferroviaire et de l'industrie pétrochimique décident de brûler le résidu à la torche avant de déplacer les wagons.

    L'opération de torchage commence vers 23 h 45 et se termine vers 17 h 50 le lendemain, 25 juin, sans incident. Les évacués peuvent retourner chez eux vers 18 h 50.

    Sur les sept wagons qui ont déraillé (trois wagons chargés et quatre wagons vides), cinq ont subi des dommages considérables et deux, de légers dommages. La voie a été démolie sur 250 pieds et a subi de légers dommages sur 500 pieds. Les traverses ont subi de légers dommages depuis le passage à niveau situé au point milliaire 62,92 jusqu'à la traversée oblique.

    La subdivision Sherbrooke de la CARC s'étend du point milliaire 0,0, à Mégantic (Québec), jusqu'à la traversée oblique, au point milliaire 65,97, où elle devient la subdivision Sherbrooke du CP. La subdivision Sherbrooke du CP coupe la subdivision Sherbrooke du CN Amérique du Nord (CN) à la traversée oblique de Lennoxville. La vitesse maximale permise dans la subdivision Sherbrooke de la CARC est de 45 mi/h, mais un ordre de limitation de vitesse à 30 mi/h est en vigueur entre les points milliaires 45,1 et 65,9 à cause de variations de l'écartement et du nivellement transversal de la voie. Les courbes de ce secteur dépassent sept °, et la frondaison est généralement épaisse sur les deux côtés de l'emprise.

    Le mouvement des trains de la CARC est régi par la méthode de régulation de l'occupation de la voie (ROV) du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et est surveillé par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) du CP posté à Montréal (Québec).

    Les rails sont un mélange de sections de 39 pieds et de 78 pieds fabriquées en 1949. Ils sont fixés aux traverses en bois dur de huit pieds au moyen de trois crampons par selle à double épaulement de 12 pouces. Une traverse sur trois est encadrée d'anticheminants. Les rails et les autres éléments de la voie sont en assez bon état.

    Dans le secteur du passage à niveau public, au point milliaire 62,92, la voie présente une courbe de six ° et un dévers de 5 pouces 1/2. Les qualités de soutien du ballast en pierre concassée sont diminuées aux deux extrémités du passage à niveau à cause d'un mauvais égouttement et d'une contamination par la boue. On peut voir des signes de pompage de la voie. Maintenu en place par de l'asphalte, le rail de butée du rail sud s'est écarté d'environ trois pouces de sa position normale contre le rail à l'extrémité ouest du passage à niveau. Il y a une marque d'abrasion sur l'extrémité ouest du rail de butée et une autre marque, sur le champignon du rail nord, qui commence à environ 12 pieds à l'ouest du passage à niveau et s'étend vers l'ouest sur une vingtaine de pieds. On voit aussi des marques sur les anticheminants situés sur le côté intérieur du rail sud, à environ 28 pieds à l'ouest du passage à niveau.

    Après l'événement, l'inspection des wagons qui ont déraillé a permis de déterminer que le wagon UTPX 932006, le 49e wagon derrière les locomotives, wagon-citerne de spécification DOT 112J400W, était équipé de nouvelles roues dans la position avant (extrémité «B»). Elles avaient été montées le 7 juin 1995 par la Bangor and Aroostook Railroad à Milo (Maine), aux États-Unis. L'usure des pièces de bogie était minime. Comme les pièces des glissoirs de traverse danseuse ont été perdues, il a été impossible de déterminer l'écartement de ces derniers. La paroi de la citerne de ce wagon portait une empreinte de roue d'environ huit pouces de long directement au-dessus de la roue arrière de droite du bogie avant (position R-2). Le boudin et la table de roulement de la roue avant de gauche (position L-1) avaient subi de fortes abrasions.

    Les wagons-citernes vides, résistants aux déformations de torsion, dont les pièces de bogie sont usés sans avoir atteint les limites critiques et dont les glissoirs de traverse danseuse présentent un écartement excessif, sont susceptibles de dérailler par chevauchement du rail. Lors de l'événement, le wagon UTPX 932006 était vide et roulait à une vitesse de 22 mi/h, vitesse qui se situe à l'intérieur de la plage de vitesses critiques auxquelles peut se produire un mouvement de roulis de la caisse.

    Le 5 juillet 1995, soit 11 jours après le déraillement, une voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie a permis de déceler 5 défaillances urgentes de nivellement transversal et 14 défaillances prioritaires, y compris des défauts d'écartement et de nivellement transversal dans la courbe entre les points milliaires 62,7 et 63,0. On a immédiatement limité la vitesse maximale à 10 mi/h.

    Analyse

    Le train circulait conformément aux méthodes d'exploitation de la compagnie ferroviaire et aux normes de sécurité du gouvernement.

    Les procédures d'urgence et l'élimination maîtrisée du produit ont été menées en temps opportun et avec professionnalisme. L'évacuation a été une réaction prudente au danger accru que présentaient les wagons-citernes endommagés qui avaient déraillé.

    À la sortie de la courbe, au point milliaire 62,9, les irrégularités de la voie, dont les variations de l'écartement et du nivellement transversal, ont dû imprimer un mouvement de roulis à la caisse du wagon-citerne UTPX 932006. Ce roulis et les irrégularités de la voie au passage à niveau ont permis à la roue L-1 de chevaucher le rail en heurtant le rail de butée lâche près de l'extrémité ouest de ce passage, ce qui a fait dérailler les roues du côté extérieur du rail nord à environ 32 pieds à l'ouest du passage à niveau. Après le déraillement du wagon, la caisse de ce dernier est tombée, ce qui a permis au boudin de roue d'entrer en contact avec l'enveloppe et la paroi de la citerne et de marquer cette dernière d'une empreinte.

    En s'éloignant de la voie au contact de la traversée oblique, les bogies du wagon UTPX 932006 (le 49e) qui avaient déraillé ont fait dérailler les bogies arrière du 48e wagon et les 50e à 54e wagons.

    La courbure de la voie et l'épaisse frondaison qu'on trouvait le long de l'emprise ont dû empêcher l'équipe du train de voir que le wagon UTPX 932006 avait déraillé au point milliaire 62,92.

    La limitation de la vitesse des trains à 30 mi/h entre les points milliaires 45,1 et 65,9 ramenait cette dernière à un niveau qu'on jugeait adapté aux variations du nivellement transversal de la voie, mais les irrégularités de la voie et son piètre état au passage à niveau ont créé des conditions idéales pour un déraillement par soulèvement des roues.

    Faits établis

    1. Le train circulait conformément aux méthodes d'exploitation de la compagnie ferroviaire et aux normes de sécurité du gouvernement.
    2. Les procédures d'urgence et l'élimination maîtrisée du produit ont été menées en temps opportun et avec professionnalisme.
    3. ?À cause d'un mauvais égouttement et d'une contamination par la boue, les qualités de soutien du ballast avaient diminué au passage à niveau, ce qui avait causé le pompage des traverses et des défaillances de nivellement transversal.
    4. La caisse du wagon-citerne UTPX 932006 avait un mouvement de roulis à cause des variations de l'état de la voie avant le passage à niveau. Combiné au piètre état de la voie à ce passage, ce roulis a entraîné le déraillement par chevauchement du rail des roues avant.
    5. Le wagon UTPX 932006 a continué de rouler jusqu'à ce que les roues qui avaient déraillé heurtent la traversée oblique et fassent dérailler le wagon précédent et les cinq wagons suivants.

    Causes

    Les irrégularités de la voie, l'état du wagon-citerne UTPX 932006 et le piètre état du passage à niveau ont entraîné le déraillement par chevauchement du rail.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Maurice Harquail.

    <1>Toutes les heures sont exprimées en heure avancée de l'Est (temps universel coordonné (UTC) moins quatre heures), sauf indication contraire.