Déraillement Canadien National
train numèro A402-21-27
point milliaire 14,4, subdivision Bècancour
Saint-Grègoire (Quèbec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 27 février 1996 vers 13 h, heure normale de l'Est, 59 wagons du train no A402-21-27 du Canadien National qui avaient été laissés à l'arrêt sans surveillance et immobilisés à l'aide des freins à air, se sont mis à rouler vers le nord et ont heurté le groupe de traction qui s'attelait à six wagons sur l'embranchement menant à l'entrepôt Lama, situé au point milliaire 14,6 de la subdivision Bécancour, près de Saint-Grégoire (Québec). L'impact a causé le déraillement d'une locomotive et de 13 wagons, dont 11 wagons-citernes contenant des résidus de produits réglementés. Les wagons-citernes n'ont pas laissé fuir leur chargement, mais un réservoir de carburant d'une locomotive a été perforé et a laissé échapper environ 9 000 litres (2 000 gallons) de gazole. Un membre de l'équipe a subi des blessures graves dans l'accident.
Le Bureau a déterminé que les 59 wagons ont été immobilisés avec les freins à air serrés et la conduite générale alimentée en air, et que les freins du train se sont desserrés par suite du déclenchement par inadvertance du dispositif de desserrage rapide, sensible à la pression, lorsqu'une onde de pression s'est formée dans la conduite générale du train au moment où l'on dételait les wagons des locomotives.
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1.0 Renseignements de base
1.1 L'accident
Le train no A402-21-27, en direction nord, part du triage Taschereau de Montréal (Québec) et doit se rendre à Bécancour (Québec). Après l'ajout de wagons et un changement d'équipe à Aston Junction, l'équipe de relève se rend à l'embranchement Lama, situé dans un secteur rural au point milliaire 14,4 de la subdivision Bécancour, près de Saint-Grégoire. Vers 12 h 40Note de bas de page 1, le train s'arrête à l'écart du passage à niveau du point milliaire 13,58. L'équipe dételle les 59 wagons et les laisse à l'arrêt sur la voie principale. Le groupe de traction (formé de 3 locomotives) part ensuite vers le nord pour aller faire des manoeuvres de triage dans l'embranchement. Peu après avoir été dételés des locomotives, les 59 wagons se mettent à rouler en direction nord. À l'insu de tous, les wagons roulent sur une distance d'environ 4 000 pieds et, vers 13 h, pénètrent dans l'embranchement où ils heurtent les locomotives qui viennent de s'atteler à six wagons. À la suite de la collision, la locomotive arrière et deux wagons-citernes contenant des résidus de soude caustique, UN 1823, une substance corrosive, se renversent sur le flanc, et sept autres wagons-citernes contenant des résidus de soude caustique et deux autres contenant des résidus de chlore, UN 1017, un gaz toxique, déraillent mais restent à la verticale. Deux wagons couverts déraillent aussi. Au moment de l'impact, l'agent de train travaille entre le deuxième wagon et le troisième wagon et subit des blessures graves.
Un réservoir de carburant de la locomotive renversée se perfore et laisse échapper environ 9 000 litres (2 000 gallons) de gazole qui s'accumule dans un fossé voisin. Le fossé empêche le déversement de s'étendre, et la plus grande partie du gazole est récupérée.
Une inspection des wagons partis à la dérive révèle que le robinet d'arrêt du wagon de tête était fermé et qu'on n'avait serré aucun des freins à main des wagons. Les freins à air étaient desserrés.
1.2 Dommages au matériel
Un wagon couvert a été endommagé sans espoir de réparation, une locomotive et sept wagons ont subi des dommages considérables et six wagons ont été légèrement endommagés.
1.3 Autres dommages
La voie a été détruite sur une distance d'environ 200 pieds.
1.4 Renseignements sur le personnel
L'équipe du train se composait d'un chef de train, d'un mécanicien et d'un agent de train. Les membres de l'équipe répondaient aux exigences de leurs postes respectifs et satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique établies pour assurer l'exploitation des trains en toute sécurité.
1.5 Renseignements sur le train
Le train parti à la dérive comptait 29 wagons mixtes, chargés et vides, ainsi que 30 wagons citernes contenant des résidus d'un produit réglementé. Il pesait environ 3 600 tonnes et mesurait quelque 3 000 pieds.
1.6 Particularités de la voie
Dans la subdivision, la voie principale est simple et descend une pente qui atteint un maximum de 0,16 p. 100 en direction nord, à partir du point milliaire 13,58. La voie est en palier à la hauteur de l'aiguillage qui mène à l'embranchement Lama, lequel mesure environ 1 060 pieds de longueur et se termine par des butoirs de roues.
1.7 Renseignements sur le lieu de l'événement
L'embranchement est une voie privée qui est reliée à la voie principale par une courbe de neuf degrés bifurquant vers l'ouest. L'entrepôt Lama est situé du côté est de l'embranchement.
1.8 Méthode de contrôle du mouvement des trains
Dans la subdivision Bécancour, le mouvement des trains est régi par le système de régulation de l'occupation de la voie (ROV) en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et est surveillé par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) posté à Montréal.
1.9 Conditions météorologiques
La température était de moins deux degrés Celsius, et il n'y avait pas de vent ni de précipitations.
1.10 Autres renseignements
1.10.1 Mesures prises par l'équipe
Avant de prendre son service, l'équipe a participé à une séance d'information lors de laquelle on a discuté du travail qu'elle devait exécuter pendant son quart de travail. Normalement, ces séances ne portent pas sur la méthode à employer ou la marche à suivre pour immobiliser les wagons qu'on laisse sur la voie principale, et cette séance n'a pas fait exception à la règle.
Le mécanicien a arrêté le train au point milliaire 13,58 en commandant un freinage normal à fond. Après s'être assuré que le freinage était complet, le mécanicien a communiqué par radio avec l'agent de train pour lui dire qu'il pouvait dételer le train. L'agent de train a alors fermé les robinets d'arrêt entre la locomotive arrière et le wagon de tête, après quoi il a dételé le train et, prenant place à bord de la locomotive arrière, est parti avec le groupe de traction vers l'embranchement. Avant ce mouvement, le chef de train, qui remplissait des documents dans la cabine de la locomotive, a pris position sur la plate-forme avant de la locomotive de tête. L'agent de train avait l'habitude de laisser le robinet d'arrêt fermé sur les wagons laissés à l'arrêt pendant les manoeuvres de triage.
Le chef de train a orienté l'aiguillage du point milliaire 14,4 et a placé le dérailleur à la position de non-déraillement. Les locomotives se sont engagées dans l'embranchement et se sont attelées aux wagons qui se trouvaient aux rampes de chargement. La collision est survenue pendant que l'agent de train raccordait les boyaux à air entre les wagons.
Le train était équipé d'un système de contrôle et de freinage en queue (TIBS), composé d'une unité de détection et de freinage (UDF) installée sur le dernier wagon de la rame immobilisée sur la voie principale et d'une unité d'entrée et d'affichage (UEA) située dans la cabine de la locomotive. L'UEA affiche la pression dans la conduite générale, émet une alarme sonore lorsque la pression tombe sous le niveau de 48 livres au pouce carré, et donne un avertissement lorsque la pression dans la conduite générale tombe à zéro. De plus, si des wagons à l'arrêt se déplacent, l'écran de l'UEA affiche la direction du mouvement du wagon dans lequel l'UEA est installée. Le mécanicien n'a pas remarqué que les wagons roulaient. Le TIBS est équipé d'un dispositif de freinage d'urgence dont on peut se servir pour commander à distance un serrage d'urgence des freins.
1.10.2 Règles et instructions d'exploitation
1.10.2.1 Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada
Au moment de l'accident, la règle 112 du REF était en vigueur. La règle 112 se lit comme il suit :
Sauf indication contraire dans des instructions spéciales, il faut serrer un nombre suffisant de freins à main pour assurer l'immobilisation du matériel roulant laissé en un endroit quelconque. S'il s'agit d'une voie d'évitement, il faut l'atteler au matériel roulant qui pourrait déjà s'y trouver, à moins que la présence d'un passage à niveau public ou une particularité des lieux oblige à les séparer. (mise en évidence ajoutée)
Au moment de l'accident, on n'appliquait pas d'instructions spéciales voulant que les employés ne serrent pas les freins à main lorsqu'un train prend ou qu'on décroche des wagons. Toutefois, la pratique en vigueur à la compagnie voulait qu'on ne serre pas les freins à main lorsque du matériel roulant était laissé sur la voie pendant de brèves périodes, si le matériel roulant en question était à portée de vue de l'équipe (comme dans les cas où l'on prend ou décroche du matériel roulant sur des embranchements et des voies d'évitement).
1.10.2.2 Instructions générales d'exploitation du CN
À la section des IGE qui porte sur les généralités, on lit à l'alinéa 7.2 k) :
Lorsqu'il faut laisser des véhicules sur une voie, il faut avant de dételer la locomotive, laisser le robinet d'arrêt ouvert et effectuer un serrage à fond ou d'urgence des freins. Dans le cas d'un serrage à fond, il ne faut pas fermer le robinet d'arrêt tant que le serrage n'a pas été complètement effectué; après le dételage, il faut l'ouvrir lentement.
Cette instruction vise à empêcher que les équipes ferment les robinets d'arrêt entre la ou les locomotives et le wagon de tête avant que la pression dans la conduite générale soit épuisée complètement (ce que le mécanicien détermine lorsqu'il entend l'air s'échapper par le robinet de mécanicien). La fermeture prématurée des robinets d'arrêt peut occasionner dans la conduite générale une onde de pression qui peut activer le dispositif de desserrage rapide de l'appareil de commande des freins à air de chaque wagon. Ces robinets détectent les augmentations de pression dans la conduite générale (un desserrage de freins) et relaient ce signal en envoyant de l'air provenant du réservoir auxiliaire pour accélérer le desserrage. Il suffit d'une différence de pression de 1,5 livre pour déclencher le dispositif de desserrage rapide, et dès que ce dispositif est déclenché sur un wagon, il active les distributeurs des autres wagons et cause le desserrage intempestif de tous les freins du train.
Le fait d'ouvrir le robinet d'arrêt et d'épuiser la pression dans la conduite générale après le serrage des freins permet d'effectuer un serrage à fond si un tel serrage n'avait pas été commandé initialement, et de resserrer les freins s'ils avaient été desserrés par inadvertance. Le fait de purger la conduite générale de l'air qu'elle contient fait aussi en sorte qu'il est impossible d'apporter tout autre changement à l'état du circuit de freinage à air comprimé, étant donné qu'il n'y a plus de pression dans la conduite générale ou dans le mécanisme de commande.
De plus, l'IGE 7.3, intitulée Desserrage intempestif des freins, dit à l'alinéa a) :
Au moment de débrancher la conduite générale —
Après avoir dételé la locomotive, il faut ouvrir complètement le robinet d'arrêt du véhicule laissé sur place.
1.10.3 Recommandation publiée en 1992 par le BST au sujet de l'immobilisation de matériel roulant à l'arrêt
Préoccupé par la fréquence de matériel roulant parti à la dérive sur des voies ferrées au Canada, et à la suite d'une enquête relative à un événement précis de ce genre (rapport numéro R90H0923 du BST), le BST a envoyé la recommandation suivante au ministre des Transports :
Le ministère des Transports mène une évaluation sur place de la qualité de la formation et de la supervision offertes par les chemins de fer canadiens afin de s'assurer que le personnel applique les procédures normalisées d'exploitation lorsqu'il immobilise des wagons à l'arrêt.
(R92-14, publiée en septembre 1992)
En réponse, Transports Canada a pris acte des préoccupations du BST quant au matériel roulant parti à la dérive et au fait que les employés ne semblent pas se conformer aux règlements et règles existants. Le ministère a fait savoir qu'il avait intensifié ses activités de surveillance du rendement des compagnies ferroviaires dans les domaines de la formation et de la supervision, pour veiller à ce que les anomalies relevées soient corrigées de la façon voulue.
1.10.4 Initiatives récentes en matière de sécurité
Le 14 août 1995, le CN a publié la circulaire L-4797, intitulée Runaway cars: Unintentional Release, adressée à tout le personnel itinérant, dans laquelle on parlait spécifiquement des méthodes d'immobilisation du matériel roulant. La circulaire réitérait qu'il était important de se conformer à la règle 112 du REF et aux alinéas 7.2 k) et 7.3 a) des IGE indiquées précédemment.
Le 23 août 1995, le CN a publié des instructions à l'intention des directeurs des services, dans lesquelles on traçait les grandes lignes d'un plan exhaustif destiné à renforcer les exigences des IGE. Le plan comprenait les mesures suivantes :
- adresser une circulaire à tous les employés au sujet des articles des règles où il est question de matériel roulant parti à la dérive;
- placer des affiches sur la sécurité dans tous les endroits pertinents, bien à la vue des employés;
- mener une campagne de sensibilisation sur le respect des règles, à l'intention des équipes des trains;
- mener des vérifications ponctuelles au hasard des circuits de freinage de wagons laissés sur les voies;
- afficher dans un endroit bien en vue le bulletin d'exploitation portant sur les wagons partis à la dérive;
- discuter de la question avec les comités de santé et de sécurité au travail et inviter les membres des comités à participer aux efforts de sensibilisation des employés;
- mener une seconde campagne de sensibilisation avec les Partenaires en matière de sécurité (région de Montréal) afin d'informer les employés des services des trains et de les sensibiliser aux bonnes méthodes de travail.
On a demandé aux gestionnaires de rencontrer les équipes d'exploitation qui relèvent de leur compétence pour discuter de la règle 112 du REF et de son Instruction spéciale, et des paragraphes 7.2 et 7.3 des IGE. On précisait qu'il importait non seulement d'expliquer les bonnes méthodes de travail aux équipes, mais aussi de déterminer si les méthodes en question étaient appliquées effectivement. À cette fin, on demandait aux gestionnaires de vérifier l'état des circuits de freinage des wagons laissés sur la voie.
On a aussi proposé aux gestionnaires de discuter du problème de wagons partis à la dérive à la réunion suivante de leur comité de santé et de sécurité au travail, et d'étudier différentes façons de sensibiliser les employés et de prévenir le problème.
Le 21 septembre 1995, le CN a publié un «Bulletin d'exploitation» portant sur le matériel roulant parti à la dérive, et disant que plusieurs incidents de wagons partis à la dérive s'étaient produits au cours des semaines précédentes et qu'il fallait redoubler de prudence pour éliminer les risques d'accident. Le bon sens et le respect des règles et instructions en vigueur devaient guider les intéressés en tout temps.
Les 15, 19 et 22 février 1996, la direction du CN a procédé à des vérifications ponctuelles impromptues des équipes d'exploitation et de triage à 26 endroits du district Champlain, pour déterminer la façon dont elles se conformaient aux règles d'exploitation et aux IGE préconisées dans le plan du 23 août 1995. On a relevé deux manquements à l'alinéa 7.2 k) des IGE. Le mécanicien s'est rappelé avoir fait l'objet d'une vérification dans le cadre de l'initiative du 23 août 1995. L'équipe connaissait bien l'alinéa 7.2 k) des IGE énoncé dans les publications de la compagnie.
1.10.5 Nouvelle marche à suivre à la suite de l'accident survenu à Edson
À la suite de la collision en voie principale survenue près d'Edson (Alberta) le 12 août 1996, le CN a publié une instruction spéciale portant sur l'immobilisation du matériel roulant (le tableau «Nombre minimal de freins à main à serrer») ainsi que des «lignes directrices» relatives à cette instruction spéciale. Pour supprimer l'ambiguïté du concept relatif au «nombre suffisant de freins à main» dont il est question dans la règle 112, le tableau «Nombre minimal de freins à main à serrer» a indiqué le nombre de freins à main qu'il faut serrer compte tenu du nombre de wagons à immobiliser. Une des lignes directrices avait trait à l'interprétation du terme «matériel roulant laissé en un endroit quelconque» et explicitait la règle. La ligne directrice en question se lit comme il suit :
La règle 112 fait référence au matériel roulant laissé en un endroit quelconque, et un train qui prend ou décroche des wagons n'est pas considéré comme du «matériel laissé en un endroit quelconque». À cet égard, si un train s'arrête pour prendre ou décrocher des wagons, il n'a pas besoin d'être immobilisé par les freins à main, à condition que les exigences de l'alinéa 7.2 k) des Instructions générales d'exploitation (IGE) soient respectées. Mais cela dit, ce n'est pas le cas lorsqu'un train laissé à l'arrêt sur la voie principale n'est pas à portée de vue de l'équipe, car cela élimine la possibilité de serrer d'urgence les freins à air grâce à l'UEA (l'unité d'entrée et d'affichage).
Essentiellement, cette directive exempte les employés de l'obligation de serrer les freins à main du matériel roulant qui est laissé à un endroit en vertu de la règle 112 et du tableau connexe sur le «Nombre minimal de freins à main à serrer», si a) on prend ou décroche les wagons; b) on a commandé un serrage d'urgence ou un freinage normal à fond pour immobiliser les wagons et placé les robinets d'arrêt à la position exigée par l'alinéa 7.2 k) des IGE; et c) l'équipe peut voir le matériel roulant de façon à pouvoir commander un freinage d'urgence du matériel roulant à l'aide du TIBS.
Cette nouvelle marche à suivre reconnaît l'efficacité d'un tel système (qui évite d'avoir à serrer et à desserrer un certain nombre de freins à main), et tient aussi compte du fait que le serrage des freins à main ne garantit pas toujours que les wagons ne partiront pas à la dérive. Si l'on commande un serrage à fond ou un serrage d'urgence des freins à air de wagons laissés à l'arrêt, les wagons en question ne bougeront pas tant que les freins ne seront pas desserrés ou que les cylindres de frein n'auront pas de fuites d'air, ce qui peut prendre des heures, voire des jours. Par conséquent, il importe de trouver des façons d'obtenir une sécurité absolue lorsqu'on se sert des freins à air dans de telles circonstances.
L'information recueillie au cours de l'enquête indique que Transports Canada est en désaccord avec la pratique consistant à laisser des wagons à l'arrêt sans avoir serré le nombre approprié de freins à main, quelles que soient les circonstances.
2.0 Analyse
2.1 Introduction
Lors de cet accident, un membre de l'équipe a subi des blessures très graves et des wagons citernes contenant des résidus d'un produit dangereux ont été considérablement endommagés. De plus, le réservoir de carburant d'une locomotive a été perforé et a laissé échapper une quantité considérable de gazole.
Des accidents de ce genre se produisent même si les compagnies ferroviaires s'efforcent d'amener les équipes d'exploitation à se conformer aux méthodes de travail sûres. L'analyse portera donc sur le non-respect des instructions de la compagnie et sur l'inefficacité apparente de la compagnie dans ses efforts pour veiller à ce que le personnel s'en tienne aux méthodes de travail sûres. Il sera aussi question du fait que les réservoirs de carburant des locomotives sont susceptibles de se perforer et de laisser échapper leur contenu.
2.2 Généralités
Si l'on commande un serrage à fond ou un serrage d'urgence des freins de wagons laissés à l'arrêt, les wagons en question ne bougeront pas tant que les freins ne seront pas desserrés ou que les cylindres de frein n'auront pas de fuites d'air, ce qui peut prendre des heures, voire des jours. Par conséquent, il importe de trouver des façons d'obtenir une sécurité absolue lorsqu'on se sert des freins à air dans de telles circonstances.
Dans le cas dont il est question, les wagons à l'arrêt ont été laissés dans une pente et immobilisés par suite d'un serrage normal à fond des freins, alors que la conduite générale était alimentée en air. Ils étaient donc susceptibles de subir un desserrage autopropagé et de partir à la dérive. La façon peu sûre dont l'équipe a procédé lorsqu'elle a laissé les wagons sur la voie n'était pas conforme au REF ou aux instructions de la compagnie.
Bien qu'il soit théoriquement possible qu'un robinet de frein défectueux dans un wagon ait entraîné le déclenchement du dispositif de desserrage rapide à la grandeur du train, aucune défectuosité de ce genre n'a été relevée. Il est fort probable qu'une mauvaise manipulation des robinets d'arrêt au moment de dételer les wagons a entraîné le desserrage des freins. La fermeture du robinet d'arrêt du premier wagon avant que la pression soit tombée complètement dans la conduite générale aurait créé une onde de pression dans la conduite générale. Cette augmentation de pression aurait ensuite suffi pour déclencher le desserrage intempestif des freins à l'insu de tous, et la dérive des wagons.
2.2.1 Immobilisation de wagons à l'aide des freins à air
Le CN a essayé à bien des reprises de sensibiliser ses équipes d'exploitation sur la façon d'immobiliser le matériel en toute sécurité à l'aide des freins à air, mais ses efforts n'ont pas obtenu les résultats escomptés. De même, la surveillance assurée par Transports Canada n'a apparemment pas eu d'impact. Il semble que l'acceptation généralisée de cette pratique d'exploitation peu sûre soit le résultat du fait qu'il soit facile de laisser un train à l'arrêt avec la conduite générale alimentée pour revenir s'y atteler, presque prêt à partir, ajouté au fait que la plupart des équipes trouvent que cette façon de procéder est sûre.
Le Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) a aussi une procédure concernant les wagons qu'on laisse à l'arrêt pendant de courtes périodes, mais précise qu'il faut au préalable avoir commandé un serrage d'urgence des freins. Cette procédure évite d'avoir à manipuler les robinets d'arrêt avec prudence et assure que l'effort de freinage appliqué aux wagons à l'arrêt est maximal et que la conduite générale n'est aucunement alimentée, ce qui évite la propagation de signaux intempestifs. Du point de vue de la procédure, il semble que le CFCP ait su empêcher ses équipes de laisser des wagons à l'arrêt avec la conduite générale alimentée afin d'accroître l'efficacité (même s'il faut parfois un certain temps avant de rétablir la pression d'air après un serrage d'urgence).
2.2.2 Systèmes de défense secondaire
La philosophie de «défense en profondeur» préconisée par les spécialistes de la sécurité consiste à mettre en place des lignes de défense diverses et multiples afin de réduire les risques d'erreur humaine normale. Dans le cas qui nous intéresse, une ligne de défense additionnelle était en place, mais elle pouvait aussi être contrecarrée par une erreur humaine. Dans les faits, le TIBS est un système de défense secondaire qui peut aider à identifier et à arrêter les wagons partis à la dérive. L'UDF affiche la pression dans la conduite générale sur l'UEA, et le mécanicien peut utiliser cette information pour vérifier si la conduite générale du matériel roulant à l'arrêt est alimentée ou non. Cette information permet au mécanicien de surveiller la pression dans la conduite générale du matériel roulant à l'arrêt et, en cas de manquement à la procédure, d'intervenir en commandant un serrage d'urgence des freins. L'UEA peut aussi indiquer le mouvement. Si les wagons sont laissés à l'arrêt conformément à l'alinéa 7.2 k) des IGE, la pression dans la conduite générale devrait être à zéro.
Lors de l'accident, ce système secondaire n'a pas assuré une marge de sécurité additionnelle lorsque le système principal, établi conformément aux IGE, a connu une défaillance. En fait, il se peut que les équipes, dès lors qu'elles ont disposé d'un moyen d'arrêter à distance du matériel roulant parti à la dérive, aient modifié leurs pratiques de travail et aient eu davantage tendance à laisser la conduite générale alimentée au moment d'immobiliser des wagons.
Si l'on avait appliqué à la lettre la règle 112, on aurait disposé d'un autre moyen d'immobiliser les wagons. Toutefois, pour des motifs opérationnels, l'industrie a choisi de ne pas exiger qu'on serre les freins à main lorsque des trains s'arrêtent pour prendre ou décrocher des wagons.
Le serrage des freins à main n'est peut-être pas la seule façon de s'assurer que des wagons sont immobilisés dans ces circonstances, mais cet événement démontre la nécessité de mettre au point des méthodes d'exploitation plus efficaces qui sont à l'épreuve des erreurs humaines normales.
2.2.3 Perforation des réservoirs de carburant
Même si une quantité appréciable de gazole s'est répandue, le carburant n'a pas pris feu et il a été possible de contenir facilement le déversement. Les réservoirs de carburant en cause n'étaient pas à l'épreuve des perforations et n'étaient pas conçus de façon à atténuer les déversements en cas de perforation. Le Règlement relatif à l'inspection et la sécurité des locomotives de chemin de fer, qui est entré en vigueur le 18 mars 1998, exige que les réservoirs de carburant des locomotives neuves aient une grande résistance aux chocs et rencontrent ou dépassent les normes actuelles du Manual of Standards and Recommended Practices de l'Association of American Railroads. Les nouvelles normes ne s'appliquent pas aux 3 000 locomotives que les compagnies ferroviaires canadiennes garderont en service pendant les 17 prochaines années environ.
3.0 Conclusions
3.1 Faits établis
- Les 59 wagons ont été laissés à l'arrêt dans une pente, avec la conduite générale alimentée, lorsque les freins à air se sont desserrés par inadvertance.
- Le desserrage des freins a fort probablement été occasionné par une onde de pression qui s'est formée dans la conduite générale lorsqu'on a fermé les robinets d'arrêt entre le groupe de traction et le premier wagon, avant que la conduite générale se soit complètement purgée de son air.
- Le desserrage des freins ne se serait pas produit si l'on s'était conformé à la lettre à l'instruction d'exploitation du CN voulant que le robinet d'arrêt soit complètement ouvert et qu'on commande un serrage à fond ou un serrage d'urgence des freins à air.
- L'élaboration d'un moyen pour obtenir une sécurité absolue lorsqu'on se sert des freins à air pour immobiliser des wagons améliorerait la sécurité.
- Un système de défense secondaire, disponible pour l'équipe dans ces circonstances, a été inefficace puisque le mécanicien n'a pas remarqué l'affichage du mouvement sur l'unité d'entrée et d'affichage et n'a donc pas commandé à distance un serrage des freins d'urgence.
3.2 Causes
Les 59 wagons ont été immobilisés avec les freins à air serrés et la conduite générale alimentée en air, et les freins du train se sont desserrés par suite du déclenchement par inadvertance du dispositif de desserrage rapide, sensible à la pression, lorsqu'une onde de pression s'est formée dans la conduite générale du train au moment où l'on dételait les wagons des locomotives.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures prises
Le CN a diffusé de nouveau l'aide-mémoire / Instruction spéciale portant sur la règle 112 du REF en matière d'immobilisation du matériel roulant pendant les manoeuvres en voie principale ou sur une voie d'évitement. Le CN a décrété qu'on peut laisser une partie du train sur une voie principale ou sur une voie d'évitement sans serrer les freins à main à condition que la partie du train laissée à l'arrêt compte au moins 10 wagons, que les freins à air soient serrés à fond ou d'urgence et que le robinet d'arrêt soit complètement ouvert. Il ne faut pas que la voie présente une pente de plus de 1,5 p. 100 et les wagons ne doivent pas être laissés sur la voie pendant plus de deux heures. Si la situation ne répond pas à toutes ces conditions, les freins à main doivent être serrés conformément au tableau «Nombre minimal de freins à main à serrer» pendant les manoeuvres.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.