Chemin de fer Saint-Laurent et Hudson (StL&H)
(filiale de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique)
train numèro 902-29
point milliaire 42,7, subdivision Winchester du StL&H
près de Dalhousie Mills (Quèbec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 29 août 1996 vers 11 h 20, heure avancée de l'Est (HAE), 36 wagons du train de marchandises no 902-29 du Chemin de fer Saint-Laurent et Hudson (StL&H), qui roulait vers l'est sur la voie sud de la subdivision Winchester du StL&H, ont déraillé au point milliaire 42,7. Un des wagons déraillés, GATX 73738, s'est renversé sur le flanc et a laissé échapper une quantité pouvant atteindre 1 900 litres (500 gallons américains) d'une marchandise dangereuse, en l'occurrence du peroxyde d'hydrogène. Deux autres wagons ont pris feu. Par mesure de précaution, on a fait évacuer une quarantaine de maisons de Dalhousie Mills (Québec) pendant environ cinq heures. L'accident n'a pas fait de blessé.
Le Bureau a déterminé que le wagon-trémie découvert vide MSDR 81026 a déraillé par suite d'un chevauchement du rail consécutif au roulis excessif de la caisse du wagon et à un mouvement de galop du bogie généré par la vitesse du train. Le roulis excessif de la caisse et la propension au galop du bogie étaient dus au fait que l'usure des pièces de bogie n'est pas reconnue comme étant une avarie compromettant la sécurité.
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Renseignements de base
L'accident
Le train, à destination de Montréal (Québec), roule à 64,4 mi/h et descend une pente douce sur une voie en alignement, près du point milliaire 42, lorsque les freins d'urgence se déclenchent. Quand le train s’arrête, les locomotives sont aux environs du point milliaire 41,23. Après avoir pris les mesures d’urgence nécessaires, l’équipe constate que 36 wagons (du 21e au 57e à partir de la tête du train) ont déraillé aux environs du point milliaire 42,7.
Le point de déraillement initial est situé en Ontario, mais les wagons déraillés finissent leur course dans différentes positions, bloquant les deux voies principales de part et d’autre de la frontière entre l’Ontario et le Québec. Trente wagons sont endommagés sans espoir de réparation rentable et la voie ferrée subit des dommages considérables sur une distance de quelque 1 400 pieds.
Peu après l’accident, un policier arrive au passage à niveau du point milliaire 41,66, dans le village de Dalhousie Mills (Québec), situé à un demi-mille environ à l’est des wagons déraillés. Après s’être entretenu avec le chef de train et l’agent de train au sujet de l’incendie et de la fumée qui s’échappent des wagons, le policier décide, par mesure de précaution, d’évacuer les résidants d’une quarantaine de maisons du village. Après environ cinq heures, les résidants sont autorisés à regagner leurs maisons.
Le service d’incendie de Lancaster (Ontario) arrive sur les lieux peu de temps après le déraillement et éteint les incendies qui se sont déclarés dans deux wagons couverts isothermes vides. Les incendies se sont déclarés après que les réservoirs des essieux ont été perforés et ont laissé fuir leur contenu, à savoir du méthanol servant à alimenter les chaufferettes des wagons, qui a pris feu.
Un petit incendie commence aussi près du wagon GATX 73738. Ce dernier wagon, chargé de peroxyde d’hydrogène, classe 5.1 (8) (no UN 2015), se renverse après avoir déraillé. Le peroxyde d’hydrogène peut réagir avec un grand nombre de métaux courants et peut mettre le feu à des matières combustibles placées à proximité. C’est aussi un produit corrosif qui attaque les tissus humains et dont les vapeurs irritent les yeux et les muqueuses. Le feu, rapidement éteint par les pompiers, s’est déclaré lorsque le produit, qui fuyait par les évents de sécurité et par la tubulure de vidange, est entré en contact avec des traverses, de l’herbe et des arbustes. Par la suite, le personnel d’intervention d’urgence recueille dans des barils une petite quantité de produit qui continue de fuir.
Il y avait deux autres wagons chargés de marchandises dangereuses dans le train, mais ni l’un ni l’autre n’a déraillé.
Renseignements sur le train
Le train, dont le groupe de traction était formé de 2 locomotives, comptait 41 wagons chargés et 28 wagons vides. Il mesurait environ 4 000 pieds et pesait quelque 5 500 tonnes.
Renseignements sur le personnel
L’équipe se composait d’un mécanicien, d’un chef de train et d’un agent de train. Ils connaissaient bien le territoire, répondaient aux exigences de leurs postes et satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique.
Particularités de la voie
Sur le lieu de l’accident, la subdivision se compose de deux voies principales sur lesquelles les trains de marchandises ne doivent pas dépasser 60 mi/h. Le mouvement des trains est régi par block automatique et le système de régulation de l'occupation de la voie (ROV) en vertu du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), et est surveillé par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) posté à Toronto.
Tous les éléments de la voie étaient en bon état. Les mesurages de l’état géométrique de la voie, faits à l’ouest du point où le déraillement s’est produit, ont révélé des écarts mineurs d’écartement et de nivellement transversal qui n’excédaient pas les normes pertinentes du StL&H. Le superviseur adjoint de relève d’entretien de la voie a inspecté les voies à bord d’une voiture rail-route avant l’accident, le 29 août 1996, et n’a relevé aucune irrégularité à ce moment. Une voiture d’auscultation des rails a inspecté les rails le 6 juin 1996 et n’a pas relevé de défaillance.
Renseignements sur le lieu de l’événement
Au point milliaire 42,7, on a relevé des marques sur le champignon du rail sud, sur une distance d’environ 39 pieds vers l’est. Puis, des marques ont été observées sur les anticheminants, sur une courte distance vers l’est, à partir de l’endroit où le wagon a quitté la voie du côté extérieur du rail sud. Les dommages causés aux traverses entre les rails ont commencé près du point milliaire 42,4. Quatre passages à niveau de ferme ont été endommagés entre les points milliaires 42,4 et 41,8. Un platelage de passage à niveau a été déplacé et a été retrouvé un peu à l’est du wagon MSDR 81026, en l’occurrence le wagon déraillé qui était le plus à l’est et le 21e wagon à partir de la tête du train. Les deux tronçons de la voie principale ont été détruits entre les points milliaires 42,2 et 41,8.
Lorsque le train était passé devant un détecteur de boîtes chaudes et de pièces traînantes au point milliaire 52,1, à environ 10 milles du lieu du déraillement, aucune anomalie n’avait été relevée.
Renseignements consignés
Les données du consignateur d’événements ont indiqué que le train roulait à une vitesse consignée de 61,7 mi/h à 11 h 21 min 34 sNote de bas de page 1, lorsque les freins d'urgence se sont déclenchés. Le train s’est immobilisé à 11 h 23 min 9 s. Avant le déraillement, le mécanicien avait manipulé la manette des gaz pour régler la vitesse du train. Au moment du freinage d’urgence, la manette des gaz était à la position no 6.
Wagon MSDR 81026
Le wagon MSDR 81026, un wagon-trémie découvert vide de 48 pieds à déchargement par le bas, qui avait été placé avec le bout «B» en avant, a perdu ses bogies lors du déraillement. Les bogies et les essieux montés nos 1 et 4 ont été récupérés. Les deux autres essieux montés, les ressorts et les frottoirs de traverse danseuse des bogies se sont retrouvés pêle-mêle avec des pièces d’autres wagons déraillés, si bien qu’il a été impossible de trouver les pièces qui allaient avec le wagon MSDR 81026.
Les tables de roulement des roues ainsi que l’avant et l’arrière des voiles des roues L-1 et R-1 du wagon MSDR 81026 montraient de nombreuses entailles et abrasions sur toute leur circonférence. Les surfaces verticales des guides de longeron des bogies et des glissoirs de traverse danseuse étaient brillants et luisants. De même, les surfaces horizontales et verticales des crapaudines de la caisse et des bogies étaient luisantes. Le wagon n’était pas équipé de glissoirs de traverse danseuse à contact continu; toutefois, chaque bloc-ressorts était muni d’un amortisseur à friction hydraulique.
L’usure des frottoirs de traverse danseuse du bout «A» était entre 3 pouces 3/16 et 1/4 de pouce. Celle des frottoirs de traverse danseuse du bout «B» était entre 1/8 de pouce et 3/16 de pouce. Lors de la remise en état des bogies, des réparations s’imposent dès que l’usure est supérieure à 1/8 de pouce.
L’espacement des cales de traverse danseuse au bout «A» mesurait entre 17 pouces 7/16 et 17 pouces 1/2. L’espacement au bout «B» mesurait entre 17 pouces 3/8 et 17 pouces. L’usure de ces surfaces a dû réduire la capacité des pièces d’amortissement de la suspension de limiter le roulis de la caisse, et la capacité du bogie de résister au mouvement de torsion des bogies. Lors de la remise en état des bogies, des réparations s’imposent dès que l’espacement est supérieur à 17 pouces 5/16.
Immédiatement après l’accident, le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) a procédé à une inspection et à un mesurage sur deux wagons MSDR identiques dans ses installations, et a constaté qu’ils étaient tous deux en-deçà des limites d’usure de l’Association of American Railroads (AAR).
L’usure entre les colonnes de traverse danseuse et les guides de longeron allait de 1 pouce 9/16 à 1 pouce 7/8 au bout «A», et de 1 pouce 7/16 à 1 pouce 11/16 au bout «B». Les règles de l’AAR exigent qu’on répare les bogies au moment du remplacement des roues ou du démontage des bogies, dès que l’écartement total entre ces deux pièces atteint 1 pouce 1/2. D’après les calculs du service d’essai du CP, l’usure des frottoirs de traverse danseuse et des colonnes de traverse danseuse, mesurée sur le bogie avant du wagon MSDR 81026, réduisait la capacité d’amortissement de 83 p. 100.
Dossier de réparation
Les dossiers de réparation montrent que les travaux les plus récents sur ce wagon remontaient au 5 juillet 1996, quand un atelier de réparation du CP à Lethbridge (Alberta) a travaillé sur un organe de vidange par le bas. Les travaux les plus récents qui ont touché les roues ou les bogies ont été faits le 20 mars 1995 à Joliet, Illinois, aux États-Unis, lorsqu’on a remplacé une roue et un triangle de frein du bogie du bout «A».
Inspections de sécurité
Le wagon MSDR 81026 est entré au Canada à Windsor (Ontario) le 28 juillet 1996 et s’est rendu à London (Ontario). Il était vide à ce moment. Le même jour, il est allé au triage Toronto du StL&H. La première inspection de sécurité dont il a été l’objet au Canada a été faite à Toronto par des inspecteurs de wagons autorisés du StL&H, le 28 juillet 1996 à 16 h 45. L’inspection n’a révélé aucune défaillance.
Le wagon a quitté Toronto le 30 juillet 1996 à destination de Smiths Falls (Ontario) où il est resté jusqu’au 29 août 1996. Aucune autre inspection de sécurité n’a été faite après que le wagon a quitté Toronto.
Le Règlement concernant l’inspection et la sécurité des wagons de marchandises de Transports Canada énonce des critères relatifs aux inspections de sécurité. À la section 4.1 de ce règlement, on lit que «. . . les compagnies ferroviaires doivent s’assurer que les wagons qu’elles mettent ou maintiennent en service sont exempts de toutes les défectuosités relatives à la sécurité . . . .» À la section 14, on lit que les compagnies ferroviaires ne doivent pas mettre ni maintenir en service un wagon quand la suspension d’un bogie est inopérante. Le règlement énonce six indicateurs d’usure, dont des signes tels que des ressorts brisés, l’absence de plaques d’usure de colonne et l’absence ou l’usure de patins stabilisateurs. L’usure des frottoirs de traverse danseuse et des longerons de bogie n’est pas mentionnée.
Le Manuel d’instructions mécaniques (CM 418) du CP exige qu’on procède à l’inspection et au mesurage des longerons de bogie et des traverses danseuses quand l’un ou l’autre est usé à un point tel que les caractéristiques de contrôle du roulement du bogie sont altérées. Cette information est incluse à la trousse de formation des inspecteurs de wagons autorisés du CP.
Bulletin de composition
L’équipe du train n’avait pas en sa possession un bulletin informatisé à jour de composition du train lorsque le train a quitté Smiths Falls. Elle avait le bulletin qui accompagnait le train au départ de Toronto et qui identifiait 26 wagons devant être dételés à l’arrière à Smiths Falls. L’équipe avait aussi une «liste de wagons», c’est-à-dire un bulletin de composition partiel, généré à Smiths Falls, et indiquant qu’on devait ajouter 27 wagons à l’avant à Smiths Falls. Le wagon GATX 73738 était identifié comme étant un wagon chargé de peroxyde d’hydrogène; toutefois, les renseignements additionnels figurant dans la section de manutention spéciale pour ce wagon montraient qu’il s’agissait d’un wagon de «résidus». Dans le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, le terme résidu «. . . signifie que la plus grande quantité possible de marchandises dangereuses a été enlevée . . . .»
Le wagon GATX 73738 était indiqué comme étant le 24e à partir de la tête du train au départ de Toronto; toutefois, compte tenu de l’ajout de wagons à Smiths Falls, il était le 51e wagon à partir de la tête au moment du déraillement. Ce changement n’a pas été noté dans le bulletin de composition ni dans la «liste de wagons». Lors du déraillement, le wagon GATX 73738 s’est renversé sur le flanc et a laissé fuir son contenu par les raccords supérieurs. Il y a eu une certaine confusion initiale sur le lieu de l’accident ainsi qu’au moment où le CCF posté à Toronto a essayé d’identifier les wagons mis en cause dans le déraillement.
Communications radio
Lors du freinage d’urgence, l’équipe a déterminé que la voie ouest était bloquée et, pendant que le train s’arrêtait, l’agent de train a lancé un appel «d’urgence» sur la voie de communication radio de secours pour alerter les autres trains susceptibles d’être dans le secteur. Toutefois, il n’y avait que deux autres trains qui se trouvaient à l’ouest des wagons déraillés. Quand le train s’est immobilisé, l’agent de train est allé vers l’est et le chef de train est allé vers l’ouest pour assurer la protection par signaleur. Le mécanicien s’est chargé des communications radio et a essayé pendant quatre ou cinq minutes d’entrer en contact avec le CCF sur la voie d’appel appropriée, mais en vain. Il a alors communiqué par radio avec un contremaître d’entretien de la voie qui était dans le secteur et qui, à l’aide de son téléphone cellulaire, a fait savoir au CCF que l’équipe du train à Dalhousie Mills essayait d’entrer en contact avec lui. Le CCF a ensuite communiqué par radio avec l’équipe et l’a relevée de l’obligation d’assurer la protection par signaleur sur la voie principale adjacente. Le chef de train et l’agent de train ont alors pu aller inspecter les wagons déraillés.
Le CCF a affirmé qu’il n’y avait pas de problème de communication radio dans la subdivision Winchester le jour de l’accident. Après l’accident, on a vérifié les tours de radiodiffusion de Saint-Lazare (Québec), point milliaire 23,7, et d’Apple Hill (Ontario), point milliaire 58,0, dont l’une aurait capté le signal radio de l’équipe du train. Aucune anomalie n’a été relevée. La vérification de la radio de la locomotive a révélé qu’elle fonctionnait bien.
L’enregistrement des communications radio du CCF ne contient aucune preuve indiquant qu’un appel d’urgence a été envoyé au CCF sur la voie de communication d’urgence. Le CCF était à son poste de travail au moment du déraillement. Quand un appel d’urgence est envoyé, une indication en caractères jaunes entourés de rouge apparaît à l’écran de l’ordinateur. Le CCF a déclaré qu’aucun signal de ce genre ne s’est affiché à l’écran.
Le CCF a répondu immédiatement à l’appel que le contremaître d’entretien de la voie a fait à l’aide de son téléphone cellulaire.
Mouvement de galop du bogie
Des enquêtes antérieures du BST (c’est-à-dire R91D0045, R95W0117 et R96T0231 - avis de sécurité no 04/96, publié le 6 septembre 1996) ont montré que certains wagons vides ou peu chargés sont sujets à un mouvement de galop du bogie lorsqu’ils roulent à plus de 50 mi/h. Pour atténuer la gravité du galop du bogie, on peut équiper les bogies de glissoirs de traverse danseuse à contact continu, de tampons d’extension des crapaudines, d’amortisseurs hydrauliques ou de renforts de caisse. La remise en état des pièces de bogie usées atténue aussi le galop du bogie.
En 1986, le CP a fait des essais sur des wagons plats vides à parois de bout, mesurant 51 pieds 6 pouces, afin de trouver des raisons qui expliqueraient les déraillements et d’améliorer les caractéristiques de roulement des wagons. Les essais ont démontré que le galop du bogie était plus accentué lorsque la vitesse dépassait 50 mi/h et que les wagons avaient des pièces de bogie usées.
Vérification de la vitesse du train
Les données du consignateur d’événements indiquent que la vitesse du train était de 61,7 mi/h au moment du déraillement. Cette vitesse aurait aussi été indiquée dans le poste de commande de la locomotive. Toutefois, la vitesse indiquée est déterminée d’après le nombre de tours de roue par unité de temps et peut être affectée par une erreur d’étalonnage. Dans le cas qui nous intéresse, une fois compensée en fonction du diamètre réel des roues, la vitesse corrigée était de 64,4 mi/h, soit 4,4 mi/h de plus que la vitesse maximale autorisée de 60 mi/h. Au départ de Smiths Falls, le mécanicien a vérifié l’exactitude de l’indicateur de vitesse lors du franchissement des «milles de contrôle» désignés; il n’a pas relevé d’écart.
Conditions météorologiques
Au moment du déraillement, le ciel était dégagé et les vents étaient légers. La température était de 22 degrés Celsius.
Analyse
Les marques relevées sur les anticheminants du côté extérieur du rail sud et les dommages subis par la table de roulement et le voile des roues indiquent que la roue avant du bogie avant (position L-1) du wagon-trémie découvert vide MSDR 81026 a chevauché le rail sud et a déraillé au point milliaire 42,7. Le wagon a poursuivi sa route avec une roue déraillée sur une distance de 1 968 pieds, franchissant quatre passages à niveau de ferme, après quoi le bogie déraillé a détruit la voie ferrée et a entraîné le déraillement général des 35 wagons qui suivaient.
L’usure des pièces de bogie du wagon a altéré les caractéristiques de roulement du wagon vide, ainsi que sa capacité de résister au roulis de la caisse. Tandis que la caisse oscillait d’un côté à l’autre, les roues du côté opposé au roulis se trouvaient délestées. Ce délestage faisait en sorte qu’il était plus facile pour le boudin de roue de chevaucher le rail et de quitter la voie du côté où le wagon était délesté.
Les pièces de suspension usées du bogie ont dû aussi altérer la capacité du bogie de résister à la torsion du bogie. À mesure que cette force de torsion augmentait, l’angle d’attaque entre le boudin de roue et le rail a dû aussi augmenter, refermant l’angle entre le boudin de roue et le rail, si bien que la roue était davantage portée à chevaucher le rail. L’usure des guides de longeron des bogies et l’aspect poli et brillant des pièces usées des guides de longeron et des crapaudines sont des indices caractéristiques d’une usure attribuable au galop du bogie. Comme le train roulait à une vitesse bien supérieure à 50 mi/h sur une voie en alignement, la gravité du galop du bogie a pu être accrue.
L’usure des pièces de bogie n’avait pas atteint les limites critiques pour des wagons en service, et il est d’ailleurs difficile de détecter cette usure lors des inspections courantes des wagons. L’effet cumulatif de l’usure (réduction de 83 p. 100 de la capacité d’amortissement) aurait par contre rendu la suspension «inopérante», ce qui constitue une avarie compromettant la sécurité, comme on peut le lire dans le Règlement concernant l’inspection et la sécurité des wagons de marchandises.
Le degré d’usure des pièces de bogie indique qu’elles étaient usées depuis longtemps avant le déraillement. Lors de l’inspection de sécurité faite à Toronto, en fait la seule inspection dont le wagon a fait l’objet après son arrivée au Canada, on n’a relevé aucune défaillance relative à l’usure des bogies. Un mécanisme d’amortissement «inopérant» est considéré comme une avarie compromettant la sécurité; toutefois, le Règlement concernant l’inspection et la sécurité des wagons de marchandises ne dit pas que l’usure excessive des traverses danseuses ou des longerons de bogie est un des indicateurs de cette avarie.
Bien que le bulletin de composition ait montré que le wagon GATX 73738 était chargé, les renseignements contenus dans la section sur les instructions spéciales de manutention précisaient erronément qu’il s’agissait d’un wagon de «résidus». Cette information, combinée à un bulletin de composition qui a rendu difficile l’identification des wagons mis en cause dans le déraillement, aurait pu poser de graves difficultés au point de vue de la sécurité pour le personnel d’intervention sur place.
On ignore pourquoi il a été impossible d’établir immédiatement une communication radio entre l’équipe du train et le CCF. Après examen des renseignements disponibles, l’explication la plus plausible serait que les membres de l’équipe se sont agités après avoir constaté que les deux voies principales étaient bloquées à cause du déraillement et ont utilisé une procédure radio incorrecte.
L’incapacité d’établir immédiatement la communication radio avec le CCF aurait pu avoir des conséquences plus graves si le déraillement s’était produit dans une zone de banlieue ou pendant une période où aucun employé muni d’un téléphone cellulaire n’était disponible pour relayer l’information.
La méthode consistant à vérifier la vitesse d’un train en calculant le temps nécessaire pour franchir les milles de contrôle en différents endroits peut donner une idée générale de la vitesse du train, mais elle n’est pas une façon précise de contrôler l’exactitude des indicateurs de vitesse. Le mécanicien croyait que la vitesse du train n’excédait pas la vitesse maximale autorisée de 60 mi/h; cependant, la lecture de l’indicateur de vitesse de la locomotive de tête était inexacte, ce qui fait que le train excédait légèrement la vitesse autorisée. Cette vitesse a peut-être accru la gravité du galop du bogie du wagon MSDR 81026.
Grâce à la compétence et au professionnalisme du personnel d’intervention d’urgence, les résidants n’ont pas été exposés à des risques indus.
Conclusions
Faits établis
- Le déraillement a été causé par le mouvement de galop du bogie du wagon MSDR 81026.
- L’usure des pièces d’amortissement de la suspension du wagon MSDR 81026 était telle que leur capacité de résister au roulis de la caisse était réduite.
- Les pièces de bogie usées du wagon MSDR 81026 ont accentué le mouvement de torsion du bogie, ce qui a fait augmenter l’angle d’attaque entre le boudin de roue et le rail.
- Le train roulait à une vitesse qui a pu accroître la gravité du mouvement de galop du bogie.
- Du fait qu’un bulletin de composition exact n’était pas disponible, il a été plus difficile de localiser un wagon déraillé qui contenait des marchandises dangereuses et d’évaluer rapidement la situation.
- Ne pouvant pas communiquer immédiatement par radio avec le CCF sur la fréquence appropriée, l’équipe a demandé à un contremaître d’entretien de la voie qui était dans le secteur de communiquer pour elle avec le CCF.
- Le wagon MSDR 81026 a fait l’objet d’une seule inspection de sécurité après son arrivée au Canada le 28 juillet 1996, et aucune défaillance n’a été relevée à l’occasion de cette inspection.
- Un mécanisme d’amortissement inopérant est considéré comme une avarie compromettant la sécurité; cependant, le Règlement concernant l’inspection et la sécurité des wagons de marchandises ne précise pas que l’usure excessive des bogies et des longerons de bogie constitue une avarie compromettant la sécurité.
- L’intervention d’urgence a été menée avec compétence et professionnalisme.
Cause
Le wagon-trémie découvert vide MSDR 81026 a déraillé par suite d’un chevauchement du rail consécutif au roulis excessif de la caisse du wagon et à un mouvement de galop du bogie généré par la vitesse du train. Le roulis excessif de la caisse et la propension au galop du bogie étaient dus au fait que l’usure des pièces de bogie n’est pas reconnue comme étant une avarie compromettant la sécurité.
Mesures de sécurité
Mesures prises
Étalonnage des indicateurs de vitesse
Le 29 octobre 1996, le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) a publié des instructions à l’intention de tout le personnel d’atelier, dans lequel il réitérait l’importance d’un mesurage approprié des roues et d’un bon étalonnage des indicateurs de vitesse.
Limitations de vitesse imposées aux wagons
Pour réduire le risque que des wagons-trémies vides de 48 pieds subissent un mouvement excessif de galop du bogie et en viennent à causer des déraillements par chevauchement du rail, le CP et le Chemin de fer Saint-Laurent et Hudson (StL&H) ont publié l’avis no 116 disant qu’en date du 2 septembre 1996, les trains qui comptent des wagons-trémies vides de type K340 de l’AAR, portant les marques MSDR, devraient rouler à une vitesse maximale de 50 mi/h.
Erreurs dans le bulletin de composition
Du fait qu’un bulletin de composition exact n’était pas disponible, il a été plus difficile de localiser un wagon déraillé qui contenait des marchandises dangereuses et d’évaluer rapidement la situation. Le StL&H modifie actuellement la trousse de formation destinée à son personnel de bureau afin d’accroître le niveau de connaissance des systèmes de contrôle des expéditions et de réduire le nombre d’erreurs dans les dossiers d’expédition. De plus, des lecteurs d’identification automatique des équipements ont été installés dans tous les postes de changement d’équipe du réseau du StL&H afin de faciliter la vérification des bulletins de composition, et ce même dans les cas où il faut atteler ou dételer des wagons en cours de route.
Transports Canada révise actuellement le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, et propose que les équipes de train aient en leur possession une feuille de train lorsqu’un ou plusieurs grands contenants faisant partie d’un train doivent porter une plaque. Les renseignements qui figurent sur la feuille de train doivent être tenus à jour avec exactitude par l’équipe de train et conservés avec les documents d’expédition.
Communications
Le StL&H a révisé les instructions de son indicateur de façon à expliciter la méthode d’appel 911N avec composition par clavier numérique, lorsqu’on doit transmettre un appel d’urgence. De plus, on met en place des autocollants d’information sur les appels d’urgence dans les cabines de commande de toutes les locomotives de la compagnie. Le StL&H a aussi mené deux campagnes-éclair de sensibilisation à la sécurité auprès des employés d’exploitation, et aborde la question des bonnes méthodes de communication radio pendant ses réunions mensuelles sur la sécurité.
Initiatives de l’industrie ferroviaire
Le 26 juin 1997, l’industrie a tenu à Montréal une réunion portant sur l’usure des pièces de bogie, à laquelle le Canadien National, le Chemin de fer Canadien Pacifique, Transports Canada, le Bureau de la sécurité des transports du Canada et l’Association of American Railroads (AAR) ont délégué des représentants. Le porte-parole de l’AAR a décrit la portée des initiatives du groupe de recherche stratégique de l’AAR dans les domaines des systèmes véhicules-voies, de la mécanique et de l’ingénierie, projets qui visent à déterminer les méthodes optimales d’entretien des bogies conventionnels à trois pièces et des pièces de suspension critiques. Les initiatives se poursuivent.
Le prèsent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.