Rapport d'enquête ferroviaire R96S0106

Blessures mortelles à une intruse
VIA Rail Canada Inc.
train numéro 76
point milliaire 98,65, subdivision Chatham
Tecumseh (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le , vers 14 h 50, heure avancée de l'Est, une piétonne a été heurtée et mortellement blessée par le train de voyageurs no 76 qui roulait vers l'est de VIA Rail Canada Inc. aux environs du point milliaire 98,65 de la subdivision Chatham du Canadien National, dans la ville de Tecumseh (Ontario).

    Le Bureau a déterminé que la piétonne a utilisé l'emprise de la voie ferrée comme raccourci, ce qui lui a fait encourir un danger imminent. En outre, la piétonne n'a pas entendu le son du klaxon de la locomotive du train qui s'approchait à temps pour pouvoir en localiser la source, décider d'un plan d'action et mettre ce plan à exécution avant d'être heurtée par le train. L'inefficacité du klaxon de la locomotive en tant que dispositif d'avertissement est le résultat d'une combinaison de facteurs liés à la capacité du klaxon d'attirer l'attention et de projeter le son vers l'avant dans les présentes circonstances. Ces facteurs comprennent la réceptivité de la piétonne au son émis par le klaxon, la composition spectrale du son, le niveau des bruits de fond, le vent et la position du klaxon sur la locomotive.

    Les facteurs suivants ont aussi contribué à l'accident : l'absence de clôtures et de panneaux d'avertissement adéquats et d'une stricte application de la loi afin de dissuader les intrusions, et l'inefficacité des efforts de la communauté, de la société et du systéme d'enseignement à inculquer les connaissances nécessaires pour que la piétonne choisisse un autre chemin.

    This report is also available in English.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 L'accident

    Vers 14 h 50Note de bas de page 1, alors que le train no 76 (VIA 76) qui roule vers l'est de VIA Rail Canada Inc. (VIA) s'approche du passage à niveau public du chemin Tecumseh au point milliaire 99,13 de la subdivision Chatham du Canadien National (CN), à Tecumseh (Ontario), les mécaniciens remarquent deux piétonnes marchant vers l'est sur la voie. Le mécanicien qui est aux commandes actionne le klaxon quand le train arrive à la hauteur du passage à niveau et continue de l'actionner par petits coups aprés le passage à niveau pour avertir les piétonnes en question de l'approche du train. Constatant que les piétonnes ne réagissent pas aux coups de klaxon, il serre les freins de service du train à fond et, presque immédiatement aprés, les freins d'urgence du train. Juste comme le train arrive à leur hauteur, les piétonnes tentent de s'écarter du chemin. L'une d'elles réussit à sauter vers le sud et à éviter d'être heurtée par le train. L'autre, qui tient une bicyclette, tente de sauter vers le nord, mais elle est heurtée par le coin avant gauche de la locomotive et mortellement blessée.

    Les piétonnes, deux soeurs âgées de 11 ans (décédée) et de 15 ans, venaient de quitter leur domicile du côté sud de la voie pour se rendre à un restaurant du côté nord de la voie. Elles avaient engagé la conversation et n'étaient pas attentives aux sons révélateurs d'un train en marche qui s'approcherait d'elles. Quand la plus vieille des deux a entendu le klaxon du train derriére elles, elle a dit à sa soeur qu'elles devraient s'enlever de là, mais elle ne l'a pas dit d'un ton pressant parce qu'elle pensait que le train était beaucoup plus loin. Elles ont alors entrepris de quitter la voie et, quand elles se sont retournées pour voir où était le train, ce dernier était presque sur elles.

    La soeur aînée et ses amies avaient l'habitude d'utiliser l'emprise de la voie ferrée comme raccourci; toutefois, la cadette n'était jamais passée par là. Même si l'aînée savait que les trains pouvaient être dangereux, elle avait utilisé ce raccourci trés souvent sans probléme et croyait que les risques n'étaient pas trés grands.

    Ni l'une ni l'autre des soeurs ne souffrait de déficience auditive connue.

    1.2 Conditions météorologiques

    Au moment de l'accident, le temps était clair, les vents étaient variables et modérés avec des rafales du sud-est, la température était de 21 degrés Celsius et il n'y avait pas de précipitation.

    1.3 Renseignements sur le train

    Le train VIA 76 est un train de voyageurs Léger, Rapide, Confortable (LRC); il était constitué d'une locomotive, no 6421, et de quatre voitures. Il se rendait de Windsor (Ontario) à Toronto (Ontario). Il pesait 370 tonnes et mesurait environ 400 pieds. Il roulait à environ 83 mi/h quand les freins ont été serrés la premiéres fois. La vitesse maximale autorisée à cet endroit est de 95 mi/h.

    1.4 Renseignements sur le personnel

    L'équipe du train VIA 76 était composée de quatre personnes : un chef de train qui se trouvait dans la deuxiéme voiture derriére la locomotive, un chef de train adjoint posté dans la derniére voiture et deux mécaniciens qui prenaient place dans la locomotive. Ils répondaient aux exigences de leurs postes respectifs et satisfaisaient aux exigences en matiére de repos et de condition physique.

    1.5 La subdivision Chatham

    La subdivision Chatham du CN s'étend de Windsor, point milliaire 105,6, à Komoka (Ontario), point milliaire 7,1, point d'intersection avec la subdivision Strathroy du CN. Selon l'indicateur en vigueur, la vitesse limite pour les trains de voyageurs vers l'est et vers l'ouest entre les points milliaires 105,6 et 104,4 est de 30 mi/h; elle passe à 45 mi/h entre les points milliaires 104,4 et 103,6 et à 50 mi/h entre les points milliaires 103,6 et 101,0 pour atteindre la vitesse maximale de 95 mi/h entre les points milliaires 101,0 et 75,6.

    1.6 Signal par sifflet de la locomotive

    Le paragraphe (iii)(l) de la régle 14 du Réglement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) stipule que l'on doit donner deux coups longs, un coup bref et un coup long du klaxon de la locomotive comme suit :

    • À chaque poteau ou panneau indicateur commandant de siffler.
    • À au moins un quart de mille de tous les passages à niveau publics (sauf dans les limites spécifiées dans les instructions spéciales). Le signal doit être prolongé ou répété selon la vitesse du mouvement, jusqu'à ce que le passage à niveau soit entiérement occupé par la locomotive ou par les wagons ou voitures qu'elle pousse.

    Le paragraphe (iii)(f) de la régle 14 stipule que l'on doit donner une succession de coups brefs qui :

    Alerte les personnes ou les animaux qui sont sur la voie ou à proximité.

    1.7 Renseignements consignés

    Les données du consignateur d'événements de la locomotive indiquent que le klaxon de la locomotive a été actionné fréquemment à l'approche du point de la collision. Selon le consignateur, à 14 h 49 min 6,0 s, la cloche et le klaxon ont été actionnés, la manette des gaz était à la position no 8 et le train roulait à 47 mi/h. À 14 h 51 min 14,9 s, la cloche et le klaxon ont été actionnés et la manette des gaz a été placée à la position de ralenti; le train roulait alors à 83 mi/h, la pression au cylindre de frein était de 0 livre au pouce carré (lb/po²) et la pression dans la conduite générale était de 92 lb/po². Entre 14 h 51 min 15,9 s et 14 h 51 min 24,7 s, la cloche et le klaxon ont continué d'être actionnés, la manette des gaz est demeurée à la position de ralenti, la vitesse est passée de 83 à 80 mi/h, la pression au cylindre de frein est passée de 0 à 57 lb/po² et la pression dans la conduite générale est passée de 92 à 68 lb/po². Une seconde plus tard, à 14 h 51 min 25,7 s, un indicateur numérique du robinet de mécanicien s'est allumé, signalant le serrage des freins d'urgence. Le klaxon a fonctionné jusqu'à 14 h 51 min 33 s, aprés quoi seule la cloche a continué de sonner jusqu'à ce que le train s'arrête à 14 h 52 min 15 s.

    1.8 Méthode de contrôle du mouvement des trains

    Dans la subdivision Chatham, le mouvement des trains est régi par le systéme de régulation de l'occupation de la voie (ROV) en vertu du REF et surveillé par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) du CN en poste à Toronto.

    1.9 Renseignements sur le lieu de l'événement

    Figure 1
    Image

    Dans les environs immédiats du lieu de l'événement, la subdivision était constituée d'une voie principale simple en alignement droit orientée dans le sens est-ouest. Le chemin Tecumseh croise la voie principale au point milliaire 99,13 et tourne vers l'est à environ un pâté de maison du nord de l'emprise. Il suit ensuite la voie principale en paralléle, séparé de cette derniére par des terrains privés. Il n'y avait pas de barriére pour restreindre l'accés à l'emprise de la voie ferrée. Entre le point milliaire 99,13 et le passage à niveau du chemin Manning, au point milliaire 98,42, les terrains au nord de l'emprise de la voie ferrée étaient désignés comme zone commerciale, mais on y retrouvait aussi bien des immeubles résidentiels que commerciaux.

    Un quartier résidentiel était en construction au sud de la voie principale, à environ 380 pieds à l'est du passage à niveau du chemin Tecumseh. Une clôture à mailles losangées de six pieds de hauteur commençait à cet endroit et s'étendait vers l'est sur 2 125 pieds, séparant l'emprise de la voie ferrée des terrains résidentiels, du parc communautaire et du terrain de jeu qui se trouvaient juste à l'est de ce quartier. La clôture avait déjà été coupée à un endroit et des trous avaient été creusés en dessous à deux autres endroits. Un talus avait été construit au sud de la clôture pour faire fonction d'écran visuel et auditif entre l'emprise de la voie ferrée et les habitations. À l'extrémité est de la clôture, un sentier trés fréquenté conduisait du terrain de jeu à la voie principale. C'est à cet endroit que les deux piétonnes ont traversé le terrain de jeu et sont entrées sur l'emprise de la voie ferrée. À une distance de 285 pieds plus à l'est, il y avait un autre sentier trés fréquenté qui menait vers le nord de l'emprise à une propriété privée et à un groupement d'établissements commerciaux. C'est là que les deux piétonnes avaient l'intention de quitter l'emprise. De l'extrémité est de la clôture à mailles losangées jusqu'au chemin Manning, vers l'est, on pouvait avoir librement accés à l'emprise de la voie ferrée en traversant un terrain vague désigné zone résidentielle. Il y avait un fossé marécageux le long de la voie à cet endroit et une épaisse végétation jusqu'au passage à niveau du chemin Manning.

    La voie principale séparait divers établissements commerciaux situés du côté nord de la voie du quartier résidentiel qui se trouvait du côté sud. Parmi ces commerces, on retrouvait des cafés-restaurants, des restaurants, un club vidéo et une salle de jeux éélectroniques, un restaurant à service rapide, un bar laitier, une pharmacie et d'autres magasins.

    À l'ouest du point milliaire 99,13, on pouvait avoir librement accés à la voie. Les terrains adjacents étaient occupés par des établissements commerciaux et des habitations des deux côtés de la voie.

    Le lieu de l'accident se trouve à quelques milles seulement de l'aéroport de Windsor, directement sur la trajectoire de vol des aéronefs. Le bruit des aéronefs qui passent fréquemment au-dessus de cet endroit peut être entendu du sol.

    1.9.1 Sentiers

    À l'est du chemin Tecumseh, en direction du chemin Manning, du côté sud de la voie, on comptait cinq sentiers qui allaient des terrains adjacents à l'emprise de la voie ferrée aux endroits suivants :

    1. à 380 pieds à l'est, un sentier entre l'extrémité ouest de la clôture et la voie;
    2. à 1 250 pieds à l'est, un sentier entre un trou découpé dans la clôture de mailles losangées et la voie;
    3. à 2 073 pieds à l'est, deux sentiers à partir de deux trous creusés sous la clôture convergeant en un seul sentier vers la voie;
    4. à 2 507 pieds à l'est, un sentier entre l'extrémité est de la clôture et la voie (emprunté par les deux piétonnes pour entrer sur l'emprise);
    5. à 3 353 pieds à l'est, un sentier à partir de la voie, paralléle à elle sur 395 pieds, puis se dirigeant vers le chemin Manning.

    Trois des cinq sentiers du côté sud continuaient du côté nord de la voie à travers le terrain adjacent. Ces sentiers étaient à 1 250 pieds, à 2 073 pieds et à 3 353 pieds du chemin Tecumseh. Il y avait deux autres sentiers à 2 123 pieds et à 2 795 pieds à l'est du chemin Tecumseh.

    1.10 Klaxon des locomotives et réactions typiques

    1.10.1 Klaxon des locomotives de VIA de la série 6400

    Le klaxon installé sur les locomotives de la série 6400 de VIA est un sifflet pneumatique AirChime modéle K-3-L. Un coup de sifflet à pleine puissance du AirChime K-3-L produit une énergie acoustique à trois fréquences : 311, 370 et 470 Hz (cycles par seconde). Le klaxon se compose de trois cornes orientées vers l'avant. Les sifflets sont montés à environ 6,5 m de l'avant de la locomotive, sur le dessus du compartiment moteur. Le support de montage se trouve directement derriére les cheminées d'échappement. Les cheminées dépassent d'environ 15 cm le dessus du compartiment moteur et surplombent les parties inférieures des cornes.

    1.10.2 Exigences réglementaires

    L'ordonnance générale 0-25 de la Commission canadienne des Transports, intitulée Réglement concernant les dispositifs utilisés pour faire entendre les sons prescrits pour les signaux donnés par les sifflets de locomotives et concernant les cloches de locomotives, énonce les exigences actuellement en vigueur pour les dispositifs en question sur les voie ferrées sous réglementation fédérale. Cette ordonnance stipule, en partie, ce qui suit :

    Service de route

    Les engins de traction «A» qui sont affectés réguliérement ou temporairement au service de route, y compris les engins de manoeuvre de route, doivent être munis de cornets dont le timbre imite le son des sifflets ordinaires de locomotives à vapeur. Ces cornets doivent être accordés de façon à produire des accords d'au moins trois notes formant un son harmonieux et être groupés et situés de maniére à propager le son presque en tous sens et à permettre de faire entendre efficacement les sons prescrits pour les signaux donnés par les sifflets de locomotives.

    Ce réglement n'établit pas d'exigences en matiére de fréquences des sons ni d'intensité ou de modulation de l'énergie acoustique qui doivent prévaloir à certaines distances spécifiées, dans tous les sens, en provenance d'une locomotive à l'arrêt ou en marche.

    En collaboration avec l'Association des chemins de fer du Canada, Transports Canada a élaboré une ébauche de régles intitulée «Régles concernant les dispositifs utilisés pour faire entendre les sons prescrits pour les signaux donnés par les sifflets de locomotives et concernant les cloches de locomotives». La plus récente ébauche est en date du 16 mai 1990. En vertu de ces nouvelles régles, les locomotives seraient dotées d'un dispositif d'avertissement pneumatique qui serait monté à l'avant de l'unité motrice et qui produirait, dans le sens du mouvement, des niveaux de puissance sonore minimums de 96 dB(A) en tout point d'un arc de 30,5 m de rayon sous-tendu à l'avant de l'unité motrice selon un angle de 45 degrés à la gauche et à la droite de l'axe de la voie ferrée en direction du mouvement.

    Les exigences de cette norme sont compatibles avec celles de la Federal Railroad Administration (FRA), auxquelles toutes les locomotives construites en Amérique du Nord doivent se conformer.

    1.10.3 Modification de l'emplacement des klaxons de locomotives

    Par le passé, les klaxons (sifflets) de locomotives ont toujours été montés à l'avant de la locomotive. Par suite des préoccupations formulées par le personnel d'exploitation au début des années 1980 à propos des pertes d'audition, les compagnies ferroviaires ont commandé une étudeNote de bas de page 2 dans le but de déterminer les effets d'une modification de l'emplacement des klaxons de locomotives. L'étude a révélé que les klaxons montés à peu prés au même endroit que ceux des locomotives de la série 6400 de VIA produisaient des niveaux sonores moins élevés dans la cabine, mais que les niveaux sonores produits à 30,5 m (100 pieds) de distance à l'avant d'une locomotive à l'arrêt aussi étaient inférieurs et que leur efficacité s'en trouvait diminuée. On a donc conclu que l'emplacement idéal pour les klaxons de locomotives était aussi haut et aussi à l'avant que possible, et que le niveau de bruit à l'intérieur de la cabine pouvait être réduit en montant l'ensemble klaxon/cloche sur des supports caoutchoutés et en insonorisant la cabine. Selon l'étude, à une distance de 30,5 m (100 pieds) d'une locomotive à l'arrêt, les niveaux sonores étaient d'environ 108 dB quand le klaxon était monté à l'avant sur le toit de la cabine, à 2,7 m de l'avant de la locomotive, et d'environ 102 dB quand le klaxon était monté à 7 m derriére l'avant de la locomotive.

    1.10.4 Réactions aux klaxons de locomotives

    On serait porté à croire que toute personne qui se trouverait sur une voie ferrée ou à proximité prendra les mesures nécessaires pour s'écarter de la trajectoire du train dès qu'elle entend le klaxon de la locomotive. Un dispositif d'avertissement efficace devrait donner aux personnes suffisamment de temps pour identifier le danger et réagir en conséquence. Dans le cas des klaxons de locomotives, le délai d'avertissement suffisant dépend de deux types de variables : les variables liées au train même et les variables associées aux réactions des personnes face aux avertissements sonores. Les variables liées au train comprennent la direction du mouvement, la vitesse et la distance du point d'impact. Les variables associées aux réactions des personnes face aux avertissements sonores concernent le traitement de l'information et les diverses étapes de ce traitement. Ces étapes comprennent l'identification des sons, la localisation des sons, la prise de décision et l'exécution de la réaction.

    1.10.4.1 Identification des sons

    Les premiéres étapes du traitement de l'information reposent surtout sur les sens pour «détecter» un avertissement. Les chercheurs utilisent le terme «détection» pour marquer la prise de conscience de l'existence d'un son, alors que le terme «audibilité» est utilisé pour marquer la reconnaissance de l'identité d'un son, ce qui met en cause un procédé cognitif d'un ordre supérieur comme la mémoire à long terme. Un grand nombre de facteurs ont une incidence sur la capacité d'un auditeur dont l'acuité auditive est normale à entendre un son, notamment :

    1. le niveau de son réel;
    2. les sons concurrents qui attirent l'attention de l'auditeur;
    3. la réactivité des auditeurs (p. ex. sont-ils préoccupés?);
    4. les bruits de fond qui peuvent masquer l'avertisseur sonore.

    Les recherches ont démontré que le son doit avoir de 9 à 10 dB de plus que le seuil de détectabilité pour qu'un signal soit audible. Par contre, si l'on recherche une détectabilité de 100 p. 100, le son devrait avoir 18 dB de plus que le seuil de détectabilité. Il est aussi à remarquer qu'un auditeur fréquemment exposé au même son peut éventuellement devenir de moins en moins conscient de son existence.

    1.10.4.2 Localisation des sons

    En plus d'être identifié en tant que signal d'avertissement, comme dans le cas d'un klaxon de locomotive, un son doit être localisé par l'auditeur. L'habileté à localiser les sons dépend principalement des différences d'intensité et d'instant d'arrivée entre les deux oreilles. Cependant, il est beaucoup plus difficile de localiser la source d'un son si cette derniére est directement en face ou derriére l'auditeur, puisque les différences d'intensité et d'instant d'arrivée sont minimes. Dans de telles conditions, il y a plusieurs facteurs qui peuvent influencer le jugement de la localisation des sons, notamment :

    1. les attentes individuelles en ce qui a trait à la source d'un son, ce qui peut donner lieu à une inversion de la perception de la source;
    2. la composition spectrale (les fréquences) du son, pour ce qui est de la détermination de la direction, les hautes fréquences (>7 000 Hz) étant localisées avec plus de précision;
    3. la composition spectrale du son, pour ce qui est de la détermination de la distance, la perception étant que les sons composés principalement d'éléments graves proviennent d'une source plus éloignée que les sons plus aigus;
    4. les mouvements de la tête, qui permettent de mieux localiser une source de bruit en permettant de mieux saisir les différences d'intensité et d'instant d'arrivée.

    Ainsi, quand le son est directement en avant ou en arriére de l'auditeur, les principaux indices utilisés pour en localiser la source sont la différence d'intensité et la différence d'instant d'arrivée entre les deux oreilles créées par les mouvements de la tête. Selon une étude sur la capacité des personnes dont l'acuité auditive est normale à localiser une source de sonNote de bas de page 3, le taux d'erreur atteint 20 p. 100 sans mouvement de tête.

    1.10.4.3 Prise de décision

    Aprés avoir détecté et identifié un avertissement sonore, la personne doit prendre une décision quant à ce qu'elle doit faire ensuite. Il faut remarquer qu'à mesure que le nombre d'options augmente, le temps de réaction augmente aussi. En outre, si les circonstances sont mal définies ou que les choix sont illimités, comme cela peut être le cas si la personne se trouve dans une telle situation pour la premiére fois, l'augmentation du délai de décision peut être importante.

    1.10.4.4 Exécution de la réaction

    Si la personne décide qu'une mesure doit être prise, il lui faut un certain temps pour l'amorcer et l'exécuter. Le temps requis pour réagir dépend de la complexité de la mesure à être prise et de l'habileté physique de la personne en cause.

    1.11 Étude d'audibilité des trains à Tecumseh

    Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) et l'Institut militaire et civil de médecine environnementale (IMCME) ont effectué une étude conjointe pour déterminer les caractéristiques physiques de l'environnement auditif sur le lieu de l'événement à Tecumseh et mieux comprendre pourquoi la piétonne n'a pas réagi à temps pour éviter d'être heurtée par le train. Des microphones étalonnés ont donc été installés sur le lieu de l'accident pour enregistrer pendant deux jours les neufs trains de voyageurs de VIA qui passent réguliérement à cet endroit. L'IMCME a mesuré les intervalles entre le moment où des observateurs entendaient le klaxon d'une locomotive, le moment où ils détectaient le train pour la premiére fois et le moment où le train passait à leur hauteur, selon des observations faites sur un train se déplaçant à une vitesse d'essai de 84 mi/h. L'étude a permis d'arriver à trois conclusions importantes en ce qui concerne la détection des klaxons de locomotives pour les personnes qui s'attendent à entendre un tel avertissement sonore :

    1. Le bruit de fond sur le lieu était d'environ 55 dB. Dans de telles conditions, les observateurs détectaient le klaxon de la locomotive environ 25 secondes avant le passage du train. La crête d'intensité du klaxon de la locomotive n'a dépassé 57 dBNote de bas de page 4 qu'environ cinq secondes avant le passage du train, où l'intensité a grimpé jusqu'au niveau maximal mesurable de l'instrument, soit 110 dB.
    2. Le son d'une conversation entre jeunes filles et le passage d'une bicyclette ont fait augmenter le niveau de bruit de fond à environ 62 dB. Cependant, cette augmentation du bruit de fond n'a pas fait diminuer l'intervalle entre le moment de détection du sifflet par les observateurs et le passage du train.
    3. Le passage d'un avion au-dessus du lieu de mesure a fait augmenter le niveau de bruit de fond jusqu'à une crête d'environ 75 dB, 16 secondes avant le passage d'un train. Dans ce cas-ci, les observateurs n'ont détecté le klaxon de la locomotive que neuf secondes avant le passage du train.

    Il est important de noter que, contrairement aux deux piétonnes, les observateurs étaient spécifiquement à l'écoute d'un klaxon de locomotive. Des études ont démontré que les délais de réaction des personnes sont beaucoup plus courts quand la personne anticipe le stimulus.Note de bas de page 5

    1.12 Remarques complémentaires sur l'audibilité

    L'étude de l'IMCME a porté sur un grand nombre de facteurs liés aux bruits de fond et au temps requis pour détecter un klaxon de locomotive. Cependant, il y a beaucoup d'autres facteurs qui influent directement sur l'audibilité des klaxons de locomotives. On a subjectivement remarqué que le son du klaxon projeté vers l'avant à travers les gaz d'échappement et par dessus le nez de la locomotive était altéré, alors qu'à angle droit avec la voie, à une distance d'environ 100 pieds, il semblait plus clair. Une étude effectuée pour la FRANote de bas de page 6 a d'ailleurs conclu que les écoulements d'air refroidi ou de gaz de cheminée ne devaient pas être dans la trajectoire du son (c'est-à-dire en avant des cornes du klaxon) pour que la projection du son soit optimale.

    Le son du klaxon d'une locomotive peut aussi être atténué d'au moins 20 dB à plus de 1 800 pieds (à 15 secondes du point d'impact) si le vent souffle dans la direction opposée à la marche du train.Note de bas de page 7

    On sait qu'en vertu de l'effet Doppler, les ondes sonores émanant d'un objet en mouvement ont tendance à se tasser en face de l'objet, faisant ainsi diminuer la distance entre les ondes successives et augmenter la fréquence. Des ondes sonores de fréquence plus élevée se traduisent pour l'observateur par des sons plus aigus. Il serait cependant normal que l'effet du décalage Doppler sur le spectre sonore soit négligeable en raison de la vitesse relativement lente de la locomotive (84 mi/h) par rapport à la vitesse du son dans l'air, qui est d'environ 770 mi/h.

    L'IMCME n'a pas étudié la question du temps requis pour localiser le klaxon de la locomotive, pour décider d'un plan d'action et pour l'exécuter. Il faudrait effectuer d'autres études pour déterminer la gamme approximative des délais de réaction probables dans les circonstances particuliéres de cet événement.

    1.13 Intrusions

    1.13.1 Dispositions réglementaires et recommandations antérieures du BST

    La Loi sur la sécurité ferroviaire, proclamée le 1er janvier 1989, a remplacé les parties de la Loi sur les chemins de fer portant sur la sécurité. En vertu de l'article 384 de la Loi sur les chemins de fer qui suit, toute personne qui pénétrait indûment à pied sur la propriété d'une compagnie ferroviaire était coupable d'une infraction :

    384. (1) Toute personne qui, sans y être autorisée par la compagnie, pénétre dans la cour ou passe sur la voie de la compagnie, sauf aux endroits où cette voie traverse ou longe une voie publique, est passible, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d'une amende maximale de vingt dollars.

    Lors de sa proclamation, la Loi sur la sécurité ferroviaire ne contenait pas de prohibition similaire.

    L'Office national des transports du Canada, dans ses rapports d'enquête sur des accidents mettant en cause des personnes mortellement blessées sur la propriété des compagnies ferroviaires, le 7 janvier 1989 à Sault Ste. Marie (Ontario) et le 8 janvier 1989 à Keith (Alberta), a recommandé à Transports Canada de remettre en vigueur l'article 384 de la Loi sur les chemins de fer de maniére à ce que la loi puisse agir comme moyen de dissuasion contre les passages non autorisés sur les emprises ferroviaires. Les modifications faites à la Loi sur la sécurité ferroviaire, en vigueur depuis 1994, comprennent, entre autres, l'article suivant :

    Interdiction de pénétrer sur l'emprise

    26.1 Il est interdit de pénétrer, sans excuse légitime, sur l'emprise d'une ligne de chemin de ferNote de bas de page 8.

    Le 30 mai 1990, prés de la communauté de Cobourg (Ontario), un enfant de neuf ans a perdu une jambe en tentant de monter sur un train en marche. À la suite de l'enquête, le Bureau a recommandé que :

    Le ministére des Transports établisse des normes minimales concernant le type et l'emplacement des clôtures nécessaires le long des emprises des chemins de fer proches des ponts ferroviaires et à tout autre endroit où les fréquentes incursions de piétons sont connues.
    Recommandation R91-01du BST

    Le ministére des Transports prenne les mesures nécessaires afin que les policiers, en place pour faire respecter les lois, puissent avoir les moyens de les faire appliquer contre toute personne non autorisée sur les emprises des chemins de fer ou les ponts à chevalets.
    Recommandation R91-02 du BST

    Transports Canada a proposé que l'on incorpore un renvoi aux dispositions sur l'intrusion, l'article 26(1) de la Loi sur la sécurité ferroviaire, dans les modifications du réglement en application de la Loi sur les contraventions. De telles mesures permettraient aux policiers d'appliquer une loi fédérale pour émettre une contravention aux personnes qui pénétrent sur les emprises ferroviaires. Au moment de l'événement dont il est question, la modification en question n'avait pas encore été adoptée.

    Le 7 décembre 1992, la direction générale de la Sécurité ferroviaire de Transports Canada a préparé une directive intitulée «Procédures pour la prévention des intrusions». Cette directive élabore une marche à suivre pour prévenir les intrusions avant qu'un probléme ne surgisse ou aprés que l'examen des accidents ait identifié un probléme, en prenant toute une série de mesures préventives. Ces mesures sont axées sur l'éducation, l'application de la loi, la construction de clôtures, l'accés, la signalisation, l'exploitation des trains et la planification urbaine, de même que sur la collaboration avec les municipalités, les promoteurs immobiliers, les compagnies ferroviaires et les organismes de réglementation.

    Au moment de l'événement, la Ville de Tecumseh ne connaissait pas l'existence de la directive «Procédures pour la prévention des intrusions» de Transports Canada. Pendant l'élaboration des plans d'un projet de construction domiciliaire prévu pour les environs immédiats du lieu de l'accident, la Ville de Tecumseh avait communiqué avec Transports Canada pour avoir des précisions concernant l'emprise de la voie ferrée. Transports Canada lui avait donné tous les renseignements nécessaires sur l'aménagement des terrains attenants aux «lignes de chemin de fer». La municipalité a fait sa demande auprés de Transports Canada avant que la directive ne soit disponible. Aucune autre information sur la prévention des intrusions n'a été fournie par Transports Canada à la Ville de Tecumseh à ce moment-là.

    1.13.2 Opération Gareautrain

    L'Opération Gareautrain est un programme conçu pour éduquer les enfants d'âge scolaire et les municipalités aux dangers inhérents à l'exploitation des trains. Elle a été mise sur pied par l'Association des chemins de fer du Canada et ses membres associés avec l'appui de Transports Canada. Les programmes de l'Opération Gareautrain ont été élaborés avec la collaboration de victimes d'accident, d'employés des chemins de fer, de policiers et d'éducateurs. On le présente aux endroits qui ont été identifiés comme présentant des risques élevés parce que des accidents s'y sont produits par le passé ou pour donner suite à une demande particuliére de la part des écoles ou des municipalités. La communauté de Tecumseh n'avait pas été visitée par l'Opération Gareautrain depuis plusieurs années avant l'événement. Depuis, le programme a été présenté à l'école fréquentée par la piétonne mise en cause dans l'accident.

    1.14 Clôtures

    1.14.1 Exigences fédérales

    Selon l'article 217 de la Loi sur les chemins de fer:

    1. La compagnie doit ériger et entretenir sur le parcours du chemin de fer :
      1. des clôtures d'une hauteur minimale de quatre pieds six pouces, de chaque côté de la voie.
    2. Ces clôtures, barrières et garde-bestiaux doivent être convenables et suffisants pour empêcher les bestiaux et autres animaux de pénétrer dans les terres du chemin de fer.
    3. La Commission peut, à la demande de la compagnie, la libérer provisoirement ou autrement de l'obligation d'ériger et d'entretenir ces clôtures, barrières et garde-bestiaux, lorsque le chemin de fer traverse une localité où, de l'avis de la Commission, ces ouvrages et constructions ne sont pas nécessaires.

    L'article 217 de la Loi sur les chemins de fer a été abrogé en octobre 1995. Les compagnies ferroviaires sous réglementation fédérale ont consenti à respecter les principes de cette loi et toutes les exemptions qui avaient été émises jusqu'à ce que la nouvelle législation entre en vigueur. À plusieurs reprises, Transports Canada a consulté les intervenants à propos du réglement proposé concernant les clôtures pour résoudre le probléme des intrusions, mais aucun réglement n'a encore été finalisé.

    1.14.2 Exigences municipales

    L'arrêté municipal no 1934 de la Ville de Tecumseh concernant la construction de clôtures dans le périmétre de la municipalité a été adopté le 11 décembre 1989. Voici un aperçu des éléments de l'arrêté qui sont applicables aux circonstances de l'événement en cause :

    1. on est tenu d'obtenir un permis pour construire une clôture;
    2. toute clôture doit être conforme à l'arrêté;
    3. les clôtures doivent être du type ornemental, en mailles losangées ou du type grillage métallique et ne doivent pas être incompatibles avec le caractére du voisinage;
    4. il est interdit de construire une clôture qui est fondamentalement dangereuse;
    5. il est interdit de construire une clôture à moins de 30 pieds d'une route ou d'une intersection;
    6. il est interdit de construire une clôture dans une cour latérale ou arriére qui serait à plus de six pieds au-dessus du niveau du sol adjacent;
    7. il est interdit de construire une clôture constituée en tout ou en partie de fil barbelé ou d'une matiére similaire, sauf le long de l'extrémité supérieure d'une clôture entourant une propriété commerciale ou industrielle pourvu que cette clôture ait une hauteur d'au moins sept pieds.

    Aucun arrêté municipal ne régissait la pose ou l'entretien de panneaux interdisant l'intrusion ou mettant en garde contre les dangers associés à la propriété de chemin de fer au moment de l'événement.

    1.15 Renseignements obtenus de la Police provinciale de l'Ontario

    L'enquête de la police sur l'accident a conclu qu'une des deux piétonnes qui se trouvaient sur l'emprise de la voie ferrée a été heurtée par un train et mortellement blessée.

    Le service de police local a mis sur pied un programme appelé Values, Influences, Peers (VIP) qui se donne dans les écoles et qui a pour but d'éduquer les enfants d'âge scolaire sur les coûts du vandalisme, sur l'influence sociale et sur l'influence des camarades. Ce programme touche briévement aux dangers que présente le fait de jouer prés des voies ferrées (par exemple de lancer des pierres ou des débris sur les trains qui passent et d'autres sujets d'intérêt général concernant les trains). L'école que fréquentait la piétonne mise en cause dans l'accident avait présenté ce programme durant l'année scolaire 1995-1996. La Police provinciale de l'Ontario songe à accroître le contenu du programme pour approfondir davantage la question de l'intrusion et des dangers associés aux trains et aux voies ferrées.

    1.16 Accord de développement municipal

    Le 14 janvier 1992, la Ville de Tecumseh a conclu un accord avec un promoteur immobilier concernant le terrain adjacent à l'emprise du côté sud de la voie ferrée et y a autorisé le développement d'un quartier résidentiel. Les articles suivants se rapportant à la voie ferrée et à l'emprise de la voie ferrée ont été relevés du texte de l'accord. La liste ne reprend pas textuellement les articles dont le contenu a été reformulé pour les besoins de la cause :

    1. un talus et une clôture devront être construits pour séparer l'emprise de la voie ferrée des propriétés;
    2. des passages clôturés devront être aménagés à l'intérieur des terres à parcs désignées;
    3. les acquéreurs des propriétés doivent être avisés des exigences relatives au talus et aux clôtures;
    4. les lots 217, 218 et 219, environ 2,43 hectares, doivent être désignés terres à parcs;
    5. aucune partie habitable d'un bâtiment doit se trouver à moins de 30 m des terres du CN;
    6. il est interdit de modifier le tracé existant du systéme de drainage touchant la propriété ou l'emprise du CN;
    7. on doit faire une étude des effets du bruit sur la communauté;
    8. une étude distincte des niveaux de bruit touchant les terres à parcs doit être effectuée par un spécialiste de l'acoustique.

    L'accord prévoit aussi que l'on donne suite aux préoccupations suivantes du CN :

    1. que l'étude des niveaux de bruits et de vibrations soit acceptable pour le CN;
    2. qu'un talus d'une hauteur d'au moins 2,5 m au-dessus du niveau du sol soit construit parallélement à l'emprise du CN;
    3. que toutes les offres d'achat ou de location des unités de logement contiennent une clause concernant l'emprise de la voie ferrée;
    4. que les propriétaires installent et maintiennent en bon état une clôture en mailles losangées de six pieds de hauteur le long des lignes de propriété mutuelles.

    1.17 Statistiques du BST sur les accidents survenus à des intrus

    NOMBRE ET TAUX D'ACCIDENTS SURVENUS À DES INTRUS - 1992-1997
    (Total des accidents signalés au BST mettant en cause des trains de marchandises et des trains de voyageurs de VIA)
    Année
    Type de train 1992 1993 1994 1995 1996 1997 Moy.
    MARCHANDISES (ET AUTRES)* 73 80 82 90 100 74 83
    TAUX D'ACCIDENTS SURVENUS À DES INTRUS (PAR MTM) ** 1,07 1,15 1,08 1,26 1,45 1,04 1,2
    VOYAGEURS DE VIA 20 20 12 17 21 15 17,5
    TAUX D'ACCIDENTS SURVENUS À DES INTRUS (PAR MTM) 3,09 3,07 1,84 2,73 3,25 2,27 2,71

    * Véhicules d'entretien, trains de travaux, trains de marchandises mixtes

    ** MTM - million de train-milles

    2.0 Analyse

    2.1 Introduction

    Rien ne laisse supposer que l'exploitation du train VIA 76 n'était pas conforme aux réglements existants ni aux instructions d'exploitation de la compagnie juste avant l'événement. Le train vers l'est se trouvait dans la zone où la vitesse maximale autorisée était de 95 mi/h, mais il n'avait pas encore atteint cette vitesse. Alors qu'il actionnait le klaxon de la locomotive à l'approche du passage à niveau public du point milliaire 99,13, le mécanicien qui était aux commandes a remarqué deux personnes marchant vers l'est en poussant une bicyclette entre elles. Il a continué à donner une succession de coups brefs du klaxon. Quand il s'est aperçu qu'elles ne réagissaient pas, il a serré à fond les freins de service puis, presque immédiatement, les freins d'urgence, tout en continuant à actionner le klaxon. Une des deux piétonnes a réagi à temps et a pu éviter le train. L'autre a été heurtée par le train et mortellement blessée.

    Lors de cet événement, les dispositifs d'avertissement classiques d'un train n'ont pas alerté deux personnes qui marchaient sur la voie ferrée et dont l'acuité auditive était apparemment normale à temps pour qu'elles puissent toutes deux éviter d'être heurtées. Il est incontestable que la personne décédée et sa soeur se trouvaient sans permission sur la propriété de la compagnie ferroviaire, mais il faut aussi reconnaître que les systémes de sécurité mis en place pour éviter ce genre d'événement n'ont pas fonctionné. En outre, la fréquence des accidents ayant des conséquences semblables au Canada et le terrible fardeau émotif qui affecte les familles, les communautés et les équipes de trains touchées justifient la tenue d'une enquête en profondeur.

    L'analyse portera donc sur le klaxon de locomotive comme dispositif d'avertissement sonore, les vues de la société en ce qui a trait au probléme de l'intrusion sur la propriété des compagnies ferroviaires, les moyens de dissuasion contre l'intrusion, les responsabilités des municipalités et la surveillance réglementaire.

    2.2 Lacunes du klaxon de locomotive comme dispositif d'avertissement

    L'étude de l'IMCME a indiqué que, dans des conditions de bruits de fond raisonnablement semblables, des observateurs ayant reçu des instructions à cet effet parvenaient à identifier le klaxon d'une locomotive 25 secondes en moyenne avant l'arrivée du train. Cependant, l'étude mentionne aussi que l'intensité sonore du klaxon ne dépassait pas celle du bruit de fond (environ 60 dB) jusqu'à ce que le train se trouve à cinq secondes de la piétonne qui a été heurtée. La plus grande différence entre le scénario de l'IMCME et ce que les deux jeunes filles ont vécu réside dans le fait que ces derniéres n'étaient pas activement à l'écoute du klaxon de la locomotive; elles poussaient une bicyclette et parlaient. Dans de telles circonstances, il faudrait plus de temps à n'importe quelle personne pour se rendre compte de la présence d'un avertissement sonore. Il leur fallait ensuite localiser la source du son, décider d'un plan d'action et mettre le plan à exécution. En conséquence, le délai de réaction des piétonnes au klaxon de la locomotive était beaucoup plus court que 25 secondes.

    Il y a un grand nombre d'autres facteurs qui auraient pu réduire l'efficacité du klaxon de la locomotive en tant que dispositif d'avertissement. Des sons concurrents peuvent masquer les avertissements sonores ou attirer l'attention de l'auditeur, ou les deux. Le lieu de l'événement est en ligne directe avec la trajectoire de vols de l'aéroport de Windsor. Il n'y avait pas de décollage ou d'atterrissage prévu au moment de l'événement, mais il se peut qu'un aéronef se soit trouvé à proximité. Le son produit par un aéronef a été mesuré lors des essais du BST et de l'IMCME à Tecumseh. Quand on a superposé le son produit par un aéronef au son d'un train qui s'approchait et qu'on les a fait entendre à un grand nombre d'auditeurs à qui on avait demandé de tenter de discerner le son d'un klaxon de locomotive, le son produit par l'aéronef a effectivement masqué le son du klaxon. Si c'est ce qui s'est produit au moment de l'événement, il est probable que les deux piétonnes ont eu trés peu de temps pour réagir. Un nombre presque incalculable de sources sonores, aussi bien d'origine environnementale qu'artificielle, auraient pu être des sources de sons concurrents, comme par exemple le fait de pousser une bicyclette sur le ballast et sur les traverses entre les deux piétonnes, la circulation des véhicules et la conversation entre les deux personnes.

    Il faut aussi convenir que les deux piétonnes, qui résidaient à proximité de la voie ferrée, étaient habituées à entendre le klaxon d'une locomotive. L'exposition quotidienne aux signaux d'avertissement des locomotives aurait pu diminuer leur capacité à porter attention à un signal les avertissant de l'approche d'un train, réduisant de fait l'efficacité du klaxon en tant que dispositif d'avertissement.

    L'emplacement du klaxon sur la locomotive no 6421 de VIA, sur le toit, à mi-chemin vers l'arriére, en retrait sous une barriére et directement derriére la cheminée d'échappement, ne fait rien pour optimiser l'intensité des sons projetés vers l'avant. Pour augmenter les chances que le signal sonore soit entendu, il faut qu'il soit le plus fort possible. En dépit des études qui démontrent que les klaxons de locomotives doivent être montés le plus loin possible à l'avant pour être efficaces, l'industrie ferroviaire continue de monter les klaxons de locomotives à mi-chemin vers l'arriére, ce qui se traduit par une diminution de l'intensité des sons projetés vers l'avant, même si le son produit dépasse encore les exigences de la norme de la FRA, qui sont de 96 dB. On admet que cet endroit a été choisi pour diminuer le bruit à l'intérieur de la cabine quand on actionne le klaxon. Cependant, on admet aussi avoir rejeté d'autres mesures qui auraient tout aussi bien pu réduire les bruits à l'intérieur de la cabine, comme l'ajout de matériaux d'insonorisation dans la cabine ou d'un support caoutchouté pour le klaxon, en faveur de l'emplacement actuel du klaxon.

    Plusieurs études laissent entendre que la projection du son à travers des gaz d'échappement a un impact négatif sur la transmission du son. Il se peut aussi que les piétonnes n'aient pas détecté et identifié le klaxon de la locomotive à temps parce que les vents modérés du sud-est qui soufflaient en direction de la locomotive en avaient atténué l'intensité.

    Il se peut que les piétonnes aient eu de la difficulté à localiser le train à cause de leurs positions relatives. Le train était directement derriére elles, ce qui créait une ambiance sonore à l'intérieur de laquelle les humains ont toujours eu de la difficulté à localiser les sources sonores, surtout les sons composés de fréquences inférieures à 7 000 Hz, comme ceux qui sont produits par un klaxon de locomotive (qui sont de 311, 370 et 470 Hz). En raison des basses fréquences en présence, les piétonnes auraient cru que le train était beaucoup plus éloigné qu'il ne l'était en réalité.

    Quand les piétonnes ont finalement réagi au klaxon, l'une d'elles a pris la décision de sauter vers le sud de l'emprise et, ce faisant, elle a évité juste à temps d'être heurtée par le train. L'autre piétonne a choisi de se déplacer vers le nord de l'emprise et a pu tenter de retirer sa bicyclette en même temps. Cet acte supplémentaire, qui consistait à tenter de retirer la bicyclette de la voie ferrée, aurait augmenté le temps requis pour s'enlever de la trajectoire du train.

    On peut conclure que le klaxon de la locomotive n'est pas devenu audible à temps pour que la piétonne prenne conscience du danger et puisse l'éviter. On a identifié plusieurs facteurs qui ont pu réduire l'efficacité du klaxon. Pris sur une base individuelle, on ne peut affirmer que ces facteurs ont pu contribuer à l'accident. Cependant, quand on les considére dans leur ensemble, il est presque certain qu'une combinaison de ces facteurs a diminué l'efficacité du klaxon.

    2.3 Mesures de dissuasion contre l'intrusion

    2.3.1 Éducation

    La présence de nombreux sentiers, de trous percés dans ou sous les clôtures existantes et d'autres intrus à proximité du lieu de l'événement indique que les piétons utilisaient couramment l'emprise de la voie ferrée à cet endroit. L'absence de mesures de dissuasion adéquates et les caractéristiques particuliéres de cet emplacement, du fait que la voie principale sépare un quartier résidentiel et un terrain de jeu d'établissements commerciaux, ont créé un environnement propice aux intrusions.

    Les stratégies les plus courantes pour lutter contre l'intrusion sont l'éducation, la construction de clôtures et l'application de la loi. Compte tenu de la perception du public, utiliser l'éducation comme mesure de dissuasion contre l'intrusion s'avére une tâche difficile. La culture populaire dépeint souvent de façon complaisante et même romantique l'usage de la voie ferrée pour circuler à pied. Les films, les vidéoclips, la télévision, les journaux et les arts montrent souvent des personnes s'adonner à toutes sortes d'activités courantes sur des voies ferrées. Ces influences, au même titre que l'absence de conséquences négatives pour des incidences répétées d'actes d'intrusion, peuvent désensibiliser les personnes aux dangers possibles et à l'illégalité de l'intrusion.

    Parmi les efforts éducatifs mis sur pied pour décourager l'intrusion, on compte le programme Opération Gareautrain et le programme VIP de la Police provinciale de l'Ontario. Ces programmes ciblent les enfants d'âge scolaire, car ce sont eux qui sont le plus portés à se livrer à des activités dangereuses et qui souvent ne perçoivent pas la réalité et l'imminence du danger. Les contraintes exercées sur les maigres ressources de l'Opération Gareautrain font en sorte que les responsables sont souvent incapables de s'exécuter sur une base proactive et qu'ils doivent concentrer leurs efforts sur des communautés où des accidents viennent de se produire. Par ailleurs, le curriculum du programme VIP est plutôt large et ne couvre que partiellement les risques associés aux trains.

    2.3.2 Clôtures

    Les clôtures sont destinées à séparer les personnes des dangers ou à servir de barriére pour prévenir l'occupation illégale d'un terrain. Cependant, les clôtures seules ne peuvent pas complétement décourager les intrusions, surtout si la population ne se rend pas compte du danger et de l'illégalité des intrusions sur les emprises de voies ferrées. Dans les environs du lieu de l'événement, les quelques sections de clôture existantes n'étaient pas une mesure de dissuasion efficace. Bien que la clôture ait été relativement neuve, on avait percé un trou à travers, des trous avaient été creusés en dessous et on utilisait des structures attenantes pour l'escalader.

    Les exigences fédérales qui régissent encore aujourd'hui les clôtures d'emprises ferroviaires datent des années 1900. Il s'agissait à l'époque d'empêcher les bestiaux et autres animaux de s'aventurer sur les voies. Elles satisfaisaient peut-être aux besoins des compagnies ferroviaires de l'époque mais elles n'étaient guére d'une grande utilité pour promouvoir la sécurité du public, pas plus qu'elles le sont maintenant.

    L'organisme de réglementation a bien tenté de rédiger plusieurs ébauches de réglement de rechange concernant les clôtures à partir de 1995 (quand l'article 217 de la Loi sur les chemins de fer a été abrogé), mais les nombreuses consultations avec les intervenants n'ont pas encore donné lieu à la rédaction d'un document acceptable. Il s'est créé un écart dans la réglementation. Cet écart a été partiellement comblé quand les compagnies ferroviaires ont accepté de continuer à se conformer aux dispositions de l'article 217. Cependant, les clôtures de ferme en fil de fer de quatre pieds six pouces de hauteur ne peuvent vraiment empêcher les piétons d'avoir accés à l'emprise d'une voie ferrée ni, à la limite, les dissuader de marcher le long d'une voie ferrée.

    La question de savoir qui est responsable des clôtures d'emprises ferroviaires a toujours fait l'objet de discussions. Les compagnies ferroviaires et tous les niveaux de gouvernement ont toujours trouvé prohibitif d'avoir à construire de longues sections de clôture le long des emprises ferroviaires. Cependant, il se peut que le coût n'en soit pas si exorbitant si on le considére comme faisant partie d'une approche systématique à la dissuasion contre l'intrusion et s'il est partagé par les gouvernements, l'industrie et les propriétaires des terrains.

    Les arrêtés municipaux concernant les clôtures prescrivent un certain nombre de critéres qui doivent être respectés lors de la construction. Cependant, ils ne contiennent pas de directives spécifiques à propos des clôtures qui doivent séparer les terrains de la municipalité des emprises ferroviaires, ni d'exigences particuliéres sur l'obligation de construire de telles clôtures. L'accord de développement municipal régissant la construction d'un quartier résidentiel sur la bordure sud de l'emprise permettait de dissiper plusieurs préoccupations exprimées par la compagnie ferroviaire. En conséquence, une clôture en mailles losangées de six pieds de hauteur a été construite entre les résidences et la voie ferrée. L'accord ne prévoyait cependant aucune autre mesure pour parer aux dangers possibles associés à la présence de résidences si prés d'une emprise de voie ferrée.

    Les piétonnes ont accédé à l'emprise de la voie ferrée en contournant l'extrémité de la clôture à l'est du terrain de jeu. Même si elles ne se livraient pas activement à des jeux sur la structure de jeu juste avant de pénétrer sur l'emprise, il ne fait pas de doute qu'une structure de jeu placée juste à côté d'une emprise attire les enfants dans le secteur. La Ville de Tecumseh a indiqué que le projet de zonage, y compris l'emplacement du terrain de jeu, avait été approuvé par le gouvernement de l'Ontario. Quel que soit le processus qui a mené à décider de l'emplacement de la structure de jeu, on peut remettre en question la décision de la construire, ou de construire tout équipement semblable, à proximité d'une emprise ferroviaire.

    2.3.3 Application de la loi

    Au moment de l'événement, on n'avait pas encore trouvé le moyen de rédiger des dispositions fédérales contre les intrusions qui soient faciles à appliquer par les forces policiéres tout en prévoyant des amendes plus réalistes. Il y avait presque sept ans que la Loi sur la sécurité ferroviaire avait été adoptée en remplacement des articles de la Loi sur les chemins de fer qui faisaient de l'intrusion sur une emprise de voie ferrée une infraction. Dès 1994, soit environ cinq ans plus tard, la Loi sur la sécurité ferroviaire avait été modifiée de maniére à ce que l'intrusion sur une «ligne de chemin de fer» constitue une infraction. C'est à partir de ce moment-là que les parties de la loi relatives aux infractions sont entrées en vigueur, prévoyant une série d'amendes et de peines d'emprisonnement plus en accord avec l'époque. Toutefois, au moment de l'événement, les intrusions sur les emprises ferroviaires ne faisaient pas encore partie du réglement en application de la Loi sur les contraventions.

    2.4 Approche réglementaire sur la question des intrusions

    La directive intitulée «Procédures pour la prévention des intrusions» préparée par la direction générale de la Sécurité ferroviaire de Transports Canada met l'accent sur l'éducation, l'application de la loi et la construction de clôtures en plus de la signalisation, de l'exploitation des trains et de la planification urbaine. Ce document trace les grandes lignes d'un plan qui permettrait aux municipalités, aux compagnies ferroviaires et aux organismes de réglementation de mettre fin aux problémes d'intrusion, à la fois d'une maniére proactive en identifiant les problémes possibles et d'une maniére réactive par l'analyse des données sur les accidents. Malheureusement, la Ville de Tecumseh n'était pas au courant de l'existence de ce document. Une telle approche polyvalente peut mener à l'élaboration de mesures de dissuasion efficaces contre l'intrusion et permettre d'améliorer la sécurité du public si de telles mesures sont intégralement mises en application.

    2.5 Évaluation des statistiques du BST sur les accidents survenus à des intrus

    Sur une période de six ans entre le 1er janvier 1992 et le 31 décembre 1997, 604 accidents survenus à des intrus heurtés par des trains de marchandises ou de voyageurs de VIA ont été signalés au BST dans l'ensemble du pays. Pendant cette période, les trains de voyageurs ont été mis en cause dans une moyenne de 2,71 accidents survenus à des intrus par million de trains-milles chaque année tandis que les trains de marchandises ont été mis en cause dans une moyenne de 1,2 accidents survenus à des intrus par million de trains-milles. Le taux plus élevé d'accidents survenus à des intrus par million de trains-milles mettant en cause les trains de voyageurs est probablement dû, en partie, au fait que les intrus ont moins de temps pour réagir au klaxon de la locomotive en raison des vitesses plus élevées des trains de voyageurs. Toutefois, il faut considérer que la majorité des trains-milles parcourus au Canada par les trains de voyageurs le sont dans des régions à densité de population plus élevée, ce qui expose les trains de voyageurs plus souvent aux intrus. Donc, la vitesse plus élevée des trains de voyageurs et le fait que les trains de voyageurs circulent dans des régions plus densément peuplées sont les causes probables du taux d'accidents survenus à des intrus supérieur à l'échelle nationale.

    2.6 Facteurs de risque

    La ville de Tecumseh n'est qu'un des nombreux centres urbains du Canada qui ont pris naissance et se sont développés autour d'une voie ferrée, et où le progrés a fait en sorte que les citoyens sont désormais exposés aux risques que représentent les trains à grande vitesse. L'accroissement de la population et l'augmentation du volume de la circulation ferroviaire et de la vitesse des trains ont exacerbé ces risques. Aprés cet événement, la communauté a longuement discuté de la vitesse des trains et a suggéré que de tels accidents pouvaient être évités si l'on réduisait la vitesse maximale autorisée des trains de voyageurs. Le Bureau reconnaît que la vitesse était un facteur; toutefois, il constate aussi que le train roulait à plus de 10 mi/h de moins que la vitesse maximale autorisée. En outre, une réduction de la vitesse des trains dans les secteurs urbains aurait d'importantes répercussions sur la viabilité du service des trains de voyageurs. Le Bureau croit qu'afin de réduire l'exposition du public aux risques associés à la circulation des trains de voyageurs à grande vitesse, il serait peut-être nécessaire de sensibiliser le public, d'avoir une planification urbaine éclairée, de construire des clôtures adéquates, d'améliorer les avertissements sonores des trains et d'appliquer vigoureusement les lois contre les intrusions. En l'absence d'initiatives sur la sécurité mettant en cause tous les intervenants, à savoir la communauté, les représentants locaux, les compagnies ferroviaires et l'organisme de réglementation, l'usage non autorisé des emprises ferroviaires va continuer à entraîner des pertes de vie inutiles.

    3.0 Faits établis

    1. Rien ne laisse supposer que le train n'était pas exploité conformément aux directives de la compagnie et aux normes de sécurité du gouvernement juste avant l'événement.
    2. La nature et la synchronisation des gestes posés par les mécaniciens indiquent qu'ils portaient attention à ce qui se passait sur la voie en avant du train et qu'ils ont pris les mesures appropriées pour éviter l'accident.
    3. Les deux piétonnes marchaient sur l'emprise de la voie ferrée sans autorisation et en violation des dispositions de la loi fédérale.
    4. Le son projeté par le klaxon de la locomotive du train en marche n'était pas d'un niveau d'intensité suffisant par rapport aux bruits de fond concurrents pour devenir audibles aux piétonnes avant qu'elles aient le temps de s'enlever de la trajectoire du train.
    5. Vu que les piétonnes étaient trés familiéres avec le son d'un klaxon de locomotive, il se peut que cela ait limité l'efficacité du klaxon en tant que dispositif d'avertissement.
    6. Les piétonnes auraient eu plus de difficulté à localiser la provenance du klaxon de locomotive en raison du fait que le train s'approchait d'elles directement par l'arriére.
    7. Les basses fréquences émises par le klaxon de la locomotive ont pu contribuer à ce que les piétonnes croient que le train était encore loin.
    8. Il se peut que les vents modérés du sud-est aient atténué le son du klaxon de la locomotive en rapport à l'emplacement des deux piétonnes.
    9. Le fait que les deux piétonnes étaient engagés dans une conversation, le bruit produit par la bicyclette qu'on poussait sur les traverses de la voie, et les bruits de fond habituels des activités courantes d'une communauté et de la circulation des véhicules ont détourné leur attention et réduit leur capacité à entendre le klaxon de la locomotive.
    10. Le placement du klaxon de la locomotive no 6421 de VIA (à mi-chemin vers l'arriére de la locomotive, en retrait sous une barriére métallique et directement derriére la cheminée d'échappement) limite l'intensité du son projeté vers l'avant, réduisant l'efficacité du klaxon en tant que dispositif d'avertissement.
    11. Les réglements fédéraux actuels ne contiennent pas d'exigences relatives aux fréquences sonores émises par les klaxons de locomotives ni à l'intensité ou à la modulation de l'énergie acoustique qui doivent prévaloir à certaines distances spécifiées, dans tous les sens, en provenance d'une locomotive à l'arrêt ou en marche.
    12. Avant l'événement, le programme éducatif Opération Gareautrain destiné à dissuader les intrusions sur les emprises ferroviaires n'avait pas été présenté depuis plusieurs années aux écoles fréquentées par les deux piétonnes en cause.
    13. Aucune signalisation n'indiquait qu'il était interdit de pénétrer sur l'emprise et il n'y avait aucune activité importante relative à l'application de la loi dans le secteur, malgré la présence de nombreux sentiers utilisés par les intrus pour traverser l'emprise aux alentours du lieu de l'événement.
    14. L'application des dispositions sur l'intrusion de la Loi sur la sécurité ferroviaire a été entravée parce que les dispositions en question n'ont pas été incluses dans le réglement en application de la Loi sur les contraventions.
    15. Les fonctionnaires de la Ville de Tecumseh ne connaissaient pas la directive de la direction générale de la Sécurité ferroviaire de Transports Canada intitulée «Procédures pour la prévention des intrusions» (1992).
    16. Le fait qu'un grand nombre d'établissements commerciaux se trouvent d'un côté de la voie ferrée et qu'un quartier résidentiel et un terrain de jeu se trouvent de l'autre côté et l'absence de mesures de dissuasion adéquates contre les intrusions ont créé un environnement propice à l'utilisation non autorisée de l'emprise de la voie ferrée.
    17. Les coûts associés à la construction d'une clôture ne seraient pas si élevés s'ils étaient partagés entre les gouvernements, l'industrie et les propriétaires de terrains.
    18. Aucune réglementation fédérale n'exige que des clôtures soient construites pour dissuader les intrusions. Les compagnies ferroviaires ne sont tenues de construire des clôtures qu'en vertu d'une exigence visant à empêcher les bestiaux et autres animaux de s'aventurer sur la voie ferrée.
    19. L'arrêté municipal de la Ville de Tecumseh qui porte sur la construction des clôtures ne prévoit aucune disposition quant à la construction de clôtures pour séparer les terrains de la municipalité de l'emprise de la voie ferrée.
    20. Il n'y a pas d'arrêté municipal sur la pose ou l'entretien de signalisation avertissant des dangers associés à l'emprise de la voie ferrée.
    21. L'accord de développement municipal portant sur les terrains situés au sud de la voie ferrée prés du lieu de l'événement ne contenait aucune restriction sur le développement de terres à parcs ou de terrains de jeu à proximité de l'emprise de la voie ferrée.
    22. Pour réduire les risques associés à la circulation des trains à grande vitesse dans les centres urbains, il serait peut-être nécessaire sensibiliser le public, d'avoir une planification urbaine éclairée, de construire des clôtures adéquates, d'améliorer les avertissements sonores des trains et d'appliquer vigoureusement les lois contre les intrusions.

    3.1 Cause et aux facteurs contributifs

    La piétonne a utilisé l'emprise de la voie ferrée comme raccourci, ce qui lui a fait encourir un danger imminent. En outre, la piétonne n'a pas entendu le son du klaxon de la locomotive du train qui s'approchait à temps pour pouvoir en localiser la source, décider d'un plan d'action et mettre ce plan à exécution avant d'être heurtée par le train. L'inefficacité du klaxon de la locomotive en tant que dispositif d'avertissement est le résultat d'une combinaison de facteurs liés à la capacité du klaxon d'attirer l'attention et de projeter le son vers l'avant dans les présentes circonstances. Ces facteurs comprennent la réceptivité de la piétonne au son émis par le klaxon, la composition spectrale du son, le niveau des bruits de fond, le vent et la position du klaxon sur la locomotive.

    Les facteurs suivants ont aussi contribué à l'accident : l'absence de clôtures et de panneaux d'avertissement adéquats et d'une stricte application de la loi afin de dissuader les intrusions, et l'inefficacité des efforts de la communauté, de la société et du systéme d'enseignement à inculquer les connaissances nécessaires pour que la piétonne choisisse un autre chemin.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures prises

    À la suite de cet événement, un certain nombre de mesures ont été prises pour réduire les risques d'accidents survenus à des intrus sur les emprises ferroviaires, surtout dans les environs de la ville de Tecumseh.

    Un programme exhaustif permanent sur la sécurité a été mis sur pied dans les sept écoles de la région sous les auspices de l'Opération Gareautrain. Les compagnies ferroviaires (CN et VIA) ont réparé les clôtures existantes et en ont construit de nouvelles. Le CN a posé sur les sentiers des deux côtés de l'emprise de la voie ferrée des panneaux avertissant des dangers associés aux trains à grande vitesse. Une passerelle et un trottoir reliant le quartier résidentiel au sud de la voie ferrée au chemin Manning ont été construits et on projette de construire une voie piétonniére pour le passage à niveau du chemin Manning.

    Le 19 mai 1998, en vertu de la Loi sur la sécurité ferroviaire, Transports Canada a envoyé à VIA, au CN et à la Ville de Tecumseh un «Avis» officiel les informant que les mesures correctives prises pour mettre fin aux passages non autorisés sur l'emprise de la voie ferrée à Tecumseh étaient inadéquates. L'avis a été envoyé aprés qu'un inspecteur de Transports Canada a constaté que les nouvelles clôtures et les panneaux d'avertissement n'avaient nullement enrayé les intrusions à l'endroit visé.

    Le plan d'action adopté par VIA et le CN à la suite de l'avis et est en cours d'exécution sous la surveillance de Transports Canada. Le 3 septembre 1998, les compagnies ferroviaires ont fait savoir ce qui suit :

    • un autre 1 750 m (5 680 pieds) de clôture ont été posés du côté nord et du côté sud de l'emprise de la voie ferrée (la clôture s'étend désormais des deux côtés de la voie ferrée du chemin Manning au chemin Lesperance et au delà);
    • des réparations ont été faites aux endroits où la clôture avait été trouée ou coupée;
    • des avis d'intérêt public ont été publiés dans le journal local pour informer les enfants et les parents sur les dispositions visant à faire respecter la Loi sur la sécurité ferroviaire en ce qui concerne les intrusions et sur les dangers associés à l'intrusion sur les emprises ferroviaires.

    Depuis le 23 avril 1998, l'intrusion sur la propriété d'une compagnie ferroviaire est une infraction sous le régime de la Loi sur les contraventions. En vertu d'un accord avec le ministére fédéral de la Justice, les provinces de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Manitoba font amplement usage des dispositions de la Loi sur les contraventions. Les agents de la paix (la police provinciale, les forces de police municipales, la police des chemins de fer) peuvent désormais, en vertu d'une loi fédérale, donner une contravention assortie d'une amende de 100 $ aux personnes qui pénétrent sur l'emprise d'une voie ferrée. La police du CN a adopté une politique de tolérance zéro envers quiconque commet une intrusion et a livré son message aux écoles locales et aux médias. Un grand nombre d'opérations de police éclairs contre les intrusions ont été effectuées dans la région de Tecumseh.

    Le Bureau se réjouit que la Loi sur les contraventions puisse maintenant s'appliquer aux dispositions sur l'intrusion de la Loi sur la sécurité ferroviaire mais ne peut s'empêcher de déplorer que ce ne sont pas toutes les provinces qui ont adopté ces importants outils d'application. La dissuasion de l'intrusion s'en trouvera entravée dans ces juridictions.

    4.2 Mesures à prendre

    Le Bureau est préoccupé par le nombre d'accidents survenus à des intrus sur les emprises ferroviaires. Au cours des 10 derniéres années, de tels accidents survenus sur les voies ferrées sous réglementation fédérale ont entraîné la mort de 55 personnes en moyenne par année. Les initiatives et les programmes proactifs, mettant en cause tous les intervenants, sont nécessaires pour dissuader les piétons d'utiliser les emprises ferroviaires et mettre un frein aux pertes de vie inutiles que de telles actions entraînent.

    Le Bureau est conscient que les initiatives visant à réduire les incidences d'intrusion se poursuivent. Toutefois, comme dans le cas présent, de tels accidents mettent souvent en branle une série de mesures qui ne font que s'attaquer aux problémes locaux, comme la réparation ou l'installation de clôtures, la pose de panneaux d'entrée interdite, l'intensification des activités reliées à l'Opération Gareautrain et le resserrement de l'application de la loi contre les intrusions. Ces activités sont trés louables et l'incidence des intrusions dans les régions ciblées a diminué mais, au fil des ans, ces mesures ne semblent pas vouloir se traduire par une réduction générale de la fréquence des accidents survenus à des intrus et les initiatives locales n'atténuent pas l'ampleur du probléme des intrusions à l'échelle du pays.

    Le Bureau constate que l'élaboration d'une réglementation exhaustive sur la construction de clôtures aux emprises ferroviaires dans les centres urbains demeure problématique. Tout en reconnaissant les positions conflictuelles des compagnies ferroviaires et des municipalités en ce qui a trait au partage des responsabilités et aux formules de financement, les intervenants se doivent d'élaborer et d'adopter des exigences obligatoires sur la construction de clôtures. Le manque de clôtures aux emprises ferroviaires dans les zones urbaines est une question de sécurité prioritaire.

    On a aussi constaté que les nouveaux développements urbains construits le long des emprises ferroviaires ne font pas l'objet d'un programme de sécurité exhaustif et obligatoire. Par exemple, le plan de développement de la Ville de Tecumseh a prévu la construction d'un terrain de jeu juste à côté de l'emprise sans fournir à un nombre vraisemblablement accru de piétons un moyen légal et sans danger de circuler le long de la voie ou de la traverser. Le Bureau croit que tout nouveau développement urbain établi le long des emprises devrait être soumis à un ensemble d'exigences concernant les dangers inhérents à l'interaction entre la population locale et les trains.

    Transports Canada s'est donné comme objectif de réduire de 50 p. 100 le nombre d'accidents aux passages à niveau et survenus à des intrus d'ici l'an 2006 (Direction 2006). Transports Canada est en train d'élaborer un plan d'action à cet effet en collaboration avec l'industrie ferroviaire, les gouvernements provinciaux et municipaux et les associations de prévention des accidents. Sept domaines-clés ont été identifiés et mis de l'avant lors de rencontres réunissant tous les intervenants : l'éducation, l'application de la loi, l'ingénierie, la recherche, le cadre bureaucratique et législatif, les ressources et les communications.

    Dans l'esprit de cette initiative et reconnaissant que l'élaboration et la mise en application efficace d'un plan d'action peuvent exiger un certain temps, le Bureau est d'avis que l'on devrait accorder la priorité à certains domaines-clés par l'élaboration et la mise en application de mesures qui peuvent produire des résultats à court terme, comme l'adoption d'une réglementation exhaustive sur la construction de clôtures, l'application active et généralisée des dispositions de la Loi sur la sécurité ferroviaire concernant l'intrusion, et les programmes d'éducation. La mise en application rapide de mesures dans ces domaines-clés pourrait non seulement aider Transports Canada à atteindre son objectif à long terme (réduction de 50 p. 100 des accidents survenus à des intrus), mais permettre aussi de réaliser des gains à court terme. Donc, le Bureau recommande que :

    Le ministére des Transports, en collaboration avec tous les partenaires qui participent au programme de sécurité connu sous le nom de Direction 2006, évalue les sept domaines-clés identifiés et mette en application, en priorité, les mesures qui ont le plus de chance de produire des résultats immédiats;
    Recommandation R99-01 du BST

    Le ministére des Transports, en collaboration avec ses partenaires, se serve du programme Direction 2006 et des autres mécanismes de consultation connexes pour sensibiliser davantage le public aux dangers que représente le fait de marcher le long d'une voie ferrée ou de la traverser, surtout dans les corridors des trains à grande vitesse.
    Recommandation R99-02 du BST

    4.3 Préoccupations liées à la sécurité

    L'intensité sonore mesurée des klaxons de locomotives de VIA satisfait à l'ébauche de la nouvelle régle de Transports Canada sur les signaux par sifflet des locomotives, de même qu'aux normes de la FRA qui prescrivent un niveau sonore minimum pour une distance donnée. L'intensité sonore projetée vers l'avant est un important facteur d'identification d'un son en tant que signal d'avertissement, mais l'efficacité d'un klaxon de locomotive en tant que dispositif d'avertissement est aussi le résultat de facteurs liés à la capacité du klaxon d'attirer l'attention. Ces facteurs comprennent la composition spectrale du son, le niveau des bruits de fond et le vent. La fréquence sonore peut aussi avoir une incidence sur la capacité d'un auditeur à localiser le son; il se peut donc qu'un auditeur croie qu'un train est beaucoup plus loin qu'il ne l'est en réalité parce que le klaxon de la locomotive émet un son à basse fréquence. Il faut aussi noter que la fréquence sonore du klaxon de locomotive a changé depuis le temps où l'on exigeait qu'elle ressemble à un sifflet à vapeur et que son positionnement répond à des exigences formulées par des équipes de locomotives. Le Bureau est préoccupé par le fait que le manque de perspective d'ensemble en ce qui concerne les exigences relatives au klaxon des locomotives puisse compromettre son efficacité en tant que dispositif d'avertissement. Le Bureau est conscient qu'il faut tenir compte de divers facteurs avant de modifier la conception traditionnelle du klaxon, par exemple la familiarité du signal, les niveaux de bruit dans la cabine et les questions liées à la pollution par le bruit en milieu urbain. Il serait peut-être avisé de chercher à mettre au point un autre type de dispositif d'avertissement qui ne serait utilisé qu'en cas d'urgence. Un tel dispositif pourrait avoir une plus grande portée et émettre un son de plus haute fréquence qui attirerait mieux l'attention.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.

    Annexes

    Annexe A— Sigles et abréviations

    BST
    Bureau de la sécurité des transports du Canada
    CCF
    contrôleur de la circulation ferroviaire
    cm
    centimétre(s)
    CN
    Canadien National
    dB
    décibel(s)
    FRA
    Federal Railroad Administration
    Hz
    hertz
    IMCME
    Institut militaire et civil de médecine environnementale
    lb/po²
    livre(s) au pouce carré
    LRC
    Léger, Rapide, Confortable
    m
    métre(s)
    mi/h
    mille(s) à l'heure
    MTM
    million de trains-milles
    pi
    pied(s)
    PM
    point milliaire
    REF
    Réglement d'exploitation ferroviaire du Canada
    ROV
    régulation de l'occupation de la voie
    UTC
    temps universel coordonné
    VIA
    VIA Rail Canada Inc.
    VIP
    Values, Influences, Peers