Déraillement
Canadien National
Train de marchandises numéro L-525-21-10
Point milliaire 83,70, embranchement Massena
Brossard (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 10 mars 2000, vers 19 h 24, heure normale de l'Est, cinq wagons du train de marchandises no L-525-21-10 du Canadien National (CN), qui roulait vers l'ouest en direction de Saint-Isidore (Québec), ont déraillé au point milliaire 83,70 de l'embranchement Massena de la subdivision Rouses Point, à Brossard (Québec). Le déraillement s'est produit après que le train a franchi un passage à niveau public. Quatre wagons se sont renversés sur le côté dans le fossé; trois de ces wagons contenaient des marchandises dangereuses, mais il n'y a pas eu de perte de produit. Vingt personnes ont été évacuées par mesure de précaution.
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Renseignements de base
Le 10 mars 2000, le train part de Saint-Lambert (Québec) vers 17 h 34, heure normale de l'Est (HNE)Note de bas de page 1, et roule en direction ouest sur l'embranchement Massena (l'embranchement) de la subdivision Rouses Point, à destination de Saint-Isidore (Québec).
Le train se compose de 2 locomotives et de 11 wagons (8 wagons chargés et 3 wagons vides), mesure environ 730 pieds et pèse environ 1 330 tonnes. Le train de marchandises no L-525-21-10 est le seul qui roule sur l'embranchement et effectue des parcours aller-retour cinq jours par semaine entre Saint-Lambert et Saint-Isidore. Pour les six premiers mois de l'année 2000, un total de 3 231 wagons (1 856 wagons chargés et 1 375 wagons vides) de marchandises toutes catégories (notamment des wagons transportant des marchandises dangereuses) ont circulé sur l'embranchement. Au cours des trois années avant l'accident, soit de 1997 à 1999, un total respectif de 2 499, 4 411 et 2 818 wagons de marchandises dangereuses ont circulé sur l'embranchement. L'embranchement commence au point milliaire 84 (point milliaire 36,30 de la subdivision Rouses Point) et se termine au point milliaire 72,5 à Saint-Isidore. La voie de l'embranchement est de catégorie 2, ce qui signifie que la vitesse maximale est de 25 mi/h pour les trains de marchandises. La vitesse maximale sur l'embranchement est de 25 mi/h et il y a une limite permanente de vitesse de 20 mi/h entre le point milliaire 83,3 et le point milliaire 83,9 à cause de l'état de la voie.
L'embranchement Massena est régi par la régulation de l'occupation de la voie (ROV) en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), sous la surveillance d'un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) posté à Montréal (Québec).
Le train part du début de l'embranchement (au point milliaire 84), accélère jusqu'à une vitesse de 23 mi/h et roule à une vitesse constante lorsqu'il franchit le passage à niveau public au point milliaire 83,70 à 19 h 24 min 36 s. L'équipe de train ne remarque aucune anomalie au moment où la locomotive de tête franchit le passage à niveau. Le train s'arrête par suite d'un fort serrage des freins à air en provenance de la conduite générale. L'équipe inspecte le train et constate que le boyau d'air des freins du wagon CGTX 20577 est détaché et replié; l'air dans la conduite générale ne peut donc plus s'échapper rapidement. L'équipe remarque aussi que cinq wagons ont déraillé -- quatre se sont renversés sur le côté dans le fossé et un autre (le cinquième) est resté sur ses roues sur l'emprise ferroviaire. Les membres de l'équipe communiquent donc avec le CCF pour l'informer de la situation. Parmi les wagons déraillés, il y a trois wagons-citernes de marchandises dangereuses, à savoir les wagons PROX 73132 et CITX 76201, transportant de la naphtalène fondue (UN 2304), un solide inflammable de classe 4.1, et le wagon CGTX 20689, chargé de créosote (UN 3082), marchandise dangereuse pour l'environnement de classe 9.2. Aucun produit ne s'échappe lors du déraillement. Les deux autres wagons déraillés sont des wagons-trémies. Par mesure de précaution, le service des incendies de la ville de Brossard ordonne l'évacuation d'une vingtaine de personnes des environs.
Les trois wagons-citernes et les deux wagons-trémies subissent des dommages mais l'intégrité de leur citerne est maintenue. La voie est lourdement endommagée sur une longueur d'environ 170 pieds.
On a observé des marques de roues sur le dessus de la table de roulement du champignon du rail sud à 15 pieds à l'ouest du passage à niveau, mais aucune marque sur le passage à niveau ou les anticheminants et les selles de rail avant cet endroit. L'écartement à l'extrémité ouest du passage à niveau était de 57 pouces 1/2 (mesure prise sans charge). Le rail sud était plus bas que le rail nord à cause d'une courbe vers la gauche lorsqu'on circulait en direction ouest. Les normes de Transports Canada (TC) concernant l'écartement de cette catégorie de voie sont de 56 pouces à 57 pouces 3/4. Il est bien évident que, lorsque la voie est sous charge, on observe un écartement additionnel sur la voie. L'écartement normal, lorsque les traverses sont en bon état, varie de 4 pieds 8 pouces à 4 pieds 9 pouces 3/4Note de bas de page 2. Les normes de TC pour le contrôle de l'état géométrique d'une voie sans charge expliquent que :
Lorsqu'on contrôle les caractéristiques d'une voie non soumise à des charges afin de déterminer si son état est conforme aux prescriptions de la présente partie, l'ampleur du mouvement des rails, s'il y en a, lorsque la voie est sous charge doit être ajoutée aux valeurs mesurées lorsque la voie n'est pas chargée.Note de bas de page 3
Cinq tringles d'écartement étaient posées du côté est du passage à niveau sur une distance d'environ 79 pieds et 12 tringles d'écartement étaient posées du côté ouest sur une distance d'environ 150 pieds. Ces tringles d'écartement avaient été installées après le dernier passage de la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie le 28 juin 1999. On ignore dans quel état étaient les traverses avant le déraillement. Lors d'une inspection annuelle, les contremaîtres doivent porter leur attention sur les traverses en marchant le long de la voie. Au cours de l'inspection annuelle effectuée en 2000, le CN avait identifié cette partie de la subdivision comme nécessitant un remplacement des traverses et avait planifié de remplacer environ 2 200 traverses au cours de l'année 2000.
Le contremaître de la voie avait effectué neuf inspections depuis le début de l'année qui n'ont permis de révéler aucune anomalie autre que le serrage et le remplacement de boulons. Bien qu'il savait que l'état de la voie n'était pas idéal, le contremaître de la voie croyait que tout était en sécurité puisque la vitesse maximale avait été réduite de 40 mi/h à 25 mi/h lorsque la voie était passée de la désignation de voie principale à celle de voie d'embranchement. Les inspections du contremaître consistent à circuler sur la voie à bord d'un véhicule d'entretien et observer la voie pour détecter les endroits non conformes aux normes. Le contremaître ne prend des mesures de l'écartement et de l'usure des rails à l'aide d'appareils que s'il remarque des défectuosités évidentes. Il est important de noter qu'une inspection visuelle de l'écartement des rails est difficile à un passage à niveau puisque des matériaux recouvrent l'infrastructure ferroviaire. Une voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie avait aussi inspecté la voie le 28 juin 1999. Cette voiture prend des mesures pour vérifier l'état géométrique de la voie. En examinant les résultats de cette inspection, on a remarqué qu'aucune lecture n'avait été prise entre les points milliaires 83,91 et 84 étant donné la vitesse trop basse à laquelle circulait la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie. Les données consignées après le point milliaire 83,91 indiquent un grand nombre d'anomalies dont certaines nécessitant des mesures correctives immédiates. Les pratiques du CN exigent que, lorsque la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie ne prend pas de lectures, le contremaître observe toute défectuosité et y remédie.
Analyse
Le train a subi un serrage des freins lorsque cinq wagons ont déraillé immédiatement à l'ouest du passage à niveau. Tout indique que les roues sont tombées entre les deux rails alors que la distance entre les rails était trop grande pour supporter les wagons dû à leur poids.
L'analyse portera donc sur l'écartement des rails ainsi que sur les inspections faites par le contremaître de la voie et la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie.
La voie de l'embranchement est à basse densité de circulation. Étant donné qu'il ne s'agit que d'un embranchement et que la vitesse maximale y est relativement basse, la voie est classifiée comme appartenant à la catégorie 2, ce qui signifie que les normes d'infrastructure applicables sont légèrement moindres que pour les voies de catégorie 3, 4, 5 ou 6. Plus la catégorie de la voie est élevée, plus les normes d'infrastructure sont strictes et plus la vitesse maximale des trains est élevée.
Il y avait plusieurs tringles d'écartement de chaque côté du passage à niveau, ce qui signifie que, par le passé, le CN avait observé des problèmes d'écartement et avait décidé d'utiliser ces tringles pour maintenir l'écartement à l'intérieur des normes. L'utilisation de tringles d'écartement est considérée comme une mesure corrective temporaire et exige qu'on porte une plus grande attention à l'état de la voie. L'utilisation de plusieurs tringles d'écartement de chaque côté du passage à niveau était une mesure corrective inefficace pour maintenir l'écartement à long terme.
La présence des tringles d'écartement ainsi que les travaux prévus de remplacement des traverses indiquent que les traverses étaient détériorées. De ce fait, l'écartement a excédé la valeur admissible de 57 pouces 3/4, ce qui a entraîné le déraillement du wagon CGTX 20689.
Les inspections effectuées par le contremaître de la voie à bord d'un véhicule d'entretien de la voie n'ont permis de déceler que les défectuosités facilement visibles comme des boulons manquants. Étant donné que, lors des inspections visuelles, il est rare que des mesures de l'écartement soient faites, elles ne peuvent pas toujours déceler les défectuosités d'écartement. Le Règlement sur la sécurité de la voie stipule que toute dérogation aux prescriptions doit être repérée lors des inspections de la voie; cependant, étant donné que les contremaîtres effectuent ces inspections à bord d'un véhicule d'entretien et qu'ils ne prennent pas toujours les mesures de l'écartement, il leur est très difficile de déterminer l'état des traverses et l'écartement.
En plus des inspections effectuées par le contremaître de la voie, une voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie fait une inspection annuelle. Le CN se fie sur la précision des mesures prises par la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie pour vérifier rapidement l'état géométrique de la voie qui n'est pas facilement visible à l'oeil nu. La dernière fois que la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie avait été utilisée pour prendre des mesures de la voie, elle n'avait pas pris de lecture entre le début de l'embranchement et le point milliaire 83,48; les défectuosités à cet endroit n'ont donc pas été relevées.
L'utilisation de la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie par le CN est reconnue comme un moyen d'obtenir un grand nombre de renseignements sur l'état de la voie. Les données de la voiture pour le début de l'embranchement indiquent que les lectures n'ont pas été prises en raison de la basse vitesse immédiatement après le début de l'auscultation. Étant donné l'importance accordée aux lectures de la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie, l'absence de lectures sur certains tronçons de voie ne fournit pas l'information nécessaire pour assurer la sécurité de la voie et il se peut que des risques relatifs à l'infrastructure ne soient pas découverts.
L'utilisation de tringles d'écartement indique qu'il y avait des problèmes quant à la capacité des traverses de maintenir l'écartement voulu. La présence d'un grand nombre de tringles d'écartement et le fait que le CN avait identifié les traverses comme devant être remplacées indiquent que le CN était au courant des problèmes d'infrastructure à cet endroit.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs
- Lorsque le train est passé sur le passage à niveau, sa charge a causé l'écartement à excéder les normes et les roues du wagon CGTX 20689 sont tombées à l'intérieur du rail sud (rail le plus bas) à 15 pieds à l'ouest du passage à niveau.
Autres faits établis
- L'utilisation de plusieurs tringles d'écartement de chaque côté du passage à niveau était une mesure corrective inefficace pour maintenir l'écartement à long terme.
- Le Règlement sur la sécurité de la voie stipule que toute dérogation aux prescriptions doit être repérée lors des inspections de la voie; cependant, étant donné que les contremaîtres effectuent ces inspections à bord d'un véhicule d'entretien et qu'ils ne prennent pas toujours les mesures de l'écartement, il leur est très difficile de déterminer l'état des traverses et l'écartement.
- Étant donné l'importance accordée aux lectures de la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie, l'absence de lectures sur certains tronçons de voie ne fournit pas l'information nécessaire pour assurer la sécurité de la voie et il se peut que des risques relatifs à l'infrastructure ne soient pas découverts.
- La présence d'un grand nombre de tringles d'écartement et le fait que le CN avait identifié les traverses comme devant être remplacées indiquent que le CN était au courant des problèmes d'infrastructure à cet endroit.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Le 23 mars 2000, le CN a réduit la vitesse de façon permanente entre les points milliaires 83,30 et 83,90 (de 20 mi/h à 10 mi/h).
À partir du mois d'avril 2000, le CN a changé 260 traverses de bois franc entre les points milliaires 84 et 83 et un total de 2,275 traverses sur tout l'embranchement.
Le passage à niveau a été reconstruit au complet au cours du mois de mai 2000.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .