Rapport d'enquête ferroviaire R02D0113

Déraillement en voie principale
du train M-366-31-22
du Canadien National
au point milliaire 86,43, subdivision Saint-Maurice
à Hibbard (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 24 octobre 2002, vers 0 h 30, heure normale de l'Est, six wagons du train M-366-31-22 du Canadien National, qui roulait vers l'ouest en direction de Senneterre (Québec), ont déraillé au point milliaire 86,43 de la subdivision Saint-Maurice, près de Hibbard (Québec). Six wagons ont été endommagés et 275 mètres de voie ont été détruits. Personne n'a été blessé et il n'y a eu aucun dommage permanent à l'environnement.

    This report is also available in English.

    Renseignements de base

    Le train M-366-31-22 du Canadien National (CN) part de Garneau (Québec), avec 3 locomotives et 109 wagons, 34 chargés et 75 vides. Il mesure environ 6 730 pieds et pèse quelque 7 230 tonnes. L'équipe de train se compose d'un mécanicien et d'un chef de train. Tous deux répondent aux exigences de leurs postes respectifs et satisfont aux exigences en matière de repos et de condition physique.

    Au point milliaire 86,43, près d'Hibbard (Québec) (figure 1), un freinage d'urgence intempestif se déclenche sur le train. L'équipe de train suit les mesures d'urgence. Le chef de train inspecte l'arrière du convoi et constate que 6 wagons (du 102e au 107e), chargés de minerai de cuivre, ont déraillé à la sortie d'une courbe à gauche dans la direction du mouvement. Le temps est nuageux, une légère neige tombe et la température est de -1 °C.

    Figure 1. Lieu de l'accident (Source : Atlas des chemins de fer canadien)
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    Lieu de l'accident

    Les données du consignateur d'événements de la locomotive de tête indiquent que le train circulait à une vitesse de 34 mi/h et que la manette des gaz a été déplacée graduellement de la position 7 à la position neutre. Le serrage intempestif des freins d'urgence provenait de la conduite générale.

    La subdivision Saint-Maurice s'étend sur une distance de 257,2 milles entre Fitzpatrick (Québec) et Senneterre (Québec). Le mouvement des trains est régi par la régulation de l'occupation de la voie (ROV) en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), sous la surveillance d'un contrôleur de la circulation ferroviaire posté à Montréal (Québec). La voie principale se compose d'une voie simple et est orientée dans l'axe est-ouest. Dans le secteur de l'accident, la voie est de catégorie 3 selon le Règlement sur la sécurité de la voie (RSV) de Transports Canada et la vitesse maximale permise est de 50 mi/h pour les trains de voyageurs et de 40 mi/h pour les trains de marchandises. Le poids maximal autorisé des wagons est de 286 000 livres et le tonnage cumulatif annuel acheminé est d'environ 6,7 millions de tonnes.

    La locomotive de tête s'est immobilisée au point milliaire 87,58. Le premier wagon déraillé (102e du convoi), le wagon-tombereau CN 137187, est resté debout et attelé à la partie avant du train. Les cinq wagons suivants se sont désattelés et trois d'entre eux ont dévalé la pente du talus de la voie et se sont immobilisés sur le bord du lac adjacent à la voie ferrée (photo 1). Les wagons déraillés ont subi des dommages et la voie a été détruite sur une distance de 275 m. Une digue a été érigée autour des wagons déraillés afin de récupérer le minerai et de nettoyer le lieu de l'accident.

    Photo 1. Vue des wagons déraillés
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    Vue des wagons déraillés

    La voie est principalement constituée de longs rails soudés (LRS) de 100 livres. Il y a 3 200 traverses par mille de voie. Les selles de rail sont à double épaulement et sont retenues aux traverses par quatre crampons. Il y a des anticheminants à chaque troisième traverse. Dans le secteur du déraillement, les traverses sont en bon état.

    La géométrie de la voie est vérifiée trois fois par année par le véhicule de contrôle de la géométrie et l'auscultation en continu des défauts internes des rails est effectuée deux fois par année. La dernière auscultation des rails a eu lieu le 11 juin 2002 et aucun défaut n'a été relevé. Aucun défaut de rail n'a été noté lors de la dernière visite bi-hebdomadaire effectuée par le superviseur de la voie le 22 octobre 2002 à bord d'un véhicule rail-route.

    Aux environs du point milliaire 86,43, là où la destruction de la voie a débuté, le rail sud était brisé sous le dernier wagon déraillé. Il n'y avait pas de marques de boudin de roues et de pièces traînantes à l'est du rail brisé. L'examen des wagons n'a révélé aucun défaut mécanique antérieur à l'accident; de plus, aucun choc ni mouvement inhabituel n'a été ressenti lors du passage des locomotives à cet endroit.

    Le rail sud était un rail de remploi provenant de rails éclissés, laminés en 1975 et installés sur les voies du triage intermodal de Turcot à Montréal. Le rail a été récupéré lors de l'abandon du triage Turcot et a été installé le 2 septembre 2002 dans la courbe du point milliaire 86,27 au point miliaire 86,44, soit sur une longueur d'environ 1 100 pieds. Le tonnage cumulatif ayant passé sur le rail n'est pas connu, car la voie d'où provenait le rail n'a pas été répertoriée.

    La Circulaire sur les méthodes normalisées (CMN) 1303, intitulée Classement des rails, qui était en vigueur en 2002, exigeait la classification des rails de remploi et une auscultation en continu des défauts internes. La CMN stipulait que les rails comportant des écrasements d'about ou tout autre défaut devaient être sciés et les trous de boulon, enlevés. De ce fait, le rail a été vérifié par le véhicule d'auscultation en continu des défauts internes le 16 juillet 2002, quelques jours avant .la fermeture du triage Turcot. Par contre, les rails comportant des trous de boulon d'éclisse n'ont pas été sciés lors du démantèlement du triage ni lors de la pose du rail dans la courbe au point milliaire 86,43. Cependant, des travaux avaient été prévus pour corriger cette défectuosité.

    La pose du rail, le rajustement de la longueur et la libération des contraintes ont été exécutés selon les CMN et les méthodes recommandées du CN. La longueur du rail a été rajustée pour la température idéale de pose applicable au territoire, soit environ 32 °C (90 °F).

    Des morceaux du rail sud ont été récupérés et expédiés au Laboratoire technique du BST pour analyse. L'examen du rail (rapport no LP 107/02) indique que l'usure du rail était inférieure aux limites spécifiées par les CMN du CN pour des rails de 100 livres. La composition, la microstructure, la dureté et les propriétés mécaniques du rail correspondent à celles d'un rail au carbone standard.

    Le premier morceau de rail avait une rupture longitudinale de l'âme qui traversait un ancien trou de boulon d'éclisse percé dans l'âme du rail et coupant le chiffre « 0 » du marquage en relief du rail (photo 2). Le trou ne présentait pas d'usure ni d'ovalisation inhabituelles et ses bords n'étaient pas chanfreinés. L'analyse métallurgique d'une section prélevée sur le bord du trou a révélé une décarburation de la surface du métal. La surface de rupture était relativement plane et uniforme. Elle présentait une déformation du grain et une fissuration sous-jacente correspondant à une usure à long terme par martèlement.

    Photo 2. Trou de boulon d'éclisse et rupture de l'âme
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    Trou de boulon d'éclisse et rupture de l'âme

    Sur le deuxième morceau de rail, il y avait une rupture verticale mais aussi une rupture longitudinale, qui prolongeait celle observée sur le premier morceau. La rupture longitudinale était plane, exempte de marques en chevron et correspondait à une fissuration progressive. La surface de rupture verticale présentait des marques en chevron pointant vers le milieu de l'âme. Il y avait peu de dommages dus au martèlement des roues sur les surfaces de rupture au niveau du champignon.

    Analyse

    Avant le point où la destruction de la voie a débuté, la voie et la plate-forme ne portaient pas de marques de boudin de roues ou de pièces traînantes. L'examen des wagons n'a révélé aucun défaut mécanique antérieur à l'accident et le consignateur d'événements n'a indiqué aucune manoeuvre anormale dans la conduite du train. L'analyse se concentrera donc sur le rail rompu.

    Les essais de laboratoire ont révélé que des fissures ont pris naissance de chaque côté du trou de boulon d'éclisse et se sont propagées longitudinalement dans l'âme du rail. La décarburation du rail autour du trou de boulon d'éclisse indique qu'il y a eu un chauffage du métal lors du perçage du trou. De plus, le trou de boulon d'éclisse croisait le marquage en relief du rail et les bords du trou n'étaient pas chanfreinés. Par conséquent, le trou a agi comme une zone de concentration des contraintes mécaniques et métallurgiques et a contribué à la formation et à la propagation des fissures.

    Comme peu de dommages dus au martèlement des roues ont été relevés sur les surfaces de rupture du champignon et que l'équipe de train n'a ressenti aucun choc ou mouvement inhabituel lors du passage des locomotives au point milliaire 86,43, on peut en déduire que la rupture verticale était très récente. Les marques en chevron, observées sur la surface de rupture verticale, sont compatibles avec une rupture rapide par contrainte excessive. Leur direction indique que la rupture a pris son origine au milieu de l'âme, là où se situait la fissure longitudinale préexistante. Une fois amorcée, la rupture verticale s'est produite rapidement et a entraîné le déraillement des wagons.

    Par ailleurs, la surface de rupture longitudinale montrait une usure par martèlement indiquant que la rupture était présente depuis un certain temps. Cependant, comme le rail avait été vérifié par le véhicule d'auscultation en continu des défauts internes peu de temps avant la fermeture du triage Turcot, il est fort probable que la fissure se soit formée peu après l'installation du rail au point milliaire 86,43 car une fissure longitudinale de l'âme de cette nature aurait été détectée facilement lors de l'auscultation du rail.

    La CMN 1303 du CN recommande que les rails comportant des trous soient sciés lorsque des rails éclissés sont convertis en LRS car la présence de trous de boulon non utilisés n'est pas recommandée dans les LRS à cause des zones de concentration des contraintes et des risques de fissuration qui sont inhérents à ce type de détail structural. Néanmoins, le rail sud a été installé provisoirement avec des trous de boulon d'éclisse car les risques encourus n'ont pas été considérés comme étant immédiats étant donné que les trous étaient déjà présents au triage Turcot.

    Cependant, au triage intermodal de Turcot, le rail était relativement peu sollicité car les voies de triage sont généralement en alignement droit, les mouvements se font à très basse vitesse et le poids des wagons des trains intermodaux est relativement faible par rapport à celui des wagons de 263 000 livres ou de 286 000 livres qui circulent sur les voies principales. Lors de son transfert sur la subdivision Saint-Maurice, le rail a été posé comme LRS dans une courbe sur la voie principale. Sa pose a été effectuée tel que prescrit par les CMN et les méthodes recommandées du CN, mais le rail devait subir des forces dynamiques qui n'existaient pas sur les voies de triage, ce qui a engendré de plus grandes contraintes et donc l'apparition de fissures.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le rail sud s'est rompu lors du passage du train, entraînant le déraillement des wagons.
    2. La rupture longitudinale du rail était présente depuis un certain temps et a pris naissance au trou du boulon d'éclisse qui a agi comme une zone de concentration des contraintes car il croisait le marquage en relief du rail, ses bords n'étaient pas chanfreinés et il avait été chauffé lors du perçage.

    Autres faits établis

    1. Le rail sud a été installé provisoirement avec des trous de boulon d'éclisse car les risques encourus n'ont pas été considérés comme étant immédiats étant donné que les trous étaient déjà présents au triage Turcot.
    2. Lors de son transfert sur la voie principale, le rail a subi des forces dynamiques qui n'existaient pas sur des voies de triage, ce qui a engendré de plus grandes contraintes et donc l'apparition de fissures.

    Mesures de sécurité prises

    Au mois de juin 2003, le Canadien National a adopté une nouvelle politique qui exige qu'une auscultation en continu des défauts internes des rails soit effectuée sur des rails de remploi posés sur des voies de catégorie 3 ou plus, notamment les coupons de rail. Dans les cas où l'auscultation n'est pas effectuée avant la pose, la catégorie de la voie doit être baissée à la catégorie 2 jusqu'à ce que le rail soit ausculté.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .