Déraillement
du train CP 269-21
exploité par le Chemin de fer Canadien Pacifique
au point milliaire 10,75 de la subdivision Moyie
près de Cranbrook (Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 24 octobre 2003, à 10 h 3, heure avancée du Pacifique, le train 269-21 du Chemin de fer Canadien Pacifique roulait en direction ouest lorsque 16 des wagons qui le composaient ont déraillé au point milliaire 10,75 de la subdivision Moyie. Les wagons déraillés comprenaient six wagons couverts chargés, un wagon-citerne contenant des résidus de marchandises non dangereuses, sept wagons-trémies couverts et un wagon-citerne contenant des résidus d'hydroxyde de sodium (UN 1824). Onze wagons ont été détruits, mais la plus grande partie des produits répandus a été récupérée. Personne n'a été blessé, et aucun déversement ne s'est produit des wagons-citernes. La voie ferrée a été détruite sur une distance d'environ 520 pieds.
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Renseignements de base
Le 24 octobre 2003, le train 269-21 (le train) du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) part de Cranbrook (Colombie-Britannique) vers 8 h 30, heure avancée du Pacifique Note de bas de page 1, et roule en direction ouest vers Kingsgate (Colombie-Britannique), à destination de Eastport en Idaho. Le train se compose de 2 locomotives, de 67 wagons chargés et de 17 wagons vides. Il mesure 5270 pieds et pèse 9369 tonnes. Le mécanicien et le chef de train qui forment l'équipe de conduite connaissent bien le territoire, répondent aux exigences de leurs postes respectifs et satisfont aux exigences en matière de repos et de condition physique.
Le temps est dégagé, les vents sont calmes et la température est de 9 °C.
Au passage du train devant le système de détection en voie (SDV) placé au point milliaire 86,8 de la subdivision Cranbrook, à l'est de Cranbrook (Colombie-Britannique), le système donne le signal de voie libre.
Après un arrêt pour laisser passer un train de sens contraire, à Swansea, point milliaire 9,4, le train poursuit sa route en direction ouest. L'information consignée indique qu'au moment de repartir de Swansea, on a augmenté les gaz des locomotives et placé la manette à la position no 4. Une fois que le train a atteint une vitesse de 23 mi/h, on coupe les gaz et on applique graduellement le frein rhéostatique jusqu'à ce qu'il atteigne son intensité maximale. L'équipe ne remarque rien d'inhabituel ou d'irrégulier dans l'état de la voie alors que les locomotives approchent de la courbe à gauche de 6° qui se trouve au point milliaire 10,75 et qu'elles s'y engagent. Le train roule à 27 mi/h lorsque survient un freinage d'urgence provenant de la conduite générale. Le mécanicien actionne immédiatement le circuit de freinage d'urgence du système TIBSNote de bas de page 2, lequel serre les freins à partir de la queue du train. Après avoir pris les mesures d'urgence voulues, le chef de train procède à une inspection et constate que 16 wagons du train, du 41e au 56e, ont déraillé.
Sur les lieux du déraillement, la voie descend une pente de 0,61 % en direction ouest. La voie était construite sur un remblai de 10 à 12 pieds dont le drainage était bon. Le ballast en pierre concassée était en bon état et reposait sur une banquette de 9 pouces, et les cases étaient garnies. Les traverses étaient des traverses de 8 pieds en bois mou dans une proportion de 90 % et des traverses de 9 pieds en bois dur dans une proportion de 10 %. Le taux de traverses défectueuses était de 21 %. Chaque selle de rail standard de 14 pouces à double épaulement était fixée par cinq crampons. Des longs rails soudés (LRS), encadrés par des anticheminants à chaque traverse, étaient posés dans la courbe. La lubrification de la courbe était adéquate, car les graisseurs les plus rapprochés, situés au point milliaire 14,6 en direction ouest et au point milliaire 5,0 en direction est, fonctionnaient normalement.
Le LRS de 136 livres qui était posé du côté du rail de la file haute (nord) de la courbe a été fabriqué en 1981 par Algoma et a été posé dans la courbe en 2001. Il s'agissait d'un rail de réemploiNote de bas de page 3 provenant d'une subdivision de ligne principale du CFCP, qui avait été soumis à un trafic de fort tonnage pendant de nombreuses années. Conformément aux pratiques en vigueur au CFCP quant à la gestion des rails, le rail a été retiré avant d'avoir dépassé les limites critiques d'usure, pour être installé dans les courbes d'une des lignes secondaires du CFCP. Ce rail était censé rester en service pendant encore plusieurs années avant d'être remplacé. Cependant, peu après que le rail a été installé dans la subdivision Moyie, des trains-blocs de fort tonnage ont commencé à y circuler.
Au moment de l'accident, le rail avait une usure verticale de 5/8 de pouce et une usure latérale de 7/16 de pouce. Les directives de gestion des rails, portant notamment sur le renouvellement, la transposition des rails et l'enlèvement des rails de réemploi, figurent dans les sections 4.2 et 9.0 de la Notice technique (NT) 09 du CFCP.
L'usure du rail, même si elle était considérable, n'excédait pas les limites critiques déterminées par le CFCP. Le congé de roulement montrait, par intermittence, des signes de défibrageNote de bas de page 4 et de fissuration, ainsi que des fissures du champignonNote de bas de page 5.
Dans la subdivision Moyie, le contrôle de la circulation ferroviaire était assuré grâce au système de régulation de l'occupation de la voie (ROV) en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, et la circulation était supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire posté à Calgary (Alberta). La vitesse maximale autorisée par l'indicateur était de 25 mi/h pour les trains de marchandises, et aucun ordre temporaire de vitesse réduite n'était en vigueur dans la courbe au moment de l'accident.
Il n'y avait pas de trains réguliers qui circulaient dans la subdivision. La subdivision Moyie fait partie de l'itinéraire secondaire de ligne principale du CFCP entre North Portal (Saskatchewan) et Kingsgate (Colombie-Britannique). Au cours des dernières années, cet itinéraire a connu une augmentation du trafic et du tonnage brut annuel. Dans cette partie de la subdivision Moyie, le trafic a représenté environ 15 millions de tonnes brutes (MTB) en 2003, soit une augmentation de 33 % depuis 1999. Une proportion de 26 % de ce trafic se compose de trains de céréales et de potasse dont le poids par essieu est considérable.
Sur le tronçon qui précédait le secteur où la voie a été détruite, on n'a pas relevé de marques de roue ou de marques laissées par des pièces traînantes. L'inspection des locomotives et des 40 wagons a révélé la présence de marques d'impact sur la table de roulement des roues nord des 15 wagons qui précédaient les wagons déraillés. La première marque d'impact a été relevée sur le 21e wagon, NCTX 33032, ce qui indique que les marques en question ont pu être faites par un rail brisé.
Deux bouts de rail brisé, d'une longueur totale de 67 pouces et comprenant une éclisse à six trous pourvue de tous ses boulons, ont été retrouvés sur le ballast du rail de la file haute (nord) de la courbe. L'éclisse reliait deux bouts de rail, un morceau de 40 pouces de longueur du côté ouest et un autre de 27 pouces de longueur à l'extrémité est. L'éclisse reliant les bouts de rail brisés avait été installée lors d'une réparation temporaire effectuée le 7 octobre 2003. La politique du CFCP relative à la circulation sur des rails brisés précise les conditions dans lesquelles cette circulation est permise ainsi que les mesures qu'il convient de prendre dans de telles situations. Même si le rail brisé avait été muni d'éclisses, le superviseur de l'entretien de la voie a décidé, contrairement aux instructions de la compagnie, de ne pas imposer un ordre temporaire de vitesse réduite de 10 mi/h et de ne pas rendre obligatoire l'inspection de chaque train.
Le bout de rail de 67 pouces a été analysé par le service d'essai du CFCP à Winnipeg, en présence de membres du personnel du BST. Il a été déterminé que la rupture du rail survenue le 7 octobre est attribuable à une fissure de fatigue de 7/8 de pouce de profondeur, qui s'est propagée à partir d'un défibrage du congé de roulement.
Une fissure de fatigue est une rupture progressive qui débute par une séparation longitudinale voisine de la surface de roulement, ou qui prend naissance près du congé de roulement intérieur et s'étend transversalement dans tout le champignon du rail. Appelé communément « fissure de fatigue due au défibrage du congé de roulement », ce défaut du rail ne peut être détecté qu'une fois le rail rompu étant donné que la séparation longitudinale ou la fente causée par une fissure de fatigue est rarement exposée. La fissure de fatigue due au défibrage du congé de roulement peut croître rapidement ou subitement dès les premiers temps de son apparition. Il arrive fréquemment que le défaut cause la rupture complète du champignon, de l'âme et du patin du rail avant même qu'il ne devienne visible.
Les fissures de fatigue peuvent aussi être dues à la formation de fissures du champignon. Dans ce cas, une séparation transversale est exposée, prend naissance au congé de roulement et s'étend en forme de croissant autour du point d'origine. Le point de départ est habituellement une fissure du champignon dans la partie supérieure du congé de roulement, attribuable à une concentration de contraintes qui cause un martèlement à froid qui a raison de la résistance de l'acierNote de bas de page 6. Les fissures de fatigue attribuables à des fissures du champignon ont tendance à toucher plusieurs endroits du même rail.
Les deux extrémités du bout de rail de 67 pouces, dans lequel se trouvait la rupture antérieure, montraient aussi des fissures de fatigue transversales dues à un défibrage du congé de roulement. La fracture de l'extrémité est montrait un défaut visible qui atteignait une profondeur de ½ pouce, soit environ 5 % de la section transversale du champignon du rail. Une rupture fragile partait de la limite de ce défaut et traversait le reste de la section transversale du rail. En l'absence d'écrasement des abouts de rail, on a déterminé qu'il s'agissait d'une fracture secondaire due à des contraintes anormales consécutives au déraillement.
La surface de rupture de l'extrémité ouest du bout de rail de 67 pouces montrait un défaut atteignant une profondeur de 1 3/4 pouce. La plus grande partie de la surface de rupture était polie, indiquant que la défaillance s'était produite sous une charge et que les surfaces de rupture avaient par la suite été soumises à des contraintes dynamiques. On a déterminé que cette fracture correspondait avec le point de déraillement, étant donné qu'elle allait du congé de roulement du rail nord (rail de la file haute) et qu'elle a entraîné la rupture du rail, laquelle a donné lieu au déraillement.
Le rail de 136 livres de profil RE fabriqué par Algoma était conforme à la spécification du CFCP quant à la composition chimique, à la dureté et à la résistance à la traction. Faute de preuves indiquant que des défauts de matériaux ou de fabrication pourraient avoir contribué à la rupture du rail, on a considéré qu'il s'agissait d'une rupture liée au service.
La NT 26 du CFCP, intitulée Production Rail Grinding (Meulage des rails) détermine les besoins de meulage ainsi que le choix du moment, la préparation et la planification des programmes de meulage. Le meulage vise surtout à limiter les dommages causés à la surface du rail par la fatigue. Le meulage préventif consiste à retirer une mince couche de métal à la surface du rail afin d'empêcher la croissance de microfissures. Le meulage améliore aussi la géométrie du contact roues/rail et atténue les contraintes de contact. Des études récentes menées par l'American Railway Engineering and Maintenance of Way Association (AREMA), portant sur des chemins de fer de catégorie 1, démontrent clairement que des intervalles plus longs entre les meulages, une vitesse de meulage accrue et un meulage réduit du congé de roulement donnent lieu à une augmentation des dommages dus à la fatigue dans les courbes et à une augmentation marquée du taux de fissures de fatigue. Dans sa NT 26, le CFCP précise que, dans le cas des rails de réemploi, on devrait les meuler avant qu'ils aient supporté le passage des 5 premiers MTB. Toutefois, aucun meulage n'a été fait dans la subdivision Moyie pendant les cinq années qui ont précédé le déraillement.
Depuis 1999, la voiture de détection des défauts du rail du CFCP a ausculté la voie de la subdivision Moyie trois fois par année. Pour les années 1999 à 2003, la voiture a signalé chaque année respectivement un total de 25, 22, 13, 38 et 30 défauts du rail. Le nombre de défauts par mille de voie a triplé entre 2001 et 2002, et a marqué une légère diminution en 2003. Le contrôle ultrasonique le plus récent dans ce territoire remonte au 19 septembre 2003, soit 35 jours avant l'accident; le contrôle n'a signalé aucun défaut dans le secteur du déraillement. Au point de déraillement, la voiture de détection a montré une réponse intermittente correspondant à un défaut superficiel du champignon du rail. L'opérateur de la voiture de contrôle n'était pas tenu de prendre des mesures particulières, et il n'en a pris aucune. Le tableau ci-après montre l'historique des défauts du rail qu'on a relevés dans la subdivision Moyie au cours de la période de cinq ans.
La Sperry Rail Services, l'entreprise qui se charge de la détection des défauts du rail pour le CFCP, a mis au point et en service, avec les années, des unités de recherche à rouleaux, lesquelles se composent d'un ensemble de transducteurs placés à différents angles qui permettent le meilleur contrôle ultrasonique possible. Chaque rail est sondé par un capteur à 0°, ou à balayage vertical, deux transducteurs à balayage vers l'avant dont l'alignement nominal est de 45° (en fait 37°), et deux transducteurs à balayage vers l'arrière alignés dans un angle de 70°. De plus, un capteur à balayage latéral modifié, dont l'angle est de 70°, ausculte chaque champignon de rail pour déceler les éventuelles séparations verticales. Ce dispositif de sondage permet d'ausculter toute la section transversale du rail, sauf les bords extérieurs du patin. Des roues ou des traîneaux remplis de liquide abritent souvent les transducteurs et les mettent en contact avec le rail. Un liquide de couplage, consistant en une mince pellicule d'huile ou d'eau mélangée à du glycol ou du calcium, facilite la transmission des ondes ultrasoniques entre les transducteurs et le rail.
Les données recueillies par l'appareil d'inspection sont transmises à l'opérateur qui prend place à l'intérieur de la voiture, et elles s'affichent sur des écrans de contrôle. On voit, sur six canaux, les signaux ultrasoniques et les signaux d'induction ainsi que les endroits où des anomalies sont relevées, en regard de particularités de la voie comme des joints et des franchissements. Si l'opérateur considère qu'une indication est suspecte, il fait arrêter la voiture d'essai et la fait revenir jusqu'au point examiné. Il descend alors de la voiture et fait un essai sur place à l'aide d'un appareil d'essai ultrasonique monté à l'arrière de la voiture. Si l'essai confirme le défaut, on fait une marque sur le rail et une équipe de travaux de la compagnie, qui suit la voiture Sperry, remplace le rail ou prend les mesures de protection pertinentes.
L'auscultation ultrasonique a ses limites, car le matériel actuel ne permet pas d'obtenir une précision de 100 %. En outre, il ne s'agit pas d'une science exacte, car le personnel doit avoir les aptitudes, la formation et l'expérience voulues pour être en mesure d'interpréter correctement les données des essais et de détecter les défauts du rail. Les opérateurs des voitures Sperry reçoivent une formation officielle de 40 heures sur les contrôles ultrasoniques, mais le gros de leur formation consiste en un apprentissage en cours d'emploi supervisé par un opérateur expérimenté. Les voitures ont habituellement à leur bord un conducteur, un opérateur et un stagiaire. Le conducteur est responsable de la conduite sûre de la voiture, alors que l'opérateur du matériel d'auscultation ultrasonique et le stagiaire se chargent des essais de rail. Les opérateurs doivent s'acquitter de plusieurs tâches simultanées pendant les essais; ils doivent notamment surveiller le défilement des données d'essai sur les six canaux d'enregistrement tout en observant l'état des rails et les particularités de la voie à mesure que la voiture avance et en essayant de maximiser le nombre de milles auscultés alors que le nombre de fenêtres de travailNote de bas de page 7 est limité. Pour que les défauts soient détectés, il faut qu'ils aient une taille suffisante et qu'ils soient orientés de façon à présenter une surface réfléchissante suffisamment grande. S'il y a des manquements dans l'un ou l'autre de ces domaines, il se peut (et c'est déjà arrivé par le passé) que l'opérateur interprète mal les données, que des défauts ne soient pas identifiés de façon appropriée ou que de petits défauts passent inaperçus.
Les lignes directrices de l'AREMA concernant le rendement minimal des essais de rail, intitulées Recommended Minimum Performance Guideline for Rail Testing, énoncent les spécifications minimales relatives au rendement des essais de rail réalisés par la voiture Sperry. Le critère de détection des fissures de fatigue dues au défibrage du congé de roulement ou aux fissures du champignon tient compte du pourcentage de la surface du champignon qui présente une rupture. Le tableau ci-après montre les taux de fiabilité pour chaque type de voie, basés sur le pourcentage de défauts identifiés correctement lors d'un test donné.
TAILLE (Pourcentage de la surface du champignon présentant une rupture) | Categorie I | Categorie II |
---|---|---|
10-20 | 65 | 55 |
21-40 | 85 | 75 |
41-80 | 95 | 85 |
81-100 | 98 | 95 |
Les voies de catégorie I comprennent toutes les voies principales sur lesquelles le tonnage annuel est égal ou supérieur à 3 MTB ou sur lesquelles la vitesse des trains est égale ou supérieure à 40 mi/h. Les voies de catégorie II comprennent les voies d'évitement et les voies sur lesquelles le tonnage annuel est inférieur à 3 MTB et sur lesquelles la vitesse des trains est inférieure à 40 mi/h.
L'efficacité des essais dépend de la taille et de l'orientation des défauts et de l'état de la surface du rail. Compte tenu des critères de détection exposés précédemment, la fissure de fatigue la plus grosse, dont la taille atteint 1 3/4 pouce comme dans le cas de cet accident, ne serait détectée que dans 85 % des casNote de bas de page 8.
Le dernier contrôle fait dans la subdivision Moyie par la voiture d'évaluation (voiture TEST), qui mesure la géométrie de la voie, remonte au 10 septembre 2003, soit 44 jours avant le déraillement. L'inspection n'a relevé aucun défaut dans le secteur du point de déraillement. Les résultats obtenus par la voiture TEST indiquent que le dévers moyen de la courbe était de 1 1/8 pouce, mais qu'il était de 3/4 de pouce près du point de déraillement. Cet écart de 3/8 de pouce ne constituait pas un défaut nécessitant une intervention urgente; pour qu'un défaut soit considéré comme nécessitant une intervention prioritaire, il faut que l'écart du dévers soit de 1 3/4 pouce par rapport à la norme. Alors que, d'après la NT 02 du CFCP, la vitesse de déséquilibre pour un dévers de 2 poucesNote de bas de page 9 est de 29 mi/h dans le cas d'un train de marchandises roulant dans une courbe de 6° dont le dévers est de 1 1/8 pouce, la vitesse d'équilibreNote de bas de page 10 pour une courbe de 6° dont le dévers est de 3/4 de pouce est de 13,4 mi/h.
La dernière inspection visuelle qu'on a faite avant le déraillement a eu lieu le 21 octobre 2003, c'est-à-dire trois jours avant l'accident. Elle a été faite par le superviseur de l'entretien de la voie et son adjoint, qui sont basés à Cranbrook. Aucune anomalie n'a été relevée à cette occasion.
Analyse
On considère que la conduite du train et l'état mécanique du matériel roulant n'ont pas été des facteurs déterminants de l'accident. Par conséquent, l'analyse portera surtout sur la rupture du rail, l'évolution, le contrôle et la détection des défauts du rail, et le meulage des rails.
Peu de temps après qu'on a installé le rail de 136 livres partiellement usé, des trains-blocs lourds ont commencé à rouler dans la subdivision Moyie. Ce changement dans le nombre et le type des trains a eu pour effet d'accélérer la détérioration du rail et de faire augmenter le nombre de défauts du rail. L'usure du champignon était inférieure à la limite critique, mais le rail de la file haute présentait un défibrage du congé de roulement.
L'information enregistrée par la voiture TEST indiquait que le dévers moyen de la courbe du point milliaire 10,75 était de 1 1/8 pouce, mais qu'il n'était que de 3/4 de pouce près du point de déraillement. Bien que cet écart n'ait pas entraîné de défauts nécessitant une intervention urgente ou prioritaire, la forte usure latérale et le défibrage du congé de roulement qu'on a observés sur toute la longueur du rail indiquent que des efforts latéraux se sont exercés sur le rail de la file haute à la suite du passage, dans cette partie de la courbe, de trains qui circulaient à une vitesse plus grande que leur vitesse d'équilibre. Les efforts latéraux s'accroissent encore plus dès qu'un train excède la limite de vitesse, étant donné que la voie descend une pente dans le secteur du déraillement et que le mécanicien doit serrer les freins pour faire ralentir le train.
Le défibrage du congé de roulement, la fissuration et les criques du champignon dénotaient une fatigue de contact due à des efforts excessifs exercés sur le rail par le passage des trains. À mesure que l'usure de la surface augmente avec le tonnage, la géométrie du contact roues/rail donne lieu à des contraintes excessives qui causent une déformation plastique à la surface du rail et une fatigue de surface (exfoliationNote de bas de page 11, défibrage du congé de roulement et fissures du champignon). Cela cause aussi une augmentation des contraintes internes dans le rail, ce qui fait apparaître des défauts transversaux dans le champignon. L'examen du rail à l'origine du déraillement a révélé que l'accident a été causé par une fissure de fatigue transversale préexistante qui affectait le rail nord (rail de la file haute) d'une courbe vers la gauche de 6°. La fissure de fatigue a résulté d'un défibrage du congé de roulement qui a pris son origine dans le congé de roulement et s'est propagé transversalement dans le champignon jusqu'à une profondeur de 1 3/4 pouce.
Près du point de déraillement, la voiture de détection des défauts du rail a montré une réponse intermittente correspondant à un défaut superficiel du champignon; l'opérateur de la voiture n'a donc pas pris de mesures particulières, vu qu'il n'était pas tenu d'en prendre. Pour que les surfaces du rail puissent réfléchir convenablement le signal ultrasonique, elles doivent être propres et lisses. Bien que le CFCP ait accru ses activités de meulage des rails des lignes secondaires, on n'avait entrepris aucun travail de meulage préventif dans la subdivision Moyie afin d'éliminer les défauts dus à la fatigue de surface. Faute de programmes de meulage des rails dans cette subdivision, les défauts affectant la surface et l'intérieur des rails se sont propagés, et l'absence d'une surface propre et lisse sur les rails a limité l'efficacité des sondages ultrasoniques visant à détecter les défauts internes.
Bien que cela ne soit pas considéré comme étant un facteur déterminant, le fait qu'on n'ait pas pris des mesures de protection appropriées ni exécuté des réparations permanentes pour corriger une rupture de rail due à une fissure de fatigue qu'on avait détectée précédemment dans les environs a eu pour effet d'accroître le risque de défaillance du rail et de déraillement. Dans ce cas-ci, on a surestimé l'exactitude et l'efficacité de la voiture de détection des défauts du rail. De même, les résultats de la voiture TEST et le bon état des traverses ont influé sur la décision de l'employé responsable lorsque celui-ci a décidé de ne pas prendre de mesures de protection appropriées à la suite de la rupture antérieure du rail.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le déraillement est survenu lorsque le rail de la file haute de la courbe s'est brisé en raison d'une fissure de fatigue transversale.
- La fissure de fatigue a résulté d'un défibrage du congé de roulement qui s'est propagé transversalement dans le champignon jusqu'à une profondeur de 1 3/4 pouce.
- Faute de programmes de meulage des rails dans la subdivision Moyie, les défauts de la surface et de l'intérieur des rails se sont propagés, et l'absence d'une surface propre et lisse sur les rails a limité l'efficacité des sondages ultrasoniques visant à détecter les défauts internes.
Fait établis quant aux risques
- Bien que cela ne soit pas considéré comme étant un facteur déterminant, le fait qu'on n'ait pas pris de mesures de protection appropriées et exécuté de réparations permanentes pour corriger une rupture due à une fissure de fatigue qu'on avait détectée précédemment dans les environs a eu pour effet d'accroître le risque de défaillance du rail et de déraillement.
Mesures de sécurité prises
Transports Canada
Du 18 au 21 octobre 2004, Transports Canada a procédé à une inspection de conformité périodique dans une partie de la subdivision Cranbrook et dans la totalité de la subdivision Moyie. À la suite de cette inspection, un avis a été émis le 29 octobre 2004 aux termes de l'article 31 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, dans lequel on faisait savoir au Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) qu'il y avait une menace pour la sécurité ferroviaire dans la subdivision Moyie. Au nombre des dangers et lacunes de sécurité qui avaient été relevés, on citait une forte proportion de traverses défectueuses, des rails usés ou défectueux, un entretien inadéquat des joints et un ballast pollué et insuffisant. Dans sa réponse à l'avis, communiquée le 15 novembre 2004, le CFCP a décrit en détail les travaux qu'il a réalisés en 2004 et qu'il a planifiés pour 2005 et qui visent à éliminer les dangers et lacunes de sécurité dont il est question dans l'avis.
Voici le plan détaillé des travaux du CFCP.
- Le CFCP a réalisé les programmes d'immobilisations ci-après dans la subdivision Moyie, en 2004 :
- pose de 19 500 pieds de rails de réemploi de 136 livres de profil RE dans des courbes;
- travaux de correction de l'écartement sur une distance de 13 100 pieds;
- pose de 3000 traverses no 1 en bois mou, principalement dans des courbes;
- épandage de 45 chargements de wagon de ballast de calibre 4,5 au moyen d'une régaleuse à ballast;
- six semaines de travaux de nivellement exécutés au moyen d'une bourreuse de type Mark 4 et d'une régaleuse à ballast.
Avant la fin de 2004, le CFCP s'attendait à remplacer des rails de réemploi affectés par un défibrage du congé de roulement sur une distance de 5000 pieds. - Le plan d'immobilisations provisoire que le CFCP entend réaliser en 2005 dans la subdivision Moyie prévoit les travaux suivants :
- pose de 31 200 pieds de rails neufs de 136 livres de profil RE, principalement dans des courbes;
- pose de 27 260 traverses no 1 en bois dur sur la voie principale entre Cranbrook et Kingsgate;
- pose de 2200 traverses en bois mou dans des voies d'évitement entre Cranbrook et Kingsgate;
- travaux ponctuels de rabotage sur une distance de 3500 pieds;
- travaux de nivellement et d'alignement d'une durée de cinq semaines, exécutés au moyen d'une bourreuse de type Mark 4 et d'une d'une régaleuse à ballast, visant à corriger des défauts relevés par la voiture TEST et d'autres problèmes de nivellement.
- Le CFCP a mis en oeuvre un programme annuel de meulage de rails dans la subdivision Moyie.
- Deux fois par an, la géométrie de la voie de la subdivision Moyie est vérifiée par la voiture TEST du CFCP.
- Après l'incident, on a augmenté à trois inspections par année la fréquence des contrôles ultrasoniques exécutés dans la subdivision Moyie; en 2005, le CFCP entend porter cette fréquence à quatre inspections par année. On fera appel à la nouvelle technologie de type « B-Scan », laquelle permet de détecter plus facilement un nombre accru de défauts de rail de plus petite taille. Toute dérogation aux paramètres de fiabilité du CFCP en matière de contrôle des rails sera consignée dans une base de données. Cette information sera intégrée au plan de meulage de rails qui concerne ces emplacements.
- De plus, le CFCP a fait patrouiller sept jours par semaine les voies de la subdivision Moyie, entre Cranbrook et Kingsgate. L'augmentation de la fréquence des patrouilles a été maintenue tout au long de l'hiver 2004 et du printemps 2005.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .