Déraillement
Chemin de fer Canadien Pacifique
Train de marchandises no 938-12
Point milliaire 39,5 de la subdivision Parry Sound
Nobel (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 13 février 2003 vers 8 h 30, heure normale de l'est, 21 wagons du train de marchandises no 938-12 du Chemin de fer Canadien Pacifique, qui roulait en direction sud à une vitesse de 42,5 mi/h, ont déraillé au point milliaire 39,5 de la subdivision Parry Sound, près de Nobel (Ontario). Au nombre des wagons déraillés, il y avait 10 wagons-citernes chargés. Deux des wagons-citernes qui ont déraillé contenaient du méthanol (no ONU 1230), cinq autres contenaient du styrène monomère, stabilisé (no ONU 2055) et trois contenaient de l'éthylène glycol, un produit non réglementé. Trois des wagons-citernes ont été percés et ont perdu quelque 100 tonnes d'éthylène glycol et 130 tonnes de styrène monomère. Au total, on a évacué 180 personnes qui habitaient dans un rayon de 1,5 mille (2,5 km) des lieux de l'accident. Deux personnes ont subi des blessures mineures. De faibles quantités de produit se sont déversées dans le lac Rainy, à environ 450 mètres (m) à l'est du déraillement.
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Renseignements de base
L'accident
Le 13 février 2003 vers 8 h 30, heure normale de l'est (HNE)Note de bas de page 1, le train de marchandises no 938-12 (le train) du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP), roulant à destination de Toronto (Ontario) en provenance de Winnipeg (Manitoba), s'arrête à la suite d'un serrage d'urgence intempestif (SUI) des freins alors qu'il roule vers le sud dans la subdivision Parry Sound du CFCP, à une vitesse de 42,5 milles à l'heure (mi/h). La tête du train s'immobilise au point milliaire 39,0, soit à quelque 2,5 km au sud-est du village de Shawanaga et à 16 km au nord de Nobel, en Ontario (voir la figure 1). Au moment de l'accident, il fait -27 °C et les vents sont calmes. Aucun ordre de marche au ralenti par temps froid n'est en vigueur dans la région.
Après avoir signalé au contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) que le train s'est arrêté, le chef de train va inspecter le train. Pendant qu'il marche en direction de la queue du train, le chef de train entend un sifflement provenant de l'endroit où plusieurs wagons-citernes ont déraillé. Connaissant bien la feuille de train, il soupçonne une fuite possible de marchandises dangereuses (MD) contenues dans les wagons-citernes et il reste au vent du côté ouest de la voie ferrée pour terminer son inspection. Après avoir terminé son inspection, le chef de train avise le mécanicien, lequel informe à son tour le CCF de la possibilité d'une fuite.
Le premier wagon à dérailler a été le CP 419525, un wagon plat qui transportait des essieux montés de wagons de marchandises. Ce wagon, resté attaché à la partie avant du train, est resté à la verticale même si toutes ses roues ont quitté la voie. Les 20 wagons déraillés suivants sont séparés de l'avant du train par une trouée d'environ 500 pieds (150 m). Dix-huit de ces wagons se sont arrêtés dans différentes positions à l'est de la voie et un peu au sud du passage à niveau public de la route 559, point milliaire 39,5 (voir la figure 2). La voie ferrée a été endommagée sur une distance d'environ 430 pieds (130 m).
Un conducteur d'autobus d'écoliers qui circule près du lieu de l'accident avise le centre de communication de la police provinciale de l'Ontario, à North Bay, qu'un déraillement vient de se produire. Un message radio est ensuite transmis aux services de police de la région. Un agent de police des services policiers d'Anishinabek qui a suivi un cours de formation de base sur les MD se rend sur les lieux de l'accident. À son arrivée, il commence à inspecter l'endroit et remarque une odeur âcre, et il constate aussi que plusieurs des wagons déraillés sont très endommagés.
Pendant son inspection, l'agent de police rencontre le chef de train, et celui-ci l'informe qu'il y a une fuite de MD et qu'il devrait quitter les lieux. L'agent de police s'éloigne alors d'environ 800 m vers le nord-est, au vent par rapport au lieu de l'accident, où l'odeur est encore perceptible. Le Guide nord-américain des mesures d'urgence suggère qu'un déversement considérable de ces produits devrait entraîner une évacuation dans un rayon de 300 m (1 000 pieds) en aval du lieu de l'accident par rapport au vent. Après des discussions entre l'agent de police et le chef de la bande de la Première nation de Shawanaga, on décide d'évacuer le secteur de l'accident dans un rayon de 2,5 km. L'ordre d'évacuation, qui touche 180 personnes et inclut le village de Shawanaga, débute à 10 h 30 le 13 février 2003 et reste en vigueur pendant 54 heures. Au cours de cette période, les évacués se sont dits préoccupés par l'absence de communications de la part des représentants de la compagnie de chemin de fer. Le service des incendies local, la police provinciale de l'Ontario (OPP) et d'autres organismes de réglementation provinciaux et fédéraux se rendent sur les lieux de l'accident pendant l'intervention.
Inspection sur place des wagons déraillés
Sur les 21 wagons qui ont déraillé, il y avait 10 wagons-citernes chargés, dont sept contenaient des marchandises dangereuses. Après avoir déraillé, deux des wagons-citernes intacts étaient restés à la verticale et étaient restés attachés à la partie arrière du train, laquelle s'était séparée du reste du train. Les huit autres wagons-citernes déraillés s'étaient renversés côte à côte à l'est de la voie et formaient un angle d'environ 90 degrés par rapport à la voie. Trois de ces wagons-citernes, du 58e au 60e à partir de la tête du train, ont subi de lourds dégâts qui ont entraîné le déversement des produits qu'ils contenaient. Ces wagons-citernes sous basse pression étaient isolés et munis d'une enveloppe en acier, et répondaient à la spécification DOT 111A100W1. Le wagon-citerne no UTLX 661999 (58e) contenait de l'éthylène glycol alors que le wagon-citerne suivant, le GATX 75639, contenait du styrène monomère, stabilisé (no ONU 2055). Ces deux wagons ont été perforés et ont perdu une grande partie de leur cargaison. Le wagon-citerne no GATX 75634 (60e) a subi des dommages près du trou d'homme supérieur et s'est immobilisé sur le flanc, perdant environ 30 p. 100 de son chargement (de styrène monomère, stabilisé). L'examen des wagons déraillés qu'on a fait après l'accident n'a révélé aucune défectuosité ou défaillance mécanique antérieure qui aurait pu contribuer à l'accident.
Marchandises dangereuses et impact environnemental
Le déraillement a causé le déversement de quelque 100 tonnes d'éthylène glycol et d'environ 130 tonnes de styrène monomère. L'éthylène glycol est un produit non réglementé plus dense que l'eau, qui est hydrosoluble et qui sert dans la fabrication d'antigel et de solutions de déglaçage. Le styrène monomère, stabilisé, est un liquide inflammable de classe 3, en l'occurrence un liquide limpide et incolore ayant une odeur aromatique. Ce produit, dont les vapeurs sont moins denses que l'air, a un point d'éclair de 90°F et peut causer une irritation des yeux et des muqueuses. Le styrène monomère, stabilisé, est un produit non hydrosoluble qui peut se polymériser s'il est contaminé ou chauffé. On s'en sert dans la fabrication des plastiques, des peintures, du caoutchouc synthétique et de produits de styromousseNote de bas de page 2.
Une partie des produits déversés s'est répandue dans la zone marécageuse qui descend vers le lac Rainy, à quelque 450 m au sud-est de la voie ferrée. Une grande quantité des produits répandus a été absorbée par la végétation. Des puits de contrôle qu'on a forés un peu partout dans le secteur ont révélé que le styrène s'était polymérisé et s'était transformé en un produit semi-solide. Des stations de surveillance de la qualité de l'eau, installées par des organismes environnementaux, ont révélé qu'une quantité minime de produit avait atteint le lac.
Victimes
Le chef de train et l'agent de police ont subi des blessures mineures après avoir inhalé les vapeurs qui se dégageaient des MD répandues. Lors de plusieurs accidents ferroviaires (rapports nos R99T0256, R01E0009 et R01M0061), des secouristes se sont approchés des lieux de l'accident sans s'être munis de l'équipement de protection approprié et se sont ainsi exposés à des produits dangereux. Dans son rapport no R99T0256, le Bureau a fait part d'une préoccupation quant à la sécurité, disait craindre que le personnel d'intervention d'urgence des petites localités ne dispose pas des outils, de l'équipement de protection et de la formation qui lui permettraient d'être bien préparé et conscient des risques associés aux marchandises dangereuses qui passent dans sa localité pendant leur transport ferroviaire.
Examen sur place du rail brisé
Le rail est s'est rompu dans un joint de rail à environ trois pieds au sud du franchissement routier du point milliaire 39,5. Des marques de roues qu'on a relevées sur le champignon du rail, à 17 pouces au sud de l'extrémité est du rail, indiquent qu'il s'agit du point de déraillement (PDD). L'usure du rail était en deçà des limites établies. L'éclisse du côté intérieur du rail s'était brisée en deux, la moitié nord restant boulonnée au rail. L'examen des surfaces de rupture exposées de l'éclisse intérieure a révélé la présence d'une petite précrique de fatigue près du milieu de l'éclisse, dans le rayon de la nervure de renfort inférieure. Cette fissure avait une profondeur de 3/16 de pouce. Le reste de la section transversale de l'éclisse avait été affecté par une rupture fragile prenant son origine à l'extrémité de la fissure. L'éclisse du côté extérieur était intacte. Le rail avait subi une rupture en diagonale, dont le point d'origine se trouvait dans le troisième trou d'éclissage de l'extrémité du rail et qui descendait pour traverser le patin du rail. On a remarqué une petite zone sombre d'oxydation au bas du trou d'éclissage. Au-delà du joint, le rail s'était brisé en plusieurs morceaux et montrait des surfaces de rupture qui concordaient avec le type de rupture catastrophique progressive qui se produit pendant un déraillement.
Examen détaillé du rail brisé
Les morceaux du rail brisé ont été envoyés pour analyse au service des essais du CFCP, à Winnipeg. Les enquêteurs du BST ont assisté aux tests. Le matériau du rail était conforme à la spécification du CFCP concernant les rails de 115 livres en acier au carbone. On a reconstitué les morceaux du rail est où se trouvaient la précrique du troisième trou d'éclissage et le PDD présumé (voir la photo 1).
- Le premier bout de rail comprenait l'extrémité du rail, deux trous d'éclissage complets et une portion du troisième dans l'âme du rail. Il mesurait 17 pouces le long du champignon et 14 pouces le long du patin.
- Le deuxième morceau de rail comprenait le reste du troisième trou d'éclissage, mesurait 17 pouces le long du patin et n'avait pas de champignon. La surface de rupture de l'âme du rail était endommagée en raison d'impacts de roues causés au moment où la roue est tombée du rail.
- Le troisième bout de rail consistait en un bout de champignon de sept pouces de longueur, qui s'était séparé de l'âme du deuxième bout de rail et s'ajustait parfaitement avec le bout de champignon sud du premier morceau de rail. Les surfaces de rupture du troisième morceau montraient les caractéristiques d'une rupture fragile qui entraîne souvent une rupture catastrophique du rail.
Il a été déterminé que la zone d'oxydation observée dans le troisième trou d'éclissage était due à une précrique (voir la photo 2). Elle prenait son origine au milieu de l'âme, dans l'alésage du trou, et descendait à travers toute l'épaisseur de l'âme sur une distance de 3/4 de pouce, atteignant le patin du rail. De là, une rupture fragile secondaire se propageait vers le bas dans le reste de la section transversale du patin. L'examen métallographique d'un échantillon prélevé près du point d'origine de la précrique a révélé la présence de piqûres de corrosion et d'une fissuration secondaire remplie d'oxydes qui s'étendait à partir de l'alésage du trou. Deux piqûres de corrosion montraient des fissures microscopiques qui s'étendaient à partir de leur racine. L'examen a permis de déterminer qu'au moment de la rupture du rail, la précrique était présente depuis déjà quelque temps. Les caractéristiques de la surface de rupture entourant la précrique étaient typiques d'une rupture fragile et ne montraient aucun indice de fatigue.
Le CFCP a procédé à un essai de corrosion sur un bout de rail brisé qu'on avait récupéré sur les lieux de l'accident, afin de déterminer le temps qu'il faudrait pour obtenir l'apparence oxydée qu'on a observée sur la surface de rupture de la précrique. Le test a révélé qu'il faudrait plus qu'un mois.
Renseignements sur le train
Le train, comptant deux locomotives et 75 wagons (71 chargés et quatre vides), mesurait environ 5000 pieds et pesait 9112 tonnes. L'équipe du train, constituée d'un mécanicien et d'un chef de train, avait pris les commandes du train à Cartier (Ontario). Les membres de l'équipe connaissaient bien le territoire et satisfaisaient aux exigences de repos et de condition physique.
Dans la subdivision Parry Sound du CFCP, la circulation est régie grâce au système de cantonnement automatique et au système de régulation de l'occupation de la voie, en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), et elle est supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) posté à Calgary. En moyenne, 16 trains de marchandises circulent dans le secteur chaque jour. La vitesse en voie autorisée est de 60 mi/h pour les trains de marchandises prioritaires et de 45 mi/h pour les trains de marchandises non prioritaires. Le train dont il est question dans le présent rapport était un train de marchandises non prioritaire. Le signal qui régissait les mouvements au PDD et dans le secteur du déraillement était un signal de « voie libre », indiquant que la voie n'était pas occupée et qu'on pouvait y circuler sans danger.
Conduite du train
La voie ferrée descend une pente de 0,3 p. 100 du point milliaire 41,1 au point milliaire 39,6, et elle est généralement en palier au passage à niveau de la route 559. Les données du consignateur d'événements de locomotive ont indiqué que la commande des gaz du train avait été à la position no 8 entre le point milliaire 44,0 et le point milliaire 40,0 et que le train avait accéléré pour atteindre une vitesse de 43,6 mi/h. Au point milliaire 40,0, la commande des gaz a été placée à la position de ralenti et on a augmenté lentement l'intensité du freinage rhéostatiqueNote de bas de page 3 jusqu'à la position 8. Peu après, un SUI s'est déclenché à bord du train.
Renseignements sur la voie et essais de rails
Dans la subdivision Parry Sound, la voie principale simple est faite de longs rails soudés de 115 livres reposant sur des traverses de bois dur. Les rails situés au sud du passage à niveau ont été fabriqués par Aciers Algoma en janvier 1984. Dans le secteur du déraillement, la voie est en alignement droit et repose sur une plate-forme surélevée de quatre pieds qui traverse une zone marécageuse. Le ballast était fait d'un mélange de pierre concassée et de scories. Les cases étaient garnies et les banquettes s'étendaient jusqu'à 12 pouces au-delà de l'extrémité des traverses. Il y a un ponceau au nord du passage à niveau de la route 559.
La voiture d'évaluation de la voie du CFCP est passée dans le secteur le 16 octobre 2002, et une autre fois le 30 janvier 2003. À ces deux occasions, la voiture a relevé des irrégularités de la surface de la voie de part et d'autre du franchissement routier. Les résultats des mesurages étaient en deçà des tolérances établies dans les Notices techniques du CFCP en ce qui a trait aux défauts nécessitant des réparations urgentes et prioritaires. Un superviseur de l'entretien de la voie a fait une inspection à bord d'un véhicule rail-route le 12 février 2003. Aucun défaut de la voie n'a été signalé lors de cette inspection. Après l'accident, les enquêteurs du BST ont remarqué des traverses détériorées et des tronçons de voie mal drainés de part et d'autre du passage à niveau.
Le service Sperry a procédé à un essai de rail le 13 janvier 2003. L'essai en question, comprenant un essai aux ultrasons et un essai par induction magnétique, a été réalisé à bord d'un wagon de série 100 qui produit ses résultats sous forme graphique sur un ruban de papier. Dans le cadre des limites établies pour les essais de contrôle ultrasonique des rails, on s'attend à ce qu'une précrique de ½ pouce de longueur qui traverse plus de la moitié de l'âme du rail soit détectée dans 75 p. 100 des cas seulement. Le contrôle par induction magnétique est un système d'essai complémentaire qui analyse le champignon du rail pour découvrir des défauts éventuels. Les résultats des essais du 13 janvier 2003 n'ont révélé aucun défaut du rail près du joint de rail est, au sud du passage à niveau public du point milliaire 39,5.
Système de détection en voie et détecteurs de charge d'impact de roue
Le personnel des compagnies de chemin de fer procède couramment à des inspections visuelles des trains. Ces inspections comprennent des inspections au défilé aux points de changement d'équipe, des inspections en bordure de la voie par les équipes d'autres trains aux points de rencontre et des inspections mécaniques aux terminus désignés. En plus de ces inspections des trains, le CFCP a équipé son réseau de systèmes électroniques de détection en voie (SDV) qui contrôlent l'état du matériel roulant en cours de route. Ces analyseurs à balayage, qui sont espacés d'environ 25 milles le long de la voie principale, comprennent normalement un détecteur de boîtes chaudes (détecteur de roulements surchauffés), un détecteur de roues chaudes et un détecteur de pièces traînantes.
En 1998, le CFCP a installé un réseau de détecteurs de défauts de roues (DDR) près de plusieurs emplacements du SDV. Le CFCP a choisi les emplacements de ses DDR en se basant surtout sur la circulation ferroviaire, sur les points d'échange et sur la disponibilité des équipes du service de la mécanique. Lors du déraillement, le CFCP disposait de neuf postes de DDR au Canada. La mise au point et l'installation de la technologie DDR est une initiative de l'industrie qui a permis d'améliorer la sécurité ferroviaire du fait qu'ils signalent de façon proactive les roues dont la charge d'impact est forte, de façon qu'on puisse retirer ces roues du service avant qu'elles endommagent le matériel roulant ou l'infrastructure de la voie. Actuellement, il n'existe aucune réglementation au Canada au sujet de l'emploi de la technologie DDR.
Seuils d'alarme des DDR
Une installation de DDR est constituée d'un réseau de jauges de contrainte placées sur l'âme du rail, qui mesurent la déformation du rail pendant le passage du matériel roulant. Les jauges mesurent la charge d'impact générée par la table de roulement de chaque roue. Des dispositifs additionnels enregistrent la charge d'impact, identifient le wagon en cause et précisent la position de la roue défectueuse. Les roues qui dépassent le seuil de charges d'impact sont retirées du service avant qu'elles ne causent des dégâts au matériel roulant ou à l'infrastructure de la voie. Comme on l'énonce dans la politique du CFCP concernant les DDR (Maintenance Regulation RSC 50-50), on a établi quatre niveaux d'alarme DDR, dont chacun suppose une intervention d'entretien spécifique.
En plus des travaux d'entretien correspondant aux valeurs d'impact consignées, le CFCP a mis au point un algorithme pondéré en fonction de la vitesse. L'algorithme en question est une mesure proactive qui enregistre le niveau d'impact réel à basse vitesse et, par progression linéaire, transpose le niveau d'impact à une vitesse de 50 mi/h. De cette façon, le CFCP peut évaluer les charges d'impacts des roues à une vitesse normalisée de 50 mi/h. Toutefois, l'algorithme tient compte du type de défaut de roue, de la conversion à basse vitesse et d'une linéarité théorique. Dans les faits, la gestion des retraits de roues à partir des calculs faits grâce à l'algorithme est quelque peu arbitraire.
La politique du CFCP concernant les DDR est conforme aux normes de l'industrie, lesquelles se basent sur des lectures d'impact réel de 140 kips et dépasse (c'est-à-dire est plus limitative) les normes de l'industrie en ce qui a trait au seuil corrigé en fonction de la vitesse de 170 kips. La politique indique qu'une intervention immédiate (c'est-à-dire arrêter le train, dételer le wagon et en retirer l'essieu monté) n'est pas nécessaire tant que la valeur d'impact de roues n'est pas de 140 kipsNote de bas de page 4 ou plus, ou que la valeur corrigée en fonction de la vitesse n'a pas atteint 170 kips ou plus. En moyenne, sur la foi des seuils établis pour le réseau de DDR, le CFCP retire chaque mois du service 400 essieux montés dont les roues ont enregistré des charges d'impact considérables.
Toutefois, le CFCP peut modifier en tout temps sa politique concernant les seuils de retrait de roues. En 2003, le CFCP a réduit de 10 kips les valeurs de l'algorithme utilisé pour les calculs, afin de réduire le plus possible le nombre de remplacements d'essieux. Le CFCP estimait que cette réduction de 10 kips permettrait de réduire de 50 p. 100 le nombre d'essieux montés qu'il faudrait retirer du service du fait du nombre d'impacts supérieurs à 170 kips. En outre, pendant l'hiver 2003/2004, le CFCP a fait passer de 140 kips à 145 kips le seuil d'impacts réel à partir duquel les roues seraient retirées du service. Avec cette différence de 5 kips, le CFCP disait estimer que le nombre d'essieux retirés diminuerait de 25 p. 100.
En 2002, le CFCP a mis en oeuvre un programme accéléré de retrait des roues (Accelerated Wheel Removal Program (AWRP)) de son parc de wagons intermodaux (IM). Dans le cadre du AWRP, on surveille un essieu monté dès qu'il atteint le seuil du système de DDR de l'AAR, soit 90 kips; si le wagon est chargé, un message est envoyé à l'installation du CFCP qui est la plus rapprochée du point de destination. Une fois le wagon déchargé à l'installation, on inspecte le wagon et on fait remplacer l'essieu monté si le personnel et les matériaux nécessaires sont disponibles. Depuis la mise en œuvre du AWRP, la disponibilité des wagons IM s'est améliorée et le nombre de retraits de wagons IM en cours de route a diminué.
Dès la mise au point du programme, les seuils applicables au système de DDR du CFCP ont été déterminés surtout d'après les pratiques en vigueur dans l'industrie. Le CFCP n'avait pas basé les seuils énoncés dans sa politique sur des dossiers d'analyse technique des données des DDR. Par comparaison, la règle 41, Section 1, sous-section r(1) du manuel des règles d'échange de l'AAR (Field Manual of the AAR Interchange Rules (édition 2003) indique qu'une lecture d'impact de roues de 90 kips ou plus constitue une valeur critique en tout temps. Le comité de l'AAR responsable des roues, des essieux, des roulements et des lubrifiants a été chargé de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la règle 41. Sa décision de fixer la valeur critique à 90 kips s'est fondée sur plusieurs études techniques menées au début des années 1990. Les analyses techniques tirées de ces études établissent que la valeur de 90 kips est un seuil raisonnable de retrait des roues, qui permet de limiter les dommages causés au matériel roulant et à l'infrastructure de la voieNote de bas de page 5.
Enregistrements des charges d'impact de roues
Le 2 février 2003, pendant qu'il roulait à 37,5 mi/h, le train a été inspecté à un emplacement de DDR situé près de Raith (Ontario), soit à quelque 59 milles (95 km) à l'ouest de Thunder Bay. Bien qu'on n'ait pas relevé d'impacts de roues supérieurs à 140 kips, quatre des impacts enregistrés avaient une valeur située entre 90 kips et 116 kips. L'emplacement de DDR suivant sur la route du train se trouve à Bolton (Ont.), un peu au nord de Toronto, soit à quelque 850 milles (1 300 km) au sud-est de Raith et à 150 milles (225 km) au sud du lieu du déraillement.
Le lendemain du déraillement, les 2 locomotives et les 47 wagons de la partie avant du train, qui n'avaient pas été affectés par l'accident, ont poursuivi leur route vers le sud jusqu'à Toronto. En cours de route, le train a franchi l'installation de DDR située à Bolton. Pendant que le train passait devant cette installation à une vitesse de 35 mi/h, le DDR a détecté, sur le rail est, six roues dont les lectures d'impact allaient de 106 kips à 119 kips. Ces roues comprenaient les quatre qui avaient été identifiées à l'installation de Raith le 2 février 2003. Les six impacts enregistrés étaient supérieurs à la limite critique de 90 kips recommandée par l'AAR, mais inférieurs au seuil de retrait de roues que le CFCP préconisait pour son système de DDR. Une fois les lectures ajustées pour la vitesse de déraillement (42,5 mi/h), on a calculé que trois de ces impacts se situaient entre 120 kips et 130 kips et que les trois autres étaient entre 130 kips et 140 kips.
Déraillements précédents reliés à des impacts de roues
L'acier des rails est reconnu pour une ténacité et une ductilité réduites à basse température, surtout si un défaut du rail agit comme concentrateur de contraintes. Pendant l'enquête sur un accident antérieur, rapport d'enquête no R99H0010, le BST a signalé qu'une précrique était suffisante pour entraîner une rupture du rail, compte tenu des contraintes induites dans le rail par la combinaison des basses températures ambiantes et de charges d'impact de roues inférieures au seuil auquel le DDR exige un retrait des wagons.
De plus, un déraillement survenu le 23 janvier 2003 dans la subdivision White River du CFCP a été attribué à une roue dont les charges d'impact étaient considérables. Pendant que le train no 213-22 du CFCP roulait à 34 mi/h, 29 des 92 wagons (23 wagons chargés et 69 vides) qui le formaient ont déraillé au point milliaire 78,2. Il faisait -20°C au moment de l'accident. Le CFCP a déterminé que le déraillement avait été causé par une roue brisée. Des impacts dus à cette roue brisée ont entraîné la rupture du rail sud et, donc, le déraillement. Deux jours auparavant, la même roue avait enregistré une lecture d'impact de 99 kips pendant que le train roulait à 30 mi/h. Ces lectures d'impact sont supérieures aux limites critiques de l'AAR, fixées à 90 kips, mais inférieures aux seuils de retrait du service établis par le CFCP. Par conséquent, cet essieu monté n'a pas fait l'objet de travaux d'entretien après qu'on eut mesuré les charges d'impact.
Ordres de marche au ralenti par temps froid
Lors de l'accident visé par le présent rapport, le CFCP n'avait pas mis en place dans son réseau un processus formel permettant de déterminer à quel moment une voie donnée devait faire l'objet d'un ordre de marche au ralenti par temps froid. Le 20 décembre 2002, on a demandé aux superviseurs de l'entretien de la voie du sud de l'Ontario de se conformer au nouveau projet de politique du CFCP concernant les ordres de marche au ralenti par temps froid. D'après les critères exposés dans le projet de politique, le secteur du déraillement devait faire l'objet d'un ordre de marche au ralenti par temps froid dès que la température atteignait - 35°C . Comme le secteur n'était pas considéré comme une zone à risque élevé, il n'était pas nécessaire d'imposer un ordre de marche au ralenti lorsque la température était de -25°C. Toutefois, ce n'est qu'après le déraillement que la politique proposée a été appliquée entièrement. Lors du déraillement, la décision d'imposer des ordres de marche au ralenti par temps froid était laissée à la discrétion du superviseur local l'entretien de la voie. Par comparaison, cela fait plusieurs années que le Canadien National impose des ordres de marche au ralenti par temps froid dans l'ensemble de son réseau de la région est du Canada, dans le cadre de son exploitation hivernale. Tout dépendant de l'état des voies, les ordres de marche au ralenti par temps froid peuvent obliger les trains à réduire leur vitesse dès que la température ambiante atteint -25°C.
Analyse
La conduite du train de marchandises no 938-12 du CFCP s'est avérée conforme aux consignes de la compagnie et aux exigences de la réglementation. On n'a relevé aucune irrégularité évidente dans la conduite du train, et l'examen du matériel roulant déraillé n'a pas non plus révélé de défauts antérieurs du matériel roulant qui pourraient être considérés comme des facteurs déterminants. L'analyse portera surtout sur les effets de la corrosion, de la basse température ambiante, des résultats du contrôle ultrasonique des rails, de l'effet des impacts de roues sur l'infrastructure et de la voie, et sur l'absence de contrôle réglementaire concernant les systèmes de détecteurs de défauts de roues (DDR). Il sera aussi question des mesures prises par les premiers intervenants.
Le déraillement
Le train a déraillé un peu au sud d'un passage à niveau public, lorsque le rail est de la voie principale a subi une rupture catastrophique à l'endroit d'une fissure préexistante dans un trou d'éclissage du joint de rail (précrique). L'examen métallographique d'un échantillon prélevé près du point d'origine de la précrique a révélé la présence de plusieurs piqûres de corrosion et d'une fissure secondaire remplie d'oxydes qui partait de la surface de l'alésage du trou. Ceci indique qu'à un certain moment avant l'accident, une piqûre de corrosion dans le troisième trou d'éclissage à partir de l'extrémité du rail est, a vraisemblablement fait office de concentrateur de contraintes et a facilité la formation de la précrique. L'absence de marques de fatigue à la surface de rupture de la précrique suggère qu'elle a été causée par une seule charge quelque temps avant l'accident. La quantité d'oxydation observée dans la précrique et les essais du CFCP ont confirmé que la précrique était probablement présente au moment du contrôle ultrasonique, un mois avant l'accident, et qu'elle a été latente jusqu'au moment de l'accident.
Quand les rails en acier sont exposés aux basses températures, leur ténacité et leur ductilité sont réduites, ce qui les rend davantage susceptibles de subir une rupture fragile, et à plus forte raison s'il y a une zone de concentration de contraintes (p. ex. précrique). Lors de cet accident, une fissure était présente dans un trou d'éclissage d'un joint de rail, et la température était de -27°C. À cette température, la contraction du rail a induit des efforts de traction considérables dans le long rail soudé. De plus, le rail est a subi six impacts de roues causés par les 47 wagons de la partie avant du train; les impacts enregistrés étaient supérieurs à la limite critique de 90 kips de l'AAR, mais inférieurs au seuil auquel le CFCP exige le retrait des roues. Dans ces conditions, il est vraisemblable que les impacts de roues ont causé l'apparition d'une rupture fragile descendant vers le patin du rail est, à partir de la racine de la précrique.
La rupture de la section transversale inférieure du rail et la perte de portance ultérieure ont facilité le développement d'une autre rupture fragile à partir de la partie supérieure du trou d'éclissage, ce qui a entraîné la séparation d'un morceau de champignon de sept pouces de longueur. L'absence de martelage dans le joint de rail et le fait que la surface de rupture du bout de rail de sept pouces n'ait pas été polie, indiquent que le rail s'est rompu de façon catastrophique sous le passage du train. Le vide causé par la séparation du champignon du rail a fait en sorte que les roues du 47e wagon tombent entre les rails, n'étant plus supportées par le rail. Quand les roues suivantes ont heurté le champignon du rail brisé, des ruptures additionnelles se sont produites et ont entraîné le déraillement des 20 wagons qui suivaient. La rupture de l'éclisse du côté intérieur a résulté du déraillement et n'est pas considérée comme ayant causé l'accident.
Corrosion du joint de rail
L'examen métallographique a permis de déterminer que la précrique s'est vraisemblablement propagée à partir de la racine d'une piqûre de corrosion. La position du joint de rail brisé, à trois pieds au sud du passage à niveau, faisait en sorte qu'il était plus exposé à la neige, au sel et aux débris provenant de la route. Le fait que le joint de rail ait été aussi près de la route a accru le risque de corrosion des pièces du joint.
Ordres de marche au ralenti par temps froid
L'industrie reconnaît les effets néfastes du temps exceptionnellement froid sur l'infrastructure de la voie et sur le matériel roulant. La plupart des compagnies prennent des mesures pour en atténuer le plus possible les effets nuisibles. Toutefois, lors de l'accident, le CFCP n'avait pas mis en place dans son réseau un processus formel permettant de déterminer à quel moment une voie donnée devait faire l'objet d'un ordre de marche au ralenti par temps froid. Dans la plupart des cas, la décision était laissée à la discrétion des superviseurs locaux de l'entretien de la voie, qui faisaient appel à leur expérience, à leur connaissance du territoire et à leur appréciation des conditions météorologiques.
Avant l'accident, les superviseurs de l'entretien de la voie du sud de l'Ontario ont reçu des instructions disant de se conformer à la nouvelle politique proposée quant aux ordres de marche au ralenti par temps froid. Compte tenu des critères de risque énoncés dans la politique proposée, il n'était pas nécessaire d'imposer un ordre de marche au ralenti par temps froid lorsque la température était de -27°C, comme le jour de l'accident. Si un ordre de marche au ralenti par temps froid avait été en vigueur, le train aurait roulé moins vite et les impacts des roues auraient été moindres, ce qui aurait alors atténué la gravité du déraillement.
Contrôles ultrasoniques des rails
Les contrôles ultrasoniques sont devenus un outil précieux lorsqu'il s'agit de réaliser les plans d'entretien des rails et de déceler les défauts du rail. L'efficacité des programmes d'entretien des rails est tributaire de l'exactitude des appareils d'essai. Les contrôles ultrasoniques des rails permettent normalement de détecter les fissures dans des trous d'éclissage qui ont au moins 1/2 pouce de longueur et traversent complètement l'âme du rail. Lors de l'accident, la précrique avait une taille permettant de la détecter, car elle traversait toute l'épaisseur de l'âme et descendait vers le patin du rail jusqu'à une profondeur de 3/4 de pouce. Toutefois, avec la technologie UT existante, il arrive que 25 p. 100 de ces fissures ne soient pas détectables. De plus, la précrique n'aurait pas pu être détectée pendant une inspection visuelle, étant donné qu'elle était complètement cachée par les éclisses. Un contrôle ultrasonique du rail fait environ un mois avant l'accident n'a pas permis de déceler des défauts du rail près du joint. Toutefois, l'oxydation observée sur la surface de rupture de la précrique, combinée aux résultats des essais de corrosion du CFCP, ont confirmé que la précrique était présente au moment du test. Il est vraisemblable que la forme irrégulière de la précrique, son orientation et sa position dans la partie inférieure du trou d'éclissage, ont fait en sorte que le système de contrôle ultrasonique soit incapable de la détecter.
Aperçu de la réglementation relative aux systèmes de DDR
Les réseaux de DDR constituent une amélioration de la sécurité qui complète les inspections visuelles des trains faites par le personnel des compagnies. L'industrie ferroviaire a installé les réseaux de DDR pour se doter d'un outil de prévention permettant d'identifier les roues qui causent des charges d'impact considérables, de façon à pouvoir les retirer du service avant qu'elles causent des dommages au matériel roulant ou à l'infrastructure de la voie. En procédant à une surveillance du respect de la réglementation, Transports Canada (TC) veille à ce que les chemins de fer disposent d'outils et de systèmes adéquats qui les aident à assurer la sécurité ferroviaire. Toutefois, la réglementation ne rend pas obligatoire la surveillance de la technologie des systèmes de détection en voie (SDV), y compris des détecteurs de défauts de roues (DDR). En l'absence de réglementation, les chemins de fer se servent des SDV comme bon leur semble. Par conséquent, les emplacements des DDR, la distance qui les sépare, les normes d'entretien des DDR et les seuils d'intervention diffèrent d'une compagnie à l'autre. En outre, les chemins de fer peuvent modifier les seuils des DDR en fonction des besoins de leur exploitation, sans avoir à faire une évaluation des risques.
Pendant l'hiver 2003/2004, le CFCP a fait passer de 140 kips à 145 kips le seuil d'impacts réel à partir duquel les roues sont retirées du service, sans faire une évaluation formelle des risques. En 2003, le CFCP a aussi abaissé de 10 kips les valeurs de l'algorithme utilisé pour les calculs, afin de diminuer le plus possible le nombre de remplacements d'essieux qui s'avéreraient nécessaires dans le cadre de sa politique existante sur les DDR. Par conséquent, les impacts de roues enregistrés à 140 kips ou ajustés à 170 kips en fonction de la vitesse, n'exigeaient pas qu'on y porte une attention immédiate. Les pratiques courantes d'ingénierie voudraient qu'on prenne des mesures pour réduire la force des impacts exercés sur l'infrastructure de la voie pendant l'hiver, saison pendant laquelle les éléments de la voie sont davantage sujets à une rupture fragile. Bien qu'on ait établi des liens entre les fortes charges d'impact de roues et les ruptures de rails, du fait qu'il n'y ait pas de surveillance réglementaire de la technologie des DDR, il y a un risque accru que les roues produisant des charges d'impact considérables ne soient pas identifiées et ne soient pas retirées du service dans un délai nécessaire.
Seuils auxquels le CFCP recommande le retrait des roues
Sans aucun doute, le réseau de DDR du CFCP et la politique de la compagnie en la matière ont contribué à améliorer la sécurité ferroviaire. Toutefois, comme on ne comprend pas tout à fait l'interaction entre la force des impacts de roues, les caractéristiques du matériau dont les rails sont faits, la température et la rigidité de la structure de la voie, l'industrie a eu de la difficulté à établir des seuils optimaux de retrait de roues qui tiennent compte à la fois des impératifs de l'exploitation et de la sécurité. Par exemple, l'application de la limite critique de 90 kips que l'AAR a proposée à la suite de plusieurs études d'ingénierie pourrait s'avérer prohibitive dans le cadre des opérations ferroviaires au Canada pendant l'hiver, étant donné le grand nombre d'essieux montés qui devraient alors être retirés du service. Le seuil de retrait de roues proposé par le CFCP, soit 140 kips, est d'une application plus facile du point de vue des opérations ferroviaires, mais il se fonde surtout sur des pratiques de l'industrie et n'est étayé par aucune analyse technique. Par contraste, le succès du AWRP démontre qu'on peut procéder autrement pour gérer le retrait d'essieux montés en appliquant la limite critique de 90 kips préconisée par l'AAR.
Lors de l'accident, une précrique dans un trou d'éclissage, la basse température ambiante et des impacts de roues excédant la limite critique de 90 kips recommandée par l'AAR ont contribué au déraillement. Deux autres déraillements sont survenus récemment dans des circonstances similaires. Lors de ces déraillements, on avait gardé en service des roues dont les charges d'impacts excédaient la valeur de 90 kips, parce que ces valeurs n'excédaient pas le critère établi par la compagnie pour le retrait des roues, en l'occurrence 140 kips. Dans ces cas, les seuils de retrait établis pour les DDR étaient inadéquats puisqu'ils ne tenaient pas compte du niveau de risque attribuable à ces impacts de roues.
Emplacements des DDR
Lors de l'accident, le CFCP comptait neuf installations de DDR dans tout le Canada. La distance la plus grande entre deux emplacements adjacents était d'environ 850 milles, soit entre celui de Raith (Ontario) et celui de Bolton (Ontario). Sur cette distance, une grande partie du réseau du CFCP dans le nord de l'Ontario ne fait l'objet d'aucune surveillance des impacts de roues. Dans ce secteur, le tracé de la voie principale traverse des terrains difficiles où les conditions peuvent être extrêmes en hiver. Quand l'hiver est exceptionnellement froid, le rail est davantage sujet aux ruptures fragiles causées par des charges d'impact. Compte tenu du lien qui existe entre les charges d'impact de roues et les ruptures de rails, les longs tronçons dont les voies ne sont pas contrôlées par des réseaux de DDR sont soumis à un risque accru d'accidents causés par des ruptures de ce genre.
Risque pour les premiers intervenants
On a reconnu les risques auxquels les employés, les premiers intervenants, la population locale et l'environnement avaient été exposés à la suite de l'accident, et on a pris des mesures d'atténuation en conséquence. Un agent des services policiers locaux, qui avait suivi un cours de formation de base sur les marchandises dangereuses mais qui n'avait aucune expérience préalable quant aux déraillements impliquant des marchandises dangereuses, a été dépêché sur les lieux de l'accident. Ce premier intervenant s'est approché des lieux de l'accident sans s'être muni de l'équipement de protection approprié et sans s'être informé sur les produits en présence, et s'est éloigné sous le vent par rapport au secteur de l'accident. Bien qu'il ait subi une blessure mineure, cette situation rappelle une préoccupation que le Bureau avait formulée dans son rapport sur un accident survenu près de Britt (Ontario), (rapport no R99T0256). Dans ce rapport, le Bureau disait craindre que le personnel d'intervention d'urgence des petites localités n'ait pas la formation qui lui permettrait de faire une évaluation sûre des risques associés à un accident ferroviaire majeur impliquant des marchandises dangereuses, étant donné qu'il arrive peu souvent que ces personnes interviennent à la suite d'un accident ferroviaire. Il s'ensuit que les premiers intervenants s'exposent à des marchandises dangereuses dans l'exercice de leurs fonctions, d'où un risque accru de blessure grave.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le train a déraillé un peu au sud du passage à niveau public quand le rail a subi une rupture catastrophique attribuable à une précrique dans un trou d'éclissage.
- Avant l'accident, une piqûre de corrosion qui s'était formée à la surface du trou d'éclissage a probablement agi comme concentrateur de contraintes et facilité la formation de la précrique. La précrique n'a pas été détectée lors du contrôle ultrasonique réalisé un mois avant l'accident.
- La basse température ambiante a induit des contraintes de traction d'origine thermique dans le long rail soudé et a rendu le rail davantage sujet à une rupture fragile.
- Des impacts de roues causés par la partie avant du train, qui étaient supérieurs à la limite critique de 90 kips recommandée par l'AAR mais inférieurs au seuil de 140 kips recommandé par le CFCP, ont vraisemblablement occasionné une rupture fragile qui a pris naissance à la racine de la précrique et est descendue jusqu'au patin du rail, facilitant la rupture catastrophique finale du rail.
Faits établis quant aux risques
- Les joints de rail situés à proximité d'un passage à niveau peuvent être contaminés par des agents corrosifs, d'où un risque accru de corrosion et de formation de précriques.
- Du fait qu'il n'y ait pas de surveillance réglementaire de la technologie des DDR, il y a un risque accru que les roues produisant des charges d'impact considérables ne soient pas identifiées et ne soient pas retirées du service dans un délai convenable.
- La politique actuelle du CFCP concernant les DDR ne traite pas adéquatement des risques associés aux impacts de roues qui se situent entre les limites critiques de l'AAR (90 kips) et les seuils de retrait de roues recommandés pour les DDR du CFCP, soit 140 kips (valeur réelle) et 170 kips (valeur calculée).
- Compte tenu du lien qui existe entre les charges d'impact de roues et les ruptures de rails, les longs tronçons dont les voies ne sont pas contrôlées par des réseaux de DDR sont soumis à un risque accru d'accidents causés par des ruptures de ce genre.
- Les premiers intervenants n'ont pas toujours la formation nécessaire qui leur permettrait d'être au fait des risques associés au transport des marchandises dangereuses par chemin de fer. Par conséquent, il se peut qu'ils s'exposent à des produits dangereux pendant l'intervention initiale consécutive à un déraillement, d'où un risque accru de blessures graves.
Mesures de sécurité
En novembre 2003, après avoir examiné les tendances relatives au trafic dans son réseau ferroviaire, le CFCP a installé un poste de DDR au point milliaire 88,17 de la subdivision Cartier, à l'ouest de Sudbury (Ontario), de sorte qu'il dispose au total de 10 postes de ce genre au Canada.
Depuis le déraillement, le CFCP a mis en oeuvre une politique officielle relative aux ordres de marche au ralenti par temps froid. La politique définit les conditions dans lesquelles on devrait émettre un ordre de marche au ralenti par temps froid pour un secteur donné. La politique incorpore les lectures de température ambiante signalées par les détecteurs placés en bordure de la voie et le niveau de risque associé aux défauts de la voie connus dans le secteur.
Quand la température est inférieure à-25°C, la politique du CFCP exige l'imposition d'un ordre de marche au ralenti aux endroits où des problèmes de voie sont connus.