Déraillement sur une voie autre que la voie principale
du train de marchandises 494-05
exploité par le Chemin de fer Canadien Pacifique
au point milliaire 0,01 de la subdivision Bromhead
à Estevan (Saskatchewan)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 8 août 2004 à 13 h 41, heure normale du Centre, tandis que le train de marchandises 494-05 du Chemin de fer Canadien Pacifique faisait marche arrière pour entrer dans la subdivision Bromhead, six de ses wagons ont déraillé au point milliaire 0,01, dans la ville d'Estevan (Saskatchewan). Cinq des six wagons déraillés étaient des wagons-citernes sous pression chargés d'ammoniac anhydre. Un wagon-citerne a subi une rupture de la tête de citerne et a laissé fuir une petite quantité de produit dans l'atmosphère. Par mesure de précaution, on a évacué environ 150 personnes dans un rayon de trois pâtés de maisons pour une durée de deux jours. Personne n'a été blessé.
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Renseignements de base
L'accident
Le 8 août 2004, le train de marchandises 494-05 (le train) du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) roule vers le sud dans la subdivision Weyburn et va de Swift Current (Saskatchewan) à St. Paul, au Minnesota (États-Unis). Dans les subdivisions Weyburn et Bromhead du CFCP, la circulation ferroviaire est contrôlée par le système de régulation de l'occupation de la voie, en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, et elle est surveillée par un contrôleur de la circulation ferroviaire posté à Calgary (Alberta). Aucun bulletin de marche n'est en vigueur.
Le train compte 2 locomotives et 84 wagons (56 chargés et 28 vides), pèse 8088 tonnes et mesure 5323 pieds. Au total, 30 des 56 wagons chargés sont des wagons-citernes sous pression chargés d'ammoniac anhydre (ONU 1005). L'équipe de conduite (un mécanicien et un chef de train) prend les commandes du train à Moose Jaw (Saskatchewan). Les membres de l'équipe satisfont aux exigences en matière de repos et de condition physique, sont qualifiés pour occuper leurs postes respectifs et connaissent bien le territoire.
Le train s'arrête à Estevan, la queue du train ayant tout juste dépassé l'aiguillage gauche de voie principale no 11, au point milliaire 137,2. Cet aiguillage donne accès à la subdivision Bromhead. Un freinage d'urgence provenant de la conduite générale se produit pendant que l'équipe fait faire marche arrière au train, en direction ouest, pour le faire entrer dans la subdivision Bromhead. Après avoir pris les mesures d'urgence voulues, l'équipe constate que six wagons (du 17e au 22e à partir de la queue) ont déraillé au point milliaire 0,01 de la subdivision Bromhead. L'équipe dételle la partie avant du train et l'éloigne du secteur du déraillement.
La police d'Estevan arrive sur les lieux en premier, suivie du service des incendies. Après avoir rencontré le chef de train et examiné les documents relatifs au train, le chef des pompiers détermine que des wagons contenant de l'ammoniac anhydre sont en cause dans le déraillement et il ordonne une évacuation dans un rayon de trois pâtés de maisons, par mesure de précaution. On évacue quelque 150 personnes, dont 45 résidants d'un foyer pour personnes âgées situé dans le secteur. L'ordre d'évacuation est levé deux jours plus tard.
Le Guide des mesures d'urgence 2004 précise que l'ammoniac anhydre est un gaz corrosif toxique qui peut s'avérer mortel s'il est inhalé, ingéré ou absorbé par voie cutanée. Ses vapeurs sont extrêmement irritantes et corrosives. Bien que les vapeurs soient plus légères que l'air, elles peuvent se combiner à l'humidité de l'air et rester près du sol en cas de fuite accidentelle. Il s'agit d'un produit qui a une grande affinité pour l'humidité et qui peut causer des brûlures chimiques quand il réagit avec l'humidité du corps.
L'examen des données du consignateur d'événements a démontré qu'après s'être arrêté, le train a fait marche arrière lentement et sans à-coup. Il a accéléré jusqu'à une vitesse de 9,9 mi/h, après quoi un serrage d'urgence intempestif provenant de la conduite générale a immobilisé le train à 13 h 41, heure normale du CentreNote de bas de page 1.
Au moment de l'accident, la température était de 17 °C et il pleuvait légèrement. L'humidité relative était de 89 %, le vent soufflait du nord-ouest à 22 km/h et la visibilité était de 24 km.
Examen sur place
Cinq des six wagons déraillés étaient des wagons-citernes sous pression chargés d'ammoniac anhydre; l'autre wagon était un wagon-trémie couvert chargé d'urée. À l'extrémité ouest des lieux du déraillement, les deux premiers wagons déraillés étaient le wagon-citerne ACFX 220149 et le wagon-trémie couvert FURX 818699, respectivement. Toutes les roues des deux wagons ont déraillé mais les wagons sont restés à la verticale. On les a envoyés à Moose Jaw pour les soumettre à des examens plus poussés. Les trois wagons-citernes qui suivaient sont restés attelés ensemble après avoir déraillé, et ils se sont arrêtés sur le côté au nord de la voie. À l'extrémité est des lieux du déraillement, le dernier wagon-citerne à dérailler, le GATX 48058, dont le bout B était à l'avant, était incliné du côté sud lorsqu'il s'est immobilisé. L'impact avait endommagé la tête de citerne au bout B du wagon, de sorte qu'une petite quantité de produit s'est échappée dans l'atmosphère. Le reste du produit contenu dans le wagon a été transféré sur place en toute sécurité, et le wagon endommagé a été envoyé à Moose Jaw pour y être inspecté.
La courbe du branchement était faite de rails de 115, de 100 et de 85 livres. Dans la portion du branchement où la voie était faite de rails de 85 livres, on a observé un arrachement des crampons du côté intérieur du rail sud sur une distance de 66 pieds, entre le joint mixteNote de bas de page 2 reliant les rails de 100 et de 85 livres et le joint isolant (voir la figure 3). Dans le même secteur, les têtes des crampons du côté intérieur du rail étaient tordues et le rail sud avait commencé à se renverser vers l'intérieur. Des marques de roues étaient visibles à l'extrémité des traverses à environ 6 pieds à l'ouest du joint isolant, soit à 275 pieds de l'aiguille. La voie ferrée a été détruite sur une distance d'environ 450 pieds. On a récupéré la plupart des rails et on a reconstruit la voie près des lieux du déraillement. Toutes les surfaces de rupture montraient des signes de rupture fragile typique d'une défaillance catastrophique; on n'a relevé aucun défaut antérieur sur les rails ou les joints.
Renseignements sur la voie
La subdivision Bromhead s'étend en direction ouest à partir d'un aiguillage de branchement menant à la voie principale, qui est situé au point milliaire 137,2 de la subdivision Weyburn. Avant 2000, le trafic dans la subdivision Bromhead consistait en un train toutes les trois semaines. En 2000, la subdivision Bromhead a été désignée comme étant un embranchement dans lequel la vitesse maximale autorisée était de 10 mi/h. Depuis lors, le trafic a augmenté considérablement dans la subdivision Weyburn, les deux premiers milles de la subdivision Bromhead faisant passer jusqu'à cinq trains par semaine.
En mai 2000, on a amélioré le branchement de voie principale de façon à passer de rails de 100 livres à des rails de 115 livres. Toutefois, compte tenu du faible trafic qui empruntait le secteur au moment des travaux d'amélioration, on n'a pas jugé nécessaire de renouveler le branchement au complet. Les travaux ont touché un tronçon de 164 pieds fait de rails de 115 livres, qui se prolongeait dans la subdivision Bromhead. Puis, les rails changeaient pour passer aux rails existants de 100 livres qui étaient en place depuis 10 à 20 ans. Les rails changeaient une seconde fois, passant de rails de 100 livres à des rails de 85 livres, à 203 pieds de l'aiguille. Les rails éclissés de 115 livres et de 100 livres dans la courbe du branchement étaient posés sur des selles de rail de 14 pouces à double épaulement dont chacune était retenue par trois crampons, deux du côté intérieur et un du côté extérieur, le tout reposant sur des traverses de bois dur. La portion du branchement qui était faite de rails de 85 livres était posée sur des selles de 8 ½ pouces à simple épaulement, et la voie était fixée à des traverses de bois mou no 2 par deux crampons, un du côté intérieur et un du côté extérieur de la selle, dont la plupart étaient installés depuis 20 à 30 ans. En moyenne, il y avait 62 traverses par 100 pieds de voie. L'état des traverses était acceptable, et il n'y avait aucun signe de crampons desserrés, de selles de rail encastrées ou de surécartement. Le ballast était fait de pierre concassée, les cases étaient garnies, et les épaulements atteignaient 24 pouces au-delà de l'extrémité des traverses. Le branchement et la voie étaient relativement au niveau.
La Notice technique 18 du CFCP exige que, dans les courbes et les raccordements dont le dévers est de ½ pouce ou moins, les branchements soient retenus par trois crampons, deux du côté intérieur et un du côté extérieur, à chaque selle de rail et à chaque traverse. Dans la Notice technique 20 du CFCP, on précise que, dans les limites d'un branchement, ce qui comprend la courbe d'une voie d'évitement, on devrait utiliser des rails du même poids et du même profil que ceux de l'aiguillage et du coeur de croisement sur les deux voies, et ce jusqu'aux points de dégagement des deux côtés du branchement (voie principale et branchement). La notice technique précise aussi que des joints mixtes ne devraient pas être utilisés dans les branchements.
Pour la voie d'évitement de la subdivision Bromhead, le Règlement sur la sécurité de la voie approuvé par Transports Canada et les notices techniques du CFCP exigent que la voie et les branchements soient inspectés chaque mois et que ces inspections soient consignées dans un dossier. Les dossiers d'inspection indiquent que le branchement de voie principale a été inspecté chaque mois. Il n'y avait aucun enregistrement quant à l'inspection de la voie; toutefois, le CFCP a indiqué que des inspections mensuelles de la voie ont été faites et que la dernière inspection remontait au 13 juillet 2004, soit trois semaines avant l'événement.
Évaluation faite par le Laboratoire technique pour connaître la résistance du rail au renversement
Le chapitre XI du manuel des normes et des pratiques recommandées de l'Association of American Railroads (AAR), intitulé Manual of Standards and Recommended PracticesNote de bas de page 3, précise les lignes directrices concernant les essais et les analyses permettant de déterminer si les wagons de marchandises neufs sont aptes au service. Les critères d'essai supposent que le rapport entre les forces latérales et verticales (rapport L/V) qui s'exercent sur le longeron de bogie ne soit pas supérieur à 0,60, pour que le wagon puisse résister aux risques de déraillement dû au renversement du railNote de bas de page 4, quelle que soit la structure de la voie. Le rapport L/V qui s'exerce sur un longeron de bogie est défini comme étant la somme des forces latérales (L) exercées sur toutes les roues d'un côté d'un bogie divisée par la somme des efforts verticaux (V) qui s'exercent sur les mêmes roues.
Le Laboratoire technique du BST a évalué les différences de résistance latérale au renversement du rail pour les portions du branchement qui étaient faites de rails de 115, de 100 et de 85 livres, en tenant compte du poids du wagon FURX 818699 (rapport LP 149/04). Voici les observations :
- S'il est dépourvu de crampons, un rail neuf de 115 livres peut résister à un rapport L/V de 0,62 exercé sur le longeron de bogie, compte tenu du poids du wagon en cause. Dans les mêmes conditions, des rails de 100 livres et de 85 livres peuvent résister à des rapports L/V de 0,66 et de 0,73 respectivement.
- Avec l'installation de deux crampons du côté intérieur pour fixer le rail neuf à chaque selle de rail, la résistance des rails de 115, de 100 et de 85 livres contre le renversement a augmenté, atteignant des rapports L/V de 2,24, 2,39 et 2,63 respectivement. Le rail de 85 livres fixé à chaque selle par un crampon du côté intérieur a résisté à un rapport L/V de 1,68. La comparaison entre un rail de 85 livres retenu par un crampon du côté intérieur et un rail de 85 livres fixé par deux crampons placés du côté intérieur a révélé que le rail retenu par un seul crampon accusait une diminution de 42 % de sa résistance au renversement.
- Quand on a pris en compte les conditions sur place et qu'on a fait une simulation de la résistance des crampons à l'arrachement, tenant compte de l'âge et de la détérioration des crampons et des traverses, on a constaté que les rails de 115 livres installés quatre ans auparavant et munis de deux crampons du côté intérieur offraient la plus grande résistance au renversement. Comparativement, la résistance des rails de 100 livres munis de deux crampons du côté intérieur et installés 20 ans plus tôt était inférieure de 20 %, alors que la résistance des rails de 85 livres munis d'un crampon du côté intérieur et installés 30 ans plus tôt était inférieure de 47 %.
Renseignements sur les wagons de marchandises
Le CFCP et le BST ont démonté les deux premiers wagons déraillés, ACFX 220149 et FURX 818699, afin de les soumettre à une inspection mécanique. Alors que l'inspection du wagon ACFX 220149 n'a révélé aucun défaut, celle du wagon FURX 818699 a révélé la présence d'un certain nombre de pièces de bogie défectueuses et usées. En particulier, la crapaudine du bout B du wagon était sec et oxydé et adhérait au bord de la traverse danseuse. Les surfaces de contact de la crapaudine étaient tachées et rainurées. De plus, les deux glissoirs n'avaient pas de jeu et trois des quatre guides de longeron ainsi que les logements de patin stabilisateur des longerons L-1 et R-1 avaient atteint les limites critiques d'usure (voir l'annexe A). Au cours des 18 années précédant l'événement, le BST a signalé cinq accidents ferroviaires lors desquels le coincement de crapaudines avait été un facteur contributif.
Le Règlement concernant l'inspection et la sécurité des wagons de marchandises, approuvé par Transports Canada, et les Instructions générales d'exploitation du CFCP précisent qu'aux endroits où aucun inspecteur accrédité de matériel remorqué n'est pas en service, on exige au minimum que l'inspection du train avant son départ ou l'inspection des wagons ajoutés soit effectuée par une personne qualifiée (ou un membre de l'équipe du train). Par la suite, une inspection de sécurité effectuée par un inspecteur accrédité de matériel remorqué doit être faite au premier lieu désigné par la compagnie pour l'inspection de sécurité, dans le sens de la marche. Moose Jaw était le premier lieu désigné pour l'inspection de sécurité.
Pendant l'inspection de sécurité d'un train, on cherche à découvrir des défauts décrits dans le manuel de l'AAR concernant l'échange de wagons, intitulé Field Manual of the Interchange Rules, et dans le Règlement concernant l'inspection et la sécurité des wagons de marchandises, approuvé par Transports Canada. On procède à un certain nombre d'inspections visuelles pour connaître l'état mécanique de chacun des wagons inspectés. Ces inspections visuelles s'intéressent notamment aux raccords d'air comprimés et aux attelages des wagons, au châssis des wagons, aux pièces des bogies et des traverses danseuses, aux portes, aux barrières, à la superstructure du wagon, aux chargements déplacés, aux fuites de marchandises dangereuses, et à l'apparence générale du wagon. En vertu des règles de Transports Canada et de l'AAR, une crapaudine coincée est un défaut qui exige que le wagon soit retiré du service.
Une manoeuvre de triage du CFCP a pris en charge le wagon FURX 818699 à Medicine Hat (Alberta) le 4 août 2004. Le wagon est arrivé à Swift Current le 6 août 2004 et a été intégré au train. Le 7 août 2004, le train a roulé de Swift Current à Moose Jaw et a fait l'objet d'une inspection au défilé à son arrivée, inspection faite par un inspecteur de wagons du CFCP qui était accrédité en vertu des exigences réglementaires de Transports Canada. Pendant qu'il était à Moose Jaw, le train a aussi fait l'objet d'une inspection de sécurité complète qui comprenait un essai de freins à air no 1. L'inspection a été confiée à un inspecteur accrédité de matériel remorqué qui a contrôlé un côté du train pendant qu'il conduisait un véhicule tout terrain à quatre roues motrices, et qui a fait une inspection à pied de l'autre côté. L'inspection a eu lieu vers la fin du quart de travail de l'inspecteur de wagons, soit entre 22 h 15 le 7 août 2004 et 0 h 15 le 8 août 2004. Le train a quitté Moose Jaw à 9 h 27 le 8 août 2004 et a fait l'objet d'une inspection au défilé faite par un inspecteur accrédité de matériel remorqué du CFCP. Aucune anomalie n'a été relevée sur le wagon FURX 818699 à ces occasions.
Wagon-citerne GATX 48058
Le wagon-citerne GATX 48058 faisait partie d'un groupe de 34 wagons construits en 1976 d'après la spécification DOT 105A300W. Ces wagons ont été construits par la General American Transportation Corporation (GATX) de Chicago (Illinois) aux États-Unis, en vertu du certificat de construction F-763020 de l'AAR. L'isolant du wagon était constitué d'une chemise en céramique recouverte d'une enveloppe externe en acier. Le certificat précisait que le matériau de construction de l'enveloppe devait être de l'acier de type AAR TC 128 de nuance B. Lors de la construction du wagon, la réglementation exigeait l'emploi d'acier non normalisé de type TC 128, de nuance B et ayant un grain fin. Aucune exigence n'était précisée quant aux critères d'absorption d'énergie Charpy V.
Les wagons-citernes sous pression construits après le 1er janvier 1989 devaient être faits d'acier dont la qualité répondait à la norme ASTM 516 de l'American Society for Testing and Materials (ASTM) ou d'acier normalisé de type TC 128 de nuance B. La norme a été modifiée récemment et exige maintenant que les wagons neufs commandés après le 1er juillet 2005 soient faits d'un matériau qui satisfait aux critères d'absorption d'énergie Charpy V, soit de 10 à 15 pieds-livres à -30 °F. Ces critères correspondent à une exigence accrue en matière de ductilité et de résistance de l'acier dont sont faits les wagons-citernes.
Le 15 septembre 2004, le wagon GATX 48058 a été examiné aux installations de la GATX, à Moose Jaw. L'examen a révélé une bosselure de deux pieds de diamètre affectant la tête de citerne au bout B. La portion inférieure de la bosselure montrait une brûlure due au frottement contre un boudin de roue, qui se propageait dans la soudure entre la tête et le corps de la citerne. La brûlure mesurait environ cinq pouces de longueur, deux pouces de largeur et un pouce de profondeur. Au point d'origine de la brûlure en question, on a relevé une fissure de deux pouces de longueur qui atteignait le secteur de la soudure de la tête de citerne. À l'intérieur de la citerne, une fissure longitudinale d'un pouce était visible et rejoignait la soudure de la tête de citerne. Une seconde fissure, perpendiculaire à la fissure longitudinale, s'était propagée sur une longueur de 2 ½ pouces le long du bord de la soudure. La surface endommagée du wagon-citerne a été retirée et envoyée au Laboratoire technique du BST en vue d'analyses plus poussées.
Examen du wagon-citerne GATX 48058 réalisé au Laboratoire technique du BST
L'examen du wagon-citerne GATX 48058 (rapport LP 134/04) qui a été fait au Laboratoire technique du BST a révélé que :
- Le bout B du wagon-citerne a subi une petite fracture complète consécutive à un impact avec le boudin d'une roue au moment du déraillement. On n'a relevé aucune rupture primaire ou secondaire antérieure.
- Aucune anomalie de nature métallurgique n'a été relevée dans le matériau de la tête de citerne, de la soudure ou de l'enveloppe. Les propriétés chimiques et les propriétés de traction du wagon-citerne respectaient ou dépassaient les exigences minimales de l'AAR quant à la résistance de l'acier de type TC 128 de nuance B.
- La tête de citerne et l'enveloppe du wagon-citerne étaient faites d'un acier à grain très fin (ASTM 10), lequel offre une résistance supérieure et résiste à la propagation des fissures.
- L'essai Charpy a révélé que le matériau de la tête du wagon-citerne avait une résistance de 66,8 pieds-livres à -45,6 °C. Des essais Charpy réalisés sur des wagons-citernes construits avant 1989 lors d'enquêtes précédentes du BST (R94D0033 et R96M0011) ont révélé des valeurs de résistance de 3 à 5 pieds-livres à des températures situées entre -30 °C et -45,6 °C.
Analyse
L'examen des données du consignateur d'événements a permis de déterminer que la conduite du train n'était pas en cause dans cet événement. L'inspection des lieux n'a révélé aucun défaut de la géométrie de la voie dans le secteur du déraillement. L'analyse s'intéressera surtout à l'état mécanique du wagon de marchandises FURX 818699, à la résistance latérale de la voie faite de rails de 85 livres, à l'inspection des wagons de marchandises, à la résistance des wagons-citernes en cas d'accident et à l'intervention d'urgence.
Le déraillement
L'arrachement des crampons du côté intérieur (qui a débuté un peu à l'ouest du joint mixte reliant des rails de 100 et de 85 livres sur le rail sud), les têtes de crampons tordues du côté intérieur et le rail sud incliné ont été observés avant les premières marques de roues, ce qui indique que le déraillement a été causé par un renversement du rail. L'absence de défauts manifestes de la voie, comme des selles de rail encastrées ou des crampons lâches, donne à penser que des contraintes latérales supérieures à la normale se sont exercées sur la structure de la voie et ont causé le renversement du rail sud.
Pendant le passage dans une courbe, les forces latérales générées par un bogie qui fonctionne normalement n'excèdent pas la résistance latérale d'un rail fixé adéquatement. Toutefois, quand un wagon de marchandises et un bogie sont affectés par des défauts qui gênent la rotation du bogie et facilitent le gauchissement du bogie, l'angle d'attaque du boudin de roue est accru, de sorte que le bogie exerce des forces latérales supérieures à la normale dans les courbes. Le coincement de crapaudines, l'absence de jeu des glissoirs et les bogies ayant atteint la limite critique d'usure sont des défauts qui augmentent la résistance à la rotation des bogies et les risques de gauchissement des bogies. Comme le wagon FURX 818699 était affecté par ces défauts, on peut conclure que le bogie du bout B a induit des forces latérales supérieures à la normale contre le rail sud au moment où le wagon passait dans la courbe du branchement.
L'étendue de l'usure qui affectait le bout B du wagon FURX 818699 indiquait que ces défauts existaient depuis quelque temps avant le déraillement. Le wagon avait donc circulé dans d'autres branchements et courbes très similaires sans dérailler. Aussi, le wagon a roulé sans encombre sur les sections du branchement qui étaient faites de rails de 115 et de 100 livres alors qu'il quittait la subdivision Weyburn, et il n'a déraillé qu'en passant sur la section faite de rails de 85 livres. Cela donne à penser que le déraillement a dû être causé par la présence simultanée de certaines conditions qui affectaient le bout B du wagon FURX 818699 et les rails de 85 livres du branchement.
Le Laboratoire technique du BST a évalué les différences de résistance latérale au renversement du rail pour les portions du branchement qui étaient faites de rails de 115, de 100 et de 85 livres, dans des conditions similaires à celles qui ont été relevées sur les lieux du déraillement. L'analyse a confirmé que le tronçon de la courbe du branchement qui était fait de rails de 85 livres avait une résistance moindre au renversement que les portions faites de rails de 115 livres et de 100 livres. Il s'ensuit que des forces latérales supérieures à la normale ont excédé la résistance de la portion de la courbe qui se composait de rails de 85 livres, et a donc causé le renversement du rail sud et le déraillement subséquent.
Au moment des améliorations apportées au branchement, la subdivision Bromhead faisait passer seulement un train toutes les trois semaines. On n'a donc pas jugé nécessaire de renouveler entièrement la courbe du branchement pour la rendre conforme aux notices techniques. Par conséquent, les deux joints mixtes et la structure existante composée de rails de 85 livres ont été laissés en place. Depuis lors, le trafic et le tonnage ont augmenté dans la subdivision et la portion de la courbe qui se composait de rails de 85 livres a résisté sans incident à cette augmentation, et ce même si la courbe existante du branchement n'avait fait l'objet d'aucune amélioration. Cependant, en raison de sa résistance limitée aux forces latérales, la portion de la courbe qui était composée de rails de 85 livres retenus par un crampon du côté intérieur et par un crampon du côté extérieur n'a pas été capable de résister aux efforts supérieurs à la normale qui se sont exercés sur la voie.
Inspection des wagons de marchandises
Le coincement de la crapaudine au bout B du wagon FURX 818699 était présent depuis un certain temps. Même si cette défectuosité exigeait une attention immédiate, elle n'a pas été détectée lors des inspections dont le wagon avait fait l'objet avant le déraillement. On serait censé détecter ces défauts à l'occasion des inspections de sécurité, mais cet événement démontre qu'il n'en est pas toujours ainsi. En raison de beaucoup de facteurs, notamment la configuration des wagons, l'environnement de travail et l'étendue des connaissances de l'inspecteur, les inspections n'ont pas toujours la qualité et la rigueur auxquelles on pourrait s'attendre.
L'inspection des wagons de marchandises consiste essentiellement en un travail de détection visuelle qui oblige l'inspecteur à guetter les indices d'une variété de défauts potentiels. Dans l'événement à l'étude, l'inspecteur devait effectuer un grand nombre d'inspections visuelles séparées mais concurrentes pour chaque wagon. Il a été démontré que la capacité d'un inspecteur de déceler différents stimuli au cours d'une inspection pouvait souffrir d'une augmentation du nombre de signaux dont on doit tenir compte et du degré de complexité et de clarté des signaux en questionNote de bas de page 5. Si beaucoup de tâches sollicitent un seul sens, par exemple la vue dans le cas des inspecteurs de wagons, la capacité de faire un contrôle de ces tâches est réduite. Quand l'inspecteur doit s'acquitter de ces tâches dans des conditions de faible éclairage, ses capacités sont encore plus limitées. Chacun de ces facteurs peut avoir pour effet de réduire l'efficacité des inspections. La situation ne peut que s'aggraver si ces facteurs sont combinés. Dans ces conditions, vu la façon dont les inspections de sécurité sont réalisées actuellement, il est possible qu'on ne puisse pas déceler systématiquement toutes les crapaudines coincées.
Résistance aux accidents du wagon-citerne GATX 48058
Le wagon-citerne GATX 48058 a subi une rupture relativement petite et a laissé fuir une quantité minimale de produit. Toutefois, l'analyse a permis de déterminer que le wagon était fait de matériaux dont les propriétés dépassaient les exigences des spécifications de l'AAR. Les valeurs élevées obtenues lors des essais de Charpy et la microstructure à grain fin de l'acier du wagon-citerne correspondaient aux caractéristiques d'un matériau ayant une grande résistance aux chocs et une dureté considérable. Ces propriétés ont vraisemblablement contribué au fait que le wagon-citerne GATX 48058 résiste à l'accident, et ont limité l'étendue de la brèche dans la citerne.
Intervention d'urgence
Vu que l'ammoniac anhydre a une grande affinité pour l'humidité, le taux élevé d'humidité dans l'air et la pluie fine qui tombait ont contribué à atténuer les effets de la fuite. De plus, la police et le service des incendies d'Estevan sont arrivés sur place peu de temps après le déraillement et ont rapidement sécurisé et évacué le secteur. Grâce à leur intervention opportune et à l'évacuation des résidants du secteur, ils ont réduit au minimum le risque d'exposition à des marchandises dangereuses.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le train a déraillé après que le rail sud de 85 livres s'est renversé pendant le passage du train dans la courbe du branchement.
- En raison de la capacité de rotation limitée et du gauchissement du bogie du bout B du wagon FURX 818699, le bogie a exercé des forces latérales supérieures à la normale contre le rail sud pendant que le wagon roulait dans la courbe du branchement.
- Les rails de 85 livres qui constituaient cette portion de la courbe du branchement ont résisté moins bien au renversement du rail que les rails de 115 livres et de 100 livres des autres portions de la courbe.
- En raison de sa résistance moindre aux forces latérales, la portion de la courbe du branchement composée de rails de 85 livres retenus par un crampon du côté intérieur et par un crampon du côté extérieur n'a pas pu résister aux forces supérieurs à la normale exercées par le wagon FURX 818699.
Faits établis quant aux risques
- Au moment des améliorations apportées au branchement, le trafic était faible dans la subdivision Bromhead. Par conséquent, on n'a pas jugé nécessaire de renouveler entièrement la courbe du branchement pour la rendre conforme aux exigences des notices techniques du Chemin de fer Canadien Pacifique; si l'ensemble du branchement avait été conforme, le risque de déraillement aurait été réduit.
- Vu la façon dont les inspections de sécurité sont réalisées actuellement, il est possible qu'on ne puisse pas déceler systématiquement tous les défauts, comme des crapaudines coincées.
Autres faits établis
- Les valeurs élevées obtenues lors des essais de Charpy et la microstructure à grain fin de l'acier de la tête de citerne du wagon-citerne GATX 48058 dépassaient les exigences des spécifications actuelles de l'Association of American Railroads, et ont vraisemblablement limité l'étendue de la brèche dans la citerne.
- L'intervention opportune et l'évacuation des résidants du secteur ont permis de réduire au minimum le risque d'exposition à des marchandises dangereuses.
Mesures de sécurité prises
Reconnaissant les limites de la performance humaine lors des inspections visuelles, l'industrie ferroviaire a entrepris la mise en oeuvre de technologies d'inspection automatisées. Le Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) est en train d'examiner la possibilité d'installer dans son réseau un ou deux détecteurs de performance des bogies au cours des prochaines années. Ces détecteurs permettront de déceler les défauts de bogies des wagons de marchandises qui sont similaires à ceux relevés sur le wagon FURX 818699.
Le CFCP a préparé et distribué à l'échelle de son réseau une affiche permettant de donner des trucs à ses techniciens. Cette affiche illustre les éléments à surveiller lors de l'inspection des crapaudines et des glissoirs des wagons de marchandises. Le CFCP a émis des instructions voulant que tous ses inspecteurs accrédités de matériel remorqué examinent l'affiche.
Le 16 août 2004, tous les rails de 85 livres placés au-delà du point de dégagement de la courbe du branchement de la subdivision Bromhead ont été remplacés par des rails de 100 livres, posés sur des selles à double épaulement et fixés par trois crampons à chaque selle.
Le CFCP a mis au point et mis en service dans tout son réseau un processus d'évaluation des risques qui amènera le service d'ingénierie et celui des opérations à effectuer une évaluation conjointe des risques liés à l'état de la voie lorsque les opérations doivent faire l'objet de changements importants ou lorsqu'on prévoit une augmentation sensible du trafic.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes
Annexe A - Résultats de l'inspection mécanique du bout B du wagon FURX 818699
Élément | Valeur observée | Spécification de l'Association of American Railroads |
---|---|---|
Hauteur des attelages | 32 1/4 pouces | minimum de 32 ½ pouces |
Dégagement des glissoirs (gauche et droit) | 1/8 de pouce | minimum de 3/16 de pouce |
Dégagement entre la crapaudine et la traverse danseuse | Néant | on doit maintenir un dégagement de 1/16 de pouce |
Hauteur de la crapaudine | 2 pouces – angles tachés et rainurés | on doit maintenir un dégagement de 1/16 de pouce |
Profondeur de la cuvette de la traverse danseuse | 2 1/8 pouces – traverse danseuse tachée et rainurée | on doit maintenir un dégagement de 1/16 de pouce |
Graissage de la cuvette de la crapaudine | sèche et rouillée | |
Guides de longeron | 3 des 4 mesurent 9 3/4 pouces | limite d'usure critique – 9 3/4 pouces |
Logement de patin stabilisateur (L-1 et R-1) | usure de 3/16 de pouce | limite d'usure critique – 3/16 de pouce |
Patin stabilisateur (L-1 et R-1) | soulèvement du patin de 3/4 de pouce | |
Dégagement entre le tenon de butée et la position de l'adaptateur du longeron de bogie (R-2) | 9/16 de pouce | maximum de 7/16 de pouce |
Hauteur libre des ressorts principaux | 1 ressort extérieur – 9 7/16 pouces 2 ressorts intérieurs – 9 5/8 pouces | Limite critique de hauteur libre – 9 5/8 pouces |