Rapport d'enquête ferroviaire R05C0082

Déraillement en voie principale
Chemin de fer Canadien Pacifique
Train no 277-26
Point milliaire 69,2 de la subdivision Red Deer
Près de Bowden (Alberta)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 27 mai 2005 vers 1 h 25, heure avancée des Rocheuses, 2 locomotives et 24 wagons (dont 3 wagons-citernes sous pression contenant des résidus d'ammoniac anhydre (no ONU 1005)) du train de marchandises no 277-26 nord du chemin de fer Canadien Pacifique ont déraillé au point milliaire 69,2 de la subdivision Red Deer, près de Bowden (Alberta). Personne n'a été blessé, et il n'y a pas eu de déversement de marchandises dangereuses.

    This report is also available in English.

    Renseignements de base

    Le 26 mai 2005 à 19 h 34, heure avancée des RocheusesNote de bas de page 1, le train de marchandises no 277-26 (le train) du chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) part de Calgary (Alberta) à destination de Red Deer (Alberta). Le train compte 2 locomotives actives AC4400 construites par General Electric (GE), suivies de 2 locomotives isolées GP 9 construites par General Motors (GM) faisant face à l'arrière, de 22 wagons chargés et de 55 wagons vides. Le train pèse 4 512 tonnes et mesure 5 050 pieds. Le chef de train et le mécanicien qui forment l'équipe de conduite sont tous deux qualifiés pour occuper leurs postes respectifs et se conforment aux normes en matière de repos et de condition physique.

    Figure 1. Carte montrant l'endroit où le déraillement s'est produit (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens)
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    Carte montrant l'endroit où le déraillement s'est produit

    En cours de route, le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) émet à l'intention du train un bulletin de marche (BM) disant d'assurer manuellement la protection de son mouvement sur le passage à niveau du point milliaire 69,8, parce que le dispositif automatique de protection du passage à niveau est défectueux. Un ouvrier d'entretien des signaux a été envoyé sur place précédemment et a entrepris de réparer le mécanisme de protection du passage à niveau. Le train est autorisé à circuler jusqu'au point milliaire 68,0 et s'arrête à cet endroit à 0 h 54. À 1 h 03, le CCF donne à l'équipe une autorisation de circuler assortie d'une restriction disant d'assurer la protection de la zone de travaux où se trouve l'ouvrier d'entretien des signaux, soit entre le point milliaire 68,0 et le point milliaire 70,0.

    À 1 h 16, l'ouvrier d'entretien des signaux donne au train la permission de franchir sa zone de travaux à une vitesse de 10 mi/h. L'équipe confirme alors avec l'ouvrier que le passage à niveau devant faire l'objet de la protection se trouve au point milliaire 69,8, après quoi l'équipe remet le train en marche.

    Aux abords du point milliaire 69,08, l'équipe repère l'ouvrier d'entretien des signaux et détermine que le passage à niveau qui doit faire l'objet de la protection se trouve au point milliaire 69,08, et non pas au point milliaire 69,8. Le mécanicien serre les freins du train et actionne le frein rhéostatiqueNote de bas de page 2 (FR) pour faire ralentir le train au moment de franchir le passage à niveau. Le chef de train descend du train pour assurer la protection du mouvement.

    Le consignateur d'événements de locomotive a permis de recueillir les renseignements suivants :

    • On utilise une dépression minimale dans la conduite générale, combinée à une application maximale du FR, pour faire ralentir le train jusqu'à 1,1 mi/h pendant le franchissement du passage à niveau du point milliaire 69,08, à 1 h 23 m 21.
    • Cinq secondes plus tard, soit à 1 h 23 m 26, les freins du train sont desserrés.
    • Le FR est désactivé et, dans un délai de 24 secondes, on augmente les gaz jusqu'à la position no 8, soit la position de puissance maximale.
    • Le train accélère jusqu'à atteindre la vitesse de 13,7 mi/h après 1 minute et 11 secondes. On a fermé ensuite les gaz. Le FR est actionné et réglé à la position 6,5 dans un délai de moins de 20 secondes, après une pause de 1,3 seconde à la position de ralenti.
    • À 1 h 24 m 55, on passe de la décélération à l'accélération, et la vitesse du train augmente brièvement, passant de 11 mi/h à 13 mi/h.
    • Le FR est désactivé à 1 h 26 m 24, et, à 1 h 26 m 28, on augmente les gaz, la manette étant à la position 6 pendant 1 minute et 5 secondes. Le train commence ensuite à ralentir, sa vitesse passant de 5,8 mi/h à 3,5 mi/h à 1 h 27 m 53.
    • À 1 h 27 m 58, pendant que le train roule à 3,5 mi/h avec la commande des gaz à la position 5, un freinage d'urgence provenant de la conduite générale se déclenche. Le train s'immobilise à 1 h 28 m 6, au point milliaire 69,58. Le train a roulé avec des wagons déraillés pendant au moins 1 minute et 34 secondes avant le déclenchement du freinage d'urgence provenant de la conduite générale.

    Après avoir pris les dispositions d'urgence nécessaires, l'équipe constate que les deux locomotives isolées et les 24 wagons qui suivent ont déraillé. Au nombre des 24 wagons déraillés, il y a 18 wagons plats vides à parois de bout et à longrine centrale munis d'attelages souples, un wagon-tombereau chargé, deux wagons-trémies couverts vides et trois wagons-citernes sous pression contenant des résidus d'ammoniac anhydre. Les locomotives et les wagons déraillés sont restés à la verticale (sur leurs roues) après avoir déraillé. Il n'y a eu aucune fuite de produit. Les 24 wagons déraillés ont subi des dommages mineurs et ont été réparés, après quoi ils ont été remis en service.

    Examen des lieux

    Les premières marques sur les rails ont été relevées au point milliaire 69,2. À cet endroit, le rail ouest s'étant renversé du côté extérieur, l'âme du rail montrait des marques biens visibles laissées par des boudins de roue, alors que les crampons du rail étaient arrachés du côté intérieur du rail. Vers le nord, la voie ferrée était endommagée sur une distance de quelque 1 960 pieds, soit jusqu'au point milliaire 69,58. À cet endroit, le rail ouest s'était renversé du côté extérieur sous le bogie avant de la troisième locomotive, no CP 1632, dont la roue R1 avait déraillé entre les rails et la roue R2 avait déraillé du côté extérieur de la voie. La quatrième locomotive, no CP 1514, avait déraillé entre les rails.

    L'inspection des deux locomotives déraillées a révélé qu'elles avaient toutes deux subi des dommages, notamment des fissures, du côté est du boîtier d'attelage. Il a été déterminé que les glissoirs du bogie avant de la locomotive no CP 1514 n'avaient aucun dégagement et que les butées de la traverse danseuse gauche du bogie arrière étaient brisées (Comme les deux locomotives GP 9 isolées, construites par GM, faisaient face à l'arrière (vers le sud), l'absence des butées de traverse danseuse a affecté l'attelage qui reliait la troisième et la quatrième locomotives.).

    La butée brisée de traverse danseuse, la garniture de la cuvette de traverse pivot et le lubrifiant du bogie avant de la locomotive no CP 1514 ont été envoyés pour analyse au laboratoire technique du BST (rapport no LP 062/2005 du laboratoire technique du BST). Pour plus de détails, voir l'annexe B.

    Lors du déraillement, le ciel était dégagé, les vents étaient calmes et la température était de 8 ºC.

    Subdivision Red Deer

    La subdivision Red Deer est un tronçon où la voie principale, qui est simple, va de Calgary, point milliaire 0,0, à Red Deer, point milliaire 95,6. La circulation ferroviaire y est régie grâce au système de régulation de l'occupation de la voie (ROV), en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), et elle est supervisée par un CCF posté à Calgary. La vitesse en voie autorisée pour les trains de marchandises était de 45 mi/h; toutefois, les ordres temporaires suivants de vitesse réduite (voir la figure 2) étaient en vigueur au moment du déraillement :

    • 40 mi/h entre le point milliaire 66,1 et le point milliaire 71,2 – en raison de variations excessives du nivellement transversal
    • 25 mi/h entre le point milliaire 68 et le point milliaire 69 – en raison de l'état des traverses
    • 25 mi/h entre le point milliaire 70,5 et le point milliaire 71,3 – en raison de l'état des traverses
    Figure 2. Ordres de marche au ralenti
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    Ordres de marche au ralenti

    Dans le secteur où le déraillement s'est produit, la voie était en alignement droit et descendait une pente de 1 p. 100 en direction nord. Elle était faite de longs rails soudés de 115 livres qui reposaient sur des selles de rail à double épaulement et étaient retenus aux traverses en bois mou par deux crampons fichés dans chaque selle de rail, et un crampon auxiliaire à toutes les deux selles de rail. Les rails avaient été posés en 1985. Ils avaient une usure verticale d'environ 0,125 pouce et n'avaient aucune usure latérale. Les deux rails étaient encadrés par des anticheminants à toutes les deux traverses. L'état des traverses allait de passable à mauvais. Le ballast fait de gravier était pollué par des matériaux de la plate-forme. Les banquettes et les cases étaient garnies.

    Dans le secteur du déraillement, la voie était inspectée conformément aux exigences des Notices techniques (NT) de CP. Une voiture de détection des défauts du rail a inspecté les rails le 3 mai 2005 et n'a relevé aucun défaut interne. On a recouru au Système de mesure de l'écartement des voies sous charge (Gauge Restraint Measuring System (GRMS)) pour vérifier l'état de la voie le 22 novembre 2004. L'inspection n'a révélé aucune anomalie. Une voiture d'évaluation de la voie (voiture TEST) a contrôlé la voie le 18 avril 2005 et n'a signalé aucun défaut. Le 26 mai 2005, un contremaître d'entretien de la voie a inspecté la voie dans le secteur du déraillement et n'a relevé aucune irrégularité.

    Locomotives GP 9 (butées de traverse danseuse et attelages)

    Les deux locomotives GP 9 isoléesNote de bas de page 3 avaient été inspectées et avaient fait l'objet de travaux d'entretien à l'atelier de locomotives diesels Alyth, situé à Calgary, et elles avaient été intégrées au train 277 pour qu'on puisse les transférer vers Edmonton (Alberta). Les locomotives étaient toutes deux équipées d'attelages sans dispositif de centrage (voir les figures 3 et 4).

    Figure 3. Attelage sans dispositif de centragel
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    Coupler without alignment control
    Figure 4. Attelage avec dispositif de centrage
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    Coupler with alignment control

    Le dispositif de centrage limite le mouvement latéral de la barre d'attelage lorsque des forces générées longitudinales s'exercent en compression. Plus l'angle de la barre d'attelage est limité, plus les forces latérales qui s'exercent sur la voie au point d'interface roues/rail est réduit, d'où une réduction du risque de déraillement consécutif au renversement du rail. Les attelages sans dispositif de centrage permettent un débattement plus grand des attelages quand on manoeuvre dans les courbes serrées des cours de triage et des embranchements industriels. Lorsque les attelages sont en compression, l'angle des barres d'attelage peut être limité à ± 17 degrés lorsque l'attelage est pourvu de dispositif de centrage, alors qu'il peut atteindre ± 34 degrés lorsque l'attelage est dépourvu de ce dispositifNote de bas de page 4. Le constructeur des locomotives recommande l'installation de butées de traverse danseuseNote de bas de page 5 lorsque des locomotives dépourvues de dispositif de centrage des attelages font partie de trains qui comptent aussi des locomotives capables de générer un effort considérable de freinage rhéostatique.

    Le rapport portant sur la dernière inspection annuelle de la locomotive no CP 1514, qui a eu lieu en juillet 2004, indiquait que les butées de traverse danseuse étaient en place. La dernière inspection périodique remontait au 29 mars 2005. Ni l'inspection périodique ni les inspections mécaniques avant départ, qui ont été faites peu de temps avant le départ le 26 mai 2005, n'ont révélé la présence d'un support brisé de butée de traverse danseuse. Comme la butée de traverse danseuse est fixée à l'intérieur du longeron de bogie, elle n'est pas visible pendant la plupart des inspections.

    Instructions générales d'exploitation de la compagnie concernant le freinage rhéostatique

    Les deux locomotives actives placées en tête du train étaient des locomotives GE AC4400 équipées d'un FR de puissance accrue, dont chacune pouvait produire une force de ralentissement de 98 000 livres (facteur de FR de 9,8), soit un total de 196 000 livres pour les deux locomotives. À cause des forces longitudinales qui s'exercent sur le rail pendant le freinage et des risques associés à la compression des attelages pendant le freinage, les Instructions générales d'exploitation (IGE) du CFCP donnent des instructions sur l'usage du FR et de la commande des gaz. La Section 16, intitulée Conduite des trains, se lit comme suit :

    • Pour passer de la traction au freinage rhéostatique pendant que le train est en marche, laisser le manipulateur à la position de RALENTI durant 10 secondes.
    • En amenant le levier dans la zone de freinage rhéostatique, le mécanicien s'arrêtera à la position de freinage minimal suffisamment longtemps pour régler le jeu des attelages, puis déplacera le levier lentement dans la zone de freinage pour obtenir l'effort retardateur voulu.
    • Après l'interruption du freinage rhéostatique en vue de la remise en traction, avancer le manipulateur avec soin pour que les réactions d'attelage se répartissent graduellement dans tout le train.
    • Sur une voie faisant l'objet d'une limitation temporaire de vitesse, lorsque le facteur DB de la locomotive de tête est de 14 ou plus, la poignée du frein rhéostatique NE DOIT PAS être placée sur une position supérieure à 5. Cette consigne s'applique aussi un demi-mille avant le début d'une voie faisant l'objet d'une limitation temporaire de vitesse, ou pendant un déplacement sur une telle voie. Nota : On peut combiner l'utilisation des freins à air et du frein rhéostatique pour se conformer à la limitation de vitesse.

    Rapports nos LP 057/2005 et LP 062/2005 du laboratoire technique du BSTNote de bas de page 6

    Le laboratoire technique du BST a analysé les forces qui ont été générées durant le freinage qui a précédé le déraillement (rapport no LP 057/2005, voir l'annexe A). Voici un extrait de ce rapport :

    • La combinaison des forces considérables de compression des attelages dues à une conduite inopportune du train et à une application abrupte du FR, et de l'angle prononcé des barres d'attelage dû à la présence d'attelages sans dispositif de centrage, a produit une force latérale transformée excessive qui a causé le renversement du rail et a provoqué le déraillement.
    • Des pratiques inopportunes de conduite du train et des applications abruptes du FR ont occasionné des forces considérables de compression des attelages, de l'ordre de 200 à 300 kips (1 000 livres) qui ont affecté les locomotives de triage isolées (nos CP 1632 et CP 1514) placées derrière les locomotives actives.
    • En raison de la présence d'attelages sans dispositif de centrage entre les locomotives nos CP 1632 et CP 1514, l'angle des barres d'attelage a pu atteindre des valeurs considérables et occasionner la mise en portefeuille des locomotives isolées.
    • Les attelages souples des 18 wagons placés immédiatement derrière les locomotives de tête et les attelages sans dispositif de centrage des deux locomotives isolées ont contribué à la force de l'impact et l'ont en fait accentuée.
    • Vu l'état de la voie (1 crampon de maintien de l'écartement par selle de rail et une installation remontant à 20 ans), les rails de 115 livres à profil RE pouvaient résister à un effort de renversement correspondant à un ratio L/VNote de bas de page 7 de 1,12, ce qui correspond à un niveau de résistance typique des rails dans des conditions similaires.
    • Les forces estimatives de compression des attelages, de l'ordre de 250 kips lors du déraillement, ont dû produire au niveau du bogie un ratio L/V de 0,54 pour un angle de 8,5 degrés des barres d'attelage, de 1,12 pour un angle de 17 degrés, de 1,25 pour un angle de 19 degrés et de 2,16 pour un angle de 34 degrés. [Traduction]

    Cette analyse dynamique a aussi permis de déterminer que les forces générées ont été suffisamment grandes pour empêcher que les butées fonctionnelles de traverse danseuse des deux locomotives GP 9 préviennent le déraillement.

    Le laboratoire technique du BST a aussi examiné la surface de rupture du support de la butée de traverse danseuse ainsi que la garniture de la cuvette de traverse pivot et le lubrifiant du bogie no 1 (avant) (rapport no LP 062/2005, voir l'annexe B). L'examen a révélé que :

    • la butée de traverse danseuse s'était brisée avant l'accident, et que
    • le lubrifiant avait migré vers le centre de la cuvette de la traverse danseuse et que la garniture était mal lubrifiée. Il en a résulté une usure excessive qui a fait en sorte que le glissoir de traverse danseuse n'avait aucun dégagement. [Traduction]

    Rapport d'accident rédigé par le Chemin de fer Canadien Pacifique

    Après avoir appliqué son système de simulation appelé Train Operations and Energy Simulator (TOES), le CFCP a conclu que la cause première du déraillement a été une méthode inadéquate de conduite du train, laquelle a occasionné un effet de compression des attelages de l'ordre de 255 kips subi par la locomotive no CP 1632 au point de déraillement.

    La formation du train a été un facteur contributif important : les locomotives et les wagons étaient placés de façon à accentuer l'effet de compression des attelages parce que 18 wagons munis d'attelages souples se trouvaient immédiatement derrière le groupe de traction. Le fait d'avoir placé deux locomotives dont les attelages étaient dépourvus de dispositif de centrage, dont l'une avait une butée de traverse danseuse brisée, entre les deux locomotives de tête de modèle AC4400 et le reste du train a accru l'effet de compression des attelages.

    Formation du train

    Les IGENote de bas de page 8 du CFCP précisent les exigences en matière de formation des trains qui permettent de réduire les risques d'interactions dynamiques indésirables pour les trains mixtes. La formation du train 277 était conforme aux IGE.

    Équipe

    L'horaire de travail/repos du mécanicien et du chef de train était conforme aux exigences des Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire, approuvées par Transports Canada (TC).

    Le 26 mai 2005, le mécanicien avait fait un somme au cours de l'après-midi afin d'être reposé avant d'entreprendre son tour de service. Il a reçu un appel à 16 h 30 lui demandant de prendre son service à 18 h 30. Avant le 26 mai, toutefois, le mécanicien avait été affecté à une combinaison de quarts de jour, de soirée et de nuit dont on trouve le résumé au tableau 1.

    Tableau 1. Périodes de travail/repos du mécanicien au cours des 96 heures qui ont précédé l'accident
    Jour Heure de l'appel Fin de tour de service Type de quart de travail
    22 mai 19 h 30 03 h 40 Quart de nuit
    23 mai 09 h 50 18 h 15 Quart de jour
    24 mai 23 h 40 le 25 mai à 07 h 45 Journée de congé suivie d'un quart de nuit
    25 mai 12 h 01 14 h 46 Quart de jour
    26 mai 18 h 30 Accident survenu le 27 mai à 1 h 25 Journée de congé suivie d'un quart de nuit

    Dix mois avant l'accident, le mécanicien a obtenu la qualification permettant de conduire des trains dans les subdivisions Laggan et Red Deer. Avant l'accident, il avait travaillé une seule fois à titre de mécanicien attitré dans la subdivision Red Deer. Toutefois, il avait acquis de l'expérience aux commandes de locomotives pendant qu'il travaillait comme chef de train et agent de train.

    Le 26 mai, le chef de train a conduit une manoeuvre et a terminé son service à 04 h 05. Il s'est reposé avant de reprendre le travail à 18 h 30. Avant ce quart de travail, toutefois, le chef de train avait travaillé surtout de nuit. Le tableau 2 présente un résumé des 72 heures de travail qui ont précédé l'accident.

    Tableau 2. Périodes de travail/repos du chef de train au cours des 72 heures qui ont précédé l'accident
    Jour Heure de l'appel Fin de tour de service Type de quart de travail
    23 mai 03 h 30 11 h 05 Quart de nuit
    23 mai 16 h 16 18 h 01 Quart de jour
    24 mai 20 h 00 le 25 mai à 04 h Quart de nuit
    25 mai 20 h 00 le 26 mai à 04 h Quart de nuit
    26 mai 18 h 30 Accident survenu le 27 mai à 1 h 25 Quart de nuit

    Depuis qu'il a obtenu la qualification en mai 2003, le chef de train a occupé divers postes (agent de triage, agent de train, contremaître de triage et chef de train) par intermittence, et il a passé 29 p. 100 de son temps dans la subdivision Red Deer. Il n'était pas qualifié comme mécanicien.

    Réglementation sur les heures de travail

    Les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaireNote de bas de page 9, élaborées par l'Association des chemins de fer du Canada et approuvées par le ministre des Transports, sont entrées en vigueur le 1er avril 2003 et ont été révisées le 29 juin 2005. Les règles ont été rédigées conformément aux dispositions de la Loi sur la sécurité ferroviaireNote de bas de page 10et sont accompagnées d'une circulaire de l'Association des chemins de fer du CanadaNote de bas de page 11 portant sur les « Pratiques et procédures recommandées pour l'application des règles relatives au temps de travail et de repos ». Le système dont le CFCP se sert pour établir les horaires de travail des équipes est fondé sur les dispositions contenues dans ces règles et dans les conventions collectives. Un spécialiste de la performance humaine du BST qui a examiné les dispositions des règles, la circulaire et certains aspects de la culture de l'industrie ferroviaire a relevé plusieurs éléments qui ont pour effet d'accroître le risque d'erreurs et d'accidents liés à la fatigue.

    • Les horaires de travail étant imprévisibles, le personnel a davantage de difficulté à obtenir des périodes de repos adéquates qui lui permettent de s'ajuster aux différents types de quart de travail.
    • Les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire ne font aucune distinction entre les quarts de nuit et les quarts de jour.
    • Il n'y a pas de règles qui donnent des précisions sur les cours de formation qui aideraient les opérateurs à savoir s'ils répondent aux critères de repos et de condition physique au moment de prendre leur service.
    • Le système d'établissement des horaires de travail et la culture organisationnelle prédisposent les membres des équipes à déclarer qu'ils répondent aux critères de repos et de condition physique au moment de prendre leur service.

    Supervision

    La politique de recertification du CFCP voulait qu'un gestionnaire du service de ligne procède tous les trois ans à l'évaluation du rendement de tous les mécaniciens et chefs de train. De plus, le mécanicien et le chef de train doivent renouveler leur certification dans un certain nombre de domaines (c'est-à-dire le REF, le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses), en vertu du Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires de TC. Ni le mécanicien ni le chef de train ne devaient faire l'objet d'une réévaluation de leur rendement faite par le gestionnaire du service de ligne, étant donné que le délai de trois ans préalable à la réévaluation n'était pas écoulé.

    Analyse

    Des forces considérables de compression des attelages qui ont résulté de l'application rapide du frein rhéostatique se sont concentrées derrière les locomotives et ont causé une brève accélération de la locomotive. Ces forces se sont transformées en forces latérales au point d'interface roues/rail, et elles ont causé le renversement du rail et provoqué le déraillement. L'amplitude des forces de compression des attelages a été augmentée par le rattrapage du jeu des attelages des 18 wagons équipés d'attelages souples qui se trouvaient immédiatement derrière le groupe de traction. En outre, la force latérale transformée s'est accrue du fait des angles prononcés des barres des attelages dépourvus de dispositif de centrage qui équipaient les deux locomotives remorquées.

    L'analyse s'intéressera surtout à la conduite du train, à l'expérience des membres de l'équipe, à la supervision, à la fatigue, aux Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire, aux locomotives et aux pratiques de formation des trains et au chevauchement des ordres de marche au ralenti. Bien que le mauvais état du matériel roulant n'ait pas contribué à cet accident, l'analyse traitera de manquements aux règles en matière d'inspection et d'entretien des locomotives. Les traverses étaient dans un état allant de passable à mauvais, mais aucune ne présentait de défaut, de sorte qu'elles ne sont pas considérées comme étant un facteur contributif.

    Même si l'équipe avait reçu à deux reprises des renseignements incorrects sur la position du passage à niveau, il est peu vraisemblable que la confusion due à ces renseignements erronés ait eu un rôle à jouer dans ce déraillement. Les deux membres de l'équipe connaissaient bien la subdivision et auraient déterminé que le passage à niveau du point milliaire 69,08 était le seul endroit auquel la restriction indiquée dans le BM pouvait s'appliquer puisqu'il n'y avait pas de passage à niveau au point milliaire 69,8. En outre, la manipulation critique des commandes qui a donné lieu au déraillement a été faite après qu'on eut fait ralentir le train pour prendre des mesures manuelles de protection au passage à niveau du point milliaire 69,08.

    À quelques reprises, le mécanicien a commandé des mouvements de traction et des efforts de freinage rhéostatique qui ne concordaient pas avec les pratiques d'exploitation sûre. En partant du passage à niveau, on a placé immédiatement la commande des gaz à la position maximale et on a laissé le train accélérer jusqu'à 13,7 mi/h, soit une vitesse qui excédait la vitesse indiquée par l'ouvrier d'entretien des signaux (10 mi/h). On a ensuite coupé les gaz et appliqué avec force le FR, ce qui a entraîné une accumulation rapide de forces de compression des attelages et, à terme, le déraillement. L'équipe ayant réagi rapidement après avoir constaté qu'elle avait excédé de beaucoup la vitesse indiquée dans les instructions de l'ouvrier d'entretien des signaux (par exemple, maximum 10 mi/h), il y a tout lieu de croire qu'elle avait oublié momentanément qu'il y avait une limitation de vitesse.

    De plus, tandis que le train continuait de descendre la pente de 1 p. 100, le mécanicien a continué d'appliquer la puissance de traction, entraînant le train déraillé sur une distance d'environ 1 960 pieds, après quoi la rupture de la conduite générale a causé le serrage d'urgence des freins. Il est vraisemblable que le mécanicien ne s'est pas aperçu que le train avait déraillé, compte tenu de la compression des attelages qui avait résulté de l'application vigoureuse du FR. Cependant, on se demande pourquoi il n'a pas soupçonné qu'il y avait un problème étant donné que le train décélérait en descendant une pente alors que les locomotives étaient en traction et que les freins étaient complètement desserrés, et ce, pendant environ 1 minute et 30 secondes. Le chevauchement des ordres de marche au ralenti et la limite de vitesse de 10 mi/h imposée par le contremaître ont peut-être causé une certaine confusion chez les membres de l'équipe. Toutefois, cela n'explique pas le passage rapide d'un effort de traction considérable à une application vigoureuse du FR, qui a entraîné le déraillement.

    Depuis l'obtention de sa qualification, le mécanicien avait repris le travail à titre de chef de train, et conduisait des trains sous la supervision de mécaniciens qualifiés, lorsque cela était possible. Bien qu'il n'eût pas acquis beaucoup d'expérience à titre de mécanicien après avoir obtenu la qualification, son programme de formation et son travail consécutif dans la subdivision Red Deer lui ont permis de bien connaître le territoire.

    Les dossiers de la compagnie indiquent que le temps de service accumulé des deux membres de l'équipe n'exigeait pas qu'un superviseur fasse l'évaluation de leur rendement dans leurs postes respectifs. Bien qu'il n'y ait pas de relation directe entre la supervision et le rendement, il est vraisemblable qu'une supervision plus suivie aurait fait en sorte que les pratiques de conduite des trains se conforment davantage aux exigences de la compagnie.

    Le cycle de travail/repos des membres de l'équipe était conforme aux exigences de la compagnie et de la réglementation gouvernementale. Les membres de l'équipe ayant suivi une formation relative à l'amélioration de leurs habitudes de sommeil, ils s'étaient tous deux préparés au parcours en se reposant; le mécanicien avait fait un somme pendant l'après-midi et le chef de train s'était reposé au cours de la journée.

    Les exigences de l'exploitation obligeaient fréquemment les équipes à passer en alternance de quarts de jour à des quarts de nuit (tableaux 1 et 2). Au cours des journées qui ont précédé le déraillement, l'équipe avait eu des horaires de travail changeants. Or, le fait de passer de façon répétée de quarts de nuit à des quarts de jour et vice-versa ne favorisait pas un sommeil réparateur, si bien que le rythme circadien des membres de l'équipe était perturbé par chaque changement de quart, ce qui pouvait occasionner de la fatigueNote de bas de page 12. Dans le cas qui nous intéresse, la fatigue éventuelle due aux horaires de travail difficiles s'est combinée à une période prolongée de veilleNote de bas de page 13 qui a précédé immédiatement le trajet à bord du train 277. Il se peut que la fatigue ait eu un rôle à jouer dans les erreurs de conduite du train, à savoir le fait qu'on soit passé rapidement de la position de traction à l'application du FR.

    L'examen que le BST a fait relativement aux dispositions de la réglementation et du cadre de l'industrie concernant la gestion des risques associés à la fatigue a permis de relever un certain nombre de manquements. Ce cadre de travail n'assurait pas une protection adéquate contre les effets cumulatifs de la fatigue susceptible de résulter du cycle de travail/repos de l'équipe, et ce, même si les membres de l'équipe se conformaient aux paramètres du cadre de travail.

    Le fait que l'on ait placé les locomotives isolées de modèle GP 9 immédiatement derrière les deux locomotives de grande puissance était conforme aux pratiques recommandées par la compagnie de chemin de fer et par le constructeur des locomotives parce qu'on avait modifié les locomotives en y ajoutant des butées de traverse danseuse. Cependant, le processus d'inspection ne permet pas de vérifier si les butées de traverse danseuse restent à leur place, étant donné qu'il est difficile de voir les butées pendant les inspections périodiques et les inspections avant départ.

    Les butées de traverse danseuse servent à limiter le balancement latéral de la caisse des wagons et, de ce fait, à limiter les efforts latéraux qui s'exercent contre le rail. Toutefois, compte tenu des circonstances, à savoir des forces considérables de compression des attelages consécutives à l'application brusque du FR, le déraillement se serait produit même si les butées de traverse danseuse avaient été en place. Compte tenu des valeurs calculées de résistance au renversement du rail et des angles des barres des attelages sans dispositif de centrage qui se trouvaient entre les deux locomotives GP 9, les forces latérales ont dû être au moins égales aux valeurs calculées de résistance du rail contre le renversement.

    La présence de matériel roulant muni d'attelages souples derrière des locomotives dont les attelages étaient dépourvus de dispositif de centrage a contribué à cet accident, mais uniquement en raison des forces considérables de compression des attelages qui ont résulté directement de manipulations de la commande des gaz et du FR qui dérogeaient aux pratiques sûres d'exploitation. La méthode de formation du train n'est pas en cause. Bien qu'il ne s'agisse pas là d'une situation idéale, il reste qu'il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce que l'industrie avalise des restrictions relatives à la formation des trains en se basant sur l'éventualité de décisions déficientes relatives au contrôle.

    Plusieurs défectuosités mécaniques auraient pu affecter le fonctionnement sûr de la locomotive no CP 1514.

    • une lubrification inadéquate de la cuvette de traverse danseuse avait causé l'usure des garnitures, ce qui fait que le dégagement des glissoirs était inexistant;
    • la butée de traverse danseuse était absente du côté gauche du bogie no 2.

    Quand une locomotive ayant des défauts de ce genre subit des forces considérables de traction et de compression des attelages, des conséquences négatives sont à prévoir. Toutefois, les forces qui ont été générées lors de cet événement étaient tellement grandes que le train aurait déraillé quel que soit l'état mécanique de la locomotive no CP 1514.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. La combinaison des forces considérables de compression des attelages dues à une application abrupte du FR et de l'angle prononcé des barres d'attelage dû à la présence d'attelages sans dispositif de centrage a produit une force latérale transformée excessive qui a causé le renversement du rail et provoqué le déraillement.
    2. L'amplitude des efforts de compression des attelages qui ont résulté de l'application abrupte du frein rhéostatique a été exacerbée par le fait que 18 wagons munis d'attelages souples avaient été placés immédiatement derrière le groupe de traction.
    3. Il est possible que la fatigue ait eu un rôle à jouer dans les erreurs de conduite du train, à savoir le fait qu'on soit passé rapidement de la position de traction à l'application du FR.

    Faits établis quant aux risques

    1. La réglementation et le cadre de l'industrie concernant la gestion des risques liés à la fatigue n'assurent pas une protection adéquate contre les effets de la fatigue découlant du cycle de travail/repos des équipes.
    2. Une supervision plus suivie aurait peut-être fait en sorte que les pratiques de conduite des trains se conforment davantage aux exigences de la compagnie.
    3. Bien qu'on ait déterminé que les défectuosités relevées sur la locomotive no CP 1514 n'ont pas été un facteur déterminant de cet accident, le fait que des locomotives ayant des défectuosités soient soumises à des efforts considérables de traction et de compression des attelages fait en sorte que des conséquences fâcheuses sont davantage susceptibles de se produire.

    Autre fait établi

    1. L'augmentation rapide du freinage rhéostatique qui a provoqué le déraillement s'est produite après que l'équipe eut fait ralentir le train afin d'assurer une protection manuelle sur le passage à niveau du point milliaire 69,08; il faut donc en conclure que la confusion au sujet de la position véritable du passage à niveau n'a pas été un facteur déterminant.

    Mesures de sécurité prises

    Formation supplémentaire assurée par le Chemin de fer Canadien Pacifique

    Après le déraillement, des gestionnaires locaux ont préparé une séance de formation de quatre heures intitulée « Professionals in Motion » (professionnels en mouvement (traduction)) qui a été présentée aux mécaniciens de tous les terminus (la séance était facultative pour les chefs et les agents de train). La séance de formation s'intéressait surtout aux causes et aux facteurs contributifs du déraillement. En 2006 et en 2007, on a présenté des séances se suivi qui portaient précisément sur les fonctions des mécaniciens.

    De plus, le Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) a entrepris l'élaboration d'un cours de récapitulation portant sur les freins à air qui sera présenté à tous les employés du personnel itinérant.

    Lettres d'information sur la sécurité ferroviaire envoyées par le BST

    Chevauchement des ordres de marche au ralenti

    Le 14 mars 2006, le BST a adressé à Transports Canada (TC) la lettre d'information sur la sécurité ferroviaire no 01/06 portant sur les dangers associés au chevauchement d'ordres de marche au ralenti. Dans cette lettre, le BST signalait que, même si la vitesse en voie était de 45 mi/h dans le secteur où le déraillement est survenu, des ordres concurrents de marche au ralenti limitaient la vitesse des trains à 40 mi/h entre le point milliaire 66,1 et le point milliaire 71,2, à 25 mi/h entre le point milliaire 68 et le point milliaire 69, et à 25 mi/h entre le point milliaire 70,5 et le point milliaire 71,3. Bien que l'ordonnance no R-18953 de la Commission canadienne des transports, datée du 3 juillet 1974, exige que les raisons pour lesquelles on impose un ordre de marche au ralenti soient exposées dans le corps du texte de l'ordonnance, le BST s'est dit préoccupé par le fait que l'ordonnance ne traite pas de la confusion associée au chevauchement d'ordres de marche au ralenti dont il avait été question dans un rapport antérieur du BST (rapport no R03Q0036).

    Dans sa réponse, TC a fait savoir qu'il était inévitable que des ordres de marche au ralenti se chevauchent et que cela ne représentait pas véritablement un problème de sécurité. TC a répliqué que l'équipe, en se conformant aux ordres concurrents de marche au ralenti, aurait vraisemblablement roulé à 25 mi/h du point milliaire 69 au point milliaire 70,5 ou du point milliaire 68 au point milliaire 71,3. TC ne trouvait pas que le chevauchement d'ordres de marche au ralenti représentait un problème.

    Butées de traverse danseuse des bogies des locomotives

    Le 30 mars 2006, le BST a fait parvenir à TC la lettre d'information sur la sécurité ferroviaire no 04/06, dans laquelle il faisait part de ses préoccupations quant au fait que le processus d'inspection des locomotives n'avait pas permis de déceler les butées défectueuses de traverse danseuse.

    Dans la lettre, le BST expliquait que le constructeur des locomotives avait précisé que les locomotives dont les attelages sont dépourvus de dispositif de centrage (comme les deux locomotives de manoeuvre GP 9 - nos CP 1514 et CP 1632) doivent être munies de butées de traverse danseuse de façon qu'elles puissent être placées comme locomotives isolées derrière des locomotives capables de produire un effort considérable de freinage rhéostatique (n'excédant pas 200 000 livres). On a modifié ces deux locomotives en les équipant de butées de traverse danseuse. Toutefois, un examen fait après l'accident a révélé qu'une butée de traverse danseuse était manquante ou s'était brisée du côté gauche du bogie no 2 de la locomotive no CP 1514, et que cette défaillance était antérieure au déraillement.

    Le rapport annuel d'inspection pour 2004 de la locomotive no CP 1514 indiquait que la butée de traverse danseuse était en place à cette époque. Au cours des neuf mois qui se sont écoulés entre la date de l'inspection annuelle et celle du déraillement, il n'y a pas eu d'autre inspection périodique au cours de laquelle on aurait dû vérifier l'état de la butée de traverse danseuse. L'absence ou la rupture d'une butée de traverse danseuse accroît le risque de déraillement consécutif à une mise en portefeuille.

    TC a répondu qu'il insisterait davantage sur l'inspection des butées de traverse danseuse pendant ses activités de surveillance et de vérification de la sécurité.

    Dégagement des glissoirs des locomotives

    Le BST a adressé à TC la lettre d'information sur la sécurité ferroviaire no 03/06, portant sur les glissoirs dont le dégagement est inexistant. Le Bureau disait être préoccupé par le fait qu'on n'ait pas prévu d'espace dans le formulaire d'inspection annuelle pour consigner l'information relative au dégagement des glissoirs. De plus, le formulaire portant sur l'inspection annuelle de 2004 de la locomotive no CP 1514 indiquait qu'on avait utilisé de l'huile pour lubrifier la cuvette de traverse pivot, même si les tuyaux de graissage de la cuvette avaient été retirés.

    En réponse, TC a fait savoir que le formulaire d'inspection du CFCP obligeait les responsables de la mécanique à vérifier le dégagement des glissoirs des locomotives, mais qu'il n'exigeait pas que les mesurages soient consignés. TC a fait savoir que le mesurage de ces paramètres n'aurait aucune valeur du point de vue de la sécurité. TC a ajouté que le dégagement des glissoirs des locomotives est vérifié pendant les inspections régulières faites à chaque parcours, et pendant les inspections périodiques. Bien qu'il estime que le taux de défauts dus au dégagement des glissoirs est peu élevé, TC insistera davantage sur la vérification du dégagement des glissoirs dans le cadre de ses activités courantes de surveillance.

    Placement des locomotives équipées d'attelages sans dispositif de centrage

    Le CFCP a révisé les articles 5.0, 7.4 et 7.5 de la section 15 des Instructions générales d'exploitation (IGE) pour préciser qu'on peut intégrer une seule locomotive GP 9 à un train si elle est placée entre deux locomotives dont les attelages sont pourvus de dispositif de centrage. Une locomotive GP 9 peut être intégrée à un train si deux wagons (minimum de 45 tonnes et de 65 pieds de longueur) sont placés à l'avant et à l'arrière de la locomotive. Enfin, une locomotive GP 9 peut être intégrée à un train si deux wagons (minimum de 45 tonnes et de 65 pieds de longueur) précèdent la locomotive et si aucun wagon chargé n'est placé derrière elle.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

    Annexes

    Annexe A - Forces latérales transformées et résistance contre le renversement du rail

    Tableau 3. Calcul des forces latérales transformées
    Forces générée F
    (kips)
    8 degrés 17 degrés 19 degrés 34 degrés
    L
    (kips)
    L/V L
    (kips)
    L/V L
    (kips)
    L/V L
    (kips)
    L/V
    0 0 0 0 0 0 0 0 0
    50 6,96 0,11 14,62 0,22 16,28 0,25 27,96 0,43
    100 13,92 0,21 29,24 0,45 32,56 0,50 55,92 0,86
    150 20,88 0,32 43,86 0,67 48,84 0,75 83,88 1,29
    200 27,83 0,43 58,47 0,90 65,11 1,0 111,84 1,72
    250 34,79 0,54 73,09 1,12 81,39 1,25 139,80 2,15
    300 41,75 0,64 87,71 1,35 97,67 1,50 167,76 2,58

    Charge verticale nette exercée sur le longeron de bogie : 65 kips
    Exigences de l'Association of American Railroads, chapitre XI, portant sur le ratio L/V exercé sur les longerons de bogies : 0,6
    Estimation de la résistance contre le renversement de rail sur les lieux du déraillement (L/V) : 1,12
    Estimation de la résistance contre le renversement de rails neufs retenus par tous les crampons nécessaires (L/V) : 2,23

    Tableau 4. Calcul de la résistance contre le renversement de rail
      Rail usé de 115 lb de profil RE avec 1 crampon de maintien de l'écartement Âge = 20 ans Rail usé de 115 lb de profil RE avec 2 crampons de maintien de l'écartement Âge = 20 ans Rail neuf de 115 lb de profil RE avec 1 crampon de maintien de l'écartement Rail neuf de 115 lb de profil RE avec 2 crampons de maintien de l'écartement Rail neuf de 115 lb de profil RE sans dispositifs de fixation
    Force latérale de renversement (kips) 72,887 104,681 92,594 144,869 40,318
    Ratio L/V de renversement 1,12 1,61 1,42 2,23 0,62
    Comparaison pourcentage 100 144 127 199 55

    Largeur du champignon du rail : 2,71875 pouces
    Largeur du patin du rail : 5,5 pouces
    Hauteur d'un rail neuf : 6,625 pouces
    Hauteur d'un rail usé : 6,5 pouces

    Annexe B - Renseignements sur les locomotives

    Cuvette de traverse pivot des locomotives

    Après le déraillement, le laboratoire technique du BST a examiné les garnitures des cuvettes de traverse pivot et le lubrifiant des deux bogies (rapport no LP 062/2005). L'examen a révélé que le lubrifiant du bogie no 1 (bogie avant) avait migré vers le centre de la cuvette de traverse pivot et que le reste de la garniture manquait de lubrification, ce qui avait causé une usure excessive. Cette usure excessive a fait en sorte que le dégagement des glissoirs était inexistant. On a aussi constaté que le lubrifiant était constitué de graisse, alors que les instructions d'entretien du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) exigeaient qu'on utilise de l'huile de graissage. Dans le bogie no 2 (bogie arrière), le lubrifiant était constitué d'huile, et les garnitures étaient en bon état.

    Chaque année, on devait lubrifier la cuvette de traverse pivot en versant une pinte d'huile de graissage dans les passages d'huile. Les examens ont révélé que la locomotive no CP 1514 n'avait plus de passages d'huile. Le formulaire d'inspection annuelle (2004) indiquait que la cuvette de traverse pivot avait été lubrifiée, et ce même si l'on n'avait aucun moyen de procéder au graissage. En plus de l'inspection annuelle, le CFCP exigeait que la cuvette de traverse pivot soit inspectée et lubrifiée à l'occasion de chaque réparation majeure, ou une fois tous les six ans. Or, la locomotive no CP 1514 n'avait pas été inspectée depuis huit ans.

    Glissoirs des locomotives

    Chaque bogie d'une locomotive comporte un glissoir monté de part et d'autre de la traverse danseuse, qui se trouve vis-à-vis d'un glissoir de caisse monté sur le cadre auxiliaire de la locomotive (voir la figure 5). General Motors (GM) exigeait un dégagement minimum de 5/32 de pouce pour les glissoirs; toutefois, le CFCP permettait, avant que le dégagement diminue jusqu'à 1/32 de pouce, qu'on vérifie l'usure des garnitures des cuvettes de traverse pivot des bogies et qu'on les remplace au besoin. Aucun mesurage du dégagement des glissoirs n'a été consigné dans les rapports d'inspection pour indiquer si le dégagement des glissoirs de la locomotive respectait les spécifications du constructeur et s'il était conforme à la réglementation de Transports Canada (TC).

    Le Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer, approuvé par TC, précise notamment ce qui suit : « Les dégagements aux glissoirs de traverse danseuse [bolster side bearing clearances] et aux plaques de garde [pedestal clearances] doivent être maintenus dans les limites indiquées dans les spécifications du constructeur. »

    Les locomotives GP 9 construites par GM ont des bogies munis de bielles de suspension. La traverse danseuse oscille latéralement, atténuant le plus possible les impacts entre la traverse danseuse et la caisse du wagon, de façon à amortir les forces latérales qui sont transmises à la structure de la voie. Au fond de la cuvette de traverse pivot, les garnitures facilitent les mouvements de la traverse danseuse et de la caisse du wagon en maintenant le dégagement des glissoirs. Une mauvaise lubrification des cuvettes de traverse pivot des bogies peut entraîner une usure des garnitures, ce qui peut faire en sorte que le dégagement des glissoirs soit inexistant. Les bogies ont alors de la difficulté à pivoter et peuvent contribuer à accroître les forces latérales qui s'exercent contre le rail à l'interface roues/rail.

    Figure 5. Diagramme montrant le dégagement des glissoirs
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    Diagramme montrant le dégagement des glissoirs

    Butée de traverse danseuse de la locomotive no CP 1514

    La butée de traverse danseuse gauche (côté est) du bogie no 2 (bogie arrière) de la locomotive no CP 1514 a été brisée. Le laboratoire technique du BST a obtenu pour analyse (rapport no LP 062/2005) la portion restante du support de la butée de traverse danseuse. L'examen a révélé que le support était soudé sur le châssis du bogie, alors que les spécifications du constructeur exigeaient qu'il soit plutôt boulonné. L'analyse a permis de déterminer que la butée de traverse danseuse s'était rompue le long de la partie courbée du support. La surface de rupture a révélé des rides qui dénotaient une rupture due à une fatigue mégacyclique. Chaque cycle devait être associé à un impact entre la traverse danseuse du bogie et la partie mobile de la caisse. On n'a observé aucune anomalie de nature métallurgique ou aucun défaut de fabrication qui aurait contribué à la rupture. Il semble que la rupture n'était pas récente.

    Les butées de traverse danseuse servent à réduire le risque de mise en portefeuille des locomotives dont les attelages sont dépourvus de dispositif de centrage. La butée de traverse danseuse limite les mouvements latéraux du châssis de la locomotive, et atténue ainsi les forces latérales qui s'exercent à l'interface roues/rail et qui résultent de la transformation des forces longitudinales générées pendant des applications soutenues du frein rhéostatique ou au moment d'efforts soutenus dus à la compression des attelages.

    Figure 6. Diagramme montrant la butée de traverse danseuse et le frottoir de bogie
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    Diagramme montrant la butée de traverse danseuse et le frottoir de bogie

    Inspection des deux locomotives GP 9

    Le 26 mai 2005, le rapport d'inspection avant départ du groupe de traction a été signé, ce qui indiquait que le groupe de traction satisfaisait aux exigences du Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer approuvé par TC.

    Au cours de son inspection, le mécanicien a vérifié que le groupe de traction avait été placé conformément à l'article 4.4 de la section 15 des Instructions générales d'exploitation (IGE) du CFCP, qui exigeait que les locomotives mortes ou tournant au ralenti soient placées immédiatement derrière les locomotives actives. Il a déterminé, en lisant les marques au pochoir inscrites sur les brancards de caisse, que les deux locomotives isolées étaient équipées de butées de traverse danseuse, parce que ces locomotives n'étaient pas équipées d'attelages pourvus de dispositif de centrage (voir les figures 3 et 4).

    Le constructeur, General Motors, recommandait que les locomotives GP 9 équipées d'attelages à clavettes sans dispositif de centrage soient munies de butées de traverse danseuse qui permettent de placer ces locomotives mortes près de locomotives capable de fournir un effort considérable de freinage rhéostatique (n'excédant toutefois pas 200 000 livres).

    Inspections annuelles et périodiques

    Les dossiers du CFCP indiquaient que les inspections annuelles des locomotives nos CP 1632 et CP 1514 avaient été faites le 16 novembre 2004 et le 8 juillet 2004 respectivement. Les deux locomotives ont fait l'objet d'inspections périodiques le 16 février et le 29 mars 2005 respectivement. Les valeurs de dégagement des glissoirs n'ont pas été consignées.

    Remise à neuf des bogies des locomotives

    La remise à neuf des bogies de chaque locomotive a été faite en mars 1998 dans le cas de la locomotive no CP 1514, et en mars 2002 dans le cas de la locomotive no CP 1632. Les travaux ont été réalisés à l'atelier Ogden de Calgary dans les deux cas. La réglementation du CFCP concernant l'entretien des bogies des locomotives GP 9 exigeait que la remise à neuf des bogies soit faite à l'occasion de réparations majeures ou tous les six ans, le premier des deux prévalant.