Déraillement en voie principale
du train de marchandises no A-435-31-14
exploité par le Chemin de fer Canadien National
au point milliaire 6,0 de la subdivision Oakville
Mimico (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 14 juillet 2006 vers 13 h 48, heure avancée de l'Est, sept wagons du train de marchandises no A-435-31-14 ouest du Canadien National, en provenance de Toronto (Ontario), ont déraillé au point milliaire 6,0 de la subdivision Oakville, près de Mimico (Ontario). Le déraillement s'est produit pendant que le train passait sur un aiguillage. Le matériel roulant déraillé a obstrué les trois tronçons de la voie principale. Aucune marchandise dangereuse n'a été impliquée dans l'accident, et personne n'a été blessé.
Renseignements de base
Le 14 juillet 2006 vers 13 h 30, heure avancée de l'EstNote de bas de page 1 le train de marchandises no A-435-31-14 exploité par le Canadien National (CN) part du triage MacMillan du CN, situé à Toronto (Ontario), et roule en direction ouest à destination de Windsor (Ontario). Les membres de l'équipe, en l'occurrence un mécanicien et un chef de train, connaissent bien le territoire, sont qualifiés pour occuper leurs postes respectifs et se conforment aux normes en matière de repos et de condition physique.
Vers 13 h 48, à la hauteur du point milliaire 6,0 de la subdivision Oakville du CN, près de Mimico (Ontario), le train passe sur un branchement qui a été installé récemment. Comme le train roule sur l'aiguillage à une vitesse de 27 mi/h, un freinage d'urgence provenant de la conduite générale se déclenche. L'équipe n'a relevé aucune anomalie au moment où la locomotive passait au-dessus de l'aiguillage. Après avoir immobilisé le train et pris les mesures d'urgence requises, l'équipe inspecte le train et constate que 7 wagons non réglementés (les wagons 72 à 78) des 129 wagons du train viennent de dérailler. Les wagons déraillés obstruent toutes les voies principales adjacentes à l'embarcadère du réseau GO, à la gare de Mimico (voir la photo 1).
Le train venait de dérailler sur un gauchissement de la voie, dans un secteur où la voie avait récemment fait l'objet de travaux d'amélioration (installation d'un nouveau branchement et nivellement de la voie).
Au moment de l'accident, le ciel était dégagé et la température était de 29 °C.
Renseignements sur le train
Le train, comptant 68 wagons chargés et 61 wagons vides et un groupe de traction constitué de trois locomotives, mesurait 8 351 pieds et pesait approximativement 10 636 tonnes.
Méthode de contrôle de la circulation ferroviaire
Dans la subdivision Oakville, la circulation des trains est régie grâce au système de commande centralisée de la circulation (CCC), en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), et elle est supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) posté à Toronto.
Données du consignateur d'événements de locomotive
À 1345:13, le train circulait à environ 38 mi/h avec les freins complètement desserrés. Au cours des 2 minutes et 10 secondes qui ont suivi, la commande des gaz a été déplacée de la position no 8 à la position de ralenti. Vers 1348:08, tandis que le train circulait à 27 mi/h avec les freins complètement desserrés, un freinage d'urgence provenant de la conduite générale s'est déclenché. La tête du train s'est immobilisée à 1348:33.
Particularités de la voie
Dans la subdivision Oakville, la voie ferrée est une voie de catégorie 4. La vitesse maximale autorisée dans la subdivision Oakville est de 80 mi/h pour les trains de voyageurs et de 60 mi/h pour les trains de marchandises. Dans le secteur où le déraillement s'est produit, les tronçons de la voie principale étaient faits de longs rails soudés (LRS) de 136 livres. Les rails étaient posés sur des traverses de bois et reposaient sur des selles de rail à double épaulement, et ils étaient encadrés par des anticheminants à toutes les deux traverses. Le ballast était constitué d'un mélange de scories et de pierre concassée.
Inspection des lieux après le déraillement
Des travaux de nivellement de la voie avaient été réalisés récemment dans le secteur où le déraillement s'est produit. La voie était couverte de ballast fait de pierre concassée, qui empêchait partiellement de voir les traverses, les selles de rail et les anticheminantsNote de bas de page 2.
Le branchement du point milliaire 6,0 avait été installé récemment. Toutefois, l'aiguillage avait été calé et cramponné pour ne laisser passer que le trafic direct. Dans l'entourage de l'aiguillage, les rails étaient encadrés par des anticheminants à chaque traverse (c'est-à-dire qu'il y avait quatre anticheminants par traverse, deux anticheminants de chaque côté) sur une distance de 50 pieds dans chaque direction à partir de l'aiguillage. Au-delà de cette distance de 50 pieds, les rails étaient encadrés par des anticheminants à toutes les deux traverses.
À l'est de l'aiguillage, la structure de la voie s'était déplacée latéralement (sur une distance d'environ 12 pouces), formant un « S » (voir la photo 2). Au gauchissement de la voie et aux dommages que le branchement a subis se sont ajoutés des dégâts attribuables au déraillement proprement dit, qui ont affecté les trois tronçons de la voie principale sur une distance approximative de 650 pieds.
Exigences du Canadien National en matière d'encadrement des rails par des anticheminants
Les longs rails soudés s'allongent sous l'effet de la chaleur et se contractent lorsque la température est plus basse, générant ainsi respectivement des forces de compression longitudinales et des forces de traction longitudinales. Comme ces forces peuvent être considérables, on doit limiter leur action afin de prévenir le gauchissement de la voie pendant l'été, et les ruptures d'éclissage en hiver. Les anticheminants et les traverses encastrées contribuent à réduire au minimum les effets de ces forces longitudinales internes qui s'exercent sur les rails. Aux endroits où le rail est appuyé contre une structure rigide (par exemple un passage à niveau ou un branchement), on installe un nombre suffisant d'anticheminants pour s'assurer que les forces longitudinales qui s'exercent sur le rail sont bien réparties et qu'elles ne sont pas concentrées contre ces structures rigides.
La Circulaire sur les méthodes normalisées (CMN) no 3500 du CN précise les exigences relatives à la pose d'anticheminants destinés à limiter le déplacement longitudinal des rails aux branchements. Les instructions comprennent notamment ce qui suit :
- Sur la voie principale ou dans les territoires faits de LRS :
- ancrage complet des deux voies sur toute la longueur des branchements (sauf aux endroits où les anticheminants gênent le fonctionnement des pointes d'aiguille).
- ancrage complet sur une distance de 200 pi (60 m) dans les deux directions au-delà du branchement.
- Sur les autres voies, pose d'un nombre suffisant d'anticheminants afin d'empêcher des déplacements des rails qui affectent les pointes d'aiguille et les coeurs de croisement.
Règlement d'exploitation ferroviaire
Le Règlement d'exploitation ferroviaire, approuvé en mars 1992 par le ministre des Transports, porte sur les prescriptions minimales de sécurité qui doivent être appliquées sur les lignes de chemin de fer faisant partie d'un réseau de transport ferroviaire. Voici les critères qui sont énoncés dans le Règlement d'exploitation ferroviaire relativement aux façons d'empêcher le déplacement longitudinal des rails dans les branchements et aux traversées :
- Anticheminants - Les rails doivent être munis d'un nombre suffisant d'anticheminants pour empêcher leur déplacement longitudinal (voir le Règlement d'exploitation ferroviaire, Partie II, Section D (VII)).
- Branchements et traversées - Généralités - Dans les branchements et les traversées, les dispositifs de fixation doivent être en parfait état et réglés de façon à maintenir les éléments d'appareils de voie solidement en place. De plus, les aiguilles, les coeurs et les contre-rails doivent toujours être exempts des éléments pouvant faire obstacle au passage des roues (voir le Règlement d'exploitation ferroviaire, Partie II, Section D (XI a)).
- Branchements et traversées - Généralités - Dans les voies de catégories 4 à 6, les branchements et traversées doivent être équipés d'anticheminants sur toute leur longueur et de chaque côté, afin d'empêcher le déplacement des aiguilles et des coeurs (voir le Règlement d'exploitation ferroviaire, Partie II, Section D (XI b)).
Installation du branchement
Au moment du déraillement, on avait entrepris un programme de mise à niveau de l'infrastructure de la voie devant faciliter la circulation des trains du réseau GO. Les travaux en question comprenaient l'installation d'un nouveau branchement dans le secteur où le déraillement a eu lieu. Bien que le branchement ait été demandé et payé par le réseau GO, c'est le CN qui était responsable de la conception, de l'installation et de la mise en service du branchement.
Le branchement du point milliaire 6,0 a été installé entre le 18 et le 21 février 2006. L'installation a été réalisée au cours de quatre nuits consécutives, étant donné qu'on disposait d'un temps limité d'occupation de la voie dans ce couloir ferroviaire très fréquenté et que la mise en place des panneaux de voie préfabriqués posait des difficultés d'ordre logistique. À la fin de la quatrième nuit, on a calé et cramponné l'aiguillage de façon à ce qu'il ne soit pas en service, étant donné qu'on n'avait pas un besoin immédiat de l'aiguillage et que la mise à niveau des signaux n'était pas terminée.
Bien que l'équipe de travaux n'eût pas fini d'encadrer les rails avec des anticheminants (à chaque traverse) sur une distance de 200 pieds en amont et en aval de l'aiguillage, conformément aux exigences de la CMN 3500, elle a supposé qu'une seconde équipe de travaux arriverait sous peu pour nettoyer les alentours du branchement et terminer la pose des anticheminants. La seconde équipe de travaux a visité les lieux plusieurs jours plus après la fin de l'installation du branchement, mais elle n'a pas terminé le travail d'encadrement par des anticheminants.
La documentation que ces équipes de travaux ont reçue en vue de l'installation du branchement était constituée d'un dessin technique approuvé du branchement et des CMN du CN qui traitent de l'installation des branchements. Les communications entre les deux équipes au sujet des travaux qui étaient terminés et de ceux qui restaient à faire se faisaient de vive voix. On n'a exigé aucune documentation écrite pour signifier qu'un travail était terminé ou que la responsabilité d'un travail était confiée à l'autre équipe de travaux.
À la fin de février 2006, le superviseur de la production du CN, qui assumait la responsabilité générale de l'installation du branchement, a procédé à l'inspection des travaux. Au cours de l'inspection, les traverses et les anticheminants étant cachés par un surplus de ballast, le superviseur de la production n'a pas remarqué que l'encadrement par des anticheminants était incomplet. Le superviseur de la production a cru que l'installation était terminée et qu'il ne restait plus qu'à faire quelques soudures, de sorte qu'il n'a pas poussé son inspection plus avant.
Entre le 21 février 2006 (lorsque la première équipe de travaux a terminé l'installation du branchement) et la date du déraillement, la voie a été inspectée à plusieurs reprises dans le secteur du branchement. Ces inspections comprenaient les inspections bihebdomadaires faites par le superviseur adjoint de la voie, des inspections mensuelles faites par le superviseur intérimaire de la voie, et une inspection par l'inspecteur de la sécurité ferroviaire de Transports Canada, faite à partir d'un véhicule rail-route. Ces inspections répétées n'ont toutefois pas permis de constater que l'encadrement par des anticheminants était incomplet.
Nivellement des branchements de la subdivision Oakville
Des travaux de nivellement des branchements ont aussi été réalisés dans la subdivision Oakville peu de temps avant la date du déraillement. Dans le cas du branchement en cause (celui du point milliaire 6,0), les travaux de nivellement ont été faits le 10 juillet. Les travaux ont été faits pendant la nuit, de façon à éviter de gêner indûment le trafic ferroviaire et à faire en sorte que les travaux d'entretien, susceptibles de perturber la plate-forme de la voie, se fassent à des températures plus basses.
Quelque temps avant l'arrivée de l'équipe de nivellement, la voie avait été recouverte de ballast supplémentaire. Avant le début des travaux sur la voie, le contremaître a contrôlé la géométrie de la voie dans le secteur du branchement. Le fait que l'encadrement par des anticheminants était incomplet n'a pas été signalé au cours de cette dernière inspection, ni durant les travaux.
Au terme des travaux de nivellement, la voie a fait l'objet d'un ordre de marche au ralenti de 10 mi/h (conformément à la CMN 3705). Après que la voie eut fait passer la quantité appropriée de trafic (tonnage), l'ordre de marche à 10 mi/h a été levé et a été remplacé par un second ordre de marche au ralenti (25 mi/h). L'ordre de marche au ralenti de 25 mi/h a été retiré le matin du déraillement, vers 10 h. Au sujet du retrait des ordres de marche au ralenti, la section 23 (f) de la CMN 3705 se lit comme il suit :
Avant de lever une limitation de vitesse ou d'augmenter la vitesse régie par une limitation de vitesse, on doit inspecter la voie pour s'assurer que les anticheminants voulus sont en place et qu'il n'y a aucun signe de sous-écartement, conformément à la clause 42 de la CMN 3205. On doit aussi faire une vérification pour s'assurer que la voie dont la vitesse est limitée a effectivement laissé passer le tonnage requis. On ne devrait pas lever une limitation de vitesse pendant la période la plus chaude de la journée. [Traduction]
Malgré l'exigence d'inspecter la voie pour s'assurer que les anticheminants voulus étaient en place, l'un et l'autre des ordres de marche au ralenti ont été levés sans qu'on remarque que le nombre d'anticheminants était insuffisant.
La CMN 3705 ne définit pas l'expression « pendant la période la plus chaude de la journée ». Cette expression serait généralement interprétée comme étant l'heure à laquelle la température ambiante et la température du rail sont à la valeur maximale. Toutefois, l'information recueillie au cours de l'enquête a révélé que cette expression pouvait être interprétée différemment par différentes personnes. Les dossiers d'Environnement Canada indiquent que, le jour de l'accident à 10 h, soit l'heure à laquelle l'ordre de marche au ralenti a été levé, il faisait 27,7°C à Toronto. Ce même jour, la température avait augmenté graduellement, passant d'un minimum de 20,5°C à 5 h du matin, à un maximum de 30,2°C à 15 h.
Activités d'inspection et d'entretien dans la subdivision Oakville
Les activités courantes d'inspection et d'entretien étaient confiées à des équipes de travaux locales ou divisionnaires qui étaient responsables d'un tronçon bien défini. Les membres de ces équipes étaient supervisés par un gestionnaire supérieur de l'ingénierie qui relevait lui-même du gestionnaire général de la sous-région, et devait aussi rendre compte à l'ingénieur en chef de la région. Chaque portion de la voie était la responsabilité d'un superviseur de la voie, lequel contrôlait le travail d'au moins un superviseur de la voie adjoint.
Dans le secteur du déraillement, il y avait eu un certain roulement de personnel entre le jour où l'aiguillage avait été installé et le jour du déraillement. Au cours de cette période, le superviseur de la voie qui était responsable du territoire avait quitté la compagnie. Un des superviseurs de la voie adjoints de la subdivision Oakville remplaçait le superviseur de la voie, et s'acquittait en même temps de ses fonctions normales de superviseur de la voie adjoint. Ils étaient tous des inspecteurs qualifiés de la voie, conformément au Règlement d'exploitation ferroviaire, et ils possédaient tous l'expérience et les connaissances requises.
Les projets de construction (par exemple, l'installation d'un nouveau branchement) étaient supervisés par l'ingénieur de division. La planification et la mise en oeuvre de ces projets étaient confiées au superviseur des programmes. Dans le cadre d'un projet, la supervision directe de travaux particuliers était la responsabilité d'un contremaître, qui relevait lui-même du superviseur de programmes compétent. Dans le cas de l'installation du branchement voisin des lieux de l'accident, les travaux ont été exécutés par deux équipes distinctes et se sont échelonnés sur plusieurs nuits, ce qui supposait une coordination entre les deux équipes.
Les projets de remise en état de la voie (par exemple les travaux de nivellement de la voie) ont été réalisés sous la direction du gestionnaire des services de la voie et du surintendant adjoint des services de la voie. Des projets spécifiques ont été planifiés et organisés par les superviseurs de programmes et ont été dirigés par les contremaîtres des équipes assignées des services de la voie.
Il a souvent fallu assurer une coordination étroite entre ces trois groupes. Par exemple, dans le cas de l'installation du branchement, les équipes locales devaient se charger d'inspecter et d'entretenir le branchement une fois que celui-ci serait terminé. À ce titre, elles devaient notamment être informées des travaux qui restaient à faire sur le branchement et du moment où l'on pouvait s'attendre à ce que les travaux prennent fin. Dans le cas du nivellement de la voie, les équipes locales devaient imposer des ordres de marche au ralenti au besoin et lever ces ordres le moment venu. On prenait les décisions relatives aux ordres de marche au ralenti après avoir pris en compte les résultats des inspections consécutives à la fin des travaux. La plupart du temps, les communications quotidiennes entre ces trois groupes aux fins de la coordination des travaux se faisaient de vive voix et de façon informelle.
Exigences du Canadien National relativement à l'inspection des branchements
Les CMN du CN exposent les normes et les procédures qui régissent la construction, l'entretien et l'inspection des voies. La CMN 3100 (et le Règlement d'exploitation ferroviaire) exige que les voies de catégorie 4 soient inspectées deux fois par semaine et qu'elles fassent l'objet chaque année d'au moins deux inspections faites par des voitures de contrôle de la géométrie de la voie. De plus, la CMN 3500 indique trois catégories d'inspection des branchements ainsi que la fréquence obligatoire des inspections. Ces inspections sont les suivantes : inspection au franchissement, inspection à pied et inspection détaillée :
- Inspection au franchissement : à chaque franchissement, on observe le branchement pour y déceler des défauts.
- Inspection à pied : au moins une fois par mois, les branchements doivent faire l'objet d'une inspection à pied au cours de laquelle on mesure l'écartement et on observe l'état général.
- Inspection détaillée : tous les ans (sauf instructions contraires de l'ingénieur de district), les branchements doivent faire l'objet d'une inspection détaillée au cours de laquelle on examine avec soin l'état de tous les éléments.
Facteurs qui ont contribué aux erreurs d'entretien
Les activités d'entretien entraînent nécessairement des dérèglements des éléments des systèmes. En raison de ces dérèglements, ces activités sont susceptibles d'introduire des conditions dangereuses dans le système. Reason et Hobbs (2003)Note de bas de page 3 décrivent les types d'erreurs qui sont observés pendant les activités d'entretien et examinent les méthodes qui permettraient de réduire les risques d'erreurs de ce genre.
Avant l'accident, l'installation du branchement n'a pas été exécute conformément aux CMN de la compagnie. Plus particulièrement, les rails n'ont pas été encadrés par des anticheminants de façon appropriée (c'est-à-dire à chaque traverse sur une distance de 200 pieds en amont et en aval de l'aiguillage). Une erreur de ce type est appelée erreur d'omission (c'est-à-dire qu'on n'a pas fait ce qu'on aurait dû faire). Il n'est pas rare d'observer des erreurs de ce genre pendant les activités d'entretien et d'installation. Des études menées dans des centrales nucléaires et dans des installations d'entretien d'aéronefs ont indiqué que, de façon générale, les erreurs d'omission étaient celles qui étaient signalées le plus souvent. Ces études ont aussi permis de déterminer que l'absence de documentation, les contraintes de temps, des marches à suivre déficientes, la fatigue et le manque de coordination ou de communication étaient les principaux facteurs qui contribuaient aux erreurs de ce type.
L'importance de la communication et de la coordination entre les différents groupes qui participent à un travail d'entretien a aussi été mise en évidence dans une étude réalisée en Australie qui s'est intéressée aux problèmes constatés dans un milieu où l'on faisait l'entretien d'aéronefs. Cette étude a montré que 12 p. 100 des événements signalés avaient trait à des problèmes de coordination entre des personnes ou des groupes. Dans plusieurs cas, on a observé que les gens formulaient des hypothèses au sujet d'un travail donné et que, par la suite, ils négligeaient de faire confirmer ces hypothèses par d'autres personnes.
Les mesures que l'on prend pour prévenir les erreurs d'omission comprennent les aide-mémoire (par exemple des listes de vérification), des spécifications, des vérifications indépendantes et l'apposition de signature en guise d'approbation des travaux d'entretien. Quant aux mesures qu'on peut prendre pour prévenir les problèmes de coordination lorsque de nombreuses personnes ou différents groupes participent à un travail d'entretien ou lorsqu'une activité d'entretien s'échelonne sur une période de temps donnée, mentionnons la documentation claire et la tenue de dossiers. Les dossiers en question devraient préciser l'identité de la ou des personnes responsables de chacun des éléments d'une tâche donnée, ou préciser quels sont les éléments de la tâche pour lesquels on doit apposer sa signature pour signifier l'approbation des travaux une fois ceux-ci terminés.
Analyse
La méthode de conduite du train n'a pas été un facteur contributif de l'accident. L'analyse portera surtout sur les travaux d'installation du branchement, sur les travaux de nivellement de la voie et sur les pratiques d'inspection et d'entretien qui s'y rattachent.
Le déraillement
Le train a déraillé tandis qu'il passait sur le branchement du point milliaire 6,0. Ce branchement, dont l'installation était récente, avait été construit à la mi-février 2006 par deux équipes qui avaient travaillé plusieurs jours à son installation. Un nombre insuffisant d'anticheminants avaient été posés lors de l'installation. Les rails n'étaient encadrés par des anticheminants (c'est-à-dire à raison de quatre anticheminants par traverse) que sur une distance de 50 pieds en aval et en amont de l'aiguillage. Or, pour limiter adéquatement la dilatation et la contraction des rails dans le sens longitudinal, les CMN de la compagnie exigent que les rails soient encadrés par les anticheminants sur une distance de 200 pieds, et ce dans les deux directions à partir du branchement.
Bien que la présence d'anticheminants soit essentielle pour contrebalancer les forces de dilatation thermique du rail dans le sens longitudinal, cette situation (c'est-à-dire le nombre insuffisant d'anticheminants) n'était pas dangereuse au moment où l'on a installé le branchement. Les températures étant plus basses à la mi-février, les forces de dilatation thermique affectant le rail n'auraient pas été problématiques. Plusieurs mois plus tard, par contre, les choses étaient différentes du fait de l'augmentation des températures pendant les mois d'été et du fait que des travaux de nivellement avait été exécutés sur la voie dans le secteur pendant la semaine précédant le déraillement.
Les rails étant affectés par des forces de dilatation linéaire excessives et non restreintes, la voie s'est gauchie à l'est du branchement (point milliaire 6,0), ce qui a causé le déraillement. Plus précisément, le gauchissement de la voie s'est produit sous le poids du train, du fait de l'accroissement des forces longitudinales exercées sur les rails, du nombre insuffisant d'anticheminants et d'une voie déstabilisée.
Inspection du branchement
Il aurait été possible de déceler le défaut de la voie à plusieurs reprises entre février 2006 et le moment du déraillement, en juillet 2006. Il se peut que les anticheminants voisins du branchement aient été cachés par le ballast pendant une brève période suivant l'installation du branchement et pendant une brève période qui a précédé le déraillement, pendant qu'on procédait au nivellement de la voie, mais de fréquentes inspections (aux moins deux par semaine) ont été faites entre février et juillet et n'ont pas permis de constater que la pose des anticheminants était incomplète.
Annulation des ordres temporaires de marche au ralenti
On impose des ordres temporaires de marche au ralenti aux endroits où la surface de la voie est déstabilisée à la suite de travaux d'entretien ou de construction. Ces ordres temporaires de marche au ralenti font en sorte de réduire la vitesse des trains de façon qu'ils puissent circuler en toute sécurité sur les voies déstabilisées. Après qu'un trafic (c'est-à-dire un tonnage) suffisant a circulé sur la voie, le ballast se raffermit, de sorte que la voie retrouve sa stabilité.
Avant l'accident, des travaux de nivellement de la voie avaient été exécutés près du branchement le 10 juillet. Au terme de ces travaux de nivellement, on a imposé un ordre temporaire de marche au ralenti de 25 mi/h sur le tronçon. L'ordre temporaire de marche au ralenti a été levé à 10 h le matin du jour où le déraillement s'est produit. La CMN 3705 indique qu'on ne devrait pas lever un ordre temporaire de marche au ralenti « pendant la période la plus chaude de la journée ». Toutefois, la CMN 3705 ne définit pas l'expression « pendant la période la plus chaude de la journée ». Au CN, cette expression est généralement interprétée comme étant l'heure à laquelle la température ambiante et la température du rail sont à la valeur maximale. Bien qu'il existe normalement une corrélation entre la température du rail et la température ambiante, la température du rail peut augmenter encore davantage quand le rail est exposé directement et de façon soutenue aux rayons du soleil.
Le 14 juillet, soit le jour du déraillement, la température ambiante à 10 h n'avait pas atteint la température maximale enregistrée ce jour-là (c'est-à-dire 30,2 °C à 15 h). À cet égard, si l'on s'en tient à l'interprétation générale qui est en vigueur au CN, l'ordre de marche au ralenti à 25 mi/h n'a pas été levé « pendant la période la plus chaude de la journée ».
Même si la procédure concernant l'imposition et la levée des ordres de marche au ralenti après des travaux d'entretien a été respectée lors de l'accident, la voie a été affectée par un gauchissement. En raison des températures chaudes enregistrées ce jour-là (et les jours qui ont précédé le déraillement), le rail avait absorbé suffisamment d'énergie thermique pour que la structure de la voie soit déstabilisée. Les rails n'étant pas encadrés adéquatement par des anticheminants, une consolidation supplémentaire du ballast n'aurait vraisemblablement pas suffi pour contrer les forces de dilatation thermique qui affectaient le rail. Donc, même si l'ordre de marche au ralenti avait été levé plus tard au cours de la journée, le gauchissement de la voie se serait vraisemblablement produit au moment du passage du train, étant donné que les rails n'étaient pas encadrés adéquatement par des anticheminants.
Gestion des projets des programmes de travaux
Quand on a installé le branchement, on n'a pas respecté les exigences de la CMN du CN concernant l'encadrement par des anticheminants. Les erreurs de ce genre, consistant à laisser de côté ou à oublier une étape, constituent une des formes d'erreurs les plus courantes que l'on relève pendant les activités d'entretien. On sait que le manque de coordination entre les personnes chargées des travaux d'entretien est un facteur qui contribue souvent aux erreurs de ce type. Pour prévenir les problèmes de coordination pendant les travaux d'entretien, la solution la plus courante et la plus efficace consiste à bien documenter les travaux. La documentation devrait exposer les tâches spécifiques qui doivent être réalisées et devrait exiger qu'une personne qualifiée appose sa signature à la fin de chaque tâche. Cette forme de documentation facilite les choses lorsqu'il s'agit de transférer la responsabilité d'une tâche entre des groupes différents, et elle incite les gens à faire une inspection finale une fois la tâche terminée.
Dans ce cas, la communication entre les trois groupes qui ont participé à l'installation du branchement (soit les équipes locales, l'équipe d'installation et l'équipe de nettoyage) n'a pas été documentée et s'est faite de façon informelle. Il n'y avait pas de marche à suivre officielle pour consigner le transfert des tâches d'une équipe à une autre, ni de procédure officielle d'apposition de signature en guise d'approbation des travaux finis. En raison de cette procédure informelle, chaque groupe a supposé qu'un autre groupe allait se charger de terminer la pose des anticheminants, mais sans pouvoir s'en assurer. Cela a entraîné une augmentation des risques d'une erreur d'omission.
Calendrier du plan de travail
Même si un plan de projet global avait été établi pour les travaux de modification de la voie et des signaux, aucun plan de travail détaillé n'était en place pour chacune des tâches du plan. La documentation remise aux équipes de travaux en vue de l'installation du branchement était constituée d'un dessin technique approuvé du branchement et des CMN du CN qui traitaient de l'installation des branchements. Bien que l'absence de plan de travail détaillé ait donné une certaine souplesse aux équipes de travaux quant à leur calendrier de travail, elle a aussi fait en sorte que la réalisation du travail d'installation s'échelonne sur plusieurs mois. Dans les faits, l'installation du branchement n'était pas encore terminée lorsque le déraillement s'est produit. En l'absence d'une date précise de fin des travaux, personne n'a été amené à se préoccuper des tâches non terminées. Comme aucun plan de travail détaillé n'était appliqué, il s'est passé beaucoup de temps entre les dates de commencement et de fin des travaux, de sorte que des travaux incomplets risquaient davantage de passer inaperçus.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le train a déraillé en raison d'un gauchissement de la voie qui s'est produit près d'un branchement dont l'installation était récente.
- Le gauchissement de la voie est le résultat d'une augmentation des forces longitudinales exercées sur les rails, d'un nombre insuffisant d'anticheminants dans le secteur du branchement et d'une voie déstabilisée qui n'était pas en mesure de limiter les forces de dilatation des rails.
- Les multiples inspections du branchement qui ont été faites au cours des six mois qui ont précédé le déraillement n'ont pas permis de déceler que l'encadrement des rails par des anticheminants était incomplet.
Faits établis quant aux risques
- En raison des procédures informelles de communication entre les équipes de travaux, chaque groupe a supposé qu'un autre groupe allait se charger de terminer le travail, mais sans pouvoir s'en assurer. Cela a entraîné une augmentation des risques d'une erreur d'omission.
- Si aucun plan détaillé (c'est-à-dire assorti d'échéances) n'est appliqué lorsqu'on entreprend un programme majeur de travaux, il peut se passer beaucoup de temps entre les dates de commencement et de fin des travaux, de sorte que des travaux incomplets risquent davantage de passer inaperçus.
Autres faits établis
- Bien que les Circulaires sur les méthodes normalisées (CMN) du Canadien National (CN) précisent qu'on ne devrait pas lever une limitation de vitesse « pendant la période la plus chaude de la journée », elles ne renferment aucune indication permettant de définir cette « période la plus chaude de la journée ».
- Si l'ordre de marche au ralenti avait été levé plus tard au cours de la journée, il est vraisemblable que le gauchissement de la voie se serait quand même produit au moment du passage du train, étant donné que les rails n'étaient pas encadrés adéquatement par des anticheminants.
Mesures de sécurité prises
Le 21 juillet 2006, Transports Canada a émis un avis et ordre dans lequel on lisait :
Dans la province d'Ontario, le Canadien National doit veiller à ce que les trains n'excèdent pas une vitesse de 10 mi/h pour les trains de marchandises, et de 30 mi/h pour les trains de voyageurs, quand ils circulent dans des territoires où la voie est faite de LRS, sur toute voie dont il assure l'entretien et où il entreprend des travaux de construction ou les activités d'entretien suivantes :
- travaux mécanisés de renouvellement de traverses
- travaux de remplacement de branchements à l'aide de panneaux de voie
- entretien continu de la surface
- nettoyage du ballast
- regarnissage
- nettoyage des banquettes
- nivellement.
Ces exigences resteront en vigueur à moins que :
Un superviseur qualifié de la voie, après avoir inspecté les travaux sur la ligne, ne juge que le trafic peut excéder sans risque les limites de vitesse susmentionnées, et que l'augmentation des vitesses autorisées ne soit autorisée par écrit par l'ingénieur en chef régional du CN. Le CN devra conserver ces approbations écrites et devra les mettre à la disposition du Ministère sur demande,
ou tant que le risque ne sera pas éliminé. [Traduction]
Après l'application de l'avis et ordre, Transports Canada et des cadres supérieurs du Canadien National (CN) se sont réunis pour mettre au point un plan d'action visant l'amélioration du processus de contrôle de la qualité au moment de vérifier si des travaux d'entretien sont bien terminés. Le CN ayant appliqué les mesures de sécurité exposées ci-dessous, l'avis et ordre a été levé le 8 août 2006 :
- La compagnie a préparé une liste de vérification concernant la levée des ordres temporaires de marche au ralenti et l'a fait distribuer à tous les membres intéressés du personnel d'entretien de la voie. Cette liste de vérification fait en sorte qu'on tienne compte de tous les aspects des Circulaires sur les méthodes normalisées (CMN) du CN (notamment des exigences relatives aux anticheminants) avant d'autoriser une augmentation de la vitesse des trains.
- On a inspecté tous les branchements pour s'assurer que les anticheminants sont installés conformément aux exigences de la réglementation et des CMN.
- On a modifié une procédure pour veiller à ce que le nivellement des branchements ne puisse être exécuté que si la pose des anticheminants est conforme aux exigences des CMN.
- On a modifié une procédure afin d'assurer un compactage maximal du ballast après que celui-ci a été perturbé (c'est-à-dire avant qu'on lève un ordre temporaire de marche au ralenti). Plus précisément, on a augmenté de 6 à 12 le nombre de trains de voyageurs qui est considéré comme étant l'équivalent d'un train de marchandises chargé.
- Le CN a procédé à la requalification de ses inspecteurs de la voie pour s'assurer qu'ils comprennent bien la réglementation et pour les sensibiliser aux facteurs qui contribuent au gauchissement de la voie.
- On a mis en oeuvre un processus commun d'inspection qui s'adresse au personnel des services de la voie du CN et qui veille à ce que toutes les étapes des projets d'entretien ou de construction soient exécutées conformément aux exigences des CMN et de la réglementation de Transports Canada. Ce processus rend obligatoire une communication entre le superviseur de la voie et le superviseur des programmes ainsi qu'un processus de signature aux fins d'approbation des travaux.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .