Rapport d'enquête ferroviaire R06V0119

Déraillement
Train de voyageurs no RMV 1-28 de la
Rocky Mountaineer Vacations Inc.
Point milliaire 68,3 de la subdivision Mountain du Chemin de fer Canadien Pacifique
Fraine (Colombie-Britannique)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 28 mai 2006 vers 12 h 15, heure avancée du Pacifique, cinq voitures voyageurs et deux voitures de service du train de voyageurs no RMV 1-28 de la Rocky Mountaineer Vacations, lequel roulait vers l'ouest entre Calgary (Alberta) et Vancouver (Colombie-Britannique), ont déraillé pendant qu'elles traversaient sur la liaison menant de la voie Macdonald sud à la voie Connaught nord, à Fraine (Colombie-Britannique), point milliaire 68,3 de la subdivision Mountain du Chemin de fer Canadien Pacifique. Personne n'a subi des blessures graves lors de l'accident.

    Renseignements de base

    L'accident

    Le 28 mai 2006, le train de voyageurs no 1-28 (RMR 8015 ouestNote de bas de page 1) de la Rocky Mountaineer Vacations Inc. (RMV) part de Calgary (Alberta) et s'engage dans la subdivision Laggan du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP), à destination de Vancouver (Colombie-Britannique)Note de bas de page 2. Le train mesure approximativement 1 200 pieds, pèse 1 100 tonnes et se compose de deux locomotives, d'un fourgon générateur, de deux voitures de service et de dix voitures à voyageurs. L'équipe est constituée de 2 mécaniciens et de 45 membres du personnel de services dans les trains et du service culinaire. Les deux mécaniciens connaissent bien le territoire, sont qualifiés pour occuper leurs postes et se conforment aux normes en matière de repos et de condition physique. En plus de l'équipe, 518 passagers prennent place à bord du train. La circulation ferroviaire est régie grâce au système de commande centralisée de la circulation (CCC), en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), et elle est supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) du CFCP posté à Calgary.

    Le voyage se déroule sans incident jusqu'à ce que le train franchisse l'aiguillage de liaison situé à Fraine, point milliaire 68,3 de la subdivision Mountain, près du col Rogers, à l'ouest de Golden. Il est alors environ 12 h 15, heure avancée du PacifiqueNote de bas de page 3. Il est courant de dérouter les trains de voyageurs, qui sont habituellement plus légers que les trains de marchandises, pour les faire passer sur la voie Connaught, soit à Rogers soit en utilisant les liaisons ouest situées à Fraine (voir la figure 1). Les locomotives, le fourgon générateur, et deux premières voitures à voyageurs franchissent sans encombre la liaison de la voie Macdonald, après quoi les sept voitures suivantes déraillent. Quatre voitures se mettent en portefeuille en travers des deux voies, deux voitures déraillent dans la liaison et une autre déraille sur la voie Macdonald. Toutes les voitures sont restées sur leurs roues après avoir déraillé. Les trois dernières voitures à voyageurs n'ont pas déraillé. Personne n'a subi des blessures graves.

    Le ciel était dégagé et la température était de 15°C.

    Figure 1. Emplacement où le déraillement a eu lieu
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    Emplacement où le déraillement a eu lieu

    Renseignements sur le train

    Le Armstrong Hospitality Group, propriétaire et exploitant de la RMV, est l'entreprise qui exploite les trains touristiques Rocky Mountaineer et Whistler Mountaineer dans l'Ouest du Canada. Le Rocky Mountaineer roule en direction ouest en suivant l'itinéraire Kicking Horse, au départ de Calgary–Banff (Alberta) et se rend à Vancouver après avoir franchi les montagnes Rocheuses, et ce, les dimanches, mardis et jeudis de la mi-avril à la mi-octobre. Le train 1-28 de la RMR partait habituellement de Calgary à 06 h 20, heure avancée des RocheusesNote de bas de page 4 et devait arriver à Vancouver à 17 h 10 le lendemain. Un arrêt pour la nuit était prévu à Kamloops. Le RMV ne compte aucune voiture-lit, étant donné qu'il ne circule que pendant le jour pour permettre aux passagers d'admirer le paysage montagneux.

    Matériel roulant

    Le train comptait deux locomotives, un fourgon générateur, dix voitures à voyageurs et deux voitures de service. La disposition du train après le déraillement était la suivante (de la tête vers la queue du train, soit de l'ouest vers l'est) :

    • RMR 8015 Locomotive.
    • RMR 8016 Locomotive.
    • RMR 9632 Fourgon générateur.
    • RMR 5718 Voiture à voyageurs.
    • RMR 3219 Voiture à voyageurs.
    • RMR 5558 Voiture à voyageurs, le bogie arrière et les roues arrière du bogie avant ont déraillé, la voiture s'est mise en portefeuille en travers des deux voies.
    • RMR 3237 Voiture à voyageurs, toutes les roues ont déraillé, la voiture s'est mise en portefeuille en travers des deux voies.
    • RMR 3220 Voiture à voyageurs, toutes les roues ont déraillé, la voiture s'est mise en portefeuille en travers des deux voies.
    • RMR 5703 Voiture à voyageurs, toutes les roues ont déraillé, la voiture s'est mise en portefeuille en travers des deux voies.
    • RMR 5449 Voiture de service, toutes les roues ont déraillé.
    • RMR 5721 Voiture de service, le bogie avant a déraillé dans la liaison.
    • RMR 9504 Voiture à voyageurs, une roue a déraillé.
    • RMR 9505 Voiture à voyageurs.
    • RMR 9521 Voiture à voyageurs.
    • RMR 9525 Voiture à voyageurs.

    Les voitures nos RMR 5718, 3219, 5558, 3237, 3220 et 5703 et les deux voitures de service ont été construites en 1953 et ont toutes été remises à neuf. Elles ont une plate-forme au bout B seulement. Les voitures nos RMR 9504, 9505, 9521 et 9525 sont des voitures à dôme à deux niveaux que la RMV a fait construire sur commande en 1995 et en 2007.

    Intervention d'urgence

    Immédiatement après le déraillement, les directeurs des services du train ont déterminé que tous les passagers des voitures avaient été dénombrés et qu'il ne semblait pas y avoir de blessés. On a demandé aux passagers d'évacuer les voitures déraillées et de passer dans celles qui étaient restées sur leurs roues et qui étaient devant et derrière les voitures déraillées. Dans la mesure du possible, les passagers se sont déplacés à l'intérieur des voitures et sont passés par les plates-formes pour se rendre d'une voiture à l'autre. Quand cela n'était pas possible, les passagers ont marché le long de la voie pour se rendre d'une voiture à l'autre. Pour faciliter les déplacements des passagers , les préposés aux services du bord les ont dirigés vers les endroits où ils devaient se rendre, ils ont déplacé des bagages et ont maintenu ouvertes les portes des plates-formes.

    Vers 12 h 40, le coordonnateur de l'exploitation ferroviaire a communiqué avec le centre des opérations de la RMV, à Kamloops, par téléphone satellitaire, et un directeur des services du train a communiqué par téléphone cellulaire avec le bureau de la RMV, à Vancouver. Ces communications ont été sporadiques et intermittentes, étant donné qu'on était dans un endroit isolé et que la transmission du signal était mauvaise. Par moments, les communications ont été relayés par la radio ferroviaire du CFCP.

    Un superviseur du CFCP et une équipe de quatre ambulanciers paramédicaux venus de Golden, à environ 30 milles à l'est de Fraine, se sont rendus sur les lieux du déraillement. Pendant que le superviseur du CFCP évaluait la situation, les ambulanciers paramédicaux ont examiné tous les passagers et les membres de l'équipe et ont confirmé que personne n'était blessé. Cette information a été communiquée au centre des opérations de la RMV et au centre de contrôle de la circulation ferroviaire.

    L'inspection du matériel déraillé a révélé que la dixième voiture, no RMR 9504, n'avait déraillé que partiellement et qu'on pouvait la remettre rapidement sur les rails. On a fait descendre tous les passagers de cette voiture avant que celle-ci soit remise sur les rails par une locomotive venue de Golden. La voiture réenraillée et les trois voitures de la queue du train ont été remorquées jusqu'à Golden, et sont arrivées à Golden vers 16 h 15 avec à leur bord 394 passagers et 40 membres de l'équipe.

    En route vers Golden, certains passagers ont dû recevoir des soins médicaux, le stress dû à l'accident ayant exacerbé des ennuis de santé préexistants. On a notamment dû donner de l'oxygène à certaines personnes. Les réserves d'oxygène du train RMV étaient complètement épuisées lorsque la partie arrière du train est arrivée à Golden. On a fait venir deux ambulances à la rencontre du train à Golden. Neuf passagers ont été transportés vers un hôpital où ils ont reçu des soins médicaux. Le reste des passagers et des membres de l'équipe ont été transportés par autobus jusqu'à Kamloops.

    La partie avant du train, à savoir les deux locomotives, le fourgon générateur et les voitures à voyageurs nos RMR 5718 et RMR 3219, transportant 124 passagers et 5 membres de l'équipe des services du train, a continué sa route jusqu'à Revelstoke, point milliaire 125,7, où elle est arrivée à 16 h 00. À leur arrivée, les passagers et le personnel du bord sont repartis vers Kamloops à bord d'autocars.

    Les premiers autocars sont arrivés à Kamloops vers 21 h 45. Vers 02 h 00, tous les passagers et membres de l'équipe étaient arrivés à Kamloops.

    Renseignements consignés

    Les données du consignateur d'événements de locomotive indiquent qu'à 1216:40, le train roulait à 24 mi/h et que la commande des gaz était à la position no 3 tandis que le train franchissait les liaisons, et qu'un freinage d'urgence provenant de la conduite générale s'est déclenché à ce moment.

    Les données de CCC sur le terrain indiquent que la voie de Fraine inscrite sur la feuille des circulations (On Sheet (OS))Note de bas de page 5 a été occupée à 1216:19 par le train no RMR 8015 ouest. L'aiguillage Macdonald a été renversé à 1216:32. À 1216:37, l'aiguillage Macdonald a été identifié comme étant hors-correspondance (non en communication).

    Les détecteurs de boîtes chaudes du point milliaire 39,3 et du point milliaire 54,5 n'ont déclenché aucune alarme lors du passage du train.

    Détails relatifs aux liaisons

    La liaison ouest, allant de la voie Macdonald à la voie Connaught à Fraine, consistait en deux aiguillages no 13 à double commande de 136 livres, actionnés par l'électricité. Les voies et les aiguillages étaient en bon état. Les pointes d'aiguille étaient des type à couteau, soit le modèle standard de l'AREMANote de bas de page 6.

    Auparavant, les aiguillages de ligne principale standard du CFCP utilisaient des aiguilles autres que des aiguilles Samson. Le CFCP a commencé à utiliser des aiguilles Samson pour les applications en ligne principale en 1996. En date de 2007, les aiguilles Samson sont devenues les aiguilles standard qu'on utilise dans tous les aiguillages de voie principale.

    Dans une aiguille Samson, l'angle du coin inférieur du champignon du côté intérieur de la contre-aiguille est usiné de façon que l'aiguille s'appuie sur la contre-aiguille. On dit alors que la contre-aiguille est « usinée ». La contre-aiguille usinée sert à protéger l'aiguille des impacts directs contre les boudins des roues des wagons en mouvement, et l'angle permet de résister au désaffleurement des abouts de rails entre les aiguilles et les contre-aiguilles lors du passage des trains. Les contre-aiguilles munies d'aiguilles Samson sont usinées des deux bouts lors de leur fabrication, de façon qu'on puisse les installer de n'importe quel côté de la voie. La figure 2 compare les sections transversales des aiguilles Samson et des aiguilles standard.

    Figure 2. Aiguille Samson et aiguille de modèle standard
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    Aiguille Samson et aiguille de modèle standard

    Voie ferrée

    La voie Connaught et le tunnel passant par le col Rogers ont été construits en 1916. Le CFCP dispose de voies doubles passant par le col Rogers, depuis la construction de la voie Macdonald et du tunnel en 1988. Les trains de marchandises circulant vers l'ouest, qui sont habituellement plus lourds que les trains de voyageurs, passent par la voie Macdonald, dont la rampe est de 1 p. 100, tandis que le train de voyageurs Rocky Mountaineer passe habituellement par la voie Connaught, dont la rampe est plus forte, soit 2,4 p. 100.

    Un petit morceau de l'aiguille gauche de la voie Macdonald a été retrouvé entre la pointe d'aiguille et la contre-aiguille (voir les photos 1a et 1b). Le fragment, qui mesurait 9,4 cm de longueur et avait une largeur maximale de 1,5 cm, avait écaillé le métal sur une distance de 11,5 cm à 21,5 cm à partir de l'extrémité de la pointe. Des marques de roues relevées sur la pointe d'aiguille indiquaient qu'une roue avait roulé sur environ 18½ pieds le long du sommet de la pointe d'aiguille, avant de tomber entre la contre-aiguille et la pointe d'aiguille. Même si un morceau de la pointe d'aiguille s'est brisé, l'extrémité proprement dite de la pointe d'aiguille n'a pas été touchée.

    Photo 1a. Morceau de la pointe d'aiguille qui s'est séparé
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    Morceau de la pointe d'aiguille qui s'est séparé
    Photo 1b. Position originale du fragment placé entre la pointe d'aiguille et la contre-aiguille (flèche)
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    Position originale du fragment placé entre la pointe d'aiguille et la contre-aiguille

    Après l'accident, on a meulé la pointe d'aiguille pour lui redonner son profil et on a ajusté les tringles d'accouplement. La pointe d'aiguille est demeurée en service jusqu'à ce qu'on remplace les pointes d'aiguille et le cœur de croisement de l'aiguillage de liaison de la voie Macdonald, ainsi que le secteur des pointes d'aiguille de l'aiguillage de liaison no 13, de 136 livres, de la voie Connaught. Dans la liaison et à l'est de celle-ci, les dommages causés à la voie ont été minimes, mais on a dû poser un panneau de voie de 400 pieds, remplacer les rails sur une distance de 1 400 pieds et épandre le contenu de quatre wagons de ballast, pour réparer les dommages du côté ouest de la liaison.

    Examen fait par le laboratoire technique du BST

    Le laboratoire technique du BST a examiné le morceau brisé de la pointe d'aiguille afin de déterminer le mode de rupture et de trouver la cause possible de la séparation. Le rapport no LP 059/2006 fait état des conclusions ci-après :

    Le morceau s'est séparé de la lame d'aiguille par suite de l'application d'un effort excessif. Les surfaces restantes du morceau qui s'est séparé étaient trop endommagées pour qu'on puisse se prononcer sur la présence ou la nature d'une défaillance progressive préexistante.

    Les propriétés du matériau correspondent à celles d'un acier légèrement allié à forte teneur en carbone qui a été soumis à un traitement thermique de type perlitique. L'examen n'a révélé la présence d'aucun défaut du matériau.

    Entretien et inspection de la voie

    La pointe d'aiguille gauche de l'aiguillage de la voie Macdonald était datée de 1988 ou de 1989 (le dernier chiffre était masqué partiellement). Elle était usée partiellement lorsqu'on l'a installée dans la liaison en 2003. Les dossiers d'entretien montrent que des travaux de soudage ont été exécutés sur le cœur de croisement et sur un boulon d'un talon d'aiguille brisé. Les boulons des joints de la liaison ont été remplacés en avril 2006, et une éclisse fissurée a été remplacée dans la voie entre les branchements. Des marques de meulage relevées sur la contre-aiguille montrent qu'on a procédé récemment au meulage du rail afin d'éliminer le fluage du métal qui aurait pu empêcher la pointe d'aiguille de s'ajuster de près à la contre-aiguille.

    La dernière inspection mensuelle du branchement a été faite le 18 mai 2006 par le superviseur adjoint de l'entretien de la voie (SAEV). Le formulaire d'inspection indiquait qu'on devait « surveiller les selles de branchement et la pointe d'aiguille droite » (traduction) et « souder le cœur » (traduction).

    La dernière inspection détaillée du branchement a été faite par le SAEV le 21 avril 2006. Le SAEV a noté qu'il n'y avait pas de jeu dans les tringles d'accouplement nos 1, 2 ou 3; qu'il n'y avait pas de trous d'éclissage usés; et que tous les boulons étaient bien serrés sur les tringles nos 1, 2 et 3.

    Le 23 mai 2006, aucune anomalie n'a été signalée lors d'une inspection faite par le superviseur de l'entretien de la voie. De plus, le 26 mai 2006, date à laquelle il a inspecté la voie pour la dernière fois avant le déraillement, le SAEV n'a signalé aucune anomalie.

    Le dernier train roulant en direction ouest qui a franchi la liaison avant le déraillement a été un train de marchandises qui est passé dans le secteur le 12 mai 2006.

    Inspection de la voiture no RMR 3237

    Compte tenu de la disposition des voitures déraillées, des dommages causés à la voie et des résultats de l'examen des dommages causés à la pointe d'aiguille gauche de la liaison, il a été possible de déterminer que le point de déraillement se situait à environ 18½ pieds à l'ouest de la pointe d'aiguille. Des déraillements consécutifs à une prise en pointe se produisent habituellement quand la roue avant de l'essieu avant d'un wagon heurte et brise la pointe d'aiguille, forçant les lames de l'aiguille.

    Les roues des deux premières voitures à dérailler, nos RMR 5558 et RMR 3237, ont été inspectées sur les lieux de l'accident, et leurs profils ont été mesurés par la même occasion. Les roues de la voiture no RMR 5558 ne montraient aucun défaut.

    Après l'accident, les roues et les ressorts du bogie avant, du bout B, de la voiture no RMR 3237 ont été inspectés à l'atelier d'entretien de la RMV, à Kamloops, le 16 juin 2006. On a aussi examiné les dossiers d'entretien mécanique de la voiture. Les roues de la voiture étaient des roues Griffin de 36 pouces, d'une capacité de 100 tonnes. Des signes de glissement sur les tables de roulement et d'usure verticale du boudin ont été relevés sur la roue R1, en l'occurrence la roue avant. Une bande circulaire de fissures superficielles orientées selon un angle de 55 degrés par rapport au boudin, dénotait un possible braquage. Ces fissures sont due à la surchauffe de roues causées par le frottement ou à des ruptures par fatigue de contact des couches superficielles du matériau des roues lorsque celles-ci sont soumises à une déformation plastique extrêmeFootnote 7. Cette condition peut faire en sorte que les boudins des roues exercent des forces latérales accrues le long de la face intérieure du rail et de la pointe d'aiguille.

    L'Association of American Railroads (AAR) a publié un manuel portant sur les règles d'échange du matériel roulant, intitulé Field Manual of Interchange Rules, qui préconise que les propriétaires de wagons sont responsables de la réparation de leur matériel remorqué. Toutes les compagnies de transport ferroviaire de marchandises et tous les propriétaires de wagons de marchandises d'échange souscrivent à ces règles. Bien qu'elles ne constituent pas un instrument de réglementation, ces règles fournissent une base équitable de répartition des frais de réparation et des coûts attribuables aux dommages.

    Le Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des voitures voyageurs (RISVV) énonce les normes minimales de sécurité applicables aux voitures voyageurs exploitées par les compagnies de chemin de fer dans des trains circulant à des vitesses ne dépassant pas 125 mi/h (200 km/h), en vertu des dispositions de la Loi sur la sécurité ferroviaire administrée par Transports Canada.

    Le boudin de la roue R1 mesurait 19/64 pouce de hauteur. On doit retirer une roue du service quand la hauteur de son boudin est de 1½, d'après le “Why Made Code 64 Rule 41 of the AAR Field Manual (code des réformes 64 relatif à la règle 41 du Field Manual de l'AAR). Dans la partie II du RISVV, intitulée Défauts compromettant la sécurité, on lit à l'alinéa 9.1 (g) qu'une roue ne doit pas être maintenue en service si la hauteur du boudin de la roue, mesurée à partir de la table de roulement jusqu'au sommet du boudin, dépasse 1½ pouce. La roue diagonalement opposée, soit la roue L2, avait une hauteur de boudin de 15/16 pouce. Le boudin de la roue R1 était un boudin droit de 13/16 pouce, comme on peut le voir dans la photo 2. Le “Why Made Code 62 Rule 41 of the AAR Field Manual” précise qu'un boudin plat dont la surface verticale est de 1 pouce ou plus, doit être remplacé. Le RISVV ne prévoit rien au sujet des roues ayant un boudin droit.

    Photo 2. Roue R1 sur laquelle on a appliqué un calibre de mesurage du boudin droit
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    Roue R1 sur laquelle on a appliqué un calibre de mesurage du boudin droit

    Les dossiers relatifs à l'état mécanique du matériel montrent que, le 31 octobre 2005, le boudin de la roue R3 (à l'arrière du bogie du bout A) mesurait 1 1/32 pouce d'épaisseur. D'après le code des réformes 60 relatif à la règle 41 du Field Manual de l'AAR, la roue doit être retirée du service si l'épaisseur du boudin est de 15/16 ou moins. Le 9 mai 2006, 20 jours avant le déraillement, on a remplacé l'essieu monté no 3 du bogie du bout A, dont le boudin était aminci, conformément aux critères relatifs à la règle 41. Le même jour, on a levé la voiture sur des vérins pour exécuter des travaux de lubrification, de nettoyage et de remplacement de la cuvette centrale et de la cheville ouvrière. De plus, à la suite de plaintes concernant le bruit que faisait le bogie du bout A, on a remplacé le glissoir de traverse danseuse droit du bogie du bout A.

    Sécurité des passagers des trains de voyageurs

    Grâce aux renseignements recueillis lors d'inspections sur place, d'inspections consécutives à l'accident et d'entrevues, le Bureau a constaté certains problèmes qui ont affecté la sécurité des occupants lors de cet événement.

    • L'évacuation a été plus difficile qu'elle aurait pu l'être du fait que des voitures ayant une plate-forme à un bout ont été accolées à des voitures dont la plate-forme se trouvait au bout opposé.
    • Des réfrigérateurs et des armoires dont les portes sont sorties de leurs gonds ou se sont ouvertes au moment du déraillement, et des armoires dont on avait retiré les portes intentionnellement, se sont vidés lors du déraillement et leur contenu s'est répandu dans les allées et a bloqué les voies d'évacuation.
    • Des fauteuils pivotants auraient pu gêner les déplacements des passagers et du personnel, ou causer des blessures aux occupants.
    • Des pièces de mobilier, des contenants à ordures, des glacières, des boîtes, des armoires et des bagages, qui n'étaient pas arrimés, ont été projetés dans tous les sens pendant le déraillement et ont encombré les voies d'évacuation.
    • Les communications entre les membres de l'équipe et les passagers auraient pu être plus rapides.
    • Des gens auraient pu être victimes d'impacts secondaires ou se blesser après l'accident.

    Précédemment, le BST a fait un relevé des risques auxquels les occupants des trains de voyageurs sont exposés, et a traité de cette question dans deux avis de sécurité ferroviaire qu'il a fait parvenir à l'organisme de réglementation, avec copie à l'industrie.

    • avis de sécurité ferroviaire 05/01, faisant état d'observations sur la sécurité des passagers des trains de voyageurs au Canada;
    • avis de sécurité ferroviaire 05/06, portant sur l'examen de la sécurité des occupants des voitures à passagers.

    Même s'ils ne s'adressaient pas spécifiquement à l'exploitant du train de la Rocky Mountaineer, ces avis lui sont parvenus du fait qu'il était membre de l'Association des chemins de fer du Canada.

    L'avis de sécurité ferroviaire 05/01 donnait un aperçu détaillé des problèmes relatifs à la sécurité des passagers qui ont été relevés lors des enquêtes relatives à cinq accidents auxquels des trains de VIA ont été mêlés entre juillet 1999 et avril 2001. Ces problèmes relatifs se classaient dans quatre grandes catégories : état de préparation des passagers, protection des occupants, évacuation, et intervention d'urgence et sauvetage.

    L'avis de sécurité ferroviaire 05/06 incluait un rapport sur la sécurité des occupants qui avait trait au rapport d'enquête no R05E0008 du BST, portant sur le déraillement du train no 1 de VIA, le 31 janvier 2005, qui est survenu lorsqu'un camion grumier a heurté le train à un passage à niveau situé près de MacKay (Alberta). Dans le rapport, il était question de la signalisation, des issues d'urgence, des obstacles, des impacts secondaires et des communications à bord du train.

    Analyse

    On considère que la méthode de conduite du train n'a pas été un facteur contributif du déraillement. Par conséquent, l'analyse traitera surtout de l'aiguillage de liaison, de l'état mécanique des roues de la voiture no RMR 3237, et de la sécurité des passagers. Bien que le matériel roulant de type RMR ait démontré sa robustesse, et bien que l'accident n'ait pas entraîné de conséquences défavorables, l'enquête a quand même mis en évidence un certain nombre de risques pour la sécurité des occupants qui sont propres à ce matériel roulant.

    Les éléments de preuve recueillis sur place, le mesurage des roues et l'examen en laboratoire des morceaux de la pointe d'aiguille brisée indiquent que c'est le bout B de la voiture no RMR 3237 qui a déraillé en premier. Le mesurage des roues et les profils des quatre roues droites des bogies avant des deux premières voitures déraillées indiquent que la roue R1 de la voiture no RMR 3237 était celle qui était le plus susceptible d'exercer une poussée latérale excessive contre la pointe d'aiguille. La bande circulaire de fissures superficielles sur la table de roulement de la roue R1 dénotait un possible braquage du bout B de la voiture. Cette condition a vraisemblablement contribué à l'usure du boudin droit de la roue R1 avant, ce qui indique que le boudin a chevauché la face intérieure du rail.

    Même si l'usure de la roue R1 ne nécessitait pas qu'on retire la roue du service, d'après les règles de l'AAR concernant l'échange de wagons, ou même si elle n'avait pas atteint une valeur critique au sens du RISVV, le boudin droit de la roue R1, contrairement à celui d'une roue neuve, était complètement en contact avec la pointe d'aiguille, ce qui a entraîné une contrainte excessive qui a causé la rupture d'un morceau de l'aiguille. Le bout brisé de la pointe d'aiguille est resté coincé entre la pointe d'aiguille et la contre-aiguille, et la roue R1 a chevauché la pointe d'aiguille et est retombée entre la pointe d'aiguille et la contre-aiguille, déraillant et faisant dérailler la voiture précédente, no RMR 5558. Les cinq voitures qui suivaient la voiture no RMR 3237 ont alors « forcé l'aiguille » et ont déraillé elles aussi.

    Les pointes d'aiguille Samson sont conçues pour être utilisées dans des aiguillages qui font passer un trafic considérable. Elles sont conçues pour « abriter » la pointe d'aiguille sous la contre-aiguille et la protéger contre une usure et des impacts de roues excessifs lorsque les roues passent de la contre-aiguille à la pointe d'aiguille quand elles changent de direction vers l'itinéraire dévié. La liaison de Fraine n'était pas beaucoup utilisée et le CFCP n'a décidé que récemment d'uniformiser l'utilisation des pointes d'aiguille Samson dans les installations de ligne principale. Bien que les pointes d'aiguille de type à couteau, en l'occurrence le modèle standard proposé par l'AREMA, soient utilisées couramment dans l'industrie, les pointes d'aiguille Samson atténuent le risque d'impacts excessifs causés par les roues dont le boudin est droit et plat.

    Sécurité des passagers des trains

    Les voitures RMR qui ont été construites en 1953 sont munies d'une seule plate-forme, au bout B de la voiture. Bien que la RMV n'ait pas d'instructions disant d'uniformiser le placement des plates-formes des voitures dans les trains, elle essaye d'éviter le plus possible que des voitures ayant une plate-forme à un bout soient accolées à des voitures dont la plate-forme se trouve au bout opposé. Si une voiture ayant une plate-forme à un bout est accolée à une voiture dont la plate-forme se trouve au bout opposé, les délais d'évacuation et les risques de blessures postérieures à l'accident sont accrus pour les occupants qui sont le plus éloignés des plates-formes.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le train a déraillé quand la roue avant, la roue R1 de la voiture no RMR 3237, a « forcé l'aiguille », après quoi la roue est tombée entre la pointe d'aiguille et la contre-aiguille.
    2. La pointe d'aiguille s'est éloignée de force de la contre-aiguille quand un petit morceau de la pointe s'est brisé et est resté coincé entre la pointe d'aiguille et la contre-aiguille.
    3. Le morceau de la pointe d'aiguille s'est brisé lorsque boudin droit et plat de la roue R1 de la voiture no RMR 3237, dont l'usure n'avait pas atteint une valeur critique, est venu en contact avec la pointe d'aiguille et a exercé une contrainte excessive contre celle-ci.

    Faits établis quant aux risques

    1. Le fait d'accoler des voiture ayant une plate-forme à un bout à une voiture dont la plate-forme se trouve au bout opposé a pour effet d'allonger les délais d'évacuation et les risques de blessures postérieures à l'accident pour les occupants qui sont le plus éloignés des plates-formes.

    Autres faits établis

    1. Les pointes d'aiguille Samson atténuent le risque d'impacts excessifs causés par les roues dont le boudin est droit et plat.

    Mesures de sécurité prises

    La Rocky Mountain Vacations Inc. a examiné cet événement afin de déterminer la façon dont elle pourrait améliorer ses mesures d'intervention d'urgence. L'exploitant fait savoir que les changements ci-après ont été mis en applicationNote de bas de page 8 ou sont en voie de l'être :

    • On affectera davantage de ressources aux interventions d'urgence que par le passé, quitte à les réduire en fonction des besoins, plutôt que de procéder à l'inverse, c'est-à-dire entreprendre les interventions avec des ressources moindres et ajouter des ressources au besoin.
    • On a localisé et documenté les ressources communautaires situées le long de la voie ferrée pour pouvoir faire avec une utilisation plus efficace des ressources communautaires en cas d'urgence.
    • On a installé dans les voitures un nombre accru de postes radios dont les commandes de volume fonctionnent bien.
    • On a révisé les protocoles de communication des équipes de gestion des services dans les trains.
    • On a mis au point des protocoles de communication avec les exploitants d'autocars, aux fins du transport des passagers au cours des interventions d'urgence.
    • Les autocars servant au transport des passagers pendant les interventions d'urgence doivent être munis de réserves appropriées de fournitures d'urgence.
    • Des postes radio sont maintenant installés dans la cuisinette de chaque voiture-coach et voiture-dôme, et des piles chargées additionnelles, destinées aux postes radio, ont été ajoutées dans chaque wagon de fournitures, de façon que les membres du personnel puissent communiquer plus facilement.
    • On a mis au point un plan interne d'intervention d'urgence, exposant les procédures de notification, les rôles et les responsabilités de chacun et les mesures à prendre, et on a tenu des séances de formation annuelles.
    • La haute direction et le personnel doivent se prêter à des séances de formation plus fréquentes portant sur les procédures d'intervention d'urgence, notamment des exercices d'urgence et d'évacuation.
    • Les préposés aux services à bord suivront une formation sur l'utilisation de téléphones satellitaires.
    • Des instructions sur l'utilisation des téléphones satellitaires seront ajoutées au manuel des procédures de sécurité et d'urgence à bord des trains (Onboard Safety and Emergency Procedures Handbook).
    • On préparera un manuel des procédures d'urgence et un protocole de communication qui répondra aux questions relatives aux clients (par exemple préoccupations d'ordre médical, marche à suivre pour rassurer les passagers) pendant les situations d'urgence.
    • Des consignes d'urgence seront établies à l'intention des fournisseurs d'autocars.
    • Des plans d'intervention d'urgence seront mis au point pour des gares choisies situées le long des itinéraires de la RMV.
    • Des gares choisies seront équipées d'un téléphone satellitaire portable et de trousses d'intervention d'urgence qui seront à la disposition des trains de la RMV.
    • Toutes les voitures disposeront d'un équipement d'urgence comprenant des mégaphones et des gilets à haute visibilité.
    • Le plan d'intervention d'urgence fera l'objet d'exercices menés de concert avec le CFCP.
    • On établira des protocoles de communication qui répondent mieux aux préoccupations des clients et des fournisseurs.
    • On révisera chaque année le plan de sécurité visant la clientèle, de façon qu'il tienne compte des leçons apprises au cours de l'année d'exploitation précédente, des nouvelles exigences de la réglementation et des nouveaux équipements de sécurité et d'intervention d'urgence.
    • On a mis à jour le plan de sécurité visant la clientèle pour y intégrer des procédures d'évacuation en prévision de la présence éventuelles de voitures ayant une plate-forme à un bout qui sont accolées à une voiture dont la plate-forme se trouve au bout opposé.
    • Une trousse médico-sanitaire (avec liaison téléphonique d'assistance médicale) a été ajoutée à l'équipement de sécurité et d'urgence de chaque train. Les équipes de services du bord de la RMV suivront une formation sur l'utilisation de la trousse médico-sanitaire.
    • Le personnel des équipes de services du bord suivra une formation sur la gestion du stress consécutif aux incidents critiques qui surviennent sur les lieux de travail. Un programme de soutien par les pairs sera établi en 2008.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .