Rapport d'enquête ferroviaire R08Q0028

Déraillement en voie principale
du train de marchandises M-308-31-31
exploité par le Canadien National
au point milliaire 46,46
de la subdivision Drummondville
à Villeroy (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 31 décembre 2008, vers 23 h 15, heure normale de l'Est, 33 wagons ont déraillé au point milliaire 46,46 de la subdivision Drummondville du Canadien National, près de Villeroy (Québec). Un réchauffeur d'aiguille a été endommagé, entraînant la fuite d'environ 2000 gallons de propane. Les résidents d'une cinquantaine de maisons ont été évacués. La voie ferrée a été détruite sur environ 500 pieds. L'accident n'a fait aucun blessé et n'a causé aucun dommage permanent à l'environnement.

    This report is also available in English.

    Autres renseignements de base

    L'accident

    Le 31 décembre 2008, le train de marchandises M-308-31-31 (le train) du Canadien National (CN) part de la gare de Turcot (Québec) et roule en direction est à destination de Joffre (Québec). Le train compte 3 locomotives et 115 wagons (70 wagons chargés et 45 wagons vides); il pèse environ 10 800 tonnes et mesure 7000 pieds. L'équipe de train se compose d'un mécanicien et d'un chef de train. Ils connaissent bien le territoire, se conforment aux normes de repos et de condition physique et répondent aux exigences de leurs postes respectifs.

    À 23 h 14Note de bas de page 1, alors que le train passe dans la municipalité de Villeroy (voir la figure 1), un freinage d'urgence provenant de la conduite générale se déclenche au moment où la locomotive se trouve au point milliaire 46,0. Le train roule à 50 mi/h avec la manette des gaz à la position 7. La locomotive de tête s'immobilise au point milliaire 45,61. Le chef de train procède à l'inspection du convoi et constate que 33 wagons ont déraillé. Deux branchements de voie principale et le réchauffeur d'aiguille ont été endommagés. La conduite d'alimentation du réchauffeur d'aiguille a été sectionnée, entraînant une fuite de gaz propane. Le ciel est couvert et la température est de -20 °C.

    Figure 1. Lieu du déraillement (source: Association des chemins de fer du Canada,
    Atlas des chemins de fer canadiens )
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    Figure 1 - Lieu du déraillement (source: Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens)

    Le service des incendies arrive sur les lieux promptement après avoir été alerté par des résidents locaux et établit un périmètre de sécurité. Les pompiers font une évaluation des risques et procèdent immédiatement à l'évacuation d'environ 70 résidents du secteur par mesure préventive. Les résidents sont autorisés à regagner leurs demeures vers cinq heures du matin.

    Examen des lieux

    La zone de déraillement couvre une distance d'environ 2500 pieds à partir du branchement M150 situé au point milliaire 46,46 jusqu'au point milliaire 46,00 (voir la figure 2). Cette section inclut deux passages à niveau publics, dont celui de la route 265 au point milliaire 46,35 et celui du 16e rang au point millaire 46,09. Le matériel roulant déraillé compte sept wagons-citernes vides, six wagons-couverts vides et vingt wagons-trémies couverts chargés.

    Figure 2. Diagramme montrant le secteur où le déraillement s'est produit
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    Figure 2 - Diagramme montrant le secteur où le déraillement s'est produit

    Les premiers wagons déraillés, du 20e wagon au 22e wagon, sont demeurés debout sur la plate-forme, ayant chacun un bogie déraillé. Les wagons suivants, du 23e wagon au 27e wagon, sont restés sur les rails. Les 28e et 29e wagons ont perdu leurs bogies et ont déraillé du côté nord de la voie. Les wagons suivants, du 30e au 35e, se sont détachés de l'avant du train et ont déraillé au voisinage du passage à niveau de la route 265. Le reste des wagons déraillés se sont empilés entre le passage à niveau et le branchement M150.

    Tout le matériel roulant qui a déraillé a été examiné; aucun défaut antérieur au déraillement n'a été décelé sur les wagons. L'examen des roues des wagons-citernes 18, 19, 23, 24 et 25 a révélé que ces wagons ont déraillé, roulé sur le ballast et remonté sur les rails. Le train avait circulé sur plusieurs systèmes de détection en voie (SDV), dont le dernier était situé au point milliaire 51,7 de la subdivision Drummondville, sans qu'aucune alarme n'ait été déclenchée.

    Le branchement M150 est un branchement à manœuvre manuelle du CN no 12 de 132 livres (dessin du plan norme TS-012 du CN) avec les lames d'aiguille face à l'est (voir l'annexe A). La lame d'aiguille de type Samson a été fabriquée en 1976 par la compagnie Algoma Steel. La lame d'aiguille et le rail de raccord droit ont moins de 2 mm d'usure.

    La voie a subi des dommages à partir du branchement M150, en direction est, sur une distance d'environ 500 pieds. Dans la zone du joint de l'entretoise de talon de l'aiguille, l'extrémité est du rail de raccord s'est brisée et la lame d'aiguille s'est fractionnée en plusieurs morceaux. Plusieurs composants brisés ont été récupérés; cependant, le champignon de rail et la partie supérieure de l'âme du rail sont manquants (voir la photo 1).

    Photo 1. Reconstitution de la lame d'aiguille sud et du rail de raccord droit
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    Photo 1 - Reconstitution de la lame d'aiguille sud et du rail de raccord droit

    L'examen par le laboratoire du BST (rapport LP 005/2009) des fragments de rail a montré que des fissures horizontales se sont développées entre les trous des boulons du joint. Certaines surfaces de fracture présentaient des surfaces polies et usées causées par le frottement des fragments demeurés en place après la fracture. La majorité des fractures ont été causées par des contraintes excessives; aucun indice de fatigue n'a été observé. L'écrasement du champignon sur les abouts des fragments de rail indique que, sous l'effet du martèlement des roues, la fragmentation du rail a progressé du talon de l'entretoise vers la lame d'aiguille.

    L'éclisse intérieure du joint de l'entretoise de talon de l'aiguille sud était fracturée en deux. Une fissure de fatigue a pris naissance sur la face en contact avec le rail à une encoche et s'est propagée dans la partie supérieure de l'éclisse juste au-dessous du champignon du rail (voir la photo 2).

    Photo 2. Partie supérieure de l'éclisse
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    Photo 2 - Partie supérieure de l'éclisse

    Les bords de l'entretoise de talon, qui étaient en contact avec les rails, présentaient une surface lisse et polie correspondant à une usure à long terme par frottement. Les quatre boulons du joint de l'entretoise de talon de l'aiguille montraient de l'usure. Trois d'entre eux étaient cisaillés et affichaient des fissures préexistantes dues à la fatigue. La basse température au moment de l'accident a possiblement aidé à la baisse de ténacité de l'acier et entraîné la fracture par contraintes excessives.

    L'analyse métallurgique n'a pas relevé de défauts de fabrication ou d'anomalies comme des inclusions ou des porosités. La lame d'aiguille présente une dureté interne moyenne de 273 BHN (indice de dureté Brinell) alors que le rail de raccord a une dureté de 305 BHN.

    Renseignements sur la voie

    La subdivision Drummondville se compose d'une voie principale simple qui s'étend du point milliaire 5,6 près de Saint-Romuald (Québec) jusqu'au point milliaire 125,1 près de Sainte-Rosalie (Québec). Le mouvement des trains est régi par le système de commande centralisée de la circulation, tel qu'autorisé par le Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, sous la supervision d'un contrôleur de la circulation ferroviaire posté à Montréal (Québec). Il s'agit d'une voie de catégorie 5 au sens du Règlement sur la sécurité de la voie (RSV) approuvé par Transports Canada (TC). La vitesse maximale autorisée est de 100 mi/h pour les trains de voyageurs et de 65 mi/h pour les trains de marchandises. Le trafic ferroviaire est constitué de 14 trains de marchandises et de 10 trains de voyageurs par jour, ce qui représente un tonnage annuel de quelque 39 millions de tonnes brutes.

    Dans le secteur du déraillement, la voie était composée de longs rails soudés de 132 livres laminés en 2004 reposant sur des selles de rail à double épaulement, fixées aux traverses par cinq crampons. Il y avait environ 3200 traverses de bois dur par mille de voie. Des anticheminants étaient posés à chaque traverse. Le ballast avait environ 12 pouces d'épaisseur, avec des épaulements de 16 à 18 pouces. Il était principalement constitué de pierres concassées de 1½ à 3 pouces de diamètre.

    Toutes les inspections ont été effectuées conformément aux dispositions du RSV. Quatre inspections ont été faites en 2008 à l'aide d'une voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie. La plus récente inspection, effectuée le 12 novembre 2008, n'a identifié aucune défectuosité dans le secteur de Villeroy.

    Dix auscultations en continu pour les défauts internes des rails ont été effectuées en 2008. Le système de base d'inspection comprend un véhicule équipé de transducteurs, un générateur de signaux ultrasonores, un processeur de signaux et un ordinateur hôte. Le système peut détecter les défauts internes de moins de ½ pouce dans le champignon et l'âme du rail, mais ne couvre pas les éclisses et les boulons. Aucun défaut n'a été décelé dans le secteur du déraillement lors de la dernière inspection du 1er décembre 2008. Un examen des dossiers d'essai indique que, dans la zone de l'entretoise de talon de l'aiguille sud, la surface du rail était propre et en bon état. Les seuls retours de signal observés avaient été générés par les trous d'éclissage.

    Le branchement M150 est rarement utilisé; sa dernière inspection mensuelle a été effectuée le 9 décembre 2008. La dernière inspection visuelle régulière de la voie avec un véhicule rail-route a été exécutée la journée même du déraillement et aucune exception n'a été notée dans la zone du branchement.

    Par suite du déraillement de Montmagny (Québec) survenu en janvier 2007, mettant en cause le bris de l'entretoise de talon d'une aiguille, le CN a procédé à une inspection spéciale de toutes les entretoises de talon d'aiguille de la Division de l'Est. En février 2007, le joint de l'entretoise de talon d'aiguille du branchement M150 a été démantelé afin de vérifier l'état des composants. Aucune anomalie n'a été observée.

    Analyse

    On considère que ni l'état du matériel roulant ni la conduite du train n'ont été des facteurs contributifs de cet accident. L'analyse portera sur les défauts des éléments de la voie et l'inspection de la voie.

    L'examen en laboratoire des pièces récupérées dans la zone du joint de l'entretoise de talon d'aiguille a suggéré un desserrement de l'assemblage qui était présent depuis quelque temps. Le mouvement répétitif causé par le passage de chaque bogie a entraîné une usure des composants et l'amorce de fissures de fatigue dans les boulons et l'éclisse intérieure du joint. Les fissures se sont propagées sous l'effet de contraintes excessives et ont fracturé l'éclisse et trois des quatre boulons du joint, affaiblissant ainsi l'assemblage du joint et causant la fracture des autres composants. La fracture du rail s'est propagée dans l'âme du rail puis a entraîné une fragmentation graduelle du champignon. À la suite de la séparation du champignon, les boudins de roues ont circulé sur les autres composants, provoquant la dislocation de l'assemblage et causant le déraillement du train.

    La fissure de fatigue de l'éclisse s'est amorcée sur la face en contact avec le rail et s'est propagée vers le haut. La fissure n'était pas visible car elle était masquée par le champignon du rail. De plus, le système d'auscultation en continu des défauts internes des rails n'examine pas les éclisses; par conséquent, la fissure ne pouvait pas être décelée lors des multiples inspections dont le branchement a été l'objet

    Bien que le joint de l'entretoise de talon d'aiguille du branchement ait été entièrement démantelé et inspecté en février 2007 et qu'il ait fait l'objet d'inspections régulières effectuées par des inspecteurs expérimentés du CN, aucun défaut n'y a été observé. Les inspections les plus récentes n'ont également pas permis de déceler les éléments desserrés.

    Lors des inspections mensuelles ou lors des inspections visuelles régulières, il est d'usage courant de cogner les boulons avec le bout des bottes pour détecter la présence de desserrement des boulons et en estimer le niveau. Les boulons desserrés sont susceptibles de bouger facilement. Cependant, cette méthode n'est pas toujours efficace car, lorsque les trous des différents composants ne sont pas alignés ou par grand froid, les boulons peuvent rester coincés. Comme la présence ou le niveau de desserrement des boulons ne sont pas toujours adéquatement évalués, il existe un risque accru que l'état d'affaiblissement de l'assemblage du joint de l'entretoise de talon d'aiguille reste non détecté. L'utilisation d'une clé convenable ou d'un autre moyen efficace aurait permis à un inspecteur de vérifier le desserrement des boulons.

    3.0 Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le train a déraillé quand le joint de l'entretoise de talon de l'aiguille s'est rompu sous le poids du train.
    2. Le desserrement des boulons a contribué à l'affaiblissement de l'assemblage du joint, occasionnant la séparation et la fracture des composants.
    3. Les inspections régulières n'ont pas permis de déceler le desserrement des boulons.

    Fait établi quant aux risques

    1. Comme la présence ou le niveau de desserrement des boulons ne sont pas toujours adéquatement évalués, il existe un risque accru que l'état d'affaiblissement de l'assemblage du joint des entretoises de talon d'aiguille reste non détecté.

    Autres faits établis

    1. L'utilisation d'une clé convenable ou d'un autre moyen efficace aurait permis à un inspecteur de vérifier le desserrement des boulons.
    2. La fissure de l'éclisse était masquée par le champignon et ne pouvait donc pas être décelée lors des multiples inspections dont le branchement a été l'objet.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

    Annexes

    Annexe A - Schéma du branchement