Rapport d'enquête ferroviaire R09W0252

Déraillement en voie principale
du train de marchandises Q11459-03
du Canadien National
au point milliaire 222,90 de la subdivision Rivers
à Spy Hill (Saskatchewan)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 5 décembre 2009, vers 7 h, heure normale du Centre, pendant que le train de marchandises no Q11459-03 du Canadien National roule vers l'est dans la subdivision Rivers, près de Spy Hill (Saskatchewan), 36 wagons du train, dont 22 wagons-citernes chargés de marchandises dangereuses, déraillent au point milliaire 222,90. Des marchandises dangereuses se déversent à la suite du déraillement, après quoi un incendie se déclare, qui a une incidence sur 34 wagons et brûle pendant 6 jours. Les habitants sont évacués dans un rayon de 1,6 kilomètre. La voie ferrée est détruite sur une distance d'environ 400 pieds. Personne n'a été blessé.

    This report is also available in English.

    Autres renseignements de base

    Le 5 décembre 2009, le train de marchandises Q11459-03 (le train) du Canadien National (CN) part de Melville (Saskatchewan) et roule dans la subdivision Rivers à destination de Winnipeg (Manitoba). Le train du Canadien National compte 2 locomotives placées en tête du train et 168 wagons (142 chargés et 26 vides). Il pèse 12 423 tonnes et mesure 10 995 pieds. L'équipe du train se compose d'un mécanicien et d'un chef de train. Les 2 membres de l'équipe connaissent bien la subdivision, se conforment aux normes en matière de repos et de condition physique et répondent aux exigences de leurs postes respectifs.

    L'accident

    Après le départ, le train fait l'objet d'une inspection en voie faite par l'équipe, et passe devant plusieurs détecteurs de boîtes chaudes, de pièces traînantes et un détecteur de défauts de roues (DDR) situé au point milliaire 232,40. Aucune anomalie n'est signalée. Le train traverse la ville de Spy Hill, Saskatchewan (point milliaire 225,80). Vers 7hNote de bas de page 1, pendant que le train roule à 50 mi/h et que la commande des gaz est au ralenti, on ressent une secousse dans la cabine de la locomotive de tête. La secousse est suivie d'un serrage d'urgence intempestif des freins à air du train. Le train déraille, après quoi une explosion se produit et un incendie se déclare. Les locomotives et 3 wagons placés en tête du train se séparent du matériel roulant déraillé et s'immobilisent sur la voie, à environ 3750 pieds à l'est des wagons déraillés (voir la figure 1).

    Figure 1. Lieu de l'accident (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens)
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    Figure 1. Lieu de l'accident (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens)

    On constate ultérieurement que 36 wagons ont quitté la voie, en majorité du côté sud de la voie, et qu'une deuxième explosion s'est produite. Au nombre des wagons déraillés, il y a 14 wagons-trémies couverts contenant des granules de plastique et 22 wagons-citernes transportant des marchandises dangereuses (MD). La tranche de 22 wagons-citernes compte 16 wagons-citernes sous pression chargés de gaz de pétrole liquéfiés (GPL), dont 15 wagons contenant du propane et 1 wagon contenant du butadiène (ONU 1075), 3 wagons-citernes à basse pression chargés d'un produit aromatique concentré (ONU 1993), principalement composé de benzène-dicyclopentadiène, et 3 wagons-citernes à basse pression contenant des résidus de méthanol (ONU 1230).

    Alimenté par les diverses MD et les granules de plastique, un incendie majeur fait rage et couvre l'ensemble des lieux du déraillement. De gros nuages de fumée noire s'élèvent dans le ciel, et la chaleur de l'incendie peut être ressentie à une distance d'environ un demi-kilomètre (voir la photo 1).

    Photo 1. Lieu du déraillement et incendie vus du sud
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    Photo 1. Lieu du déraillement et incendie vus du sud

    Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST), Transports Canada (TC) et le personnel d'intervention d'urgence sont avisés du déraillement. Le CN met en œuvre son plan d'intervention d'urgence. L'incendie brûle avec une intensité de plus en plus réduite pendant les 6 jours qui suivent. Personne n'a été blessé à la suite de cet accident ou pendant l'intervention d'urgence.

    Au moment de l'événement, le ciel était couvert, des vents légers soufflaient du nord-ouest et il neigeait un peu; il faisait −23° C et la température était à la baisse.

    Intervention d'urgence initiale

    Peu de temps après l'accident, la municipalité rurale de Spy Hill a mis en œuvre son plan d'urgence, et divers organismes, notamment les services locaux de sapeurs-pompiers bénévoles, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), le bureau du commissaire aux incendies de la Saskatchewan et le ministère de l'Environnement de la Saskatchewan sont arrivés sur place. À 14 h 45, le personnel d'intervention d'urgence a évacué tous les habitants dans un rayon de 1,6 kilomètre autour de l'incendie et a sécurisé les lieux du déraillement. On a fermé la route provinciale no 600, qui est parallèle et adjacente aux voies ferrées, et le périmètre a été sécurisé par la GRC et la police du CN.

    Un centre de commandement d'intervention a été établi au bureau municipal de Spy Hill, et on a aussi établi un système de commandement unifié d'intervention, qui relevait du chef du service local des incendies et qui était appuyé par le bureau du commissaire aux incendies de la Saskatchewan et les agents responsables des MD au CN. Le chef du service des incendies a dirigé les activités sur les lieux de l'accident et a mis en œuvre le plan de lutte contre l'incendie en collaboration avec les chefs des services des incendies des 3 municipalités environnantes. Le CN a fourni une expertise sur les MD et a coordonné les activités de son personnel et des entrepreneurs afin de faciliter l'intervention. Au nombre des entrepreneurs présents sur place, il y avait des représentants du Center for Toxicology and Environmental Health (CTEH), dont le siège social est situé à Little Rock, en Arkansas (États-Unis).

    Le matin du 6 décembre 2009, le personnel du CTEH est arrivé sur les lieux pour fournir une expertise technique relative aux dangers associés aux concentrés aromatiques et procéder à un contrôle en temps réel de la qualité de l'air, et notamment à un contrôle de la dispersion des panaches. Après une reconnaissance exhaustive des lieux, le chef du service des incendies, de concert avec les experts en MD du CN et le bureau du commissaire aux incendies de la Saskatchewan, a élaboré un plan de lutte contre l'incendie. On a délimité une zone d'interdiction (zone chaude) à l'intérieur de la zone d'évacuation. L'accès à cette zone était contrôlé et consigné. On a pris des lectures de la qualité de l'air afin de déterminer l'équipement de protection individuelle que les intervenants d'urgence devraient porter. On a dû se servir de dosimètres d'exposition au benzène et d'appareils d'assistance respiratoire.

    On a fourni des tenues de feu au personnel de la mécanique du CN et aux entrepreneurs de relevage qui participaient aux efforts de suppression des incendies. Les opérations ont débuté à 12 h. Les progrès étaient lents, du fait que l'accident était survenu dans une localité rurale isolée, et aussi en raison des températures extrêmement basses et du refroidissement éolien important. Des autopompes transportaient de l'eau qu'on utilisait pour refroidir et circonscrire l'incendie qui consumait les wagons de granules de plastique. On a éloigné certains wagons de l'incendie, et le personnel d'intervention d'urgence surveillait la pression interne des wagons-citernes de GPL touchés par les flammes. Entretemps, on a autorisé brièvement les résidents à retourner chez eux pour soigner leur bétail et s'occuper de leurs animaux de compagnie.

    Construction d'une déviation et intervention d'urgence

    Une déviation est une voie de contournement que l'on construit pour contourner une voie devenue impraticable en raison d'un accident ou d'une défaillance de l'infrastructure, par exemple un emportement par les eaux. On la construit pour faciliter le rétablissement de l'exploitation ferroviaire, mais pas nécessairement dans le cadre d'un plan d'intervention d'urgence. En raison de la gravité de l'accident et de l'incendie subséquent, et prévoyant que la voie principale serait hors service pendant une période prolongée, le CN a présenté au chef des pompiers, le 6 décembre 2009, à 14 h, des plans visant la construction d'une déviation à environ 350 pieds au nord et en amont du lieu du déraillement, de façon que les trains puissent contourner les lieux du déraillement durant le relevage et en attendant le rétablissement des activités sur la voie principale.

    La déviation, mesurant approximativement 2500 pieds, commençait à 1000 pieds environ à l'ouest du lieu du déraillement et se terminait à environ 1100 pieds à l'est de celui-ci, et décrivait un arc de cercle reliant les tronçons intacts de la voie principale. En consultation avec les experts des MD du CN et TC, le chef des pompiers a approuvé le plan après avoir consulté les rapports de reconnaissance aérienne et au sol, lesquels indiquaient qu‘on avait géré efficacement les risques. Les spécialistes du CTEH et de l'environnement devaient assurer une surveillance continue des lieux, tandis que le CN contrôlait la pression interne d'un dernier wagon-citerne qui brûlait encore.

    À 18 h, on a installé une roulotte abritant le poste de commandement de l'équipe d'ingénierie et une aire de repos à l'extrémité ouest des lieux du déraillement, tout près de la voie principale, et la construction de la déviation a débuté. Les employés de l'ingénierie qui travaillaient dans la zone d'interdiction disposaient d'appareils d'assistance respiratoire. La lutte contre l'incendie et la construction de la déviation se sont poursuivies durant toute la nuit jusqu'au début de la journée suivante, soit le 7 décembre 2009 (voir la figure 2).

    Figure 2. Diagramme des lieux de l'accident
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    Figure 2. Diagramme des lieux de l'accident

    Le 7 décembre 2009, à 10 h 30, le CN a été autorisé à poser les panneaux de voie devant relier les 2 extrémités de la déviation à la voie principale. À 15 h, les efforts d'extinction de l'incendie touchant les wagons de granules de plastique ayant progressé, on a réduit l'étendue de la zone d'interdiction et on a levé l'ordre d'évacuation initial, de sorte que les résidents ont été autorisés à rentrer chez eux. Toutefois, on a signalé vers 18 h qu'en raison de l'incendie, la pression interne d'une des citernes de GPL avait atteint 274 lb/po², c'est-à-dire 6,5 lb/po² en deçà de la pression de déclenchement de la soupape de surpression du wagon, fixée à 280,5 lb/po². L'entrepreneur du CN a donc dû interrompre les travaux de relevage et de suppression de l'incendie, et le CN a dû faire cesser les travaux d'ingénierie à l'extrémité ouest de la déviation; toutefois, il a continué de travailler à l'extrémité est, après avoir reçu l'approbation du commandant des lieux de l'incident.

    À 21 h 15, TC a ordonné l'évacuation de toutes les personnes dans un rayon de 1,6 kilomètre autour des lieux de l'accident et a limité l'accès aux lieux de l'accident, en application de l'alinéa 19(1) b ) de la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses . Les résidents voisins des lieux ont, de nouveau, été évacués. On a demandé au CN d'assurer une surveillance à distance des lieux de l'accident et d'informer TC avant de prendre quelque mesure que ce soit visant à atténuer les risques de défaillance catastrophique des wagons de GPL. Dès qu'il a reçu l'avis, le CN a fait interrompre les travaux à l'extrémité est de la déviation et a ordonné que toutes les personnes non essentielles quittent les lieux de l'accident.

    Opérations de neutralisation par combustion

    La neutralisation par combustion est une procédure qui consiste à faire détonner des charges explosives placées à des endroits stratégiques pour créer une ouverture dans un wagon-citerne de façon à pouvoir disposer de son contenu. On ne peut procéder à cette neutralisation qu'avec des gaz inflammables, des liquides inflammables ou combustibles ou des solides inflammables qui sont à une température à laquelle ils peuvent s'écouler. Compte tenu des risques associés à un déversement non contrôlé du produit ou d'explosion du produit, il est nécessaire de faire approuver la procédure par des experts en explosifs, TC, les autorités environnementales et les services des incendies. On envisage de procéder de cette façon lorsqu'il est impossible de déplacer le wagon, de transférer le produit ou de brûler à la torche le contenu de la citerne. On y a recours pour réduire la durée d'une évacuation ou pour atténuer le plus possible les dangers auxquels le public est exposé.

    La procédure proprement dite consiste à placer 2 charges explosives sur le wagon-citerne touché. Une des charges est placée sur le point le plus élevé d'une des extrémités du wagon, communément appelé « espace de vapeur ». L'autre charge est placée à l'extrémité opposée du wagon et en son point le plus bas, communément appelé « espace de liquide ». On fait éclater d'abord la charge de l'espace de vapeur. La charge perce un trou dans la paroi de la citerne, enflamme les vapeurs à mesure que celles-ci s'échappent dans l'atmosphère et fait baisser la pression à l'intérieur de la citerne. Dès que la pression a baissé, on allume la seconde charge. Cette dernière charge perce un trou dans l'espace de liquide, ce qui fait que le gaz liquéfié peut sortir de la citerne et s'écouler dans une fosse creusée au préalable. Dans cette fosse, on fait brûler le produit à la pression atmosphérique (voir la figure 3). Il faut beaucoup d'expertise pour manipuler, régler et activer les charges sans causer une destruction catastrophique du wagon-citerne.

    Figure 3. Schéma d'une opération de neutralisation par combustion. (Source : Transportation Test Centre, Tank Car Safety Manual, Section L, Association of American Railroads, 1991)
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    Figure 3. Schéma d'une opération de neutralisation par combustion. (Source : Transportation Test Centre, Tank Car Safety Manual, Section L, Association of American Railroads, 1991)

    Le 8 décembre 2009, le CN a soumis à TC un plan selon lequel un entrepreneur spécialisé en explosifs devait procéder à une neutralisation par combustion sur 3 wagons-citernes chargés de GPL. TC a approuvé le plan; plus tard au cours de l'après-midi, on a procédé à la neutralisation. Vers 17 h, on a annulé la directive émise en vertu de l'article 19, ce qui fait que les résidents ont été autorisés pour la deuxième fois à rentrer chez eux. Vers 19 h 45, TC a remis en vigueur la directive émise en vertu de l'article 19, en raison d'incendies résiduels qui menaçaient 8 autres wagons de GPL. Tous les résidents ont été évacués pour une troisième fois.

    Le 9 décembre 2009, TC a approuvé un deuxième plan du CN portant sur la neutralisation par combustion du contenu des 8 derniers wagons-citernes de GPL, étant donné qu'il était impossible de déplacer de façon sécuritaire l'un ou l'autre de ces wagons. Vers environ 20 h, la deuxième neutralisation par combustion a été exécutée (voir la photo 2).

    Photo 2. Deuxième opération de neutralisation par combustion
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    Photo 2. Deuxième opération de neutralisation par combustion

    Un peu plus tard, le BST a fait remarquer que la pression se maintenait dans 1 wagon-citerne et que le wagon continuait de laisser échapper du produit, lequel s'enflammait en sortant de la citerne. On a procédé à une nouvelle évaluation des lieux à 23 h. L'évaluation a permis de confirmer que, dans 1 wagon, la charge n'avait traversé que l'enveloppe de la citerne et n'avait pas percé le réservoir intérieur de la citerne, ce qui fait que le wagon était toujours sous pression.

    Le 10 décembre 2009, vers 4 h 30, on a exécuté une troisième neutralisation par combustion sur le wagon de GPL restant. Par la suite, TC a annulé la directive émise en vertu de l'article 19 et les résidents ont été autorisés à rentrer chez eux à 6 h 30. Les opérations de relevage ont été reprises, la remise en état de la voie a débuté et le CN a commencé à faire rouler des trains sur la déviation.

    Examen des lieux

    En approchant des lieux du déraillement dans le sens d'avancement du train, on n'a relevé aucune marque visible d'impact sur la plate-forme ou la structure de la voie. Le rail sud était incliné et ne reposait plus sur les selles de rail. De plus, il était tordu vers le sud, tandis que le rail nord était resté droit et intact jusqu'au lieu du déraillement.

    Sur les lieux du déraillement, 36 wagons avaient déraillé et la voie ferrée avait été détruite sur une distance d'environ 400 pieds. L'examen des éléments mécaniques a été limité et n'a fait ressortir aucune défectuosité mécanique préexistante. Les dommages relevés sur les lieux étaient importants, par suite de la chaleur extrême des incendies et en raison du fait que les opérations de relevage étaient menées en même temps que les efforts d'extinction des incendies. Certaines parties des lieux de l'événement étaient couvertes de glace, de granules de plastique et de granules de plastique fondus, qui s'étaient gelés.

    Durant la remise en état des lieux qui a suivi le déraillement, le CN a récupéré environ 153 pieds de rail. L'examen des marques de meulage et du profil d'usure a révélé qu'il s'agissait d'un bout du rail sud. Un des morceaux montrait des signes d'un martèlement mineur de l'about à l'extrémité ouest du rail (voir la photo 3). Les bouts de rail qui montraient des signes de rupture ont été envoyés, à des fins d'analyse, au laboratoire du BST. L'analyse a révélé que les ruptures avaient toutes été causées par une surcharge et qu'aucun des rails n'était compromis par un défaut préexistant qui aurait pû contribuer à l'accident.

    Photo 3. Martèlement de l'about observé sur un des bouts de rail récupérés
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    Photo 3. Martèlement de l'about observé sur un des bouts de rail récupérés

    Seize wagons-citernes sous pression et 6 wagons-citernes à basse pression transportant des MD ont déraillé, surtout du côté sud de la voie principale. Les enveloppes des citernes montraient des bosselures, des rainures et des perforations diverses. Pour la plupart, ces citernes ont été endommagées par la chaleur extrême et ont subi une déformation plastique causée par le feu. Les produits contenus dans 20 des 22 wagons-citernes endommagés soit ont brûlé, soit se sont infiltrés dans le sol. On a pu sauver 2 wagons-citernes sous pression, dont 1 wagon chargé de butadiène et 1 wagon chargé de propane; leurs chargements ont été transbordés le 12 décembre 2009.

    Marchandises dangereuses

    Les MD qui étaient transportées lors de ce déraillement et qui ont brûlé étaient des gaz de pétrole liquéfiés (propane et butadiène), du méthanol et un produit aromatique concentré, principalement composé de benzène-dicyclopentadiène. Le propane et le butadiène sont des gaz inflammables de classe 2.1, tandis que le benzène-dicyclopentadiène et le méthanol sont des liquides inflammables de classe 3. Le Guide des mesures d'urgence de 2008 précise que ces produits s'enflamment facilement et présentent un risque élevé d'incendie et d'explosion. Le Guide précise aussi que, si des wagons-citernes contenant ces produits sont touchés par un incendie majeur, on devrait les arroser à l'aide de jets d'eau, d'un brouillard d'eau ou de mousse. On devrait aussi se servir de tuyaux télécommandés ou de lances Monitor. Toutefois, s'il est impossible de lutter contre un tel incendie de cette façon, on devrait laisser le produit brûler. Pour les incendies graves touchant des gaz inflammables de classe 2.1, on devrait isoler et évacuer le périmètre dans un rayon de 1 mille (1600 m) autour des lieux de l'incendie. Pour les incendies graves touchant des liquides inflammables de classe 2.1, on devrait isoler et évacuer le périmètre dans un rayon d'un demi-mille (800 m) autour des lieux de l'incendie.

    Remise en état des lieux

    Le wagon de résidus de méthanol, 14 wagons chargés de propane et certains des wagons de benzène-dicyclopentadiène ont brûlé lors de l'incendie qui a suivi le déraillement et des opérations subséquentes de neutralisation par combustion. Après le déraillement, on a mis en œuvre un programme d'échantillonnage et de surveillance visant à évaluer l'impact environnemental sur les eaux souterraines et le sol des alentours.

    Dans le secteur du déraillement, on a prélevé des échantillons d'eau potable et d'eau souterraine dans des puits domestiques et des puits servant à abreuver le bétail, et on a excavé et retiré le sol contaminé. On a installé des puits de surveillance peu profonds et entrepris le prélèvement d'échantillons de sol et d'eaux souterraines dans les endroits ou l'on soupçonnait une contamination. On a porté une attention particulière aux endroits susceptibles d'avoir été touchés par un déversement de benzène-dicyclopentadiène. Tous les sols contaminés ont été chargés à bord de camions à benne fermée et ont été transportés jusqu'à un lieu de décontamination situé à Virden (Manitoba). Des échantillonnages de confirmation ont été faits du 16 décembre 2009 au 25 février 2010. Alors que des sites d'échantillonnage situés au nord, à l'ouest et à l'est des sols qu'on a excavés sur la propriété du CN montraient des résidus de benzène, tous les autres sites testés ont donné des lectures inférieures au seuil de détection du benzène en laboratoire.

    Renseignements sur la subdivision et la voie ferrée

    La subdivision Rivers est un tronçon qui s'étend de l'est vers l'ouest et qui part de Winnipeg (Manitoba), au point milliaire 0,00, et se rend jusqu'à Melville (Saskatchewan), au point milliaire 280,30. Dans le secteur du déraillement, la voie principale simple est en alignement droit et elle est orientée dans l'axe nord-est/sud-ouest. En direction ouest, la voie gravit une rampe de 0,1 %. La vitesse autorisée par l'indicateur dans le secteur du déraillement était de 60 mi/h pour les trains de marchandises et de 80 mi/h pour les trains de voyageurs. La voie est donc une voie de catégorie 4 aux termes du Règlement sur la sécurité de la voie . La circulation des trains est régie par le système de commande centralisée de la circulation (CCC) en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), et elle est supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) à Edmonton (Alberta).

    Les rails, fabriqués par NKK en 1998, étaient faits d'acier surfin généralement propre et de haute qualité. Les longs rails soudés (LRS) de 136 livres ont été posés en 1999 sur des selles de rail de 14 pouces à épaulement double, ils étaient retenus à des traverses de bois dur et de bois mou par 4 crampons passés dans chaque selle de rail, et ils étaient encadrés par des anticheminants à toutes les 2 traverses. En 2002, on a mené un programme de renouvellement qui visait le remplacement de groupes de traverses défectueuses faites de bois mou. Les traverses étaient en bon état, mais on a relevé un certain nombre de traverses de bois mou dont les selles étaient encastrées dans le secteur où le déraillement a eu lieu. Le ballast de pierre concassée était en bon état, les cases étaient garnies et l'accotement était en bon état. Des joints isolants pour un répéteur de signaux ont été installés au point milliaire 222,95 le 15 mai 2001. Le joint isolant du répéteur a été recouvert sur le rail nord, mais celui du rail sud ne l'a pas été. Le dernier meulage du rail remonte au 28 septembre 2009.

    La voie avait été inspectée conformément aux exigences de la réglementation et à celles de la compagnie. Aucun défaut nécessitant une intervention urgente n'a été relevé dans le secteur du déraillement. Le dernier contrôle du rail par ultrasons a été fait le 13 novembre 2009. Aucun défaut n'a été signalé dans le secteur du déraillement à cette occasion. On n'a pas fait de travaux d'entretien de la voie dans le secteur de l'accident en 2009, car il n'était pas nécessaire d'en faire.

    Géométrie de la voie

    Les dossiers de vérification de l'état géométrique de la voie indiquent que la voie a été vérifiée à 5 reprises en 2009. Aucune de ces vérifications n'a révélé la présence de défauts nécessitant une intervention urgente. Toutefois, des gauchissements de type WRP62Note de bas de page 2 ou des défauts du nivellement transversal en alignement droitNote de bas de page 3 qui nécessitaient une intervention prioritaire ont été détectés près des lieux du déraillement lors de 4 de ces vérifications. Un défaut nécessitant une intervention prioritaire ne doit pas nécessairement être réparé tout de suite, mais il doit faire l'objet d'une surveillance jusqu'à ce qu'il soit réparé.

    L'examen des bandes graphiques obtenues lors des vérifications a révélé que l'état de la voie résultait de la présence de défauts mineurs et persistants qui affectaient la surface du rail sud dans le secteur où le déraillement s'est produit :

    • 24 avril 2009 - affaissement ou dépression de 0,63″ sur une distance de 7′
    • 21 mai 2009 - état de la surface non défini
    • 30 juillet 2009 - affaissement de 0,9″ sur une distance de 8′
    • 25 septembre 2009 - affaissement de 0,87″ sur une distance de 8′
    • 23 octobre 2009 - affaissement de 0,80″ sur une distance de 12′
    • 16 novembre 2009 - affaissement de 0,90″ sur une distance de 10′

    Effet des basses températures sur l'acier des rails

    En hiver, la capacité de la voie et de l'infrastructure de résister aux contraintes qui s'exercent pendant le service et de résister aux risques de dommages et de rupture est réduite. Quand il fait froid, les LRS se contractent, ce qui entraîne un accroissement des contraintes de traction, peut faciliter l'apparition de fissures ou accélérer la croissance des défauts transversaux. De plus, à des températures de l'ordre de −20 °C, l'acier des rails perd de sa ductilité et devient cassant. Essentiellement, cela signifie que le matériau est moins résistant et qu'il est davantage susceptible d'être affecté par une rupture fragile, surtout si la voie subit des charges transitoires élevées ou des charges d'impact supérieures à la normale, attribuables à des roues affectées par des méplats ou à des roues dont la table de roulement est écaillée.

    Analyse

    La conduite du train était conforme aux instructions de la compagnie et aux exigences de la réglementation. L'examen des éléments mécaniques n'a pas révélé de défectuosités évidentes du matériel roulant, et on n'a pas relevé sur la structure de la voie précédant les lieux du déraillement, de marques d'impact qui auraient dénoté une possible défaillance mécanique d'un élément. L'analyse s'intéressera au matériau des rails, à la géométrie de la voie, à l'intervention d'urgence et à la remise en état de la voie ferrée après l'événement.

    L'accident

    En raison de l'étendue de la destruction, de la chaleur extrême de l'incendie et des opérations de relevage qui ont accompagné les efforts de suppression de l'incendie, il a été impossible de déterminer avec précision le point de déraillement initial. Toutefois, l'examen sur place et l'état des bouts de rail récupérés ont permis d'avoir des indices visuels quant au scénario de déraillement le plus probable.

    On a ressenti une secousse sous la locomotive de tête un peu avant le serrage d'urgence des freins. Le rail sud était incliné et ne reposait plus sur les selles de rail et il était tordu vers le sud, tandis que le rail nord était resté droit et intact jusqu'au lieu du déraillement. Les analyses en laboratoire faites par le BST ont permis de déterminer que tous les bouts de rail brisés qui ont été récupérés se sont brisés par suite d'une surcharge, et qu'aucun des bouts de rail n'était affecté par un défaut préexistant dont on pourrait dire qu'il a été un facteur de causalité de l'accident. Le martèlement mineur qu'on a observé sur 1 bout de rail suggère que le rail a subi une défaillance pendant le service et qu'il est resté brièvement en place avant de se rompre. La majorité des wagons déraillés se sont immobilisés du côté sud de la voie principale. La répartition des wagons déraillés, la position du rail sud qui restait en place à l'est du lieu du déraillement et l'absence de défauts préexistants dans les bouts de rail récupérés suggèrent que le déraillement a vraisemblablement résulté d'une rupture soudaine et catastrophique du rail sud au moment du passage du train.

    Rupture du rail

    Dans le secteur du déraillement, le rail était fait d'acier de qualité à haute résistance, et son usure était en deçà des limites. La voie était généralement en bon état, mais des gauchissements de type WRP62 et des défauts du nivellement transversal nécessitant une intervention prioritaire ont été détectés près des lieux du déraillement lors de 4 des vérifications de la géométrie de la voie qu'on a faites en 2009. Même si ces défauts de la surface ne nécessitaient pas une intervention urgente, ils étaient susceptibles d'entraîner un gauchissement répétitif et d'être affectés par des charges d'impact attribuables au passage des roues au-dessus du même affaissement. Cette situation se serait aggravée si l'affaissement avait correspondu avec l'emplacement de 1 ou plusieurs traverses défectueuses faites de bois mou.

    Par temps froid, les ruptures de rail et les ruptures d'éclissage sont plus fréquentes dans les territoires où la voie est faite de LRS, et cela est dû en partie à la contraction des rails et à l'accroissement des efforts internes de traction qui résultent de cette contraction. Bien que l'acier des rails plus récents soit plus propre et plus dur et résiste mieux à l'usure que par le passé, il reste que sa ténacité est moindre à des températures inférieures à −20 °C. Dans ces conditions, l'acier risque davantage d'être affecté par une rupture fragile, surtout si la voie subit des charges transitoires élevées ou des charges d'impact supérieures à la normale du fait du gauchissement de la voie. Vu les circonstances au moment du déraillement, la capacité du rail de résister aux forces qui s'exerçaient pendant le service a été vraisemblablement réduite en raison du temps froid. Le fait que le rail sud ait été affecté dans le secteur de l'accident par des défauts persistants qui nécessitaient une intervention prioritaire, et le temps froid, qui a réduit la ténacité de l'acier et la résistance du rail aux forces exercées pendant le service, sont des facteurs qui ont pu contribuer à la rupture du rail.

    Gestion de l'intervention d'urgence

    L'accident est survenu le 5 décembre 2009 vers 7 h. Les habitants des environs ont été évacués une première fois à 14 h 45. Les opérations de suppression de l'incendie ont débuté à 12 h le 6 décembre 2009 et se sont poursuivies pendant la nuit et jusqu'au lendemain. Le premier ordre d'évacuation a été annulé à 15 h le 7 décembre 2009, et les résidents ont été autorisés à rentrer chez eux.

    Le personnel de l'ingénierie du CN a entrepris la construction de la déviation vers 18 h le 6 décembre 2009. Vers 18 h le 7 décembre 2009, comme la pression avait augmenté à l'intérieur du réservoir d'une des citernes de GPL en raison des flammes qui chauffaient la citerne, l'entrepreneur dont le CN avait retenu les services pour les opérations de relevage a quitté les lieux. Toutefois, le travail de construction de la déviation à l'extrémité est s'est poursuivi jusqu'à 21 h 15. À ce moment, TC a émis une directive ordonnant l'évacuation de toutes les personnes dans un rayon de 1,6 kilomètre autour des lieux de l'accident et limitant l'accès aux lieux de l'accident, en application de l'article 19 de la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses .

    La construction de la déviation n'était pas essentielle aux fins de l'intervention d'urgence, mais le CN devait la réaliser pour éviter une interruption prolongée de la circulation ferroviaire sur la voie principale. La construction de la déviation à l'intérieur de la zone d'évacuation a été autorisée par les agents responsables des marchandises dangereuses du CN et par le chef des pompiers. On a pris des mesures pour veiller à ce que les lieux soient surveillés continuellement par le personnel d'intervention d'urgence, le personnel des services environnementaux et le personnel médical, et qu'on évacue les lieux dès que les seuils d'exposition étaient dépassés. À l'intérieur de la zone d'évacuation, le personnel de l'ingénierie qui construisait la déviation disposait d'appareils d'assistance respiratoire. Bien que la planification des opérations ait été appropriée, qu'on ait procédé à une évaluation de la situation, qu'on ait pris des précautions adéquates et que personne n'ait été blessé lors de l'événement, il reste qu'il n'est pas souhaitable dans tous les cas qu'on autorise des employés autres que le personnel d'intervention d'urgence à travailler à l'intérieur d'une zone d'évacuation pendant des opérations de suppression d'un incendie.

    On a pris des mesures appropriées et efficaces pour sécuriser les lieux de l'accident et assurer la protection du public immédiatement après le déraillement. L'évacuation dont la municipalité s'est chargée s'est faite de façon efficace. Le plan de préparation aux situations d'urgence a bien fonctionné, et l'équipement de lutte contre l'incendie dont on disposait sur place était conforme aux normes, pour une ville de cette taille. Par contre, le propane, les produits chimiques et les granules de plastique qui ont alimenté le feu après le déraillement ont rendu le travail des pompiers extrêmement difficile, en raison du manque de mousse ignifuge et du fait que les pompiers ne disposaient pas d'un approvisionnement constant en eau. Cela a occasionné des problèmes, car les camions et les véhicules servant au transport de l'eau étaient affectés par le gel en raison des températures extrêmement froides, si bien que l'efficacité des efforts de suppression des incendies a été limitée. Dans l'ensemble, les pompiers ont fait leur travail avec beaucoup d'efficacité, même s'ils ont dû faire face à un événement majeur et composer avec des conditions météorologiques difficiles.

    Remise en état des lieux

    Un programme exhaustif d'intervention environnementale a été mis en œuvre, et la remise en état des lieux du déraillement a été réalisée de façon rigoureuse.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. La répartition des wagons déraillés, la position du rail sud, qui était resté en place à l'est du lieu du déraillement et l'absence de défauts préexistants dans les bouts de rail récupérés suggèrent que le déraillement a vraisemblablement résulté d'une rupture soudaine et catastrophique du rail sud au moment du passage du train.
    2. Le fait que le rail sud ait été compromis dans le secteur de l'accident par des défauts persistants qui nécessitaient une intervention prioritaire, et le temps froid, qui a réduit la ténacité de l'acier et la résistance du rail aux forces exercées pendant le service, sont des facteurs qui ont pu contribuer à la rupture du rail.

    Autres faits établis

    1. Bien que la planification des opérations ait été appropriée, qu'on ait procédé à une évaluation de la situation, qu'on ait pris des précautions adéquates et que personne n'ait été blessé lors de l'événement, il reste qu'il n'est pas souhaitable dans tous les cas qu'on autorise des employés autres que le personnel d'intervention d'urgence à travailler à l'intérieur d'une zone d'évacuation pendant des opérations de suppression d'un incendie.
    2. Les pompiers ont fait leur travail avec beaucoup d'efficacité, même s'ils ont dû faire face à un événement majeur et composer avec des conditions météorologiques difficiles.
    3. Un programme exhaustif d'intervention environnementale a été mis en œuvre, et la remise en état des lieux du déraillement a été réalisée de façon rigoureuse.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .