Déraillement en voie non principale
du train de marchandises numéro 292-02
exploité par le Chemin de fer Canadien Pacifique
au point milliaire 0,0 de la subdivision Brooks
Medicine Hat (Alberta)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 3 février 2010 à 17 h 20, heure normale des Rocheuses, tandis que le train de marchandises numéro 292-02 du Chemin de fer Canadien Pacifique roule en direction est sur la voie no 2 du triage de Medicine Hat (Alberta), 7 wagons porte-automobiles vides qui font partie du train déraillent. Les wagons déraillés heurtent du matériel roulant qui se trouve sur des voies adjacentes situées au nord et au sud de la voie, et ils font dérailler 2 locomotives et un autre wagon porte-automobiles. Les réservoirs de carburant des 2 locomotives déraillées sont percés et laissent échapper 9 100 litres de carburant diesel (no ONU 1202). Personne n'a été blessé et il n'y a pas eu d'autre déversement de marchandises dangereuses.
This report is also available in English.
Autres renseignements de base
L'accident
Le 3 février 2010, le train no 292-02 en direction de l'est (train 292) du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) circule dans la subdivision Brooks (voir la figure 1) entre Calgary (Alberta) (point milliaire 175,8) et Suffield (Alberta) (point milliaire 26,5). À cet endroit, 27 wagons porte-automobiles vides sont ajoutés en tête du train, directement derrière les locomotives. Une fois ces wagons ajoutés, le train se compose de 2 locomotives, de 53 wagons chargés et de 49 wagons vides, il pèse 8983 tonnes et il mesure 7298 pieds. Le train prend ensuite la direction de Medicine Hat (Alberta) (point milliaire 0,0), où l'on doit procéder à un changement d'équipe.
Après être arrivé au triage Medicine Hat, le train 292 s'arrête sur la voie d'atelier ouest pour procéder au changement d'équipe. Quand ils changent d'équipe à Medicine Hat, les trains directs s'arrêtent normalement sur la voie principale ou la voie no 1. Toutefois, lors de cet événement, la voie principale est occupée par le train no 103-31 en direction de l'ouest (train 103) du CFCP, qui s'est immobilisé en attendant que le train 292 arrive et reparte. La voie no 1 est occupée par le déplacement d'un autre train.
L'équipe descendante laisse le train 292 en extensionNote de bas de page 1, avec les freins à air et le frein direct de locomotive serrés à fond. La partie avant du train 292, mesurant 2800 pieds de longueur, s'immobilise sur un tronçon dont une partie est plate et dont l'autre partie descend une pente de 0,3 %, tandis que la partie arrière du train, mesurant 4500 pieds de longueur, s'arrête sur un tronçon qui descend une pente de 1,3 %. Avant de prendre les commandes du train, l'équipe montante discute de l'état du train avec l'équipe descendante, et notamment de l'état dans lequel on a laissé le train.
Au moment d'embarquer sur le train, le mécanicien et le chef de train de l'équipe montante présentent un état de repos et une condition physique conformes aux exigences; ils connaissent bien le triage Medicine Hat et la subdivision Brooks.
À 17 h 17Note de bas de page 2, on desserre les freins du train 292, après quoi le train part de Medicine Hat à destination de Swift Current (Saskatchewan). Au moment du départ, on inspecte les deux côtés du train. Les renseignements consignés indiquent que le train s'est mis en mouvement dans la minute qui a suivi le desserrage des freins du train, lesquels avaient été serrés à fond auparavant, et un peu avant que le frein direct de locomotive soit desserré complètement. La pression de la conduite générale est de 86 livres//po² Note de bas de page 3 à la tête du train, et de 69 livres//po² en queue de train.
À 17 h 19 min 02 s, tandis que le train roule à 8 mi/h, on place le frein rhéostatique (FR)Note de bas de page 4 à la position de mise en service (voir le tableau 1). À partir de 17 h 19 min 08 s, puis pendant les 54 secondes qui suivent, on augmente progressivement la puissance du FR, de la position 1 à la position 6. La vitesse maximale atteint 12 mi/h et l'effort maximal de FR est de 83 000 lb.
À 17 h 20 min 12 s, alors que le train a ralenti à 7 mi/h, et que le frein rhéostatique est appliqué à fond, à la position 8, un freinage d'urgence provenant de la conduite générale se déclenche. À ce moment, la pression de la conduite générale est de 87 lb/po² à la tête du train, et de 72 livres//po² en queue de train. Sept wagons vides du train 292, soit du 13e wagon au 19e wagon derrière les locomotives de tête, viennent de dérailler (voir la figure 2).
Heure | Événement | Vitesse (mi/h) |
---|---|---|
17 h 17 min 19 s | Les freins du train sont desserrés | 0 |
17 h 18 min 14 s | Le train commence à avancer | 1 |
17 h 18 min 17 s | Le frein de locomotive est desserré | 1 |
17 h 19 min 02 s | Mise en service du FR | 8 |
17 h 19 min 08 s | FR1 | 9 |
17 h 19 min 10 s | FR1 – 4 000 livres | 10 |
17 h 19 min 20 s | FR2 – 15 000 livres | 11 |
17 h 19 min 29 s | FR3 – 30 000 livres | 12 |
17 h 19 min 38 s | FR4 – 49 000 livres | 12 |
17 h 19 min 46 s | FR4 – 61 000 livres | 12 |
17 h 19 min 52 s | FR5 – 71 000 livres | 12 |
17 h 19 min 58 s | FR6 – 80 000 livres | 12 |
17 h 20 min 02 s | FR6 – 83 000 livres | 12 |
17 h 20 min 12 s | FR8 – Freinage d'urgence | 7 |
Lors du déraillement, le temps était généralement clair et la température était de −10°C .
Examen sur place
Pour le premier wagon, le TTGX 978119, c'est le bogie arrière qui a déraillé; tous les bogies des 6 wagons suivants ont quitté la voie. Le 16e wagon, TTGX 963657, a déraillé au sud de la voie no 2 et a heurté et fait dérailler la locomotive de triage CP 3039, qui était stationnée sur la voie d'atelier no 1. Sous la force de l'impact, le réservoir de carburant de la CP 3039 a été percé et a laissé fuir du carburant diesel sur le sol. Le mécanicien de la manœuvre de triage, qui se trouvait dans la cabine, n'a pas été blessé.
Le 17e wagon du train 292, TTGX 820827, a déraillé au nord de la voie no 2 et a heurté l'avant du train 103, qui était sur la voie principale. L'impact a fait dérailler la locomotive de tête, CP 9783, et le premier wagon, un wagon porte-automobiles vide. Le réservoir de carburant de la CP 9783 a été percé et a laissé fuir du carburant diesel sur le sol. Le chef de train, qui prenait place dans la cabine de la locomotive, n'a pas été blessé.
Durant l'examen sur place, les premières marques de boudin de roue ont été relevées sur le champignon du contre-rail nord du cœur du branchement à gauche numéro 11 de 100 livres, entre la voie d'atelier no 1 ouest et la voie ZAUX.
Inspection mécanique des wagons déraillés
On a démonté 3 des wagons déraillés du train 292, soit les 14e, 15e et 16e wagons placés derrière les locomotives de tête, pour en faire une inspection mécanique. En raison des dommages causés par le déraillement, on n'a pu faire qu'un démontage partiel du 15e wagon. On a relevé des défauts mineurs de dégagement des glissoirs des 14e et 16e wagons, et on n'a relevé aucun défaut dans le cas du 15e wagon.
Intervention d'urgence
Environ 1800 litres de carburant se sont échappés des réservoirs de la locomotive CP 3039, et une quantité additionnelle de 7300 litres de combustible s'est échappée des réservoirs de la locomotive CP 9783. Le combustible s'est surtout accumulé sur le sol gelé et a contaminé la neige et la glace. Une partie du combustible a atteint le ballast de la voie. On a fait venir un camion-citerne sous vide pour récupérer les liquides accumulés et on a utilisé des produits absorbants pour prévenir toute migration éventuelle du combustible. Durant les opérations initiales de récupération des matériaux contaminés qui recouvraient le sol gelé, il s'est produit une libération du liquide du système de refroidissement de la locomotive, qui a contaminé encore davantage la neige et la glace.
Un autre camion-citerne sous vide est arrivé sur les lieux le lendemain matin, mais comme les liquides étaient congelés, on a fait venir le jour suivant un camion hydrovac qui a retiré tous les liquides de surface. On a récupéré une quantité estimative totale de 14 275 litres de carburant diesel et de liquide de refroidissement, dont environ 8500 litres de carburant qui se trouvaient encore dans les réservoirs percés des 2 locomotives. On a recueilli environ 18 mètres cubes de glace, de neige et de sol sur les lieux de l'accident. La quantité restante de 4375 litres de carburant et de liquide de refroidissement devait être traitée comme les autres contaminants similaires du triage. Le carburant répandu n'a causé aucune pollution dans la rivière Saskatchewan Sud ni dans le réseau municipal d'égout pluvial.
Renseignements sur la voie ferrée
La plupart des rails de la voie d'atelier ouest étaient des rails éclissés récupérés de 60 pieds qui avaient été posés en 2004. Tous les joints étaient des joints de rail boulonnés à 6 trous, et ils étaient en excellent état. Les rails étaient encadrés par des anticheminants à toutes les 2 traverses et ils étaient posés sur les selles de rail à épaulement simple qui étaient retenues à chaque traverse par 2 crampons. Les traverses de bois dur et de bois mou étaient en bon état. Le ballast était constitué en grande partie d'un mélange de ballast tout-venant et de gravillons pour passages piétonNote de bas de page 5 dont l'égouttement était de passable à médiocre. Des environs du point milliaire 5,5 jusqu'au triage Medicine Hat, la voie descend une longue pente en direction est.
Pendant l'examen fait sur place après l'accident, on n'a pas relevé de défauts préexistants ou de défauts de la voie dans le secteur du branchement.
Durant les 3 années précédentes, les seuls travaux d'entretien réalisés dans le secteur ont été des travaux d'entretien des boulons. Lors de l'accident, on ne planifiait pas de mener des travaux d'entretien de la voie à cet endroit.
Le branchement de la voie ZAUX était en bon état. Le cœur était neuf et n'avait pas été soudé. Le rail nord du branchement était un rail de profil RE de 100 livres à champignon chanfreiné fabriqué en 1943, et le rail sud était un rail de profil RE de 100 livres qui avait été fabriqué en 1995. L'usure des 2 rails était en deçà des limites tolérées dans le Livre rouge du CFCP sur les exigences relatives à la voie (CP Red Book of Track Requirements). Le branchement a été inspecté conformément aux exigences de la réglementation.
Circulation des trains dans la subdivision Brooks
Dans la subdivision Brooks, la circulation des trains est régie grâce au système de commande centralisée de la circulation (CCC) en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), et elle est supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire à partir de Calgary (Alberta). Les équipes des trains doivent avoir en leur possession un bulletin quotidien d'exploitation portant sur le secteur allant du point milliaire 8 de la subdivision Brooks au point milliaire 135 de la subdivision Maple Creek, en passant par le triage. Dans le triage de Medicine HatNote de bas de page 6, la circulation est régie par la règle 105 du REF, intitulée « Vitesse sur une voie non principale »
, et la vitesse maximale autorisée est de 10 mi/h.
Renseignements sur les wagons de marchandises
Les 8 wagons impliqués dans le déraillement, dont les 7 wagons du train 292 et 1 wagon du train 103, étaient des wagons porte-automobiles vides de 94 pieds de longueur munis d'amortisseurs hydrauliques en bout de wagon (AHBW). Les AHBW permettent un débattement longitudinal de 10 pouces à chaque bout du wagon, alors que les appareils de traction normaux permettent un débattement longitudinal de 3 1/4 pouces à chaque bout. Les wagons munis d'AHBW sont conçus pour amortir les forces internes au moyen de dispositifs hydrauliques qui atténuent la force des impacts entre les wagons. Ce système d'attelage peut réduire les effets des forces de martèlement (compression des attelages) et de traction (efforts de tension), assurer un roulement plus doux et réduire les dommages subis par le chargement et le matériel roulant.
Les 8 wagons qui ont déraillé étaient aussi munis d'attelages à bras long qui permettent des mouvements latéraux d'une amplitude atteignant 13 ° par rapport à l'axe central, alors que les attelages ordinaires permettent des mouvements latéraux d'une amplitude maximale de 7 °. Avec ces wagons longs, on doit utiliser des attelages à bras long, permettant un débattement angulaire accru, pour assurer de bonnes performances des wagons dans les courbes.
Composition des trains
Quand on a formé le train impliqué dans l'accident, on a placé en tête du train 27 wagons porte-automobiles vides dont chacun était muni d'AHBW, suivis d'un bloc de 15 wagons chargés et de 19 wagons vides, et d'un bloc de 38 wagons chargés et de 3 wagons vides placés à la queue du train (voir la figure 3). En plus des 27 wagons porte-automobiles, 2 autres wagons étaient aussi munis d'AHBW.
Le manuel de composition des trains (Train Make-Up Manual)Note de bas de page 7 de l'Association of American Railroads (AAR) indique que les wagons munis d'AHBW ont pour effet d'accroître le jeu des attelages et peuvent causer une augmentation considérable des forces exercées dans le train. Plus particulièrement, on peut lire à la section 6.6 du manuel que des blocs de plusieurs wagons munis d'AHBW ne devraient pas être placés devant des blocs de plusieurs wagons chargés dont les organes de traction sont conventionnels. Toutefois, les 27 wagons porte-automobiles vides du train 292 étaient munis d'AHBW à précharge qui ne se compriment que si la force de compression des attelages est supérieure à 50 kips.
Le Chemin de fer Canadien Pacifique a mis au point et mis en œuvre le Train Area Marshalling (TrAM), un système informatisé exclusif de composition des trains qui vise à atténuer le plus possible les forces internes exercées dans un train. Le TrAM établit des limites quant à la composition des trains et au placement du tonnage remorqué dans le cas de certains types de matériel roulant. Les limites varient en fonction du type de wagon, de la longueur du wagon et de son poids, de la longueur du wagon adjacent, et de la courbure et de la pente des voies sur lesquelles le wagon va rouler. Le système tient aussi compte de la présence de wagons munis d'AHBW et de groupes de traction télécommandés. Le système TrAM s'applique uniquement aux opérations de ligne, et n'est pas utilisé dans les triages.
À la section 7, article 6.1, des Instructions générales d'exploitation (IGE) du CFCP, on indique que, dans la mesure du possible, on forme les trains de marchandises mixtes conventionnels en veillant à placer les wagons chargés le plus près possible des locomotives, sous réserve des exigences du lotissement d'après la destination. De plus, à la note 1 de la section 7, article 6.1 des IGE du CFCP (placement des blocs de wagons lourds et de wagons légers), on indique que : « les messages du système TrAM de composition des trains n'indiquent pas si la composition des trains répond à l'intention visée par cet article. »
[Traduction]
Le réseau du CFCP est divisé en 6 secteurs pour les besoins du système TrAM, dont chaque secteur a ses propres exigences concernant la composition des trains. Le secteur 1 du TrAM est le moins restrictif. L'itinéraire allant de Calgary à North Portal (Saskatchewan) est classé dans le secteur 1 du TrAM. Le système TrAM considère les wagons de plus de 45 tonnes comme étant des wagons chargés. Or, même quand ils sont vides, les wagons porte-automobiles ont une tare d'environ 50 tonnes, en raison du poids du bâti de chargement. Lors de cet événement, il n'y avait pas de message du système TrAM disant que le train 292 contrevenait aux règles du système.
Après qu'on eut ajouté les 27 wagons porte-automobiles vides en tête de train, à Suffield, le contrôleur de la circulation ferroviaire a émis un message radio du système TrAM disant qu'il n'y avait aucune infraction aux règles de composition des trains.
Emploi du freinage rhéostatique
Les 2 locomotives du train 292 étaient des locomotives à AC de grande puissance qui disposaient de freins rhéostatiques à grande capacité et à puissance accrueNote de bas de page 8. Les locomotives avaient un facteur FR combiné de 20 et pouvaient générer une force de ralentissement totale de 196 000 livres. Au CFCP, un facteur FR de 20 équivaut à une force maximale de 98 000 livres, multipliée par 2, soit un total de 196 000 livres. On arrondit ce total à 200 000 livres.
On trouve des instructions sur l'emploi du FR à la section 16 des IGE du CFCP (en voici un extrait) :
Article 7.1 – on peut utiliser tout l'effort de FR, jusqu'à un maximum de 200 000 livres (facteur FR de 20).
Article 7.6 C – sur les voies de triage, si le facteur FR du groupe de traction de tête est de 14 ou plus, l'effort de freinage rhéostatique NE DOIT PAS excéder 60 000 livres.
Article 7.7 A – Les freins à air du train et le FR peuvent être utilisés conjointement.
Article 7.7 B – Lorsque le desserrage du frein automatique doit être suivi d'un freinage rhéostatique ou de l'augmentation de son effort retardateur, il faut commencer par actionner le FR puis, après le desserrage du frein automatique, réduire brièvement son action durant au moins deux minutes de manière à éviter une compression des attelages susceptible de provoquer une mise en portefeuille.
Forces exercées dans le train et interface roues/rails
Tous les organes de traction de wagons sont conçus pour permettre un débattement longitudinal, appelé « jeu »
des attelages. Ce débattement peut devenir considérable lorsque le train est long et qu'il compte un grand nombre de wagons. Quand on freine de l'avant, le train se comprime. Les organes de traction et les dispositifs d'amortissement sont comprimés et il en résulte des forces de compression des attelages. Les forces de compression qui sont générées peuvent être considérables, surtout lorsque les wagons passent de l'état étiré à l'état comprimé, les wagons de l'arrière venant s'appuyer contre ceux qui les précèdent. Quand des forces de compression agissent sur les wagons dans une courbe, alors que les barres d'attelage forment un angle les unes par rapport aux autres, des efforts latéraux considérables peuvent être générés et exercer une pression contre le côté intérieur du rail par l'entremise des boudins des roues. Durant le freinage, on doit bien gérer le rattrapage du jeu des attelages et l'accumulation continue des forces de compression des attelages pour empêcher que le ratio forces latérales/forces verticales (ratio L/V) devienne trop élevé (voir la figure 4).
Le ratio L/V permet de quantifier les rapports entre le poids de la locomotive ou du wagon qui s'exerce sur le rail par l'entremise de l'interface roue/rail (c'est-à-dire la force verticale), et la force exercée par le boudin de roue quand celui-ci s'appuie contre le rail (c'est-à-dire la force latérale). Le ratio L/V d'une roue peut être utilisé pour prédire le risque de chevauchement du rail. Lorsqu'un wagon exerce sur les rails des forces latérales élevées et des forces verticales peu élevées, il y a un risque de déraillement consécutif au chevauchement du rail. Dans des conditions normales de contact entre les boudins de roue et les rails, il y a un risque de chevauchement du rail quand le ratio L/V d'une roue est de 1,5.
Consignes concernant la conduite des trains
La section 16 des IGE du CFCP comprend des directives sur la conduite des trains pour éviter que le ratio L/V soit trop élevé et pour empêcher des déraillements attribuables à des forces élevées de compression des attelages. Au paragraphe 10.1 de la section 16 des IGE du CFCP, intitulé « Introduction aux directives pour la conduite des trains »
, on peut lire :
C'est à la connaissance de la voie et à la composition de son train que le mécanicien doit accorder le plus d'importance quand il se donne un plan d'action pour conduire son train sûrement, efficacement et avec compétence. L'attention et les soins particuliers exigés au démarrage et à l'arrêt d'un train s'imposent aussi quand les attelages du train passent d'un état comprimé à un état étiré, et inversement. Les variations du jeu des attelages causées par les déclivités ou la composition du train, ou résultant de manœuvres du mécanicien, doivent êtres traitées de manière à garder à des niveaux acceptables les forces en-train.
Au paragraphe 12.0 de la section 16 des IGE du CFCP, on peut notamment lire ce qui suit :
« …s'il est possible de se servir du frein rhéostatique pour freiner ou arrêter le train dans des conditions prévues par le mécanicien, celui-ci devrait éviter d'utiliser la méthode du freinage en traction (utilisation des freins à air du train). »
« De nombreuses méthodes de conduite prévoient une dépression finale à quelque 200 pieds de l'arrêt. Cette dépression a pour but de garder les attelages comprimés. »
Analyse faite par le laboratoire du BST
Le laboratoire technique du BST a réalisé un examen des forces dynamiques qui se sont exercées lors du déraillement (rapport LP 020/2010), et a déterminé que :
- Le déraillement a été causé par un effort latéral transformé extrêmement élevé, lequel a résulté des forces considérables de compression des attelages qui se sont exercées au moment d'une application du FR qui excédait les limites tolérées par les IGE.
- Le mécanicien n'a appliqué que le freinage rhéostatique du train 292-02, sans serrer les freins à air, pendant la période qui a précédé le déraillement.
- La longueur des wagons porte-automobiles vides et l'angle prononcé des barres d'attelage de ces wagons porte-automobiles ont contribué à transformer les forces internes de compression des attelages en des forces latérales considérables.
- La simulation du comportement dynamique du train a permis d'estimer que les forces internes maximales de compression des attelages qui se sont exercées sur les wagons déraillés (du 13e au 19e wagons) ont été de l'ordre de 141 à 147 kips, et que l'effort latéral transformé qui s'est exercé sur la roue gauche qui a déraillé, était de l'ordre de 226 à 237 kips, avec des ratios L/V de 1,22 pour les roues des 17e et 18e wagons et de 1,50 pour les roues du wagon qui a vraisemblablement déraillé en premier, en l'occurrence le 14e wagon.
- Si l'on modifiait la composition du train, en remplaçant le bloc de 27 wagons porte-automobiles vides de l'avant par le bloc de wagons fortement chargés de la queue du train, les forces internes maximales seraient à peu près similaires mais l'effort latéral transformé maximal et les ratios L/V s'appliqueraient sur les wagons plus lourds, et non pas sur les wagons porte-automobiles vides, donc plus légers, de sorte que le risque de déraillement serait moindre.
Essais et simulations réalisés par le CFCP
Le CFCP a réalisé une simulation de l'accident sur ordinateur à l'aide du logiciel de simulation appelé Train Operations and Energy Simulator (TOES). Pour la simulation, on a utilisé les données sur la voie fournies par la voiture d'évaluation de la voie du CFCP, les renseignements relatifs au bulletin de composition du train 292 et à son profil de tonnage et les données téléchargées du consignateur d'événements de locomotive (CEL). La simulation au moyen du programme TOES a révélé que les wagons nos 13 à 19 (c'est-à-dire les 7 wagons qui ont déraillé) ont dû être affectés par un rattrapage initial du jeu des attelages quand on a desserré les freins du train pour mettre le convoi en mouvement, puis par des forces variables et de plus en plus grandes qui se sont exercées sur les attelages du matériel remorqué au moment de l'application progressive du FR (la force de compression des attelages a varié entre 60 000 et 160 000 livres), pendant que le train circulait dans le branchement de la voie d'atelier ouest. La simulation a indiqué que, sur les 7 wagons qui ont déraillés, le 19e wagon est celui qui a subi les forces de compression les plus grandes lorsque le bloc de wagons a circulé dans le branchement de la voie d'atelier ouest.
Le CFCP a procédé à une simulation TOES avec le même train, mais en appliquant un facteur FR de 4 avant le desserrage des freins du train et du frein direct. Dans le cadre de ce scénario, on a combiné l'application du FR au serrage des freins du train pour maintenir la vitesse en deçà de 10 mi/h, conformément à la règle 105 du REF (Vitesse sur une voie non principale). La simulation a prédit que le rattrapage initial du jeu des attelages serait moins prononcé, et que les forces maximales exercées sur les attelages du matériel remorqué seraient à la fois moins grandes et plus uniformes (c'est-à-dire des forces de compression de l'ordre de 80 000 à 115 000 livres) au moment où le train passerait sur le branchement entre la voie d'atelier no 1 ouest et la voie ZAUX.
Analyse
On considère que l'état de la voie et du matériel roulant n'a pas été un facteur contributif de ce déraillement. L'analyse portera sur la conduite et la composition du train et sur l'acheminement des trains dans les cours de triage.
L'accident
Les premières marques qu'on a observées sur la voie étaient des marques de boudin de roue qui ont été relevées sur le champignon du contre-rail nord du cœur du branchement à gauche numéro 11 de 100 livres, entre la voie d'atelier no 1 ouest et la voie ZAUX, et qui correspondaient au point de déraillement (PDD).
On a arrêté le train 292 sur la voie d'atelier ouest, devant la gare de Medicine Hat, pour un changement d'équipe. Le train s'était arrêté dans un tronçon en pente avec les freins à air serrés à fond. Après le desserrage du frein automatique et du frein direct, le train 292 s'est mis en mouvement et a atteint une vitesse de 8 mi/h avant qu'on applique le FR. On a appliqué une force de freinage rhéostatique atteignant 83 000 livres pour maintenir la vitesse du train en deçà de 10 mi/h. Cet effort de FR dépassait de 23 000 livres la valeur maximale de 60 000 livres qu'on recommande d'appliquer sur une voie de triage lorsque le facteur FR de la locomotive de tête est de 14 ou plus. En raison du desserrage récent des freins du train, le circuit de freinage n'était que partiellement réalimenté. Par conséquent, on a considéré que l'utilisation des freins du train n'était pas une option envisageable pour contrôler la vitesse du train, puisque le train a commencé à accélérer environ 1 minute après le desserrage des freins. Au moment du déraillement, soit environ 3 minutes après le desserrage, le circuit de freinage du train avait recouvré une partie de son efficacité, mais seul le FR a été utilisé pour limiter la vitesse du train.
Le fait d'utiliser uniquement le FR et d'appliquer une force de FR supérieure aux valeurs recommandées a généré des forces internes de compression des attelages qui se sont concentrées près de la tête du train, là où se trouvaient les wagons porte-automobiles vides. Bien que le système TrAM les considère comme des wagons chargés, ces wagons relativement légers ont occasionné un ratio L/V dans lequel la composante verticale était peu élevée. Par la suite, tandis que les wagons porte-automobiles plus légers négociaient la courbe prononcée du branchement, les forces considérables de compression des attelages ont produit un effort latéral élevé au point d'interface roues/rail. Le ratio L/V étant élevé, les roues du 14e wagon ont chevauché le rail et ont fait dérailler les wagons 13 à 19 du bloc de wagons.
Critères de détermination des wagons chargés du système TrAM
La partie arrière du train, mesurant 4500 pieds de longueur, était plus lourde et se trouvait sur une pente plus accentuée que la partie avant, d'une longueur de 2800 pieds. Bien que cela ne soit pas interdit par le système TrAM, le fait de placer des wagons porte-automobiles à niveaux multiples qui sont vides et relativement légers à l'avant du train et de placer des wagons plus lourds derrière eux a rendu l'avant plus vulnérable aux forces considérables de compression des attelages qui ont été générées quand on s'est servi uniquement du FR pour limiter la vitesse du train. Les forces de compression des attelages ont comprimé les organes de traction munis d'AHBW, et ont produit un effort latéral transformé considérable du fait de l'angle prononcé des attelages. Quand ils sont vides, ces wagons pèsent plus d'une fois et demie le poids d'un wagon vide conventionnel, et le système TrAM les considère comme étant des wagons chargés. S'ils avaient été placés en queue de train, derrière des wagons chargés plus lourds, le risque de déraillement aurait été moindre. Même s'il peut sembler approprié d'appliquer le seuil de 45 tonnes du système TrAM aux longs wagons vides dont les attelages ont un angle prononcé et qui ont des organes de traction munis d'AHBW, le fait de placer ces wagons devant des wagons chargés plus lourds qu'eux a pour effet d'accroître les risques de déraillement pendant des freinages intenses.
Acheminement des trains directs au triage de Medicine Hat
Les trains directs qui roulent vers l'est sont normalement dirigés sur la voie principale ou la voie no 1 quand ils changent d'équipe à Medicine Hat. Lors de cet événement, toutefois, la voie principale et la voie no 1 étaient toutes deux occupées. Pour permettre le changement d'équipe et pour hâter les opérations, on a fait passer le train 292 par le triage et on l'a fait circuler sur 3 branchements, notamment sur le branchement no 11 entre la voie d'atelier no 1 ouest et la voie ZAUX, là où le déraillement s'est produit. En faisant passer le train 292 sur la voie de triage no 2, plutôt que sur la voie principale ou sur la voie no 1, qui étaient davantage en alignement droit, on a accru le risque de déraillement du fait des forces latérales excessives générées par le passage du train.
Trains « en extension »
dans une pente
Si l'on avait stationné le train avec les attelages comprimés, les forces de compression des attelages auraient été moindres au moment de desserrer les freins du train. Pour ce faire, il aurait fallu que l'équipe descendante exécute un arrêt avec les attelages comprimés dans le triage et sur les branchements. Bien que l'équipe descendante consacrait vraisemblablement son attention à réussir un arrêt en toute sécurité en vue du changement d'équipe, le fait d'avoir laissé le train en extension dans une pente descendante où l'on devait franchir des branchements d'un triage a fait en sorte qu'il a été difficile de redémarrer sans risque.
Freins du train
Les instructions concernant l'emploi du FR indiquent que, quand on doit appliquer le FR après le desserrage des freins, on doit placer la manette de commande du FR à la position de freinage avant de desserrer les freins du train. Cependant, la simulation du CFCP a montré qu'après avoir procédé de cette façon, il aurait quand même fallu serrer de nouveau les freins du train pour maintenir la vitesse du train en deçà de 10 mi/h. Après le desserrage des freins, qui avaient été serrés à fond précédemment, le train a accéléré et a atteint une vitesse de 8 mi/h dans un délai de 1 minute et 43 secondes. Pour maintenir efficacement la vitesse en deçà de 10 mi/h, il aurait été nécessaire de resserrer très rapidement les freins du train après les avoir desserrés. Même si ce train conventionnel comptant 102 wagons avait récupéré une partie de sa capacité de freinage avant le déraillement, on n'aurait pas eu assez de temps pour réalimenter le circuit de freinage à air comprimé et pour pouvoir commander un nouveau serrage à taux normal alors que les freins venaient d'être desserrés à la suite d'un serrage à fond. Un freinage d'urgence commandé par l'opérateur aurait toujours été possible, mais c'est une option à laquelle un mécanicien ne se résoudrait qu'en cas d'absolue nécessité lorsque son train franchit de nombreux branchements dans un triage.
Intervention environnementale
Bien que des quantités considérables de carburant et de liquide de refroidissement se soient déversées, les produits qui se sont répandus ont été en grande partie récupérés et n'ont atteint ni la rivière Saskatchewan Sud ni le réseau municipal d'égout pluvial. L'intervention environnementale a été rapide et efficace.
L'enquête a donné lieu à la rédaction du rapport de laboratoire suivant :
LP020/2010 – Train Simulation, CP Freight Train, 292-02 (Simulation – Train no 292-02 du CFCP).
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Après que le train a eu atteint une vitesse de 8 mi/h, on a appliqué le FR à un niveau de puissance supérieur aux valeurs maximales recommandées pour maintenir la vitesse en deçà de 10 mi/h, générant ainsi des forces considérables de compression des attelages.
- Au moment où les wagons porte-automobiles plus légers qui avaient été placés en tête de train négociaient la courbe prononcée du branchement, les forces considérables de compression des attelages ont produit un effort latéral élevé au point d'interface roues/rail.
- Le ratio L/V étant élevé, un chevauchement du rail s'est produit, après quoi les wagons 13 à 19 du bloc de wagons ont déraillé.
- Le passage du train 292 sur la voie de triage no 2, plutôt que sur la voie principale ou sur la voie no 1, qui étaient davantage en alignement droit, a occasionné des efforts latéraux considérables.
- Bien que l'équipe descendante consacrait vraisemblablement son attention à réussir un arrêt en toute sécurité en vue du changement d'équipe, le fait d'avoir laissé le train en extension dans une pente descendante où l'on devait franchir des branchements d'un triage a fait en sorte qu'il a été difficile de redémarrer sans risque.
- Pour maintenir efficacement la vitesse en deçà de 10 mi/h, il aurait été nécessaire de resserrer très rapidement les freins du train après les avoir desserrés. Toutefois, le temps de réalimentation du circuit de freinage à air comprimé était trop court pour pouvoir commander un nouveau serrage qui soit efficace.
Fait établi quant aux risques
- Même s'il peut sembler approprié d'appliquer le seuil de 45 tonnes du système TrAM aux longs wagons vides dont les attelages ont un angle prononcé et qui ont des organes de traction munis d'AHBW, le fait de placer ces wagons devant des wagons chargés plus lourds qu'eux a pour effet d'accroître les risques de déraillement pendant des freinages intenses.
Autre fait établi
- L'intervention environnementale a été rapide et efficace.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Le Chemin de fer Canadien Pacifique a pris les mesures de sécurité ci-après :
- On a étudié l'incident dans le cadre d'un cours de recyclage sur les freins à air/la conduite des trains qui a été offert à chaque mécanicien du terminal. Le cours comprenait un rappel sur la méthode de conduite des trains qui convient dans ces circonstances (Note : cette méthode a été confirmée aussi bien sur simulateur que sur le terrain, et elle est conforme aux dispositions du REF et aux exigences de l'annexe 1 de la section 16 des IGE, aide-mémoire sur la conduite des trains dans les pentes fortes).
- Des gestionnaires locaux ont aussi accompagné chaque mécanicien à bord de locomotives pour savoir dans quelle mesure ils ont assimilé les principes enseignés pendant le cours.
- On a demandé aux superviseurs locaux de l'exploitation d'éviter, dans la mesure du possible, de faire passer par la cour de triage les trains qui circulent en direction est, surtout s'il s'agit de trains lourds.
- On élabore actuellement un système TrAM de 3e génération qui évaluera l'opportunité de placer des wagons plus légers (c'est-à-dire pesant moins de 45 tonnes) ou des wagons plus lourds près de la tête d'un train.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .