Collision en voie principale
entre du matériel roulant à la dérive et le train A45951-16 exploité par le Canadien National
au point milliaire 44,5
de la subdivision Grande Cache
à Hanlon (Alberta)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 18 janvier 2012, à 12 h 12, heure normale des Rocheuses, 13 wagons de charbon chargés qui roulent à la dérive vers le nord à partir de la voie d'évitement de Hanlon, point milliaire 41,7 de la subdivision Grande Cache, entrent en collision avec le train A45951-16 qui est immobilisé au point milliaire 44,5. Neuf des 13 wagons et les 3 locomotives de tête du train déraillent. Deux membres de l'équipe sont légèrement blessés et traités sur place alors que le troisième membre de l'équipe est grièvement blessé et est transporté par avion à un hôpital de Hinton (Alberta). Environ 2800 litres de carburant et 740 tonnes de charbon sont déversés. Un tronçon d‘environ 250 pieds de voie est endommagé.
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Renseignements de base
À 21 h 10Note de bas de page 1, le 16 janvier 2012, le train A45851-16 (train 458) quitte Swan Landing (Alberta), point milliaire 0,0 de la subdivision Grande Cache, en direction nord vers Winniandy (Alberta), point milliaire 108,5 (voir la figure 1). Le train 458 se compose de 5 locomotives de tête, d'une locomotive de queue, de 91 wagons de charbon chargés et d'un wagon vide. Il pèse environ 13 620 tonnes et mesure quelque 5830 pieds. Chaque wagon chargé pèse quelque 136 tonnes. L'équipe se compose d'un mécanicien de locomotive et d'un chef de train. Les membres de l'équipe répondent aux exigences de leurs postes respectifs et se conforment aux normes de repos et de condition physique.
À 23 h 25, les freins d'urgence du train 458 se déclenchent automatiquement et le train s'arrête au point milliaire 25,7. Le chef de train effectue une inspection qui permet de déceler le bris de la barre d'attelage du wagon CN 199114 (5e wagon à partir de la tête) qui a entraîné une séparation du train. La queue du train est ensuite immobilisée à l'aide de freins à main. La partie avant du train, composée de 5 locomotives et des 5 premiers wagons, continue vers la voie d'évitement de Hanlon, point milliaire 41,0. Les 5 wagons sont placés à l'extrémité nord de la voie d'évitement. Les locomotives reviennent ensuite vers la portion de queue immobilisée au point milliaire 25,7.
Après que l'équipe attelle de nouveau les locomotives aux wagons de queue, le train 458 commence à avancer. Un deuxième freinage d'urgence survient. Une inspection révèle que la barre d'attelage du 13e wagon (CN 199183) s'est briséeNote de bas de page 2, ce qui a entraîné la séparation du train. L'équipe immobilise la portion de queue et la portion de tête (c'est-à-dire, 5 locomotives et 13 wagons de charbon chargés) et retourne sur la voie d'évitement de Hanlon. À proximité de la voie d'évitement, les 13 wagons sont d'abord immobilisés sur la voie principale alors que 4 des 5 wagons qui sont sur la voie d'évitement sont ajoutés à ce groupe de wagons. Les 17 wagons sont alors poussés à l'extrémité nord de la voie d'évitement, le wagon CN 199183 étant en tête. Une fois sur la voie d'évitement (vers 5 h 10, le 17 janvier 2012), un frein à main est serré sur le wagon de tête et on effectue un essai de freinage en tentant de pousser les wagons vers le sud (c'est-à-dire, vers la pente montante). Même s'il connaît bien le territoire, le chef de train croit que l'extrémité nord de la voie d'évitement de Hanlon est en palier.
Après l'essai de freinage, on laisse les 13 wagons de queue du mouvement sur la voie d'évitement avec le premier wagon défectueux, le CN 199114 (voir la figure 2). Les 4 wagons de l'extrémité nord sont ramenés au train, au point milliaire 25,7. Afin de protéger l'avant du mouvement, le chef de train doit être situé sur l'extrémité avant du 4e wagon. En raison des températures froides et de la longue distance à parcourir pour retourner au train, des arrêts fréquents sont faits pour permettre au chef de train de se réchauffer dans la cabine de locomotive. De retour au point milliaire 25,7, on réattelle le train et recharge le système de freinage. Les membres de l'équipe ayant accompli toutes leurs heures de travail permises, ils quittent leur poste vers 10 h.
À 8 h 30, le 18 janvier 2012, le train A45951-16 (train 459) quitte Winniandy, vers le sud, en direction de Swan Landing. Il se compose de 4 locomotives de tête, de 65 wagons chargés et de 9 wagons vides. Il pèse environ 9273 tonnes et mesure quelque 4670 pieds. L'équipe du train 459 se compose d'un mécanicien de locomotive, d'un chef de train et d'un mécanicien de locomotive stagiaire. Ils répondent aux exigences de leurs postes respectifs et se conforment aux normes de repos et de condition physique.
Vers 12 h, le train 459 s'arrête à proximité du point milliaire 44,5 sur la voie principale, au bas d'une pente. L'équipe prévoit immobiliser le train sur la voie principale et circuler vers le sud avec ses locomotives jusqu'à l'extrémité sud de la voie d'évitement de Hanlon en vue d'ajouter une locomotive (qui se trouve à Hanlon) à son train. À 12 h 12, alors que l'équipe se prépare à effectuer le mouvement, une rame de 13 wagons de charbon chargés à la dériveNote de bas de page 3 entre en collision avec la partie avant du train 459. Au moment de la collision, le mécanicien de locomotive et le chef de train se trouvent sur la plate-forme arrière de la troisième locomotive en vue de la séparer de la 4e locomotive. Le mécanicien de locomotive stagiaire est aux commandes de la locomotive de tête (CN 5637).
Les 13 wagons de charbon chargés avaient roulé à la dérive sur une pente descendante de 1 % à partir de l'extrémité nord de la voie d'évitement de Hanlon, sur une distance d'environ 3 milles. La collision a causé le déraillement des 9 premiers des 13 wagons de charbon chargés et la destruction de 7 d'entre eux. Les 3 premières locomotives ont déraillé et ont subi des dommages considérables. La locomotive de tête s'est retrouvée sur la 3e locomotive (voir la photo 1). La 2e locomotive et la 3e locomotive ont déraillé et se sont renversées sur le côté. La 4e locomotive est demeurée sur ses roues sur les rails et a subi des dommages mineurs. Environ 2800 litres de carburant et 740 tonnes de charbon se sont déversés. Un tronçon d'environ 250 pieds de voie a été endommagé.
La cabine de la locomotive de tête a été endommagée, mais n'a pas été écrasée par la force de l'impact (voir la photo 2). Le mécanicien de locomotive stagiaire a été en mesure de sortir de la locomotive renversée après la collision. Il a subi des blessures graves, qui n'ont pas mis sa vie en danger, et a été transporté par avion à un hôpital de Hinton (Alberta). Les 2 autres membres de l'équipe ont subi des blessures mineures et ont été traités sur place.
Conditions météorologiques
Le 17 janvier 2012, le temps était dégagé, avec une température maximale de -32 °C et minimale de -41 °C. À 5 h, le 17 janvier (c'est-à-dire, au moment où les wagons de charbon ont été placés sur la voie d'évitement de Hanlon), la température était de -40 °C.
Le 18 janvier 2012, le temps était dégagé, avec une température maximale de -22 °C et minimale de -40 °C. Vers 12 h (c'est-à-dire, lorsque les wagons de charbon à la dérive ont quitté la voie d'évitement de Hanlon), la température était de -22 °C.
Inspection des lieux
Une inspection des 13 wagons de charbon chargés en cause dans l'accident a permis d'établir qu'aucune des roues de wagons ne présentait de signe de bleuissement ou de dommage causé par la chaleur et qu'un seul frein à main avait été serré (à l'extrémité sud du wagon CN 199183).
Les wagons CN 199272, CN 199199 et CN 199183 (c'est-à-dire, 3 des 4 wagons qui n'ont pas déraillé) ont été amenés aux installations du Canadien National (CN) à Edmonton (Alberta), pour subir des essais de l'effort exercé par les sabots de frein et de la résistance au roulement en état immobilisé.
Données du consignateur d'événements de locomotive du train 458
Un examen des données du consignateur d'événements de la 4e locomotive du train 458 a révélé ce qui suit :
- À 5 h 6 min 4 s, le manipulateur de la locomotive a été placé à la position 2 pour amorcer la marche arrière dans l'entrée nord de la voie d'évitement avec les 17 wagons de charbon chargés.
- Une fois sur la voie d'évitement, la locomotive s'est arrêtée pendant 3 minutes et 51 secondes pour serrer le frein à main.
- L'essai de freinage a commencé à 5 h 12 min 54 s. Le manipulateur a été placé à la position 1 puis à la position 2 pour amorcer la marche arrière, mais la vitesse est demeurée à 0 mi/h.
- À 5 h 13 min 15 s, le manipulateur est revenu à la position 1. Trois secondes plus tard, la pression d'air dans le cylindre de frein de la locomotive a commencé à augmenter.
- Le manipulateur a été placé à la position de ralenti à 5 h 13 min 20 s pour terminer l'essai.
La locomotive est demeurée au ralenti durant 5 minutes et 18 secondes alors que le 4e wagon et le 5e wagon étaient dételés. La portion de tête a ensuite avancé pour quitter la voie d'évitement.
Équipe du train 458
Le mécanicien de locomotive travaillait sur la subdivision Grande Cache depuis 8 ans, les 4 dernières années à titre de mécanicien de locomotive. Le chef de train a été qualifié en mai 2011 et travaillait sur la subdivision Grande Cache depuis environ 8 mois avant l'accident. Le tableau 1 donne l'horaire de travail et de repos du chef de train.
Date | Réveil | Travail | Sieste | Sommeil |
---|---|---|---|---|
10 janvier 2012 | 9 h | 11 à 16 h (5 heures) | 17 à 19 h (2 heures) | 2 h 30 – 11 janvier |
11 janvier 2012 | 12 h 45 (10,25 heures de sommeil) | Congé | 15 h 30 à 20 h 30 (5 heures) | 3 h 30 – 12 janvier |
12 janvier 2012 | 9 h 30 (6 h de sommeil) | Congé | 1 h – 13 janvier | |
13 janvier 2012 | 8 h (7 h de sommeil) | Congé | 23 h – 13 janvier | |
14 janvier 2012 | 14 h (15 h de sommeil) | Congé | 23 h 59 – 14 janvier | |
15 janvier 2012 | 5 h (5 h de sommeil) | 7 h à 23 h 30 (2 trains) – 16,5 heures | 3 h – 16 janvier | |
16 janvier 2012 | 14 h (11 h de sommeil) | 16 h à 8 h 30 (haut-le-pied 4 heures + train 458) – 16,5 heures |
Renseignements sur la subdivision
La subdivision Grande Cache comprend une voie principale simple qui va de Swan Landing à Grande Prairie, en Alberta (point milliaire 232,9). Elle fait partie du couloir de transport de marchandises nord/sud du CN. Les mouvements de train sont contrôlés par le système de régulation de l'occupation de la voie en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) sous la supervision d'un contrôleur de la circulation ferroviaire situé à Edmonton. Aux alentours du lieu du déraillement, la vitesse maximale permise pour les trains de marchandises était de 25 mi/h.
La voie à proximité du lieu de l'accident était faite de rails de 115 livres, posés sur des selles de 14 pouces à double épaulement, fixés à des traverses en bois dur ou en bois mou avec des crampons et munis d'anticheminants toutes les 2 traverses. Les traverses étaient en bon état. Les cases étaient remplies de ballast de pierre concassée et la largeur des épaulements était d'environ 18 pouces. Le drainage était efficace.
Hanlon est la première voie d'évitement désignée au nord de Swan Landing. La voie d'évitement est d'une longueur de 6759 pieds et se prolonge du point milliaire 40,09 à l'aiguillage sud de la voie d'évitement au point milliaire 41,46 à l'aiguillage nord de la voie d'évitement. Entre l'aiguillage sud et le point milliaire 40,56, la voie est relativement de niveau. Vers le nord, à partir du point milliaire 40,56, la voie présente une pente descendante d'environ 1 % jusqu'au point milliaire 45,0 approximativement.
Au cours des 12 mois qui ont précédé l'accident, la voie d'évitement de Hanlon avait été utilisée 11 fois pour garer des wagons (voir le tableau 2). La durée du séjour des wagons sur la voie d'évitement n'est connue dans aucun des cas.
Date | Nombre de wagons |
---|---|
6 février 2011 | 16 |
11 mars 2011 | 29 |
13 avril 2011 | 38 |
14 avril 2011 | 50 |
30 mai 2011 | 21 |
11 juin 2011 | 20 |
29 septembre 2011 | 90 |
12 octobre 2011 | 6 |
17 novembre 2011 | 30 |
19 novembre 2011 | 2 |
16 janvier 2012 | 108 |
Immobilisation de matériel roulant à l'aide de freins à main
La règle 112(a) du REF, Immobilisation du matériel roulant, indique en partie ce qui suit :
- Lorsque du matériel roulant est laissé à un endroit quelconque, il faut serrer un nombre suffisant de freins à main pour en assurer l'immobilisation. Des instructions spéciales indiqueront le nombre minimum de freins à main à serrer aux endroits où le matériel roulant est laissé. Si le matériel roulant est laissé sur une voie d'évitement, il faut l'atteler au matériel roulant qui pourrait déjà s'y trouver...
La voie d'évitement de Hanlon n'est associée à aucune instruction spéciale sur le nombre de freins à main à serrer sur les wagons laissés sur cette voie d'évitement.
La section 7.12, Serrage des freins à main, des Instructions générales d'exploitation (IGE) du CN entrées en vigueur le 1er octobre 2008 donne des instructions sur le nombre minimum de freins à main à serrer et indique en partie ce qui suit :
En ce qui a trait au nombre de freins à main à serrer selon la règle 112, à moins d'indication contraire dans une instruction spéciale, il faut serrer sur le matériel un minimum d'un frein à main et serrer également un autre frein à main pour chaque groupe de 10 wagons, jusqu'à un maximum de 5* au total.
Ex. :1 wagon - 1 frein à main2 wagons - 1 frein à main10 wagons - 2 freins à main[…]* Nota : Lorsqu'on constate, après avoir vérifié l'efficacité du serrage des freins à main, que d'autres freins doivent être serrés, on doit obligatoirement serrer d'autres freins à main.
Le CN donne aussi des instructions sur l'immobilisation des trains ou des transfertsNote de bas de page 4 dans des pentes de plus 0,75 %. Les instructions spéciales régionales de l'indicateur nº 16, qui sont entrées en vigueur le 1er août 2009, indiquent en partie ce qui suit :
[Traduction]
Instructions pour l'immobilisation des trains ou des transferts dans des pentes raidesNote de bas de page 5
- Une équipe qui arrête pour immobiliser un train ou un transfert dans une pente raide doit utiliser le serrage par frein à air le plus léger possible pour retenir le matériel.
- Les locomotives doivent être attelées, boyau de frein accouplé sur toute la longueur du train ou du transfert, freins à air serrés.
- L'article 7.12 (i) des IGE ne vise pas les territoires comportant des pentes très abruptes.
- Au moment du serrage des freins à main, ne pas vider le système de freinage des wagons de son air.
- Serrer un nombre suffisant de freins à main à partir de la tête, peu importe si le matériel est immobilisé sur une pente raide descendante ou montante.
Le tableau suivant doit être utilisé comme guide pour établir le « nombre suffisant » de freins à main.
Pente minimale en % % de freins à main requis 0,75 to 0,9 25 % 1,0 to 1,4 40 % 1,5 to 1,9 55 % 2,0 to 2,4 65 % 2,5 to 2,75 75 % 2,76 et plus selon les directives du CCF Nota : Ce tableau s'applique aux trains ou transferts de plus de 2000 tonnes.
Les trains ou transferts de moins de 2000 tonnes exigent 2 freins à main de plus que le nombre indiqué dans le tableau ci-dessus.
Efficacité des freins à main
Afin de garantir que l'effort retardateur est suffisant pour empêcher une rame de wagons de se déplacer de façon fortuite si le système de freinage du train était purgé de son air, la règle 112(b) du REF, Immobilisation du matériel roulant, exige la mise à l'essai de l'efficacité des freins à main. La règle indique ce qui suit :
Avant d'utiliser un ou des freins à main pour immobiliser du matériel roulant laissé sur place ou arrêter un véhicule accompagné à sa destination, il faut en vérifier l'efficacité. Après avoir serré le ou les freins à main, il faut vérifier la résistance au déplacement en déplaçant légèrement le wagon ou la rame de wagons pour s'assurer que le ou les freins serrés produisent un effort de freinage suffisant pour immobiliser le matériel en question. Lorsqu'une rame de wagons est immobilisée, et après avoir terminé ce test, le matériel roulant laissé sur place devrait être observé en s'en éloignant pour s'assurer que le jeu d'attelage se soit stabilisé et que les wagons demeurent en place.
Les IGE du CN ne donnent aucune autre directive sur la mise à l'essai de l'efficacité des freins à main. En comparaison, l'article 1.2 de la section 14 des IGE du Chemin de fer Canadien Pacifique (qui sont entrées en vigueur le 6 juillet 2009) donne les directives suivantes :
Pour garantir qu'un nombre suffisant de freins à main sont serrés, desserrer tous les freins à air et laisser ou faire s'ajuster le jeu des attelages. Il faut constater, quand les attelages se compriment ou s'étirent, que l'action des freins à main est suffisante pour empêcher la tranche de wagons de bouger. Cette vérification doit se faire avant le dételage ou avant de laisser le matériel roulant sans surveillance.
Formation des équipes d'exploitation sur les caractéristiques de la voie et l'immobilisation du matériel
Les mécaniciens de locomotive reçoivent les profils des voies des subdivisions qu'ils empruntent afin de les aider à cibler les rampes, les pentes, les courbes et d'autres points de référence (par exemple, les passages à niveau et les voies d'évitement). Toutefois, les chefs de train ne reçoivent généralement pas ces profils. On s'attend plutôt à ce qu'ils se familiarisent avec les caractéristiques particulières de la voie (par exemple, rampes et pentes) au cours des parcours de formation et ensuite en cours d'emploi. Même si aucune directive n'exige de façon précise que les chefs de train reçoivent les profils des voies, les chefs de train peuvent les obtenir de leur superviseur.
Les équipes d'exploitation suivent des cours en classe sur les exigences de la compagnie et de l'organisme de réglementation dans le cadre de leur formation initiale et au cours des formations de recertification périodiques. Cette formation comprend le calcul du nombre suffisant de freins à main requis pour immobiliser une rame de wagons sur une voie d'évitement et la vérification de l'efficacité du freinage.
Effort exercé par les sabots de frein
Après l'accident, un essai de l'effort exercé par les sabots de frein a été effectué au triage de Walker du CN (à Edmonton) sur les wagons CN 199183 et CN 199199. Le poids brut sur rail (PBR) de chaque wagon était de 286 000 livres. Dans le cadre de cet essai, on a mesuré l'effort exercé à l'interface du sabot de frein et de la bande de roulement au cours du serrage d'un frein à main selon un couple de 85 et 90 pieds-livres. Les résultats obtenus sont résumés au tableau 3 :
Roue | Wagon CN 199183 | Wagon CN 199199 |
---|---|---|
L1 | 1664 | 1669 |
L2 | 1239 | 1127 |
R1 | 1288 | 1450 |
R2 | 1664 | 1555 |
L3 | 1728 | 1900 |
L4 | 1434 | 1538 |
R3 | 1383 | 1710 |
R4 | 1716 | 1574 |
Total | 12 116 | 12 523 |
PBR 4,2 % | PBR 4,4 % |
Analyse technique du mouvement à la dérive
Le Laboratoire du BST a effectué une analyse technique (LP 021/2012) du mouvement à la dérive (c'est-à-dire, les 13 wagons laissés sur la voie d'évitement de Hanlon). Les calculs, qui sont fondés sur l'essai de l'effort exercé par les sabots de frein et l'essai de résistance au roulement, ont évalué l'efficacité des freins à main pour la prévention des mouvements non maîtrisés, et ont estimé la vitesse à laquelle les wagons sont entrés en collision avec le train 459. On a fait les constatations suivantes :
- Si un frein à main était serré avant que la rame de wagons passe en freinage d'urgence, la rame de 13 wagons chargés serait partie à la dérive après la purge du cylindre de frein. La vitesse estimée au moment de la collision aurait été d'environ 56 mi/h.
- Si 2 freins à main étaient serrés avant que la rame de wagons passe en freinage d'urgence, la rame de 13 wagons chargés serait tout de même partie à la dérive après la purge du cylindre de frein. La vitesse estimée de la collision aurait été d'environ 51 mi/h.
- Selon l'effort exercé par les sabots de frein mesuré sur les 2 wagons mis à l'essai et avec une résistance au roulement de 2,15 livres/tonne, au moins 5,1 freins à main seraient requis pour immobiliser la rame de 13 wagons chargés sur la pente de 1 %Note de bas de page 6.
Dérailleurs
Les dérailleurs sont des dispositifs de protection contre les mouvements fortuits de matériel roulant et doivent être verrouillés en position de déraillement lorsque la voie sur laquelle ils sont installés n'est pas utilisée. Comme les dérailleurs doivent être laissés en position de déraillement, ils ne sont généralement pas utilisés sur des voies d'évitement ou principales où ils pourraient nuire à l'exploitation des trains. Les dérailleurs sont généralement installés sur des voies de triage ou de garage où des wagons sont souvent garés.
La section 3.2, Dérailleurs, du document Normes de la voie – Ingénierie du CN indique que la pose d'un dérailleur est obligatoire :
sur les voies autres que principales ou d'évitement, où des véhicules en stationnement risquent de se déplacer par gravité et d'obstruer une voie principale ou une voie d'évitement.
La section 3.2, Dérailleurs, stipule en outre que la pose et le retrait des dérailleurs, y compris les dérailleurs spéciaux, doivent être effectués selon les directives de l'ingénieur en chef régional qui a été dûment informé par le service de l'Exploitation que la voie sera utilisée pour le stationnement de wagons. Dans de rares cas, des dérailleurs spéciaux peuvent être utilisés sur des voies d'évitement.
La règle 104.5, Dérailleurs, du REF définit les dérailleurs spéciaux comme des dérailleurs qui peuvent être laissés en position de non-déraillement lorsqu'une voie est libre de matériel roulant afin de faciliter le passage des trains.
Aucun dérailleur spécial n'était installé sur la voie d'évitement de Hanlon.
Résistance à l'impact des locomotives du CN
Au début des années 1970, après quelques collisions frontales, le CN a adopté un programme volontaire de révision de la conception de la structure et d'amélioration de l'ergonomie des cabines de ses locomotives afin d'améliorer la sécurité et le confort des équipes. Les éléments de résistance comprennent 2 montants intérieurs résistant aux chocs pleine hauteur dans le nez de la cabine dont la résistance nominale est de 500 000 livres chacun à 30 pouces au-dessus du plancher, un nez pleine largeur fabriqué de tôle très résistante et de forte épaisseur, des fenêtres en verre chauffé résistantes aux balles, 3 portes de sortie et une importante plaque antichevauchement montée à l'avant qui empêche d'autres véhicules (routiers et ferroviaires) de grimper au-dessus du plancher.
Depuis 1973, toutes les nouvelles locomotives du CN sont dotées de cette cabine renforcée. À la fin des années 1980, la Federal Railroad Administration (FRA) a exprimé son intérêt pour la cabine conçue par le CN et l'Association of American Railroads (AAR) a commencé la préparation de la norme S-580 du Manual of Standards and Recommended Practices (MSRP), portant sur les exigences relatives à la résistance à l'impact des locomotives, dans le cadre d'un processus de collaboration avec les chemins de fer membres, EMD (la division des composants
électromoteurs de General Motors), General Electric et la FRA. La conception retenue est basée sur celle du CN. Depuis le début des années 1990, en Amérique du Nord, toutes les nouvelles locomotives de ligne sont construites selon cette norme de l'AAR.
L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :
- LP 021/2012 – Brake Force Analysis (Analyse de l'effort de freinage)
On peut obtenir ce rapport en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Analyse
L'analyse portera principalement sur les gestes posés par l'équipe du train 458, les exigences relatives aux freins à main pour immobiliser des wagons et les méthodes à suivre pour laisser des wagons sur une voie d'évitement.
L'accident
La collision s'est produite lorsqu'une rame de 13 wagons de charbon chargés, qui avaient été garés sur la voie d'évitement de Hanlon le jour précédent, est partie à la dérive vers le nord avant d'entrer en collision avec la portion de tête du train 459 qui était immobilisé. Les wagons de charbon avaient été laissés en cours de route par l'équipe du train 458 après 2 freinages d'urgence déclenchés par suite du bris de barres d'attelage. Avant d'immobiliser la rame de 13 wagons à l'extrémité nord de la voie d'évitement de Hanlon, l'équipe du train 458 a consacré environ 5 ¾ heures à des manœuvres et au placement des wagons. Au cours de cette période, le chef de train a principalement travaillé à l'extérieur à une température de -40°C.
Le chef de train connaissait généralement bien le territoire. Il ne savait toutefois pas qu'il y avait une pente descendante de 1 % à l'extrémité nord de la voie d'évitement de Hanlon. Il croyait que la voie était en palier sur toute la voie d'évitement. Une fois les 13 wagons immobilisés, il savait qu'il devait serrer au moins 2 freins à main, mais un seul a été serré.
Les wagons ont été manœuvrés et immobilisés entre 3 h et 5 h, un point bas connu du rythme circadien, au cours duquel la vigilance peut être réduite et où il est possible que les travailleurs portent moins attention aux détails. Le chef de train avait travaillé environ 16,5 heures le 15 janvier 2012, suivies d'environ 11 heures de sommeil. Il avait effectué environ 13 heures de travail au cours de son quart de travail suivant lorsqu'il a procédé à l'immobilisation du deuxième wagon endommagé. Il avait connu 2 bris de matériel exigeant de nombreux serrages de freins à main par temps très froid au cours des petites heures du matin alors que son quart de travail s'achevait. Il est ainsi possible que le chef de train ait connu une baisse de rendement en raison de la période du jour (c'est-à-dire, point bas du rythme circadien) et son exposition prolongée à un froid intense. En outre, le fait qu'il croyait que la voie d'évitement de Hanlon était en palier peut avoir fait en sorte qu'il a conclu qu'un seul frein à main était suffisant pour immobiliser la rame de wagons.
En plus du seul frein à main, les 13 wagons étaient immobilisés avec un serrage d'urgence des freins du train. Toutefois, au cours des 31 heures qui ont suivi, les cylindres de frein des wagons se sont vidés de leur air, ce qui a réduit l'efficacité de l'effort de freinage de ces wagons. Une fois que l'effort de freinage des freins du train a été suffisamment réduit, l'effort retardateur de l'unique frein à main serré n'a pas pu résister à la force gravitationnelle des 13 wagons de charbon chargés. La rame de wagons s'est donc mise à rouler à la dérive, vers le nord, sur la pente de 1 %.
Pertinence de l'essai de freinage
Il n'est pas rare qu'avec le temps, de l'air s'échappe des cylindres de frein, en particulier au cours de périodes de températures froides. Par conséquent, le REF et les IGE du CN stipulent que le serrage de freins à main seulement est suffisant pour retenir une rame de wagons qui sera laissée sur une voie. Les instructions donnent le nombre minimum de freins à main qui doivent être serrés.
Comme l'effort retardateur des freins à main varie d'un serrage et d'un wagon à un autre, un essai de freinage doit être réalisé pour confirmer que l'effort retardateur assuré par le frein à main est suffisant pour retenir la rame de wagons. Les IGE du CN ne donnent pas de directives sur la méthode à utiliser pour vérifier l'efficacité des freins à main au moment de l'immobilisation des wagons, tel qu'exigé par la règle 112(b) du REF.
Dans l'événement à l'étude, on a effectué l'essai de freinage en tentant de pousser les wagons vers le sud seulement (c'est-à-dire, en direction de la pente montante). Ainsi, le poids des wagons laissés sur la voie n'a jamais été supporté par le frein à main. L'essai de freinage n'a pas permis de vérifier de façon adéquate si l'effort de freinage du frein à main serré était suffisant pour retenir les wagons.
D'autres compagnies ferroviaires exigent que les freins à air soient desserrés et que le jeu des attelages soit ajusté afin de vérifier si le serrage du ou des freins à main sera suffisant pour empêcher le mouvement des wagons. Les IGE du CN ne donnent quant à elles pas de directives sur la méthode à utiliser pour vérifier l'efficacité des freins à main au moment de l'immobilisation des wagons, tel qu'exigé par la règle 112(b) du REF. L'absence de directives claires qui expliquent la méthode à suivre pour vérifier l'efficacité des freins à main peut faire en sorte que l'effort de freinage des freins à main ne soit pas suffisant et que du matériel roulant parte à la dérive.
Dérailleurs
Les dérailleurs sont installés pour empêcher que des wagons à la dérive entrent sur la voie principale. La voie d'évitement de Hanlon n'est pas considérée comme une voie de garage et ne comporte aucun dérailleur. Toutefois, la voie d'évitement de Hanlon est régulièrement utilisée pour garer des wagons en cours de route lorsqu'il faut raccourcir un train ou lorsque des wagons sont avariés. Même si l'installation de dérailleurs sur les voies d'évitement n'est pas une pratique courante chez les compagnies ferroviaires, elles doivent prendre des mesures de protection contre les mouvements fortuits lorsque des wagons sont laissés sur une voie d'évitement. Cela est particulièrement important dans le cas des voies d'évitement qui présentent des pentes descendantes raides vers la voie principale. Lorsque des voies d'évitement sont souvent utilisées pour garer des wagons et que des dérailleurs spéciaux ne sont pas installés, les risques que du matériel roulant à la dérive entre sur la voie principale sont augmentés, en particulier si la voie d'évitement est aménagée sur une pente raide.
Freins à main
Contrairement à ses instructions sur l'immobilisation des trains ou des transferts dans des pentes raides, les instructions du CN sur l'immobilisation d'une rame de wagons ne tiennent pas compte des pentes. Par exemple, si l'équipe avait dû immobiliser un train ou un transfert composé de 13 wagons et d'une locomotive au même endroit, elle aurait été tenue de serrer le frein à main de 8 wagons et non de 2 wagons. De plus, selon la mesure de l'effort exercé par les sabots de frein, le nombre minimum de freins à main requis pour immobiliser la rame de 13 wagons sur la pente de 1 % aurait pu atteindre 5,1, et même plus. L'immobilisation adéquate des wagons n'est pas toujours assurée par le serrage du nombre minimum de freins à main indiqué à la section 7.12 des IGE du CN dans le cas des voies qui présentent des pentes importantes.
Résistance à l'impact de la cabine de locomotive (CN 5637)
La vitesse de la collision entre les 13 wagons de charbon chargés et la locomotive de tête immobilisée est estimée à 56 mi/h. En raison de la collision, la locomotive de tête (CN 5637) s'est retrouvée sur la 3e locomotive. Malgré les forces d'impact élevées, la cabine de la locomotive ne s'est pas écrasée; elle a plutôt assuré un espace sécuritaire au mécanicien de locomotive stagiaire, qui a subi des blessures graves, mais non menaçantes pour sa vie.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- La collision s'est produite lorsqu'une rame de 13 wagons de charbon chargés, qui avaient été garés sur la voie d'évitement de Hanlon le jour précédent par l'équipe du train 458, est partie à la dérive vers le nord avant d'entrer en collision avec la portion de tête du train 459 qui était immobilisé.
- Une fois les 13 wagons de charbon chargés immobilisés, un seul frein à main a été serré.
- Compte tenu des 2 bris de matériel ayant exigé de nombreux serrages de freins à main par temps très froid au cours des petites heures du matin alors que son quart de travail s'achevait, il est possible que le chef de train ait connu une baisse de rendement.
- Le fait que le chef de train croyait que la voie d'évitement de Hanlon était en palier peut avoir fait en sorte qu'il a conclu qu'un seul frein à main était suffisant pour immobiliser la rame de wagons.
- Une fois que l'effort de freinage des freins du train a été suffisamment réduit en raison de la purge des cylindres de frein des wagons, l'effort retardateur de l'unique frein à main serré n'a pas pu résister à la force gravitationnelle des 13 wagons de charbon chargés.
- Comme on a effectué l'essai de freinage en tentant de pousser les wagons vers le sud (c'est-à-dire, en direction de la pente montante), l'essai de freinage n'a pas permis de confirmer que l'effort de freinage du frein à main serré était suffisant pour retenir les wagons.
Faits établis quant aux risques
- L'absence de directives claires qui expliquent la méthode à suivre pour vérifier l'efficacité des freins à main peut faire en sorte que l'effort de freinage des freins à main ne soit pas suffisant et que du matériel parte à la dérive.
- Lorsque des voies d'évitement sont souvent utilisées pour garer des wagons et que des dérailleurs spéciaux ne sont pas installés, les risques que du matériel roulant à la dérive entre sur la voie principale sont augmentés, en particulier si la voie d'évitement est aménagée sur une pente raide.
- L'immobilisation adéquate des wagons n'est pas toujours assurée par le serrage du nombre minimum de freins à main indiqué à la section 7.12 des Instructions générales d'exploitation du Canadian National dans le cas des voies qui présentent des pentes importantes.
Autres faits établis
- Malgré les forces d'impact élevées, la cabine de la locomotive CN 5637 ne s'est pas écrasée; elle a plutôt assuré un espace sécuritaire au mécanicien de locomotive stagiaire, qui a subi des blessures graves, mais non menaçantes pour sa vie.
Mesures de sécurité
Le 22 janvier 2012, le Canadien National (CN) a émis le bulletin GP 2012-02 au sujet de la section 7.12 de ses IGE, qui indique notamment que :
Jusqu'à avis contraire, les articles b) (doubler le nombre de freins à main serré) et c) (confirmer que le piston du cylindre de frein est rentré avant le serrage des freins à main) sont en vigueur sur toutes les voies de […] la subdivision Grande Cache, à l'exception du triage de Grande Prairie et de Swan Landing.
7.12 SERRAGE DES FREINS À MAIN
- Aux endroits où il est prescrit de doubler le nombre de freins à main, il faut serrer au minimum deux freins à main (lorsqu'il y en a plus d'un) et serrer également deux autres freins à main pour chaque groupe de 10 wagons, jusqu'à un maximum de 10* au total.
Ex. : 2 wagons - 2 freins à main5 wagons - 2 freins à main10 wagons - 4 freins à main20 wagons - 6 freins à main* Nota : Lorsqu'on constate, après avoir vérifié l'efficacité du serrage des freins à main, que d'autres freins doivent être serrés, on doit obligatoirement serrer d'autres freins à main.
- À moins d'indication contraire (par ex., stationnement des trains dans la région des Montagnes ou lors de la mise en place de wagons porte-automobile), on doit s'assurer que le piston du cylindre de frein est rentré avant de procéder au serrage du frein à main d'un wagon.
Le CN a installé des dérailleurs spéciaux sur la voie d'évitement de Hanlon qui doivent être utilisés lorsque des wagons sont laissés sans surveillance sur la voie d'évitement.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le . Il est paru officiellement le 24 avril 2013.