Rapport d'enquête ferroviaire R13W0257

Déraillement en voie principale
Canadien National
Train de marchandises G84042-09
Point milliaire 73,6, subdivision Fort Frances
Nickel Lake (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 10 novembre 2013 vers 17 h 27, heure normale du Centre, 40 wagons céréaliers chargés du train de marchandises G84042-09 du Canadien National roulant vers l'est sur la subdivision Fort Frances déraillent au point milliaire 73,6, près de Nickel Lake (Ontario). Les wagons déraillés se répartissent en 2 groupes, l'un de 12 wagons et l'autre de 28. Plusieurs d'entre eux, en se perforant, ont laissé échapper des grains. Il n'y a pas eu de blessés.

    Renseignements de base

    L'accident

    Le train de marchandises G84042-09 (le train) du Canadien National (CN) avait été assemblé à Melville (Saskatchewan) le 9 novembre 2013. Il était formé de 184 wagons céréaliers chargés. Il pesait 24 432 tonnes et mesurait environ 11 058 pieds de long. Ce train à traction répartieNote de bas de page 1 était tracté par 2 locomotives en tête et 1 locomotive télécommandée placée entre le 104e et le 105e wagon.

    Le 10 novembre à 9 h 56Note de bas de page 2, le train a quitté le triage Symington à Winnipeg (Manitoba) et a fait route vers Thunder Bay (Ontario). Il était prévu que le train passerait par les subdivisions Sprague, Fort Frances et Kashabowie. L'équipe de train devait être relevée à Fort Frances (Ontario). L'équipe de relève était formée d'un mécanicien de locomotive (ML) et d'un chef de train, tous deux possédaient un certificat de compétence valide à l'égard du Règlement sur l'exploitation ferroviaire du Canada. L'équipe a été appelée à 9 h le dimanche 10 novembre pour commencer le travail à 11 h. Les deux membres se sont rendus en taxi de Neebing (Thunder Bay) à Fort Frances, où ils sont arrivés vers 14 h 30. L'équipe a pris son service à 15 h et a quitté Fort Frances à 16 h 47. Le ML avait eu congé la veille (samedi) et avait profité d'une bonne nuit de repos. Avant d'être appelé le dimanche matin, le chef de train avait profité d'une période de repos d'environ 24 heures. Le ML comptait 22 années d'expérience sur le territoire et connaissait bien la conduite des longs trains à traction répartie. Ce train (G84042-09) était le plus long que le ML ait jamais conduit.

    À 17 h 27, le train a déraillé au point milliaire 73,6 de la subdivision Fort Frances, près de Nickel Lake (Ontario) (figure 1). Au moment de l'événement, la température était de -10 °C et il neigeait légèrement.

    Figure 1. Lieu du déraillement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens, avec annotations du BST)
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    Carte du lieu du déraillement

    Examen des lieux

    L'examen du site a permis de faire les constatations suivantes :

    • Un total de 40 wagons avaient déraillé, en 2 groupes (figure 2).
    • Le premier groupe comprenait 12 wagons (du 23e au 34e). Quatre wagons (du 23e au 26e) avaient déraillé au sud de la voie, perdant leurs bogies, mais restant debout; ils chevauchaient le rail sud près du début d'une courbe de 4,92 degrés à droite. Sept wagons (du 27e au 33e) s'étaient mis en portefeuille en travers de la voie. L'essieu monté avant du 34e wagon avait déraillé.
    • À quelque 30 pieds à l'ouest, les 6 wagons suivants (du 35e au 40e) étaient restés sur la voie.
    • À quelque 60 pieds plus à l'ouest, le second groupe comprenait 28 wagons déraillés (du 41e au 68e). Le bogie arrière du 41e wagon avait déraillé au sud de la voie et chevauchait le rail renversé sud. Les 2 wagons suivants (ALNX 396156 et CN 389268) avaient quitté les rails et s'étaient renversés sur le côté, au nord de la voie. Les 25 wagons suivants (du 44e au 68e) s'étaient mis en portefeuille entre une courbe à gauche de 4,05 degrés et une courbe de 1,69 degré, et se trouvaient à l'intérieur d'une zone d'environ 10 longueurs de wagon.
    • Il y avait une mâchoire d'attelage brisée entre le 41e et le 42e wagon.
    • Quelque 1100 pieds de voie ont été détruits.
    • L'âme du rail haut dans la courbe à gauche de 4,05 degrés présentait des marques de boudin de roue (photo 1).
    • Le champignon du rail bas dans la même courbe présentait aussi de telles marques (photo 2).
    • Le point de déraillement (PDD) signalé se trouvait au point milliaire 73,68, entre la courbe à gauche de 4,05 degrés et la courbe à droite de 4,92 degrés, à quelque 3 milles à l'ouest de la voie d'évitement de Nickel Lake.
    • Le rail haut de 115 livres, posé en 1991, présentait une usure du champignon de 14 mm et une usure latérale de 6 mm. Les normes de la voie du CNNote de bas de page 3 indiquent que l'usure verticale et l'usure latérale combinées pour les rails de 115 livres ne doivent pas dépasser 21 mm.
    • Le rail bas de 115 livres, posé en 1994, présentait une usure du champignon de 13 mm, mais aucune usure latérale. Les normes de la voie du CN indiquent que l'usure verticale pour les rails de 115 livres ne doit pas dépasser 16 mm.
    • La surface du champignon du rail exhibait des fissures de fatigue verticales le long du côté intérieur, des fissures longitudinales au centre et des marques de meulage.
    • Le taux de traverses défectueusesNote de bas de page 4 à proximité du lieu de déraillement était de 15 %.
    • Le graisseur de rails le plus procheNote de bas de page 5 était situé au point milliaire 76,2.
    Figure 2. Diagramme du site du déraillement
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    Diagramme du site du déraillement
    Photo 1. Marques de boudin de roue sur l'âme du rail haut
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    Image des marques de boudin de roue sur l'âme du rail haut
    Photo 2. Marques de boudin de roue sur le champignon du rail bas
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    Image des marques de boudin de roue sur le champignon du rail bas

    Renseignements consignés

    Le jour de l'événement, le train a franchi 3 détecteurs de boîtes chaudes sur la subdivision Fort Frances (aux points milliaires 120,6, 110,6 et 96,4). Plus tôt, le train était passé devant un détecteur de défauts de roues à Sainte-Anne (point milliaire 127,01 de la subdivision Sprague). Ces détecteurs en voie n'ont déclenché aucune alarme.

    On a passé en revue les données provenant du consignateur d'événements de la locomotive (CEL) de tête. Sur la base de ces données et de l'information connexe, le tableau 1 présente un résumé des événements survenus avant et durant le déraillement.

    Tableau 1. Données du consignateur d'événements de la locomotive de tête consignées avant et durant le déraillement
    Heure Événement
    17 h 9 min 51 s Le manipulateur est porté du cran 7 au cran 8. La pression dans la conduite générale est de 90 lb/po².
    17 h 26 min 48 s Brusque changement de vitesse de 37 mi/h à 36 mi/h et remontée à 37 mi/h en 1 seconde.
    17 h 26 min 49 s Un freinage d'urgence intempestif (UDE) se déclenche.
    17 h 26 min 52 s Perte d'air sur la locomotive de tête. La vitesse du train est de 37 mi/hNote de bas de page 6. Décélération de 0,5 à 1,4 mi/h/s.
    17 h 26 min 52 s à 17 h 27 min 0 s Les wagons 23 à 26 sont tirés vers le côté sud de la voie en alignement droit à l'approche de la courbe à droite de 4,92 degrés. Le train se sépare entre les wagons 22 et 23. Les wagons 27 à 34 déraillent et s'empilent dans la courbe à gauche de 4,05 degrés.
    17 h 27 min 0 s L'UDE parvient à l'unité en queue de train (EOT) (c.-à-d. l'unité de détection et de freinage [UDF]). Tout le train se trouve en freinage d'urgence.
    À partir d'environ 17 h 27 min 0 s Les wagons 42 et 43 quittent l'axe du train. Le wagon 41, à son tour, déraille et se sépare des wagons 40 et 42. Les wagons 44 à 68 poursuivent leur marche vers l'avant, déraillent et se mettent en portefeuille dans la déclivité.
    17 h 27 min 2 s Rétrogradation du manipulateur au cran 7.
    17 h 27 min 13 s Rétrogradation du manipulateur au cran 4.
    17 h 27 min 14 s Rétrogradation du manipulateur à la position de ralenti accéléré.
    17 h 27 min 46 s Quelque 54 secondes après la perte d'air, la tête du train (c.-à-d. les locomotives et les 22 premiers wagons) s'arrête après avoir parcouru une distance d'environ 1800 pieds.

    La locomotive de tête, une EMD SD70M-2, était équipée d'un interrupteur pneumatique de traction, qui retarde la mise au ralenti de 20 secondes durant un freinage d'urgence provenant de la conduite générale. Dans l'événement à l'étude, le manipulateur était resté sur le cran 8 durant 10 secondes après le passage du train en freinage d'urgence et avant que le ML commence à réduire la puissance. Le manipulateur a été progressivement rétrogradé au cran 4 au cours des 11 secondes suivantes quand la puissance a été coupée après la fin de la temporisation de 20 secondes par l'interrupteur pneumatique de traction. Les locomotives en tête et la locomotive télécommandée ont reçu le signal d'urgence à peu près au même moment (c.-à-d. à 17 h 26 min 52 s). Quelque 8 secondes plus tard, l'EOT (c.-à-d. l'UDF) a déclenché un freinage d'urgence depuis la queue du train après avoir détecté la chute de pression dans la conduite générale.

    Des essais ultérieurs ont permis de déterminer que la commande radio d'urgence automatique (lancée en tête du train) n'avait pas atteint l'EOT (l'UDF) en raison d'une interruption des communicationsNote de bas de page 7 dans le système de contrôle et de freinage en queue (TIBS)Note de bas de page 8.

    Des alarmes de patinage s'étaient déclenchées tout au long du parcours. Ce genre d'alarme se produit quand une roue du groupe de traction glisse (à cause d'un manque d'adhérence). Dans la plupart des situations, un patinage peut être détecté et corrigé immédiatement. Le système automatique de détection des patinages à bord de la locomotive réduit la puissance débitée dans les moteurs de traction et projette du sable sur les rails jusqu'à ce que la roue ou les roues cessent de glisserNote de bas de page 9. Le dispositif de sablage automatique était activé et s'était déclenché de façon intermittente tout au long du parcours.

    Au moment du freinage d'urgence, les freins du train et le frein direct de la locomotive sont tous les deux entrés en action. La fonction d'affranchissement des freins de la locomotive n'a pas été utilisée (c.-à-d. les freins n'ont pas été desserrés). Le Guide du mécanicien de locomotive du CN, imprimé 8960, partie G, paragraphe 2.8, exige (a) de desserrer le frein direct ou les freins de la locomotive quand la tête du train est étirée pour empêcher que ses attelages se compriment, et (b) d'actionner ou de serrer ces freins quand la tête du train est comprimée pour empêcher que ses attelages s'étirent quand le convoi ralentit.

    Train G84042-09

    Avant le déraillement, le train roulait en configuration d'attelages étirés sur un relief relativement plat. Il fonctionnait en mode synchrone de traction répartie et avait un rapport puissance/poids de 0,5. Le rapport puissance/poids est basé sur une approche du service ferroviaire qui permet de s'assurer que l'on utilise le nombre minimal de locomotives pour propulser le train. On calcule ce rapport en divisant la puissance totale disponible des locomotives actives par le poids en tonnes du trainNote de bas de page 10.

    Pour configurer un train à traction répartie, certaines compagnies ferroviaires de catégorie 1 se servent de la règle empirique « ½ en poussée ½ en traction ». Par contraste, la directive du CN sur le positionnement de la traction répartie stipule que la locomotive télécommandée doit être placée dans le train de façon qu'elle pousse 1/3 du poids nominal de celui-ci (il ne s'agit pas du poids total du train) et tire le reste du poids (2/3).

    Pour le train en cause, le poids calculé à placer devant la locomotive télécommandée en traction répartie (annexe A) est le suivant :

    • 100 % du poids nominal pour la locomotive de tête (34,7 % sur la base de la puissance totale);
    • 100 % du poids nominal pour la locomotive menée dans le groupe de tête (30,6 % sur la base de la puissance totale dans le cas à l'étude); et
    • 33,3 % du poids nominal pour chaque locomotive dans le groupe télécommandé en traction répartie (11,6 % sur la base de la puissance totale dans le cas à l'étude).

    Pour le train en cause, la locomotive télécommandée agissait comme l'une des 3 locomotives actives. Puisque le poids total du train devait être réparti convenablement entre les 3 locomotives :

    • la position de la locomotive télécommandée a tenu compte du plan de manœuvre à la gare de Thunder Bay. Comme aucune voie d'entrée ne pouvait recevoir 1 long train, le fait de séparer le train à la hauteur de la locomotive télécommandée crée 2 trains qui peuvent être accueillis en gare.
    • Le calcul à l'aide des poids nominaux du groupe de locomotives en tête et de la locomotive télécommandée a établi que le poids optimal était de 18 312 tonnes devant la locomotive télécommandée et de 5506 tonnes derrière.

    Toutefois, le train G84042-09 a été formé avec 12 828 tonnes devant la locomotive télécommandée et 10 990 tonnes derrière. Si l'on se base sur la directive du CN concernant le positionnement de la traction répartie, la locomotive télécommandée était placée trop vers l'avant du convoi. La directive du CN prévoit aussi une latitude de +/-25 %. Compte tenu de ce facteur, le poids minimal devant aurait dû être de 16 936 tonnes et le poids maximal derrière, de 6883 tonnes. Par rapport aux valeurs prescrites dans la directive, le train en cause dans l'événement avait été configuré avec 4108 tonnes de trop derrière la locomotive télécommandée.

    Exploitation de trains en traction répartie sur la subdivision Fort Frances

    En 2011 et 2012, le CN a effectué des évaluations de risque relativement à l'exploitation de trains à traction répartie pour des trains charbonniers de 224 wagons entre Bickerdike (Alberta) et Prince Rupert (Colombie-Britannique). Le niveau de risque a été jugé faible. L'Ingénierie du CN a confirmé que les ponts et l'infrastructure se prêtaient à l'exploitation prévue. Les lignes principales du CN, y compris l'itinéraire entre Winnipeg et Thunder Bay, sont toutes prévues pour des charges de 286 000 livres. Selon l'évaluation de risque, [traduction] « l'extension à d'autres itinéraires exigera un examen des risques particuliers ou supplémentaires par l'entremise d'une évaluation de risque distincte applicable à l'itinéraire considéré ». Le CN a indiqué que l'évaluation s'appliquait également à l'itinéraire Winnipeg-Thunder Bay.

    Comparativement aux longs trains classiques, les trains à traction répartie accroissent la sécurité de l'exploitation en réduisant les forces exercées sur le train, le frottement de roulement, l'usure des rails dans les courbes et le risque de renversement des rails. Le tableau 2 présente un résumé de l'exploitation de trains lourds sur la subdivision Fort Frances sur 6 ans, soit de 2008 à 2013.

    Tableau 2. Exploitation de trains lourds sur la subdivision Fort Frances (Source : Canadien National [disponible en anglais seulement])
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    Image du résumé de l'exploitation de trains lourds sur la subdivision Fort Frances

    Au moment de l'événement, le CN acheminait avant l'hiver autant de grains que possible depuis les terminaux céréaliers des Prairies jusqu'à Thunder Bay; 2013 avait été une année-récolte record pour les grains.

    Avant l'événement en cause, de longs trains à traction répartie avaient parcouru la subdivision Fort Frances depuis plusieurs années. L'exploitation de ce type de train exigeait souvent une planification prévisionnelle de la part du ML de façon à éviter que des forces excessives s'exercent sur les trains. Pour réaliser cette planification, il fallait connaître le relief et être conscient de la puissance totale développée, du poids du train et de la position des wagons vides et chargés dans le convoi.

    En cours de route, la connaissance de la situation était également importante puisque le ML devait être au courant des facteurs suivants :

    • l'endroit où se situait la partie remorquée du train sur le relief;
    • l'endroit où la traction répartie était distribuée; et
    • les restrictions, le cas échéant, qui étaient sur le point de se présenter (p.ex., une indication de signal, des limitations de vitesse, une zone de travaux).

    Grâce à l'information provenant de la planification prévisionnelle, le ML détermine comment il doit procéder pour maîtriser la vitesse du train dans une situation donnée. Les lignes directrices du CN sur la conduite des trains (imprimé 8960) ont pour objet d'aider à réduire au minimum les forces exercées sur les trains.

    Dans la semaine qui a précédé l'événement, 3 trains similaires à traction répartie avaient roulé vers l'est entre Fort Frances et Thunder Bay. Il s'agissait :

    • le 4 novembre, du train G84041-04 comptant 145 wagons céréaliers et pesant 19 446 tonnes;
    • le 8 novembre, du train G84042-08 comptant 195 wagons céréaliers et pesant 25 751 tonnes;
    • le 9 novembre, du train C77251-06 comptant 151 wagons céréaliers et pesant 20 979 tonnes.

    Un examen des données du CEL de ces trains a révélé ce qui suit :

    • les 3 trains avaient tous roulé à une vitesse légèrement supérieure à la vitesse autorisée (c.-à-d. jusqu'à 35 mi/h) dans la zone du déraillement;
    • les équipes de train avaient eu recours à la modulation des crans de marche pour modérer la vitesse afin de se conformer à la limitation permanente de vitesse de 30 mi/h.

    Pour les trains circulant vers l'est qui approchent de la zone du déraillement, le relief peut être catégorisé comme ayant une légère pente descendante avec des contre-courbes serrées et quelques courts tronçons de voie en alignement droit. À peu près au PDD, soit au point milliaire 73,6, la déclivité de la voie se transforme en une légère rampe (de 0,2 à 0,3 %) d'un mille avec des contre-courbes serrées; suit une rampe modérée de 1 mille, qui devient une rampe plus prononcée (0,6 %) au point milliaire 71,7 environ et se termine au sommet de la rampe au point milliaire 71. En raison de ces caractéristiques physiques, les trains circulant vers l'est au-delà du PDD peuvent s'attendre à ce que les courbes serrées et les pentes ascendantes ralentissent leur progression.

    Information sur le matériel roulant – wagon CN 388054

    Le 22e wagon (CN 388054) était un wagon-trémie couvert d'une capacité de 286 000 livres, construit en septembre 1995. Selon les dossiers techniques du CN

    • le bogie Barber S2-HD au bout A avait été complètement remis en état et installé sous le wagon en novembre 2006;
    • l'essieu monté nº 4 avait été équipé en novembre 2012 de roues CJ-36 neuves et de roulements à rouleaux remis en état;
    • l'essieu monté nº 4 avait été mis en place sous le wagon CN 388054 en janvier 2013.

    L'examen du wagon CN 388054 sur le site de l'accident a permis d'établir les faits suivants :

    • Le bogie arrière a été le premier à dérailler.
    • Le rail haut de la courbe à gauche de 4,05 degrés s'était probablement renversé ou rompu, si bien que la roue arrière L-4 est tombée dans l'écartement de la voie et a roulé sur l'âme et le patin du rail haut, écartant celui-ci derrière elle dans sa course. La roue L-4 s'est ensuite remise d'elle-même sur les rails, puisque le wagon CN 388054 a été trouvé avec toutes ses roues sur les rails.

    Le 11 décembre 2013, une inspection après démontage du bogie au bout A a été effectuée à l'atelier Symington du CN à Winnipeg et a permis de constater ce qui suit :

    • Le bogie du bout A était dans un état « comme neuf », avec peu ou pas d'usure sur les glissoirs à contact permanent, les patins stabilisateurs latéraux, les guides de longeron de bogie et la cuvette de traverse pivot.
    • Selon les indications, le bogie ne présentait aucun grippage ni obliquité.
    • La table de roulement des roues avait un profil normal.
    • Des marques d'impact étaient présentes sur le boudin et la table de roulement de la roue L-4 (photo 3). Les marques étaient compatibles avec un impact de la roue sur un rail rompu ou des anticheminants brisés.
    • La roue L-4 présentait aussi une abrasion sur tout le pourtour de la face de sa jante et sur son boudin (photo 4).
    Photo 3. Marques d'impact sur le boudin et la table de roulement de la roue L-4
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    Image des marques d'impact sur le boudin et la table de roulement de la roue L-4
    Photo 4. Abrasion sur la face de la jante de la roue L-4
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    Image de l'abrasion sur la face de la jante de la roue L-4

    Renseignements sur la voie

    À proximité du lieu de déraillement (entre les points milliaires 73,1 et 79,7), la voie comportait une limitation permanente de vitesse à 30 mi/h pour les trains de marchandises. Sur la subdivision Fort Frances, il y avait 5 limitations permanentes de vitesse à 30 mi/h, qui avaient été mises en place en raison des déclivités avec courbes et ondulations. À ces endroits, la voie était de catégorie 3. Le tonnage annuel sur la subdivision Fort Frances s'élevait à quelque 11 millions de tonnes brutes.

    Le site du déraillement présentait 2 contre-courbes séparées de 182 pieds : une courbe à gauche de 4,05 degrés et une courbe à droite de 4,92 degrés. Le rail haut dans la courbe à gauche de 4,05 degrés était un long rail soudé (LRS) de 115 livres fabriqué par Sydney en 1989/1991; le rail bas était aussi un LRS de 115 livres, fabriqué en 1994 par Sydney et Algoma. Les rails avaient été posés sur des selles de 14 pouces, fixés par des crampons sur des traverses en bois et encadrés d'anticheminants à toutes les traverses. Le ballast, en bon état, était constitué de roche concassée.

    La courbe à gauche de 4,05 degrés était située dans un secteur où la voie en palier commençait à monter avec une déclivité de 0,3 degré. Cette courbe mesurait 605 pieds de long et son dévers moyen était de 0,35 pouce.

    Inspection et entretien de la voie

    À proximité du lieu de déraillement, Transports Canada avait effectué une inspection le 25 avril 2012. Aucune anomalie de voie n'avait été relevée.

    Au cours de l'inspection la plus récente de l'état géométrique de la voie (le 9 juillet 2013), il avait été établi que :

    • L'intérieur de la courbe à gauche de 4,05 degrés comportait 3 surécartements : un de plus de ½ pouce sur une distance de 117 pieds, un autre de plus de ¾ de pouce sur une distance de 136 pieds, et un troisième de plus de 1 pouce sur une distance de 23 pieds.
    • L'intérieur de la courbe à droite de 4,92 degrés comportait aussi des surécartements : un de plus de ½ pouce sur une distance de 175 pieds, un autre de ¾ de pouce sur une distance de 41 pieds, et un de plus de 1 pouce sur une distance de 10 pieds.
    • À l'intérieur des 2 courbes, l'inclinaison du rail haut présentait des anomalies mineuresNote de bas de page 11 ne nécessitant aucune intervention.

    Comme le prescrit le Règlement sur la sécurité de la voie approuvé par Transports Canada, l'écartement maximal pour une voie de catégorie  3 est de 57 ¾ pouces (c.-à-d. avec surécartement de 1 ¼ pouce).

    Pour corriger des défauts de surécartement dans les courbes, on avait remis à l'écartement 260 pieds de voie le 6 septembre 2013. Ce travail comprenait les opérations suivantes : enlever les crampons sur le côté intérieur du rail haut, tirer celui-ci dans l'écartement, entailler de nouveaux sièges pour les selles, remplir de colle les trous de cramponnage et cramponner au complet les 6 trous dans les selles. Il est courant d'entailler des traverses à la main, mais cette façon de procéder n'est pas aussi précise qu'un entaillage fait à la machine et peut donc se traduire par une inclinaison de rail inégale ou excessive. Découvertes lors de l'inspection de l'état géométrique de la voie le 9 juillet, les anomalies mineures d'inclinaison ne nécessitant aucune intervention sur le rail haut auraient été corrigées par les travaux de remise à l'écartement. Entre les 6 septembre et 10 novembre, on n'a procédé à aucune autre inspection de l'état géométrique de la voie pour vérifier l'efficacité de la remise à l'écartement.

    Le 11 octobre 2013, on a effectué un contrôle de détection des défauts de rail. Aucun défaut de rail n'a été détecté dans la zone du déraillement. Entre 2010 et 2013, la zone du déraillement avait fait l'objet de 15 contrôles de détection des défauts de rail. Lors des 3 contrôles faits en 2013 (c.-à-d. les 21 mars, 12 juin et 11 octobre), on a relevé 6 défauts, mais aucun entre les points milliaires 73 et 74. La plupart des défauts de rail détectés sur la subdivision Fort Frances consistaient en champignons écrasés dans le rail plus ancien en alignement droit, étoilures de trou d'éclissage des rails éclissés et soudures défectueuses.

    Le 5 novembre 2013, on avait effectué un examen visuel de la voie en véhicule rail-route. Aucun défaut n'avait été observé dans la zone du déraillement.

    Un meulage des railsNote de bas de page 12 avait eu lieu sur la subdivision Fort Frances au début de mai 2013 avant l'exécution des travaux de remise à l'écartement.

    Selon un rapport du Transportation Technology Center, Inc. /Norfolk Southern (TD-11-052, Root Cause of Rail Roll/Reverse Rail Cant), certaines tâches d'entretien de la voie (comme la remise à l'écartement, le rétablissement de l'inclinaison du rail et le renouvellement des traverses) peuvent entraîner des conditions de voie vulnérables à des charges latérales élevées, réduisant l'aptitude de la structure de la voie à résister à des forces génératrices de surécartement. Dans les courbes, ces activités d'entretien de la voie ont tendance à déplacer le point de contact de la roue avec le rail vers le côté extérieur du rail haut et vers le côté intérieur du rail bas. Le rail haut aura tendance à établir un solide contact en 2 points, qui se traduit par un mauvais comportement du matériel roulant dans les courbes. La charge verticale appliquée au côté extérieur du rail, à cause d'un mauvais contact du profil roue-rail, engendre de faibles rapports entre le patin (B) et la hauteur (H) du rail (rapports B/H)Note de bas de page 13 (figure 3) et un risque élevé de renversement du railNote de bas de page 14, sauf si le profil du rail est corrigé par meulage.

    Figure 3. Rapport entre le patin et la hauteur du rail (B/H) (Source : rapport TD-11-052 du Transportation Technology Center, Inc. /Norfolk Southern)
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    Image du rapport entre le patin et la hauteur du rail (B/H)

    Dévers de la courbe

    Quand un train négocie une courbe, il est souhaitable que les véhicules (locomotives et matériel remorqué) s'inclinent vers l'intérieur en direction du centre de la courbe. Ce résultat peut être atteint par un surhaussement du rail extérieur. Si tous les trains roulaient à la même vitesse dans la courbe, la condition idéale pour obtenir un roulement en douceur et une usure minimale des rails serait de surhausser le rail haut (extérieur) de sorte que la force centrifuge exercée sur lui et sur le rail bas (intérieur) soit égale à cette vitesse (vitesse d'équilibre). Cette condition est connue sous le nom de « dévers d'équilibre ».

    Cependant, il y aura normalement différents types de trafics acheminés à différentes vitesses. Dans les courbes, les trains qui se déplacent à une vitesse inférieure à la vitesse d'équilibre produiront sur le rail bas une usure plus élevée que la normale. Par contre, dans les courbes, les trains qui se déplacent à une vitesse supérieure à la vitesse d'équilibre produiront sur le rail haut une usure plus élevée que la normale. La nature du trafic et la performance des trains sur la voie ferrée sont des éléments à prendre en considération pour établir le dévers d'une courbe.

    La norme du CN pour le dévers des courbes MR-1305 prescrit notamment ceci :

    • Le dévers maximal qui peut être mis en place dans une courbe doit être la moindre des valeurs suivantes : le dévers d'équilibre ou 5 pouces.
    • Le dévers minimal qui peut être mis en place dans une courbe doit être la plus élevée des valeurs suivantes pour les vitesses autorisées dans l'indicateur : ½ pouce, 2 pouces sous le dévers d'équilibre pour la vitesse des trains de marchandises, 3 pouces sous le dévers d'équilibre pour la vitesse des trains de voyageurs ou 6 pouces sous le dévers d'équilibre pour la vitesse des LRC (trains Léger-rapide-de banlieu). Le dévers peut se situer n'importe où dans cette fourchette.

    Dans l'événement en cause, la courbe à gauche de 4,05 degrés mesurait 605 pieds de long, avec un dévers moyen de 0,35 pouce. Selon les normes du CN,

    • Le dévers minimal pour une vitesse de 30 mi/h dans une courbe de 4,05 degrés serait le dévers d'équilibre de 2,5 pouces moins 2 pouces, soit 0,5 pouce. Comme le dévers réel était de 0,35 pouce, la vitesse d'équilibreNote de bas de page 15 s'établissait à 11 mi/h. Avec un dévers réel de 0,35 pouce et un dévers non équilibré de 2 pouces, la vitesse de calcul était de 28,8 mi/h, tout juste inférieure à la vitesse imposée par la limitation permanente de vitesse (c.-à-d. 30 mi/h).
    • Pour une vitesse de 37 mi/h, le dévers d'équilibre dans une courbe de 4,05 degrés est de 3,9 pouces; le dévers minimal dans la courbe aurait été la plus grande des valeurs suivantes : 0,5 pouce, ou 3,9 pouces moins 2 pouces, soit 1,9 pouce.

    Forces latérales et verticales à l'interface roue-rail

    Une combinaison de forces latérales (L) et verticales (V) est présente à l'interface entre la roue et le rail (figure 4). Le rapport entre les charges latérales et verticales (L/V) fournit une indication de la probabilité d'un déraillement. La possibilité d'un déraillement croît avec l'augmentation du rapport L/V. Une force latérale élevée, conjuguée à une faible force verticale (p.ex., dans le cas de wagons vides) aura tendance à pousser le boudin de la roue vers le haut et par-dessus la face intérieure du rail (c.-à-d. à causer un chevauchement de rail), ou à pousser le rail vers l'extérieur avec suffisamment de force pour l'incliner vers l'extérieur et le renverser.

    Figure 4. Forces latérales et verticales à l'interface entre la roue et le rail
    Image
    Image des forces latérales et verticales à l'interface entre la roue et le rail

    Le seuil classique du rapport L/V pour un chevauchement de rail (wagon vide) est de 0,82. Pour un renversement du rail (wagon chargé), le seuil du rapport L/V est de 0,65. Si la force résultante agit au-delà du bord extérieur du patin du rail, un chevauchement ou un renversement du rail peut se produire.

    Dans les courbes, les situations qui suivent auront une incidence sur les forces latérales et verticales :

    • Quand il y a de l'usure sur la face intérieure du rail haut, un contact en 2 points peut se produire entre la roue et le rail au passage du boudin dans la courbe, ce qui abaisse le seuil du rapport L/V pour un chevauchement ou un renversement du rail.
    • Les boudins de roue, les forces centrifuges et les forces de frottement produites par les ensembles de bogies à leur passage dans les courbes exercent une force latérale sur le rail haut. Les forces exercées sur le train (compression et traction) peuvent elles aussi exercer une force latérale sur la voie.
    • Alors que les forces latérales tentent de renverser le rail, celui-ci est retenu par sa rigidité en torsion et par le poids des roues adjacentes.
    • Le surhaussement du rail extérieur (c.-à-d. le dévers) compense la force centrifuge en déplaçant une certaine partie du poids du wagon vers le rail bas, ce qui réduit la force latérale (centrifuge) et la force verticale s'exerçant sur le rail haut.
    • Le graissage du côté intérieur du rail bas réduit les forces de frottement au passage dans la courbe qui pourraient provoquer un renversement du rail haut ou une chute de roue depuis le rail bas.
    • Pour qu'il y ait chute de roue entre les rails, il faut que la charge latérale sur la voie augmente considérablement ou que la résistance latérale de la voie diminue de beaucoup.

    Analyse de la dynamique du train

    Le CN a analysé la propagation du freinage d'urgence et fait exécuter par une tierce partie une simulation d'analyse pour le train franchissant la courbe à gauche de 4,05 degrés. Les données sur l'état géométrique de la voie provenant de l'inspection du 9 juilletNote de bas de page 16 ont été utilisées à cette fin. D'autres données d'entrée portaient sur la formation du train, la vitesse, la conduite du train et un profil de rail modérément usé. L'examen a permis de faire les constatations suivantes :

    • Juste avant le déraillement, les réactions d'attelage étaient minimes et les forces exercées sur le train peu élevées. Cela était d'autant plus prévisible que le train avait roulé au cran 8 dans un état stable et étiré, sur un relief relativement plat. Les déclivités et les courbes dans le secteur n'étaient pas connues pour poser problème du point de vue de la conduite des trains.
    • La queue du train est passée en freinage d'urgence environ 8 secondes après la tête du train à cause d'une interruption des communications de l'avant à l'arrière dans le TIBS. Le freinage du train à partir de l'EOT a été déclenché en réponse à la chute de pression (qui est tombée à 0 lb/po²) dans la conduite générale du dernier wagon, plutôt qu'en réponse à l'unité d'entrée et d'affichage en tête du trainNote de bas de page 17 recevant une commande radio d'urgence.
    • Des calculs de la propagation de l'air indiquent qu'un UDE s'était déclenché à proximité du 22e et du 23e wagons.

    Les forces exercées sur le train qui ont mené au déraillement ont également été analysées. Aux fins de cette analyse, on a supposé que le rail était neuf et sec et que les profils de roue étaient neufs ou à moitié usés. L'examen a permis de faire les constatations suivantes :

    • Les forces longitudinales sur les wagons déraillés étaient de 70 000 livres au moment du déraillement. De telles forces étaient considérées comme peu élevées et dépourvues de caractère causal.
    • Aucune réaction d'attelage (compression) ne s'est produite en un endroit quelconque du train au moment du déraillement.
    • Le rapport L/V calculéNote de bas de page 18 était inférieur à 0,35 pendant que les wagons traversaient le point de déraillement.
    • Les forces latérales maximales exercées par les roues sur les rails ne dépassaient pas 15 000 livres. Ces forces latérales sont considérées comme modérées et soutenables par une voie bien entretenue.

    L'effet (le cas échéant) de la mâchoire d'attelage rompue entre le 41e et le 42e wagons sur le déraillement a été analysé. On a fait les constatations suivantes :

    • Les forces élevées se sont amorcées à peu près 20 secondes après le déclenchement de l'UDE. Il est donc peu probable que ce freinage d'urgence intempestif ait précédé le déraillement.
    • De plus, compte tenu de la distance supplémentaire parcourue au cours de l'intervalle de 20 secondes et du faible niveau des forces exercées sur le train avant le déraillement, la rupture de la mâchoire ne s'est probablement pas produite avant le déraillement, mais plutôt à cause de forces excessives exercées au cours du déraillement.

    On a procédé à une autre analyse de la dynamique du train pour évaluer les forces L/V qui s'exerçaient dans le train au moment de son franchissement de la courbe à droite de 4,92 degrés. Cette analyse se basait elle aussi sur l'information relative à l'état géométrique de la voie provenant de l'inspection du 9 juillet, ainsi que sur un profil de rail haut très usé dans la courbe et sur le profil des roues arrière du 22e wagon. On a fait les constatations suivantes :

    • Les conditions d'un déraillement dû à des L/V n'étaient pas réunies. Bien que le rapport L/V de 0,43 ait dépassé celui obtenu lors de la simulation précédente (<0,35), le rapport L/V maximal sur un côté du bogieNote de bas de page 19 était de 0,21; cette valeur était inférieure au rapport B/H de 0,32, une indication que le potentiel de renversement du rail était faible.
    • La force latérale maximale exercée par une roue (c.-à-d. considérée comme modérée et soutenable par une voie bien entretenue) a été calculée à 16 400 livres et n'était pas beaucoup plus élevée que celle obtenue lors de l'analyse précédente.

    Ces résultats s'appliquaient autant à la courbe à droite de 4,92 degrés qu'à la courbe à gauche de 4,05 degrés.

    Examen du laboratoire du BST

    Deux morceaux du rail rompu et une partie d'un ensemble d'attelages (entre le 41e et le 42e wagons) ont été récupérés et envoyés au laboratoire du BST aux fins d'examen et d'analyse.

    L'examen du rail rompu a révélé ce qui suit :

    • Toutes les ruptures dans le rail étaient dues à une contrainte excessive.
    • Il y avait une petite fissure de fatigue sur le côté intérieur du plus gros morceau de rail (photo 5). Cette fissure mesurait environ 7 mm de large et 3 mm de profondeur.
    • La petite fissure de fatigue était probablement associée à un léger écaillage sur le côté intérieur du champignon. Elle avait servi de point d'amorce de la rupture due à une contrainte excessive.
    • Le champignon présentait une usure verticale de ½ pouce et une usure latérale de ¼ de pouce.
    • Sur le morceau de rail plus petit (photo 6), qui provenait du rail haut de la courbe, il y avait des signes d'écrasement et des marques d'impact de roue.
    Photo 5. Petite rupture de fatigue sur le congé de roulement
    Image
    Image de petite rupture de fatigue sur le congé de roulement
    Photo 6. Morceau du rail haut montrant des marques d'écrasement et d'impact de roue
    Image
    Image d'un morceau du rail haut montrant des marques d'écrasement et d'impact de roue

    L'examen de l'ensemble d'attelages a déterminé que les ruptures dans l'attelage étaient dues à une contrainte excessive.

    Protection et conservation des éléments de preuve

    Le déraillement est survenu dans un endroit relativement isolé. À l'arrivée des enquêteurs du BST sur les lieux (environ 22 heures après l'événement), le chemin de fer avait déjà entrepris des travaux de remise en état de la voie. Il est admissible que le chemin de fer veuille rétablir le service le plus tôt possible. À cette fin, il lui faut souvent déplacer le train accidenté. De plus, pour des raisons de sécurité, on peut devoir déplacer une partie du train accidenté pour réduire au minimum la survenue d'autres dommages (p.ex., au cours d'incendies). Dans la mesure du possible, avant de perturber le site de l'accident, il y aurait lieu de consigner et de documenter la position de l'épave. Cette information et les éléments de preuve récupérés pertinents doivent alors être préservés aux fins de l'enquête.

    Le Règlement sur le Bureau de la sécurité des transports (le Règlement) énonce les exigences sur la protection et la conservation des éléments de preuve. Voici ce que stipulait le Règlement en vigueur au moment du déraillement :

    9. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), lorsqu'un accident ou un incident à signaler se produit, le propriétaire, l'exploitant, le capitaine et tout membre d'équipage doivent, dans la mesure du possible, sauf instructions contraires du Bureau ou obligation légale contraire, conserver et protéger les éléments de preuve relatifs à cet accident ou cet incident, y compris ceux contenus dans des documents au sens du paragraphe 19(16) de la Loi.

    (2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'empêcher la prise des mesures qui s'imposent pour assurer la sécurité des personnes, des biens et de l'environnement.

    (3) En cas de dérangement, en application du paragraphe (2), des éléments de preuve relatifs à un accident ou un incident à signaler, la personne qui dirige, surveille ou organise les opérations menées à cette fin doit, dans la mesure où les circonstances le permettent, enregistrer les éléments de preuve avant le début des opérations, par le meilleur moyen disponible.

    (4) L'exécution par une personne de l'obligation, prévue au paragraphe (1), de conserver et de protéger les éléments de preuve relatifs à un accident ou un incident à signaler libère les autres personnes qui y sont mentionnées de l'obligation de le faire.

    Analyse

    Rien n'indiquait qu'une défaillance mécanique liée à un matériel roulant ait pu contribuer à l'accident. L'analyse portera donc sur la dynamique du train, l'exploitation de longs trains à traction répartie, l'état de la voie et l'état des rails.

    L'accident

    Malgré un examen approfondi de l'information recueillie, il a été impossible d'établir la cause précise du déraillement. Le point de déraillement (PDD) se trouvait dans le secteur d'une courbe à gauche de 4,05 degrés et d'une courbe à droite de 4,92 degrés. La cause du freinage d'urgence intempestif n'a pas été établie. L'analyse de la dynamique du train a révélé que les rapports entre les forces latérales et verticales (L/V) n'étaient pas suffisamment grands pour provoquer un déraillement par renversement ou chevauchement d'un rail. Les forces longitudinales et latérales étaient considérées comme faibles à modérées. Une inspection du bogie arrière du 22e wagon n'a révélé aucune condition anormale qui aurait pu mener au déraillement.

    De nombreux trains-blocs sont exploités sur la subdivision Fort Frances. Un train-bloc présente habituellement une composition uniforme (wagons du même type et du même chargement). Chaque wagon dans un tel train réagira normalement de la même manière aux irrégularités de la voie que le wagon qui le précède, ce qui concentre chaque impact aux endroits où se trouvent ces irrégularités. Les longs trains-blocs à grande capacité de charge fournissent à la voie peu ou pas de possibilité de reprise élastiqueNote de bas de page 20 au cours de leur passage. Par conséquent, des wagons chargés de grande capacité dans les trains-blocs peuvent accélérer la dégradation de la structure de la voie.

    Le déraillement a probablement débuté quand le rail haut de la courbe à gauche de 4,05 degrés s'est renversé, si bien que la roue arrière L-4 du 22e wagon (CN 388054) est tombée dans l'écartement de la voie et a roulé sur l'âme et le patin du rail haut, écartant celui-ci derrière elle dans sa course. La roue L-4 s'est ensuite remise d'elle-même sur les rails, puisque le wagon CN 388054 a été trouvé avec toutes ses roues sur les rails. Il y avait 2 groupes de wagons déraillés, séparés par 6 wagons non déraillés. Les 25 derniers wagons à dérailler se sont mis en portefeuille en travers de la plate-forme, ce qui indique une compression des attelages après le début du déraillement et la séparation des wagons de tête. En raison du retard de 8 secondes dans le déclenchement du freinage d'urgence depuis la queue du train, la queue du train a continué d'avancer après que la tête du train et la locomotive télécommandée ont commencé à freiner, entraînant la mise en portefeuille du second groupe de wagons.

    On a analysé les effets de la dynamique du train, de l'exploitation de longs trains à traction répartie et de l'état de la voie et des rails. L'examen a permis de faire les constatations suivantes :

    • Le dévers de la courbe à gauche de 4,05 degrés permettait une vitesse de 28,8 mi/h. Comme le train roulait à 37 mi/h, soit 7 mi/h de plus que la vitesse maximale affichée de 30 mi/h, la courbe présentait un dévers insuffisant pour cette vitesse de 37 mi/h. En conséquence, de plus grandes forces latérales se sont exercées sur le rail haut. Même si ces forces étaient considérées comme modérées et soutenables pour une voie bien entretenue, le rail haut usé dans la courbe ne pouvait les soutenir.
    • L'augmentation du nombre de longs trains lourds utilisant la subdivision (depuis 2010) et le fait que certains trains roulent à des vitesses légèrement supérieures à celles permises auraient  fait en sorte que des forces latérales plus élevées se seraient exercées sur le rail haut de la courbe à gauche de 4,05 degrés présentant un dévers insuffisant. De plus, l'usure du rail haut se serait accélérée. Le rail haut présentait une usure de 14 mm de son champignon et une usure latérale de 6 mm, des valeurs juste en deçà de la norme de voie admissible en vigueur au CN (c.-à-d. que la somme des usures verticale et latérale pour un rail de 115 livres ne doit pas dépasser 21 mm). Sur un rail haut sur le point d'atteindre ses limites d'usure, il s'est probablement produit un contact en 2 points à l'interface roue-rail, ce qui a réduit le seuil L/V nécessaire au déclenchement d'un déraillement.
    • La courbe avait été remise à l'écartement environ 2 mois avant le déraillement. Cependant, les trains-blocs lourdement chargés auraient accéléré la dégradation de l'aptitude des crampons à résister aux forces latérales génératrices d'un surécartement et d'un renversement du rail.

    Il est peu probable que chacun de ces facteurs pris individuellement aurait pu entraîné le déraillement. Toutefois, leur action conjuguée peut avoir été suffisante pour créer les conditions propices à un déraillement. Le déraillement s'est probablement produit à cause d'un renversement du rail dû à des forces latérales élevées découlant d'une combinaison de facteurs : la vitesse du train dans la courbe à dévers insuffisant, un seuil L/V réduit par le contact en 2 points sur le rail haut usé et une résistance amoindrie des crampons de rail à un surécartement dynamique.

    Effet du rétablissement de l'inclinaison du rail et de la remise à l'écartement sur l'interface roue-rail

    Si le profil du rail n'est pas corrigé par meulage, le rétablissement de l'inclinaison du rail et la remise à l'écartement ont tendance à déplacer le point de contact vers le côté extérieur des rails haut et bas. Dans l'événement à l'étude, le meulage dans les courbes avait eu lieu avant le rétablissement de l'inclinaison du rail et la remise à l'écartement, et non après ces activités d'entretien. Si l'on ne procède pas à un meulage du rail après en avoir rétabli l'inclinaison et l'écartement, un contact en 2 points peut survenir à l'interface roue-rail, ce qui augmente les forces latérales et accroît le risque de renversement du rail.

    Conduite du train et freinage au cours du déraillement

    Dans l'événement en cause, le second groupe de wagons déraillés était formé de 25 wagons qui se sont mis en portefeuille en travers de la déclivité. Avant le déraillement, les réactions d'attelage étaient minimes, parce que le train roulait attelages étirés sur un relief relativement plat. Avant le freinage d'urgence, il n'y avait pas eu de freinage qui aurait engendré des forces de compression excessives. Cependant, en raison d'une interruption des communications de l'avant à l'arrière dans le système de contrôle et de freinage en queue, la queue du train a tardé de 8 secondes avant de déclencher un freinage d'urgence. Quand le train est étiré, pour empêcher un glissement des roues ou des forces de compression exercées sur le train excessives découlant de la compression rapide des attelages des wagons derrière la locomotive, on peut recourir au dispositif d'affranchissement des freins de la locomotive (c.-à-d. desserrer les freins), ce qui n'a pas été fait. Le retard dans le déclenchement du freinage déclenché depuis la queue du train et la non-utilisation du dispositif d'affranchissement des freins de la locomotive ont fait se comprimer les attelages des wagons qui freinaient, provoquant une situation de mise en portefeuille qui a aggravé le déraillement.

    Exploitation des longs trains à traction répartie

    La directive du CN sur le positionnement de la traction répartie stipule qu'une locomotive télécommandée doit être placée dans le train de façon qu'elle pousse 1/3 du poids de ce dernier et tire les autres 2/3. Dans le cas du train en cause dans l'événement, le poids optimal était de 18 312 tonnes devant la locomotive télécommandée et de 5506 tonnes derrière. Selon les lignes directrices du CN, le train G84042-09 a été formé avec la locomotive télécommandée placée trop vers l'avant du convoi.

    Un train à traction répartie permet, entre autres avantages, de réduire au minimum les forces exercées sur le train au cours de la marche de ce dernier et de serrer les freins à air plus rapidement dans tout le train lors d'un freinage. En plaçant la locomotive télécommandée trop vers l'avant du convoi, on a empêché le train de tirer parti de tous ces avantages. Toutefois, la position de la locomotive télécommandée en traction répartie, bien que non conforme aux lignes directrices du CN, n'a pas contribué au déraillement.

    Préservation des éléments de preuve aux fins des enquêtes

    De nombreux déraillements se produisent dans des endroits isolés difficiles d'accès. Le personnel local du chemin de fer arrivera normalement sur le site d'accident peu de temps après l'événement, alors que les enquêteurs du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) peuvent mettre un certain temps pour arriver sur les lieux. Dans l'événement à l'étude, le site du déraillement se trouvait dans un endroit éloigné. Quand les enquêteurs du BST sont arrivés sur les lieux, les travaux de remise en état avaient déjà commencé.

    Il est admissible que le chemin de fer veuille rétablir le service le plus tôt possible et qu'il doive, à cette fin, déplacer le train accidenté. Cependant, avant de perturber le site de l'accident, il y aurait lieu de consigner et de documenter la position et le déplacement de l'épave. Selon le Règlement sur le Bureau de la sécurité des transports, toute personne qui a possession ou la garde d'éléments de preuve relatifs à un événement de transport, doit en assurer la protection et la conservation, sauf instructions contraires du Bureau. Puis, une fois les enquêteurs du BST arrivés sur les lieux, les éléments de preuve récupérés devraient être mis à leur disposition pour les besoins de l'enquête.

    Le personnel du CN s'efforce normalement de repérer le point de déraillement (PDD) et de déterminer la cause de l'accident, notamment en localisant les rails rompus d'intérêt. Dans l'événement en cause, seuls 2 morceaux de rail ont été récupérés, et leur analyse n'a rien révélé de concluant. En raison des activités de remise en état de la voie menées par le CN, le BST n'a pas été en mesure, pour vérifier la cause de l'accident, d'examiner le site non perturbé du déraillement, y compris des portions clés de la voie. Cette situation s'est présentée lors d'une enquête précédente (rapport d'enquête ferroviaire R09W0033 du BST). Quand les éléments de preuve provenant de sites d'accident ne sont pas préservés, le BST peut être gêné dans sa recherche des causes et des facteurs contributifs ainsi que dans sa détermination des lacunes de sécurité du réseau de transport.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le déraillement a probablement débuté quand le rail haut de la courbe à gauche de 4,05 degrés s'est renversé, si bien que la roue arrière L-4 du 22e wagon (CN 388054) est tombée dans l'écartement de la voie et a roulé sur l'âme et le patin du rail haut, écartant celui-ci derrière elle dans sa course.
    2. Comme le train roulait à 37 mi/h, la courbe présentait un dévers insuffisant pour cette vitesse, ce qui a provoqué un accroissement des forces latérales s'exerçant sur le rail haut.
    3. Sur un rail haut sur le point d'atteindre ses limites d'usure, il s'est probablement produit un contact en 2 points à l'interface roue-rail, ce qui a réduit le seuil des forces latérales et verticales nécessaires au déclenchement d'un déraillement.
    4. Les trains-blocs lourdement chargés roulant à la vitesse permise ou à une vitesse légèrement supérieure auraient accéléré la dégradation de l'aptitude des crampons à résister aux forces latérales génératrices d'un surécartement et d'un renversement du rail.
    5. Le renversement du rail dû à des forces latérales élevées a probablement découlé d'une combinaison de facteurs : la vitesse du train dans une courbe à dévers insuffisant, un seuil des forces latérales et verticales réduit par le contact en 2 points sur le rail haut usé et une résistance amoindrie des crampons de rail à un surécartement dynamique.

    Faits établis quant aux risques

    1. Si l'on ne procède pas à un meulage du rail après en avoir rétabli l'inclinaison et l'écartement, un contact en 2 points peut survenir à l'interface roue-rail, ce qui augmente les forces latérales et accroît le risque de renversement du rail. 

    Autres faits établis

    1. Le retard dans le déclenchement du freinage déclenché depuis la queue du train et la non-utilisation du dispositif d'affranchissement des freins de la locomotive ont fait se comprimer les attelages des wagons qui freinaient, provoquant une situation de mise en portefeuille qui a aggravé le déraillement.
    2. La position de la locomotive télécommandée en traction répartie, bien que non conforme aux lignes directrices du Canadien National, n'a pas contribué au déraillement.
    3. Lorsque les éléments de preuve provenant de sites d'accident ne sont pas préservés, le Bureau de la sécurité des transports peut être gêné dans sa recherche des causes et des facteurs contributifs ainsi que dans sa détermination des lacunes de sécurité du réseau de transport.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le Le rapport a été officiellement publié le

    Annexes

    Annexe A : Puissance de la locomotive G84042-09 et calcul du poids

    (Source : Canadien National, [disponible en anglais seulement])
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    Image du tableau du puissance de la locomotive G84042-09 et calcul du poids