Collision à un passage à niveau
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train de marchandises Q14891-08
Point milliaire 77,66, subdivision de Dundas
London (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 9 janvier 2018, vers 9 h 40, heure normale de l'Est, le train de marchandises Q14891-08 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada circulant vers l'est sur la subdivision de Dundas a percuté une déneigeuse sur le trottoir au passage à niveau public de la rue Colborne, au point milliaire 77,66, à London (Ontario). Ce passage à niveau était muni de feux clignotants, d'une sonnerie et de barrières. L'unique occupant de la déneigeuse a été mortellement blessé.
Renseignements de base
L'accident
Le 8 janvier 2018, vers 19 hNote de bas de page 1, le train de marchandises Q14891‑08 (le train) de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a quitté Chicago (Illinois), aux États-Unis, à destination de Montréal (Québec) (figure 1). Le train est entré au Canada à Sarnia (Ontario) (point milliaire 57,2 de la subdivision de Strathroy) et a fait route vers l'est jusqu'à London (Ontario), où la subdivision de Strathroy rejoint la subdivision de Dundas. Le train a continué vers l'est sur la voie principale sud de la subdivision de Dundas.
Le train comptait 2 locomotives de tête et 30 wagons, pour un total de 80 plateformes. Le train pesait environ 4645 tonnes et mesurait quelque 5015 pieds de long. La locomotive de tête (CN 5605) était une locomotive General Motors modèle SD70i munie d'un klaxon à 3 cornets. La locomotive menée (CN 1520) était une locomotive General Electric modèle ES44AC. Composée d'un mécanicien de locomotive et d'un chef de train, l'équipe de train connaissait bien le territoire et satisfaisait aux normes relatives au repos et à la condition physique.
Le 9 janvier 2018, vers 9 h 40, au moment où le train approchait du passage à niveau public de la rue Colborne (point milliaire 77,66) à London, l'équipe de train a aperçu une déneigeuse qui circulait lentement vers le nord en direction du passage à niveau public en déneigeant le trottoir. La déneigeuse a continué de souffler la neige pendant qu'elle franchissait le passage à niveau. Le mécanicien de locomotive a actionné le sifflet de locomotive pour avertir le conducteur de la déneigeuse de l'approche du train. Lorsqu'il est devenu évident que la déneigeuse ne quitterait pas le passage à niveau avant que le train ne l'atteigne, le mécanicien de locomotive a serré les freins d'urgence. Toutefois, le train n'a pas pu s'immobiliser avant d'atteindre le passage à niveau et a percuté la déneigeuse. Durant les secondes qui ont précédé l'impact, le conducteur de la déneigeuse n'a pas tourné son regard en direction du train. Par suite de la collision, l'unique occupant de la déneigeuse a été mortellement blessé. La déneigeuse a été détruite. Le train et la voie n'ont pas été endommagés.
Examen des lieux
La tête du train s'est immobilisée à quelque 2200 pieds à l'est du passage à niveau. La déneigeuse s'est immobilisée à environ 250 pieds à l'est du passage à niveau, au sud de la voie principale sud. Le conducteur de la déneigeuse a été éjecté de son véhicule. Le chasse-neige de la déneigeuse s'est immobilisé au nord de la voie principale sud.
Un téléphone cellulaire se trouvait dans la poche de chemise du conducteur, et des écouteurs y étaient branchés. L'un des écouteurs était dans l'oreille du conducteur. Le téléphone semblait intact. Aucune application de musique n'était en fonction, et aucune musique n'était audible dans les écouteurs. Le téléphone cellulaire et les écouteurs ont été envoyés au Laboratoire du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) aux fins d'examen.
Conditions météorologiques
D'après la station météorologique du gouvernement du Canada à London, la température au moment de l'événement était de −4 °C, avec des vents d'ouest soufflant à environ 12 km/h. La visibilité était d'environ 9 km.
Il avait neigé au cours des 2 jours qui ont précédé l'événement, à partir de 15 h le 7 janvier 2018, jusqu'à 12 h le 8 janvier 2018. Il y avait une accumulation de neige d'environ 11 cm au sol.
Renseignements consignés
Consignateur d'événements de locomotive
On a examiné les données récupérées du consignateur d'événements de locomotive. On a déterminé ce qui suit :
- Lorsqu'il approchait du passage à niveau, le train roulait à environ 44 mi/h avec les freins desserrés et le manipulateur au cran de ralenti.
- Le klaxon du train a retenti de façon quasi continue pendant 19 secondes avant que le train atteigne le passage à niveau.
- Les freins du train ont été serrés d'urgence avant que le train atteigne le passage à niveau.
Récupération des données de la guérite de signalisation
Les données récupérées de la guérite de signalisation ont été examinées. On a déterminé ce qui suit :
- La sonnerie et les feux ont été déclenchés environ 29 secondes avant que le train n'occupe le passage à niveau.
- Les barrières ont commencé à s'abaisser 4 secondes plus tard, et il a fallu 13 secondes pour que les 3 barrières s'abaissent complètement.
- Le train a atteint le passage à niveau quelque 12 secondes plus tard.
Enregistrement d'une caméra de sécurité
On a récupéré l'enregistrement d'une caméra de sécurité montée sur un immeuble voisin, et on l'a envoyé au Laboratoire d'ingénierie du BST aux fins d'examen. On a établi ce qui suit :
- La déneigeuse s'est approchée du passage à niveau public de la rue Colborne en provenance du sud sur le trottoir est et déneigeait le trottoir avec le chasse-neige (figure 2).
- Le véhicule s'est approché du passage à niveau à une vitesse variant de 2,6 km/h à 7,3 km/h.
- La déneigeuse était adjacente au mât et à la barrière du système d'avertissement de passage à niveau lorsque les feux ont commencé à clignoter.
- Elle se trouvait à environ 4,6 m au-delà du mât de signalisation de passage à niveau lorsque les barrières ont commencé à s'abaisser.
- Elle a poursuivi sa route sur le passage à niveau à une vitesse d'environ 1,4 km/h et a continué à souffler la neige.
Position indiquée sur la figure 1 | Référence temporelle de la vidéo | Activité | Vitesse approximative du train entre les positions (km/h [mi/h]) | Déneigeuse soufflant la neige |
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1 | 9 h 38 min 6 s | Déneigeuse circulant vers le nord le long de la rue Colborne | 6,0 (3,7) | Oui |
2 | 9 h 38 min 9 s | La déneigeuse s’arrête. La déneigeuse repart à 9 h 38 min 20 s. | ||
6,8 (4,2) | Oui | |||
3 | 9 h 38 min 21 s | La déneigeuse s’arrête. La déneigeuse repart à 9 h 38 min 24 s. | ||
7,3 (4,5) | Oui | |||
4 | 9 h 38 min 29 s | La déneigeuse s’arrête et fait marche arrière. | ||
3,6 (2,2) | Non | |||
5 | 9 h 38 min 41 s | La déneigeuse cesse de faire marche arrière. La déneigeuse fait marche avant à 9 h 38 min 42 s. | ||
2,9 (1,8) | Oui | |||
6 | 9 h 39 min 2 s | La déneigeuse s’arrête et fait un peu marche arrière. La déneigeuse fait marche avant à 9 h 39 min 5 s. | ||
2,6 (1,6) | Oui | |||
7 | 9 h 39 min 34 s | Les feux sur les barrières relevées commencent à clignoter. | ||
4,1 (2,5) | Oui | |||
8 | 9 h 39 min 38 s | Les barrières commencent à s’abaisser. | ||
1,4 (0,9) | Oui | |||
9 | 9 h 39 min 49 s 9 h 39 min 49 s – 9 h 39 min 56 s | Les barrières sont complètement abaissées. Le conducteur change l’angle de projection du chasse-neige. |
||
1,0 (0,6) | Oui, avec ajustements | |||
10 | 9 h 40 min 5 s | Le train percute la déneigeuse. |
Analyse du téléphone cellulaire
On a examiné le téléphone cellulaire et les écouteurs qui ont été récupérés sur les lieux de l’accident. La batterie du téléphone cellulaire était à plat lorsqu’on a reçu celui-ci au Laboratoire d’ingénierie du BST, mais le téléphone était intact. Un des haut-parleurs des écouteurs s’était détaché du fil et manquait.
On 'a pu déterminer si le conducteur écoutait de la musique sur son téléphone au moment de l’événement. Le volume de lecture de médias était réglé à un seizième du volume total. Le volume de l’avertisseur audio de textos était réglé aux neuf seizièmes du volume total. Aucun appel téléphonique ou message texto n'a été reçu ou transmis durant les moments qui ont précédé l’événement.
Renseignements sur la subdivision
La subdivision de Dundas comprend des voies principales doubles qui s’étendent du point milliaire 0,0, à la gare Bayview près de Burlington (Ontario), au point milliaire 78,2 (London). La voie est de catégorie 4, selon le Règlement sur la sécurité de la voie approuvé par Transports Canada. Les mouvements de train sur cette subdivision sont régis par le système de commande centralisée de la circulation comme l’autorise le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF) et sont supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire en poste à Toronto (Ontario). Le trafic ferroviaire est d’environ 28 trains par jour.
Aux environs du passage à niveau, la subdivision de Dundas s’étend d’est en ouest. La vitesse autorisée par l’indicateur est de 60 mi/h pour les trains de marchandises et de 70 mi/h pour les trains de voyageurs. Une limitation permanente de vitesse de 50 mi/h est en place entre le point milliaire 77,5 et le point milliaire 78,2 pour les trains de marchandises et les trains de voyageurs.
Renseignements sur le passage à niveau
Au passage à niveau public de la rue Colborne, sur l’approche nord comme sur l’approche sud, la circulation routière est protégée par des feux clignotants (certains sont en porte-à-faux), une sonnerie, des panneaux de passage à niveau réfléchissants standards et des barrières (figure 3). La barrière à l’approche nord-est est installée en bordure de la chaussée et bloque 2 voies de circulation. L’approche sud compte 2 barrières, dont 1 qui est installée sur le boulevard au centre de la chaussée et qui bloque une voie de circulation, et 1 qui est installée en bordure de la chaussée et qui bloque l’autre voie de circulation.
Dans chacun des 4 quadrants, un trottoir mène au passage à niveau. Ce passage à niveau ne comprend aucune barrière pour protéger tout particulièrement les piétons. Les surfaces de croisement entre les trottoirs sont asphaltées, le bitume s’étendant au moins jusqu’à la bordure extérieure des trottoirs, et sont conformes à la partie B des Normes sur les passages à niveau de Transports Canada (TC).
Chacune des approches du passage à niveau comprend 10 feux clignotants. Il y a 6 feux avant faisant face à la circulation pour chacune des voies couvertes : 4 feux avant en porte-à-faux, et 2 autres sur le mât du système d'avertissement. Il y a 4 feux arrière faisant face à la circulation dans la voie de circulation opposée : 2 feux arrière en porte-à-faux et 2 autres sur le mât du système d'avertissement. Chaque feu est muni de diodes électroluminescentes.
L'alignement des feux fait l'objet de vérifications mensuelles. Après l'événement à l'étude, on a vérifié l'alignement des feux. Aucun réglage n'était requis.
Au passage à niveau, il y a 4 voies ferrées. Chacun des mâts du passage à niveau comprend un panneau qui informe les conducteurs automobiles du nombre de voies. La voie la plus au sud n'est pas en service, les rails de part et d'autre de la chaussée ayant été retirés. Les 2 voies suivantes sont les voies principales sud et nord de la subdivision de Dundas. La voie la plus au nord est une voie de triage.
Ce passage à niveau a été aménagé en tant que passage à interdiction de signal par siffletNote de bas de page 2. La distance de dégagementNote de bas de page 3 pour ce passage à niveau était de 85 pieds. Le laps de temps d'annonce d'approche des systèmes d'avertissement de passage à niveau était conforme au paragraphe 12(1) du Règlement sur la protection des devis d'installation et d'essai aux passages à niveau, qui était en vigueur au moment de leur installation en 1997. Les signaux devaient être déclenchés 25 secondes avant qu'un train ne s'engage dans le passage à niveau. Ce laps de temps comprenait la distance que doit parcourir le véhicule type désigné pour franchir les 4 voies ferrées.
Ces règlements ont été abrogés lorsque le nouveau Règlement sur les passages à niveau et les nouvelles Normes sur les passages à niveau sont entrés en vigueur en 2014. Ce nouveau règlement et ces nouvelles normes renvoient à la partie 3 du Communications and Signals Manual of Recommended Practices de 2013Note de bas de page 4 de l'AREMA (American Railway Engineering and Maintenance-of-Way Association) pour déterminer le laps de temps d'annonce des signaux d'avertissement aux passages à niveau. D'après la partie 3.3.10, qui comprend des instructions sur la façon de déterminer les temps d'annonce, le temps d'annonce d'approche total correspond à la somme de la durée minimale (20 secondes), de la valeur la plus élevée entre le délai de dégagementNote de bas de page 5 et le délai de descente des barrières de sortieNote de bas de page 6, et de la période tamponNote de bas de page 7. Lors de l'événement à l'étude, comme la déneigeuse se déplaçait à environ 1,5 km/h, elle aurait mis 62 secondes pour parcourir la distance de dégagement de 85 pieds.
Inspection et évaluation réglementaires
- Après l'événement, TC a inspecté le passage à niveau, mais n'a relevé aucune infraction réglementaire. TC a néanmoins cerné les préoccupations suivantes :
- l'état des plans de conception du passage à niveauNote de bas de page 8;
- la distance entre le mât sud du système d'avertissement de passage à niveau et la voie opérationnelle la plus au sud;
- l'audibilité de la sonnerie pour les piétons;
- la visibilité des signaux d'avertissement une fois qu'un piéton a dépassé le cône visible des feux avant d'avertissement en place.
TC a également soulevé une inquiétude relative à l'exécution de travaux, comme le déneigement sur un passage à niveau, sans procédure ni méthode en place pour garantir une conscience situationnelle adéquate afin de travailler en toute sécurité. En février 2018, TC a transmis une lettre de préoccupation à la Ville de London (la Ville) à ce sujet.
Classement des risques des passages à niveau
Chaque année, TC dresse un classement de tous les passages à niveau de compétence provinciale et fédérale selon leur niveau de risque. TC détermine ce risque en fonction de certains facteurs, entre autres :
- le nombre d'événements ferroviaires qui se sont produits à ce passage à niveau;
- le volume de circulation routière et ferroviaire;
- les vitesses maximales des trains et des véhicules routiers;
- le nombre de voies ferrées et de voies de circulation;
- l'environnement urbain ou rural;
- les systèmes d'avertissement en place aux passages à niveau (p. ex., barrières, sonneries et feux).
La méthodologie de classement des risques ne tient pas compte des lignes de visibilité, de la déclivité du passage à niveau, de l'angle du passage à niveau, ou encore de sa proximité à des intersections voisines.
D'après le classement des risques établi en avril 2017, parmi les 23 464 passages à niveau au Canada, le passage à niveau public de la rue Colborne présentait le 312e plus haut niveau de risque. Dans la subdivision de Dundas, 3 autres passages à niveau dans les environs du passage à niveau public de la rue Colborne avaient un niveau de risque plus élevé. Pour le classement des risques de 2018, on a tenu compte de l'événement à l'étude durant l'évaluation des risques du passage à niveau public de la rue Colborne. D'après le classement des risques actualisé, ce passage à niveau présentait le 36e plus haut niveau de risque.
Responsabilité du déneigement des passages à niveau
Les compagnies de chemin de fer et les autorités routières partagent les responsabilités de l'entretien matériel des passages à niveau. Chaque année, le CN envoie aux autorités routières des lettres qui contiennent des directives pour l'exécution des opérations de déneigement à proximité des passages à niveau; la compagnie avait transmis une lettre à la Ville avant l'hiver de 2017-2018.
Opérations de déneigement pour la Ville de London
Pour déneiger et déglacer ses chaussées et ses trottoirs, la Ville avait à son service une équipe d'employés d'entretien à la formation et aux compétences adéquates pour effectuer ces tâches. La Ville avait en outre passé des contrats avec des entreprises de déneigement privées pour renforcer ses propres équipes essentielles de déneigement.
Quand il fallait enlever la neige, les employés municipaux étaient les premiers à entrer en jeu pour déneiger les routes et trottoirs principaux. Au besoin, on faisait ensuite appel aux entrepreneurs privés pour qu'ils déneigent les routes et trottoirs secondaires. En cas de chutes de neige abondantes, on pouvait faire appel plus tôt aux entrepreneurs.
Aux fins de gestion des activités de déneigement, la Ville était divisée en 4 secteurs. Chaque secteur était divisé en circuitsNote de bas de page 9. Les superviseurs de secteur avaient une équipe d'employés municipaux et une liste d'entrepreneurs affectés au déneigement des circuits dans leur secteur. Les entrepreneurs étaient habituellement affectés à des circuits précis.
En 2015, la Ville a lancé une procédure d'appel d'offres auprès d'entreprises de déneigement, le mandat étant de prêter main-forte aux travaux de déneigement et d'épandage de sable sur les trottoirs et aux arrêts d'autobusNote de bas de page 10. La durée de ce contrat était de 6 ans. L'appel d'offres contenait les modalités précises pour les soumissionnaires potentiels, entre autres [traduction] :
Conditions, instructions et information générales pour les soumissionnaires
[…]
21 Sous-traitance
Le soumissionnaire retenu ne peut, sans le consentement écrit de la Ville, céder ou donner en sous-traitance la fourniture de quelque bien ou service compris dans les présentes. […]
3-0 Exigences durant l'exécution
[…]
3-4 Politiques et procédures de sécurité et documentation connexe
[…]
- a) Une copie de leurs politique et programme de santé et sécurité, s'ils sont requis en vertu de l'alinéa 25 (2)j) de la Loi sur la santé et sécurité au travail. […]
5-0 Modalités
[…]
5-9 Conducteurs d'équipement
[…]
- d) Le soumissionnaire retenu doit fournir une copie de ses documents de formation relative aux déneigeuses, de même qu'une liste de conducteurs compétents. […]
5-15 Responsabilités du soumissionnaire retenu
[…]
- d) Le soumissionnaire retenu doit s'assurer que tous les conducteurs d'équipement détiennent au minimum un permis de conduire de catégorie G de l'Ontario et en fournir une copie sur demande de la VilleNote de bas de page 11.
Parallèlement à l'appel d'offres 15-19, la Ville a publié un document d'approvisionnement et de spécifications qui indiquait des exigences additionnelles auxquelles devait se conformer le soumissionnaire retenu, entre autres [traduction] :
2.0 Conducteurs d'équipement
- a) Le conducteur du soumissionnaire retenu doit être qualifié pour conduire la déneigeuse-épandeuse de sable pour trottoirs qu'utilise le soumissionnaire retenu. […]
7.0 Conditions d'embauche
a) Tous les conducteurs doivent détenir un permis de conduire valide.
- b) Le soumissionnaire retenu doit fournir au directeur de l'exploitation – chaussées les renseignements suivants, avant le 15 novembre de chaque année (sur des formulaires fournis par la Ville) :
Une liste écrite indiquant le nom complet et le numéro de téléphone des conducteurs. Le recours à des conducteurs additionnels EST INTERDIT sans le consentement du directeur général, Services de l'Environnement et de l'Ingénierie et Services de l'ingénierie et ingénieur municipal/remplaçant désigné. […]
8.0 Restrictions visant les heures de travail
[…]
- c) Le soumissionnaire retenu […] sera responsable de la formation de ses conducteursNote de bas de page 12.
Jackson Pools Inc. et Wee Bee Contracting
Jackson Pools Inc. (Jackson Pools) exploitait une entreprise d'installation et d'entretien de piscines durant l'été, et un service de déneigement en hiver. En hiver, Jackson Pools comptait 5 employés à temps partiel, dont 3 pour le déneigement. Jackson Pools était propriétaire de 3 chargeurs compacts à direction à glissement Bobcat, dont 2 qui étaient munis d'accessoires de déneigement.
En 2015, Jackson Pools a pris part au processus d'appel d'offres de la Ville en vue de décrocher un contrat pour déneiger les trottoirs. Jackson Pools a décroché un contrat de 6 ans selon lequel l'entreprise fournirait 3 déneigeuses et des conducteurs pour déneiger les trottoirs de 3 circuits. Seule 1 de ses déneigeuses a été affectée au contrat passé avec la Ville. Les 2 autres déneigeuses affectées à ce contrat ont été fournies par Wee Bee Contracting (Wee Bee), tout comme leurs conducteurs, en vertu d'un accord verbal conclu avec Jackson Pools.
Wee Bee exploitait des marchés aux puces en été et offrait des services de déneigement en hiver. La compagnie était propriétaire de 2 chargeurs compacts à direction à glissement Bobcat S130Note de bas de page 13, tous 2 munis d'accessoires pour les opérations de déneigement (figure 4). Chacune de ces déneigeuses était munie soit d'une lame, soit d'un chasse-neige, d'une cabine, et de grillage métallique couvrant les vitres latérales. Pour honorer ses obligations envers Jackson Pools, Wee Bee employait 4 conducteurs de déneigeuse.
Lorsque la Ville avait besoin des services de déneigement de Jackson Pools, elle appelait la compagnie, qui à son tour appelait Wee Bee. Même si la Ville communiquait parfois directement avec Wee Bee, elle ignorait que les employés de Wee Bee n'étaient pas des employés de Jackson Pools. Aucune liste d'employés qualifiés de Wee Bee ou de Jackson Pools, démontrant que leur permis de conduire était valide, n'avait été remise à la Ville.
Formation des conducteurs de déneigeuse
Tous les nouveaux employés municipaux doivent suivre un programme d'orientation de 3 jours en salle de cours de même que tout entraînement pratique pour les conducteurs que pourrait exiger leur fonction. Le programme d'orientation comprenait une formation d'orientation générale, une formation en santé et sécurité, et un programme de perfectionnement pour conducteurs.
Le programme de perfectionnement pour conducteurs comprenait une formation en classe et en un entraînement pratique pour s'assurer que tous les conducteurs de véhicules municipaux, y compris les déneigeuses de trottoir, détenaient les permis appropriés et avaient suivi une formation adéquate pour leurs fonctions. La présence des employés à ces cours était suivie et vérifiée. Les employés pouvaient aussi suivre une formation de recyclage et des programmes de recertification, au besoin.
L'entraînement pratique des conducteurs comprenait un maximum de 40 heures au volant de différentes machines (jusqu'à 9) pour en maîtriser la conduite. Les conducteurs de déneigeuse étaient habituellement choisis à partir d'un bassin d'employés municipaux à temps plein et chevronnés. Bien souvent, ces employés n'avaient besoin d'aucun entraînement pratique additionnel. Pour s'assurer que le programme de formation était complet, la Ville a également mené des évaluations des risques pour des tâches individuelles, y compris le déneigement des trottoirs et l'épandage de sable.
Le programme de perfectionnement des conducteurs était assorti d'un manuel. Ce manuel traitait des passages à niveau ferroviaires, à propos desquels on disait [traduction] :
15. 2 Tous les passages à niveau ferroviaires doivent toujours être abordés avec une prudence extrême. Les conducteurs doivent observer la procédure suivante :
- Ralentir à une vitesse qui, en cas d'approche d'un train ou de déclenchement de la signalisation, permettra d'immobiliser le véhicule ou l'équipement de façon sécuritaire à au moins 5 m (15 pieds) de la voie ferrée la plus proche;
- Le conducteur doit regarder dans les 2 sens lorsqu'il s'approche d'une voie ferréeNote de bas de page 14.
Le programme de perfectionnement des conducteurs comprenait en outre un document intitulé Employee Rules and Regulations (règles et règlements pour employés). L'article 8 de ce document portait sur le comportement des conducteurs à un passage à niveau [traduction] :
Une situation très dangereuse peut se produire si de la neige ou de la glace se trouve sur une voie ferrée ou contre les barrières oscillantes d'un passage à niveau, ce qui fait que celles-ci ne peuvent s'abaisser. Les niveleuses et déneigeuses municipales ne doivent pas déneiger les voies ferréesNote de bas de page 15.
Le programme de perfectionnement des conducteurs offrait également des conseils aux conducteurs de déneigeuse développés par Opération GareautrainNote de bas de page 16. Ce document comprenait des directives sur l'utilisation de signaleurs aux passages à niveau; la façon de gérer les urgences; l'utilisation de neige, de sel de voirie et de produits chimiques; et la façon d'approcher des passages à niveau. Le document proposait aussi aux conducteurs de véhicules routiers de déneigement des stratégies relatives à la traverse sécuritaire d'un passage à niveau, dont celles-ci [traduction] :
- Regarder dans les 2 sens avant de traverser une voie ferrée, pour s'assurer qu'on peut le faire en toute sécurité. Ouvrir les portières et les fenêtres et éteindre la radio ou le climatiseur-dégivreur afin de mieux voir et entendre […].
- Lever suffisamment haut les lames chasse-neige et latérale ou tout autre accessoire pour dégager les voies et les signaux.
- Pour éviter de caler le moteur, utiliser un rapport qui permettra de franchir les voies sans changer de vitesse; […]
- Une fois que vous avez commencé à rouler sur les voies, NE VOUS ARRÊTEZ PAS si les feux de signalisation commencent à clignoter. Il est plus sécuritaire de continuer d'avancer que de faire marche arrièreNote de bas de page 17.
Les conducteurs de déneigeuse à trottoir qui étaient des employés municipaux ont appris à lever la lame de la déneigeuse ou du chasse-neige au cran le plus élevé (plus de 12 pouces au-dessus de la chaussée) lorsqu'ils franchissent des voies ferrées.
En 2015, lorsqu'elle a octroyé les contrats de déneigement, la Ville a rencontré tous les entrepreneurs pour discuter de ses attentes en matière de rendement et d'administration du contrat. Après le début des travaux mentionnés au contrat, les réunions entre la Ville et les entrepreneurs avaient lieu de façon ponctuelle. Aucune réunion de sécurité n'a eu lieu pour discuter tout particulièrement de pratiques d'exploitation sécuritaires. La Ville n'a offert aucun programme de formation officiel ni aux entrepreneurs de déneigement ni aux employés de ces entrepreneurs, et elle ne leur a pas transmis la lettre du CN sur les directives relatives au déneigement.
Ni Jackson Pools ni Wee Bee n'ont offert de programme de formation officiel à leurs employés. Toutes instructions aux conducteurs de déneigeuse ont été données sous la forme de communications informelles. Jackson Pools n'a fourni à la Ville aucun document relatif à un programme de formation pour ses conducteurs de déneigeuse.
Par des communications officieuses avec la Ville ou par expérience préalable, certains employés de Jackson Pools et de Wee Bee étaient au courant de la nécessité de lever la lame de déneigeuse ou du chasse-neige et de l'interdiction d'épandre du sel de voirie ou du sable sur les passages à niveau. Ils levaient la lame à une hauteur suffisante pour ne pas endommager les voies ferrées. Certains entrepreneurs de déneigement ont dit à leurs conducteurs de lever la lame juste assez pour ne pas endommager les voies ferrées lorsqu'ils franchissaient les passages à niveau, et d'autres ont indiqué à leurs conducteurs de lever la lame au-dessus de la neige. Ni Jackson Pools ni Wee Bee ne connaissaient le programme Opération Gareautrain.
Le conducteur de la déneigeuse avait été au service de Jackson Pools de septembre 2017 à décembre 2017, comme ouvrier de construction saisonnier. Durant cette période, il avait reçu une formation sur la conduite des véhicules Bobcat modèle S130. Il conduisait divers véhicules et équipements hors route depuis au moins 5 ansNote de bas de page 18.
Depuis décembre 2017, il était au service de Wee Bee comme conducteur de déneigeuse de trottoirs, tâche qu'il n'avait jamais faite auparavant.
Le 15 décembre 2017, le conducteur de la déneigeuse a accompli son premier quart de déneigement. Au cours de ce quart, il avait déneigé les trottoirs du circuit 1, qui comprenait le passage à niveau public de la rue Colborne. Au moment de l'événement à l'étude, le conducteur de la déneigeuse en était à son 5e quart de déneigement des trottoirs. Durant ses 3 quarts de travail précédents, il avait été affecté au circuit 16, qui comprenait des passages à niveau. Même si Wee Bee avait donné au conducteur de la déneigeuse une formation informelle sur le fonctionnement de la déneigeuse, le conducteur n'avait reçu ni formation spécifique ni directives sur le franchissement sécuritaire d'un passage à niveau aux commandes d'une déneigeuse.
Le matin du 8 janvier 2018, le conducteur de la déneigeuse s'est levé vers 11 h 15, et il est demeuré éveillé pour tout le reste de la journée. Vers 20 h 40, il a reçu un appel de Wee Bee qui l'informait qu'il devait travailler ce soir-là. Quelqu'un est passé prendre le conducteur de la déneigeuse vers 22 h 30, et il a commencé son quart peu de temps après. Lorsqu'il ne travaillait pas, le conducteur de la déneigeuse avait l'habitude d'aller au lit entre minuit et 6 h, et de se lever dans l'avant-midi ou en début d'après-midi. Il n'avait pas travaillé au cours des 2 jours qui ont précédé l'événement.
Le conducteur de la déneigeuse détenait un permis de conduire de catégorie G1Note de bas de page 19, puisqu'il n'avait pas encore effectué la partie pratique de l'examen pour obtenir un permis de catégorie G2. Il ne s'était inscrit à aucun cours pratique de conduite. Le conducteur ne détenait pas de permis de conduire de catégorie G, malgré l'exigence à cet égard dans le contrat de la Ville.
Ayant grandi à London, le conducteur de la déneigeuse connaissait bien l'environnement routier à proximité du passage à niveau public de la rue Colborne. Toutefois, il avait une expérience limitée des passages à niveau comme conducteur de véhicule automobile, et n'était probablement pas familier avec le nombre de voies en service (3), la géométrie du passage à niveau (y compris sa longueur et sa largeur), et tout obstacle à la ligne de visibilité à partir d'une position sur le trottoir est et orientée vers le nord.
Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Ontario
En Ontario, les employeurs de compétence provinciale sont assujettis à la Loi sur la santé et sécurité au travail (la Loi). Le ministre du Travail provincial est responsable de l'administration de la Loi et exerce un certain nombre de pouvoirs et de devoirs; en voici quelques-uns :
- promouvoir la santé et la sécurité au travail ainsi que la prévention des blessures au travail et des maladies professionnelles,
- sensibiliser le public à la santé et à la sécurité au travail,
- instruire les employeurs, les travailleurs et d'autres personnes au sujet de la santé et de la sécurité au travail,
- développer, chez les employeurs, les travailleurs et d'autres personnes, le souci de la santé et de la sécurité au travail,
- accorder des subventions, d'un montant et aux conditions qu'il estime opportuns, pour soutenir la santé et la sécurité au travailNote de bas de page 20.
En vertu de l'article 1 – Définitions de la Loi, on entend par « employeur »
[p]ersonne qui emploie un ou plusieurs travailleurs ou loue les services d'un ou de plusieurs travailleurs. S'entend en outre de l'entrepreneur ou du sous-traitant qui exécute un travail ou fournit des services et de l'entrepreneur ou du sous-traitant qui entreprend, avec le propriétaire, le constructeur, l'entrepreneur ou le sous-traitant, d'exécuter un travail ou de fournir des servicesNote de bas de page 21.
D'après la partie III – Devoirs des employeurs et autres personnes :
Devoirs de l'employeur
25 […]
(2) Sans limiter les devoirs qu'impose le paragraphe (1), l'employeur :
- a) fournit au travailleur les renseignements, les directives et la surveillance nécessaires à la protection de sa santé et de sa sécurité; […]
- d) informe le travailleur, ou la personne qui exerce son autorité sur celui-ci, des risques que comportent le travail et la manipulation, l'entreposage, l'utilisation, l'élimination et le transport de tout objet, appareil, matériel ou agent biologique, chimique ou physique; […]
- h) prend toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la protection du travailleur; […]
Devoirs supplémentaires de l'employeur
26 (1) Outre les devoirs que lui impose l'article 25, l'employeur : […]
- k) si cela est prescrit, fournit au travailleur des directives écrites sur les mesures à prendre et les méthodes à suivre pour assurer la protection des travailleurs;
- l) met en œuvre les programmes de formation des travailleurs, des superviseurs et des membres des comités qui peuvent être prescritsNote de bas de page 22.
En vertu de la Loi, le Règlement sur la sensibilisation à la santé et à la sécurité au travail et formation a été élaboré pour faire en sorte que les travailleurs qui exécutent du travail pour un employeur, et les superviseurs qui surveillent ce travail, suivent un programme de formation élémentaire de sensibilisation à la santé et à la sécurité au travail. Le programme de formation s'adressant aux travailleurs doit couvrir les sujets suivants :
- les devoirs et les droits des travailleurs en vertu de la Loi;
- les devoirs des employeurs et des superviseurs en vertu de la Loi;
- les rôles des comités mixtes sur la santé et la sécurité et des délégués à la santé et à la sécurité selon la Loi;
- les rôles du ministère, de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail et des associations de santé et de sécurité désignés à l'article 22.5 de la Loi en ce qui a trait à la santé et sécurité au travail;
- les risques courants en milieu de travail;
- les exigences indiquées dans le règlement 860 (Système d'information sur les matériaux dangereux utilisés au travail [SIMDUT]) à l'égard de l'information et des instructions sur les produits contrôlés;
- les maladies professionnelles, y compris la latence.
Le programme de formation s'adressant aux superviseurs doit couvrir les sujets suivants :
- les devoirs et les droits des travailleurs en vertu de la Loi;
- les devoirs des employeurs et des superviseurs en vertu de la Loi;
- les rôles des comités mixtes sur la santé et la sécurité et des délégués à la santé et à la sécurité selon la Loi;
- les rôles du ministère, de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail et des associations de santé et de sécurité désignés à l'article 22.5 de la Loi en ce qui a trait à la santé et sécurité au travail;
- les manières d'identifier, d'évaluer et de contrôler les risques dans les lieux de travail, et l'évaluation de ces moyens de contrôle;
- les sources d'information sur la santé et la sécurité au travail.
Aucun employeur ne peut donner en sous-traitance à un tiers les obligations que lui imposent les dispositions de la LoiNote de bas de page 23.
Analyse audio durant la reconstitution de l'événement au passage à niveau
Le 20 février 2018, des mesures audio ont été prises au passage à niveau public de la rue Colborne pour évaluer l'audibilité du klaxon du train. Durant les essais audio, on a utilisé une locomotive similaire à la CN 5605 (CN 5601) et une déneigeuse similaire à celle en cause dans l'événement à l'étude.
Les mesures audio ont été prises depuis l'intérieur de la déneigeuse et à l'extérieur de celle-ci. On a pris les mesures dans les conditions suivantes :
- avec la vitre ouverte et la vitre fermée;
- avec la locomotive qui actionne son klaxon;
- avec le train circulant à des vitesses similaires à la vitesse enregistrée durant l'événement à l'étude.
Un stimulus sonore présente 3 niveaux d'audibilité.
- Le niveau de détection (ou seuil) est atteint simplement quand on détecte la présence d'un son. Ce son doit être supérieur de 6,5 dB(A) au bruit de fond. Toutefois, il est possible qu'aucune autre caractéristique sonore ne soit identifiée.
- Le niveau de reconnaissance du son se produit à un niveau qui se situe entre 3 et 8 dB(A) au-dessus du seuil de détection.
- Le niveau d'alerte d'un stimulus sonore est atteint au point auquel une personne en prend conscience ou est « alertée » de sa présence. Ce niveau est habituellement atteint lorsque le son s'élève à au moins 15 dB au-dessus du bruit de fondNote de bas de page 24.
À partir de l'analyse audio, on a pu déterminer ce qui suit :
- Avec la vitre de la déneigeuse ouverte, le son du klaxon du train s'est élevé au-dessus du bruit de fond pour atteindre le niveau d'alerte quelque 3 secondes avant que la locomotive ne s'engage dans le passage à niveau.
- Avec la vitre de la déneigeuse fermée, le son du klaxon du train a atteint le niveau d'alerte moins de 1 seconde avant que la locomotive ne s'engage dans le passage à niveau.
- Dans les conditions qui prévalaient au moment de l'événement à l'étude, les niveaux sonores du klaxon du train et de la sonnerie du passage à niveau que le conducteur a perçus étaient probablement insuffisants pour l'alerter de l'approche du train à temps pour éviter l'impact.
- Il n'a pas été possible de déterminer si le conducteur de la déneigeuse utilisait ses écouteurs au moment de l'événement à l'étude. Toutefois, leur utilisation aurait eu un effet minimal sur l'audibilité du klaxon de train.
Les klaxons de train sont souvent décrits comme un système d'alerte secondaire, parce que d'autres facteurs influent sur leur efficacité Note de bas de page 25. Un certain nombre d'enquêtes du BST Note de bas de page 26 ont montré que l'efficacité du klaxon peut être compromise par la vitesse du train, l'étouffement du son causé par la carrosserie du véhicule routier et le bruit ambiant dans son habitacle.
Ligne de visibilité à partir de l'intérieur de l'habitacle de la déneigeuse
La déneigeuse occupant le quadrant sud-est du passage à niveau de manière à ce que le conducteur soit à peu près adjacent au système d'avertissement de passage à niveau, le mât, les feux et les barrières sud-est du système d'avertissement étaient à peu près à un angle de 90° par rapport à la vue avant du conducteur. Dans cette position, le conducteur regardant droit devant lui, les feux et les barrières auraient été hors de son champ de vision avant.
De plus, dans cette position, le montant avant gauche de l'habitacle de la déneigeuse obstruait la vue
- du mât nord-ouest du passage à niveau;
- de la barrière (même si elle avait été complètement abaissée);
- des feux orientés vers le sud qui étaient fixés au mât;
- des feux en porte-à-faux orientés vers le sud au-dessus de la chaussée (figure 5).
Lorsque le conducteur de la déneigeuse se trouvait à côté du mât du système d'avertissement du quadrant sud-est du passage à niveau, les feux et barrières du quadrant nord-ouest se trouvaient à un angle de plus de 30° par rapport à la vue avant (figure 6).
Depuis l'habitacle de la déneigeuse, au moment où cette dernière occupait la 1re voie, les angles de vue des feux et barrières du passage à niveau dans le quadrant nord-ouest étaient supérieurs à 50° par rapport à la vue avant.
Détection des dangers et traitement de l'information chez les humains
Comme le traitement de l'information chez l'être humain est un processus constant, et compte tenu de la quantité phénoménale d'informations dans l'environnement, les humains doivent gérer ce flux en ignorant l'information moins importante pour se concentrer sur l'information plus importante. Toutefois, s'ils peuvent transférer rapidement leur attention d'une source d'information à une autre, les humains ne peuvent se concentrer pleinement que sur une seule source d'information à la foisNote de bas de page 27, surtout pendant qu'ils conduisent.
Pour qu'un conducteur interrompe sa tâche afin de réagir à un danger, à un stimulus ou à une condition, celui-ci ou celle-ci doit être visible ou détectable (s'offrant aux sens), perçu (on lui accorde une signification), et reconnu (comme étant suffisamment important).
Le champ de vision de l'œil humain est large – il s'étend à 90° à gauche et à 90° à droite. Le champ de vision périphérique représente environ 90 % du champ de vision total; seule une petite partie, un cône d'environ 2° à 3° directement devant le sujet, offre une vision nette et préciseNote de bas de page 28. En dehors de ce cône, l'acuité visuelle et la sensibilité aux contrastesNote de bas de page 29 diminuent rapidement; il est donc important que les conducteurs de véhicule automobile fassent un balayage visuel pour détecter la présence de trains aux passages à niveau.
Qu'un conducteur choisisse ou non de faire un balayage visuel à un passage à niveau, et malgré les limites de l'acuité et de la sensibilité aux contrastes, il est plus probable qu'il détecte d'abord l'approche d'un train dans le champ visuel périphérique. En effet, l'œil détecte mieux les mouvements en périphérie que dans le champ de vision centralNote de bas de page 30.
Un conducteur de véhicule qui concentre son attention sur un point fixe a moins de chances de remarquer les objets dans le champ visuel périphérique, phénomène que l'on appelle « vision tubulaire » ou « rétrécissement de l'attention ». Plusieurs facteurs peuvent mener à la vision tubulaireNote de bas de page 31, entre autres :
- une grande concentration sur une tâche complexe.
- une expérience limitée dans l'exécution d'une tâche.
- les effets de la fatigue.
- les effets de la drogue et de l'alcool.
- une charge de travail accrue.
- les facteurs de stress en milieu de travail, comme les bruits forts.
Attention du conducteur de véhicule
Chez l'être humain, l'attention et la capacité de traiter de l'information sont limitées. Ces limites peuvent poser des problèmes, puisque la conduite de tout véhicule exige le partage de l'attention entre des tâches de contrôle (comme demeurer dans sa voie ou sur le trottoir), de guidage (comme éviter les chaussées inégales) et de navigation (comme repérer des noms de rues).
Des ressources attentionnelles sont requises pour détecter efficacement les dangersNote de bas de page 32 et pour maintenir la conscience situationnelleNote de bas de page 33.
La tâche de conduire une déneigeuse pour dégager des trottoirs exige la concentration sur la commande et la direction non seulement du véhicule, mais aussi du chasse-neige, ainsi que la surveillance de l'apport en neige pour s'assurer qu'elle n'est pas contaminée par des objets que pourrait projeter le chasse-neige. L'attention d'un conducteur de déneigeuse est souvent concentrée soit droit devant sur le trottoir, soit vers la droite pour surveiller où le chasse-neige projette la neige.
Attentes et connaissances
Les attentes relatives à une situation peuvent déterminer si un conducteur de véhicule réagira aux dangers dans l'environnement, et si sa réaction sera appropriée. Les personnes qui reçoivent de l'information qu'elles s'attendent à recevoir ont tendance à réagir rapidement et sans commettre d'erreur. Cependant, quand elles reçoivent de l'information contraire à leurs attentes, leur rendement tend à être lent ou inappropriéNote de bas de page 34.
La formation et l'expérience renforcent les connaissances et la compréhension que l'on a d'une situation ou de l'environnement. Les conducteurs de véhicule qui apprennent de nouvelles tâches, ou encore de nouveaux aspects d'une tâche qu'ils connaissent déjà, ont tendance à accorder plus d'attention et à ressentir une charge de travail plus élevée que les conducteurs plus chevronnés lorsqu'ils effectuent une tâche nouvelle ou qu'ils connaissent malNote de bas de page 35.
Fatigue
Des études récentesNote de bas de page 36 montrent que, comme c'est le cas pour les conducteurs de véhicules commerciaux, les conducteurs d'entretien hivernal (c.-à-d. les conducteurs de déneigeuse) sont probablement plus à risque de se fatiguer pendant la conduite, étant donné les longs quarts de travail, les facteurs de stress en milieu de travail et les rares occasions de dormir. La fatigue peut nuire à la vitesse de traitement de l'information, ralentir les mouvements oculaires actifs et limiter la capacité de traiter l'information en provenance du champ visuel périphériqueNote de bas de page 37.
Des recherchesNote de bas de page 38 ont montré que chez la plupart des individus, après un état de veille continu de plus de 22 heures, il commence à se produire de brefs épisodes incontrôlables de sommeil, communément appelés « microsommeils » (courtes périodes de sommeil de 3 ou 4 secondes) et une instabilité d'état (parce que l'état de veille ne peut être maintenu). Ce stade est donc considéré comme le seuil auquel la fatigue cause un déclin de presque tous les aspects de la performance humaine.
Contrairement à la fatigue liée au sommeil, la fatigue mentale (ou « liée à la tâche ») est un état psychologique qui résulte de la durée prolongée ou de l'intensité d'une tâcheNote de bas de page 39,Note de bas de page 40. Les personnes qui sont sujettes à la fatigue mentale peuvent se sentir fatiguées, mais ne s'endorment pas nécessairement plus rapidement qu'une personne normalement reposée; c'est-à-dire que ces personnes ne sont pas nécessairement en état de somnolence. La concentration sur de longues périodes peut entraîner une fatigue mentale et des troubles corollaires de performance, notamment une diminution de la vigilance et de la conscience de la situation, et une réduction des capacités d'attentionNote de bas de page 41.
Effets du tétrahydrocannabinol sur les fonctions cognitives humaines
Le tétrahydrocannabinol (THC) est le principal cannabinoïde psychoactifNote de bas de page 42 dans la marijuana et le hachisch ainsi que leurs produits dérivés. Une intoxication aiguë au THC affaiblit plusieurs fonctions cognitives qui sont nécessaires à l'exploitation sécuritaire d'un véhicule, y compris la capacité du conducteur d'accorder simultanément son attention à plusieurs tâchesNote de bas de page 43.
L'exposition au THC, immédiate et à long terme, affaiblit la capacité de conduire et accroît les risques d'accident de la routeNote de bas de page 44,Note de bas de page 45. D'après l'examen d'une méta-analyse d'études expérimentales, une concentration de THC dans le sang de quelque 3,5 à 5 nanogrammes par millilitre (ng/ml)Note de bas de page 46 correspond à un affaiblissement des facultés comparable à celui causé par un taux d'alcoolémie de 0,05 %. Une telle concentration a donc été proposée comme limite légale convenableNote de bas de page 47 pour conduire un véhicule automobile.
Depuis le 17 octobre 2018, les adultes au Canada peuvent légalement avoir en leur possession de petites quantités de cannabisNote de bas de page 48. Toutefois, il est illégal de conduire un véhicule automobile avec les facultés affaiblies par la drogueNote de bas de page 49. La concentration maximale légale de THC dans le sang en deçà de 2 heures de la conduite est de 2,0 ng/mlNote de bas de page 50.
En Ontario, depuis le 1er juillet 2018, il est interdit aux jeunes conducteurs, aux conducteurs débutants, aux conducteurs de véhicules exigeant un permis de conduire des catégories A à F, aux conducteurs de véhicules exigeant une immatriculation d'utilisateur de véhicule utilitaire, ainsi qu'aux conducteurs de machines de construction routière d'avoir en quelque concentration que ce soit du THC dans leur organismeNote de bas de page 51.
Les limites légales pour conduire avec les facultés affaiblies par le THC varient à l'échelle mondiale. Par exemple, aux États-Unis, où certains États permettent la consommation de THC, les limites légales pour conduire un véhicule varient de 1 ng/mL (Pennsylvanie) à 5 ng/mL (Washington, Colorado, Montana). Au sein de l'Union européenne, les limites légales pour conduire varient de 0,5 ng/mL à 3 ng/mLNote de bas de page 52.
Quand on interprète les concentrations de THC dans le sang à la suite de dépistages toxicologiques, un certain nombre de facteurs peuvent grandement influer sur les résultats, entre autres :
- Le THC est détectable dans le sang jusqu'à 2 jours après la consommation. Or, même une forte dose de THC (fumé) cause normalement un affaiblissement aigu des facultés pour conduire pendant 3 à 4 heures seulementNote de bas de page 53. Le temps écoulé depuis la consommation est donc un facteur important dont il faut tenir compte pour estimer le degré d'affaiblissement.
- Les habitudes de consommation d'une personne peuvent également influer sur la pharmacocinétique du THCNote de bas de page 54. Chez les consommateurs habituels et réguliers de cannabis, des niveaux de THC positifs dans le sang ne signifient pas nécessairement une consommation récenteNote de bas de page 55.
Une autopsie a été pratiquée sur le corps du conducteur environ 23 heures après l'événement à l'étude. Les résultats du dépistage toxicologique étaient positifs pour le THC et indiquaient une concentration de 11,9 (+/− 1,5) ng/mL de THC dans le sang prélevé de l'artère fémorale. Aucun accessoire destiné à la consommation de drogues n'a été retrouvé sur le corps du conducteur de la déneigeuse ou à proximité de celui-ci après l'événement. Toutefois, l'enquête a permis de déterminer que le conducteur de la déneigeuse fumait régulièrement du cannabis depuis plusieurs années, et qu'il était un consommateur régulier.
L'interprétation post mortem des niveaux de THC dans le sang est compliquée par la redistribution post mortem, qui modifie les concentrations de THC (à la hausse ou à la baisse) dans le sang après la mort.
Ces facteurs font qu'il n'est pas possible d'établir de façon fiable la correspondance entre les concentrations post mortem de THC dans le sang et les effets d'affaiblissement de la performance au moment, ou près du moment, de la mort. Pareillement, la concentration post mortem de THC dans le sang ne permet pas d'estimer précisément le moment de la dernière consommation avant la mort.
Autres accidents de passage à niveau impliquant de l'équipement de déneigement
Le 24 janvier 2013, à 8 h 56, heure normale du Centre, le train de marchandises L51141-23 du CN circulant vers l'est a percuté une niveleuse qui s'était arrêtée sur le passage à niveau public au point milliaire 33,70 de la subdivision de Blackfoot (Saskatchewan)Note de bas de page 56. Le conducteur de la niveleuse a été mortellement blessé à la suite de cette collision. La niveleuse a été lourdement endommagée. Aucun membre de l'équipe de train n'a été blessé. La locomotive et 16 wagons-citernes transportant des marchandises dangereuses ont déraillé. Quelque 106 000 litres de pétrole brut ont fui de 4 wagons. Au moment de la collision, le conducteur de la niveleuse réglait les lames du véhicule pour le déneigement. L'enquête a permis d'établir que
[c]omme le conducteur de la niveleuse concentrait probablement son attention sur le réglage des lames de sa machine en vue d'activités de déneigement dans le voisinage du passage à niveau, il n'a pas détecté le train qui approchait de l'ouest.
Le 23 décembre 2013, à 3 h 28, le train de marchandises 132-22 du Chemin de fer Canadien Pacifique faisait route vers l'est à 50 mi/h en passant par Perth (Ontario) quand il a percuté un camion à benne basculante qui occupait le passage à niveau de la rue Wilson, au point milliaire 12,44 de la subdivision de Belleville, dans le cadre d'opérations de déneigementNote de bas de page 57. Le passage à niveau était muni d'un système de signalisation automatique comprenant des signaux à feux clignotants, une sonnerie et des barrières. Après la collision, le camion a été traîné sur quelque 2300 pieds avant de s'immobiliser aux environs du point milliaire 12,0. Le conducteur du véhicule a subi des blessures graves, mais qui ne mettaient pas sa vie en danger. Le camion a été détruit et la locomotive, endommagée. Les systèmes de protection du passage à niveau au carrefour des rues Wilson et Drummond (point milliaire 12,20) ont également été endommagés. On a déterminé ce qui suit :
- Le conducteur du camion n'était pas particulièrement sensibilisé aux risques que présentaient des travaux effectués à proximité d'une infrastructure ferroviaire.
- Aucun exposé sur les mesures de sécurité n'a eu lieu avant le début des travaux, contrairement aux pratiques courantes dans d'autres secteurs.
Depuis 2009, il y a eu 4 autres événements dans lesquels un train a percuté une déneigeuse ou un type de véhicule similaire à un passage à niveau de compétence fédéraleNote de bas de page 58.
Rapports de laboratoire du BST
Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :
- LP023/2018 – Audio Analysis [analyse audio]
- LP024/2018 – Cell Phone Analysis [analyse du téléphone cellulaire]
- LP037/2018 – Video Analysis [analyse vidéo]
Analyse
Ni les mesures prises par l'équipe de train ni l'état de l'équipement ou du matériel roulant n'ont été des facteurs contributifs à l'accident. Il n'y avait aucun signe que le conducteur de la déneigeuse eût quelque trouble médical ou psychologique qui aurait pu contribuer à l'accident. L'analyse porte sur les conditions qui ont fait que le conducteur de la déneigeuse n'a pas été averti de l'approche du train, sur la formation, sur le niveau de supervision des entrepreneurs de déneigement par Jackson Pools Inc. (Jackson Pools) et la Ville de London (la Ville), ainsi que sur l'efficacité des systèmes d'avertissement du passage à niveau durant les activités de déneigement des trottoirs.
L'accident
L'accident s'est produit lorsque la déneigeuse s'est engagée sur le passage à niveau tout en continuant de déneiger le trottoir. Le train qui approchait a actionné son klaxon avant que la déneigeuse n'occupe la voie principale sud; toutefois, le conducteur de la déneigeuse n'a pas entendu le train qui approchait, et le véhicule s'est avancé sur la voie, où il a été percuté par le train de marchandises Q14891-08 (le train).
La déneigeuse enlevait la neige du trottoir alors qu'elle s'approchait du passage à niveau, avant de s'engager dans celui-ci en provenance du sud. Les feux de signalisation dans le quadrant sud-est du passage à niveau ont commencé à clignoter lorsque la déneigeuse se trouvait à côté du mât et des barrières du système d'avertissement de passage à niveau. Comme la déneigeuse était positionnée à côté des systèmes d'avertissement du passage à niveau sud au moment où ils se sont déclenchés, les feux clignotants ne se trouvaient pas dans le champ visuel du conducteur et ne l'ont donc pas averti du train qui approchait. Le conducteur s'est avancé au-delà du mât et des barrières de protection, et au moment où il approchait des voies, les barrières ont commencé à s'abaisser. Au moment où la déneigeuse a atteint la voie la plus au sud, les barrières avaient achevé leur descente. La déneigeuse a continué d'avancer sur la voie principale sud, où la collision s'est produite.
Alors que la déneigeuse roulait sur le passage à niveau et dans la trajectoire du train, le conducteur du véhicule concentrait son attention soit droit devant lui sur le trottoir qu'il s'apprêtait à déneiger, soit vers sa droite, où il soufflait la neige (vers l'est). Par conséquent, le mât et la barrière du système d'avertissement dans le quadrant nord-ouest du passage à niveau, de même que les feux en porte-à-faux, se trouvaient dans le champ de vision périphérique du conducteur de la déneigeuse, ce qui a réduit la probabilité qu'il les aperçoive.
La vue du conducteur depuis l'intérieur de l'habitacle de la déneigeuse était limitée. Au moment où la déneigeuse occupait le passage à niveau, le montant avant gauche de l'habitacle obstruait la ligne de visibilité des feux et des barrières dans le quadrant nord-ouest du passage à niveau. De plus, le grillage qui couvrait les vitres latérales réduisait la visibilité le long des voies. La ligne de visibilité restreinte a davantage réduit la probabilité que le conducteur détecte les systèmes d'avertissement du passage à niveau ou le train qui approchait.
Les sonneries d'un passage à niveau, de même que le klaxon d'un train, servent à avertir les usagers d'un passage à niveau de l'approche d'un train. Or, le bruit de fond généré par le fonctionnement de la déneigeuse a empêché le conducteur du véhicule d'entendre la sonnerie du système d'avertissement et le klaxon du train.
Balayage visuel au passage à niveau
La vitesse à laquelle circulait la déneigeuse sur le passage à niveau aurait permis à celle-ci de s'immobiliser à temps, si le conducteur du véhicule avait aperçu le train qui approchait. Toutefois, la déneigeuse ne s'est pas arrêtée pour éviter le train. En outre, le réglage du chasse-neige juste avant que la déneigeuse n'occupe la voie principale sud indique qu'à ce moment, le conducteur concentrait son attention à sa droite, dans le sens opposé de celui du train. Le conducteur de la déneigeuse n'a pas regardé vers le train au cours des secondes qui ont précédé l'impact. Ainsi, l'enquête a permis de déterminer que le conducteur de la déneigeuse était concentré sur le déneigement du passage à niveau et ne surveillait pas l'approche d'un train.
La formation, l'expérience et les attentes peuvent influer sur l'efficacité de la recherche visuelle de trains et de signes d'avertissement aux passages à niveau par un conducteur. Le conducteur de la déneigeuse n'avait aucune expérience du déneigement des passages à niveau; il n'avait travaillé que 5 quarts en tout, et il ne s'agissait que du 2e quart au cours duquel il devait croiser le passage à niveau à l'étude. De plus, il n'était pas un conducteur chevronné de véhicule automobile et n'avait reçu que peu de formation, voire aucune, sur la façon d'approcher et de franchir un passage à niveau ferroviaire. Son expérience limitée des passages à niveau ferroviaires en général, et du passage à niveau en cause dans l'événement à l'étude en particulier, ainsi que son manque de formation sur les pratiques de travail sécuritaires pour le déneigement d'un passage à niveau ferroviaire, ont diminué l'efficacité de son balayage visuel. Par conséquent, il n'a pas détecté le train qui approchait.
Le conducteur de la déneigeuse, qui avait été éveillé pendant plus de 22 heures et au travail pendant 11 heures, ressentait probablement de la fatigue. Étant donné la combinaison des effets de la fatigue, des effets d'une demande accrue de ressources attentionnelles pour exécuter une tâche relativement nouvelle et complexe (le déneigement), et des effets du fort bruit de fond produit par la déneigeuse, le conducteur ressentait probablement les effets de la vision tubulaire ou du rétrécissement de l'attention à l'égard de la tâche de déneigement. En outre, l'effet de vision tubulaire exacerbé par la fatigue a probablement réduit l'efficacité du balayage visuel du conducteur dans les instants qui ont précédé l'événement.
Fatigue
On trouve dans beaucoup de villes canadiennes des passages à niveau ferroviaires comprenant des trottoirs qu'il faut déneiger occasionnellement en hiver. Comme les averses de neige sont relativement prévisibles, les conducteurs de déneigeuse dans ces villes ont un certain préavis avant leur quart pour ajuster leur cycle sommeil-veille de manière à s'assurer d'obtenir suffisamment de repos. Or, il arrive que le préavis soit insuffisant pour que les conducteurs obtiennent un repos adéquat, ou arrive à un moment durant le cycle sommeil-veille du conducteur qui n'est pas favorable au repos. Dans ces cas, il peut être impossible pour les conducteurs d'obtenir le repos nécessaire pour demeurer vigilants durant tout leur quart de 12 heures. Étant donné la nature de leur travail, les conducteurs de déneigeuse ne peuvent pas toujours obtenir suffisamment de repos réparateur.
Tétrahydrocannabinol
Des dépistages toxicologiques post mortem ont permis de déterminer la présence de tétrahydrocannabinol (THC) dans l'organisme du conducteur de la déneigeuse, ce qui indique qu'il avait consommé des cannabinoïdes à un certain moment avant l'accident. Il a été démontré que le THC nuit à la performance et aux fonctions cognitives et qu'il est associé à un plus grand risque d'accidents de la circulation. Quoique la quantité de THC présente dans le sang du conducteur de la déneigeuse dépassait les limites légales pour conduire, on n'a pu déterminer à quand remontait la dernière consommation de THC ni si l'affaiblissement des facultés a été un facteur dans l'événement à l'étude.
Peu importe, la consommation de THC par des conducteurs de véhicule peut entraîner un affaiblissement de la performance et des fonctions cognitives.
Formation
En vertu de la Loi sur la santé et sécurité au travail (la Loi) de l'Ontario, il incombe aux employeurs à la fois de veiller à la santé et sécurité de leurs employés et de prendre toute précaution raisonnable dans les circonstances pour protéger un travailleur. Cette Loi, de même que le Règlement sur la sensibilisation à la santé et à la sécurité au travail et formation de l'Ontario, impose aux employeurs d'informer, d'instruire et de superviser les travailleurs pour protéger leur santé et leur sécurité; de s'assurer que les travailleurs ou les personnes qui exercent une autorité sur eux sont informés de tout danger pour la sécurité et des procédures à prendre pour assurer la sécurité des travailleurs; et de s'assurer que les travailleurs ont reçu une formation adéquate. Dans l'événement à l'étude, les employeurs n'ont donné aucune formation au conducteur de la déneigeuse.
La Ville s'est dotée d'un programme de formation pour apprendre à ses employés comment exécuter leurs tâches, y compris le déneigement des trottoirs, de façon appropriée et sécuritaire. Pour s'assurer que le programme de formation est complet, la Ville a également mené des évaluations des risques pour des tâches individuelles, y compris le déneigement des trottoirs et l'épandage de sable. La présence des employés à ces cours est suivie et vérifiée, et tous les besoins en matière de formation périodique sont cernés. Forte de ces procédures, la Ville a pour objectif de préparer ses conducteurs de déneigeuse de trottoirs avec l'information, la formation et la supervision qu'il leur faut pour effectuer leurs tâches en toute sécurité. La Ville a également stipulé dans ses contrats des exigences en matière de formation pour les employés des entrepreneurs.
Or, Jackson Pools n'avait aucun programme en place pour des conducteurs de déneigeuse ou pour ses sous-traitants. Wee Bee Contracting (Wee Bee) a embauché un employé novice qui n'était pas titulaire d'un permis de conduire de catégorie G et ne lui a offert aucun programme de formation formel pour s'assurer qu'il avait les compétences et connaissances requises pour s'acquitter de ses tâches de façon sécuritaire. Ainsi, l'employé n'a reçu aucune formation ni instruction formelle sur la conduite sécuritaire sur un passage à niveau ferroviaire ou sur le déneigement de trottoirs sur un passage à niveau ferroviaire.
Supervision des entrepreneurs
Pour respecter les modalités de son contrat de déneigement avec la Ville, Jackson Pools avait 1 déneigeuse, et les conducteurs nécessaires, affectés au déneigement. Jackson Pools avait de plus accès par sous-traitance auprès de Wee Bee à 2 autres déneigeuses et leurs conducteurs.
Malgré certaines exigences que stipulait le contrat passé avec la Ville, et malgré ses responsabilités en vertu de la loi provinciale, Jackson Pools n'a pas vérifié si Wee Bee avait un programme de formation qui satisfaisait aux exigences du Règlement sur la sensibilisation à la santé et à la sécurité au travail et formation, ou que les conducteurs de Wee Bee étaient entièrement informés des dangers en milieu de travail et des procédures de travail connexes pendant qu'ils étaient en service. De plus, Jackson Pools n'a pas vérifié si tous les conducteurs de Wee Bee satisfaisaient aux exigences stipulées au contrat. Par conséquent, la surveillance exercée par Jackson Pools n'a pas fait en sorte que ses employés et sous-traitants affectés au contrat de déneigement pour la Ville soient adéquatement formés et qualifiés.
La Ville, par l'intermédiaire de son processus d'appel d'offres, a imposé des exigences à ses entrepreneurs pour s'assurer que leurs conducteurs avaient les qualifications pour effectuer leurs tâches en toute sécurité. Par exemple, l'appel d'offres de la Ville exigeait que les entrepreneurs qui effectuent le déneigement des trottoirs remettent une liste de conducteurs qualifiés, veillent à ce que leurs conducteurs détiennent un permis de conduire de catégorie G, assument la responsabilité de former leurs conducteurs, et fassent appel uniquement aux conducteurs inscrits sur la liste. Qui plus est, les entrepreneurs ne devaient conclure aucune entente de sous-traitance sans d'abord obtenir le consentement de la Ville. Jackson Pools a donné en sous-traitance à Wee Bee une partie du travail prévu dans son contrat avec la Ville de London sans d'abord obtenir le consentement de la Ville.
En plus de ne pas avoir vérifié que les entrepreneurs avaient développé et mené un programme de formation adéquat, la Ville n'a tenu aucune liste de conducteurs de déneigeuse qualifiés, n'a pas veillé à ce qu'on fasse appel à ces seuls conducteurs, n'a pas fait en sorte qu'on ne fasse pas appel à des sous-traitants inadmissibles, et n'a pas vérifié que les conducteurs étaient titulaires d'un permis de conduire de catégorie G valide. Après l'attribution du contrat aux entrepreneurs, aucune des exigences stipulées dans l'appel d'offres n'a été vérifiée. Pour cette raison, la surveillance exercée par la Ville de ses entrepreneurs de déneigement n'a pas révélé que les conducteurs de déneigeuse n'avaient reçu aucune formation adéquate et n'avaient pas les qualifications requises pour effectuer leurs tâches en toute sécurité.
Procédures de travail sécuritaires aux passages à niveau durant les opérations de déneigement
La déneigeuse se déplaçait à environ 1,5 km/h pendant qu'elle déneigeait le passage à niveau. Le système d'avertissement de passage à niveau a fourni un délai d'environ 30 secondes à partir du moment où la sonnerie et les feux se sont déclenchés, jusqu'à ce que le train occupe le passage à niveau. La déneigeuse aurait mis plus de 60 secondes pour se déplacer à partir de la barrière à une position à l'écart de la voie la plus éloignée, en supposant qu'elle ne s'arrête pas pour d'autres activités de déneigement. En conséquence, les systèmes d'avertissement de passage à niveau n'offrent pas une protection adéquate aux machines qui font du déneigement sur le passage à niveau, surtout lorsque ces machines se déplacent lentement, et ce n'est pas l'objet de ces systèmes d'avertissement. Comme les systèmes d'avertissement de passage à niveau ne sont pas conçus pour protéger les équipes de déneigement pendant qu'elles déneigent un passage à niveau, des procédures de travail sécuritaires s'imposent. Si les entrepreneurs de déneigement n'ont pas de procédures de travail sécuritaires ni de formation connexe en place pour les travaux aux passages à niveau ferroviaires, il y a un risque accru d'accidents à ces passages à niveau.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L'accident s'est produit lorsque la déneigeuse s'est engagée sur le passage à niveau tout en continuant de déneiger le trottoir.
- Comme la déneigeuse était positionnée à côté des systèmes d'avertissement du passage à niveau sud au moment où ils se sont déclenchés, les feux clignotants dans le quadrant sud-est ne se trouvaient pas dans le champ visuel du conducteur et ne l'ont donc pas averti du train qui approchait.
- Le mât et la barrière du système d'avertissement dans le quadrant nord-ouest du passage à niveau, de même que les feux en porte-à-faux, se trouvaient dans le champ de vision périphérique du conducteur de la déneigeuse, ce qui a réduit la probabilité qu'il les aperçoive.
- La ligne de visibilité restreinte en raison du montant avant et du grillage qui couvrait les vitres latérales a davantage réduit la probabilité que le conducteur détecte les systèmes d'avertissement du passage à niveau ou le train qui approchait.
- Le bruit de fond généré par le fonctionnement de la déneigeuse a empêché le conducteur du véhicule d'entendre la sonnerie du système d'avertissement et le klaxon du train.
- Le conducteur de la déneigeuse était concentré sur le déneigement du passage à niveau et ne surveillait pas l'approche d'un train.
- L'expérience limitée qu'avait le conducteur de la déneigeuse des passages à niveau ferroviaires en général, et du passage à niveau en cause dans l'événement à l'étude en particulier, ainsi que son manque de formation sur les pratiques de travail sécuritaires pour le déneigement d'un passage à niveau ferroviaire, ont diminué l'efficacité de son balayage visuel. Par conséquent, il n'a pas détecté le train qui approchait.
- L'effet de vision tubulaire exacerbé par la fatigue a probablement réduit l'efficacité du balayage visuel du conducteur dans les instants qui ont précédé l'événement.
- Wee Bee Contracting a embauché un employé novice qui n'était pas titulaire d'un permis de conduire de catégorie G et ne lui a offert aucun programme de formation formel pour s'assurer qu'il avait les compétences et connaissances requises pour s'acquitter de ses tâches de façon sécuritaire.
- La surveillance exercée par Jackson Pools Inc. n'a pas fait en sorte que ses employés et sous-traitants affectés au contrat de déneigement pour la Ville de London soient adéquatement formés et qualifiés.
- La surveillance exercée par la Ville de London de ses entrepreneurs de déneigement n'a pas révélé que les conducteurs de déneigeuse n'avaient reçu aucune formation adéquate et n'avaient pas les qualifications requises pour effectuer leurs tâches en toute sécurité.
Faits établis quant aux risques
- Si les entrepreneurs de déneigement n'ont pas de procédures de travail sécuritaires ni de formation connexe en place pour les travaux aux passages à niveau ferroviaires, il y a un risque accru d'accidents à ces passages à niveau.
Autres faits établis
- Étant donné la nature de leur travail, les conducteurs de déneigeuse ne peuvent pas toujours obtenir suffisamment de repos réparateur.
- On n'a pu déterminer à quand remontait la dernière consommation de tétrahydrocannabinol ni si l'affaiblissement des facultés a été un facteur dans l'événement à l'étude.
- La consommation de tétrahydrocannabinol par des conducteurs de véhicule peut entraîner un affaiblissement de la performance et des fonctions cognitives.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Ville de London
À la suite de l'accident, la Ville de London a exigé que les conducteurs de déneigeuse au service de ses entrepreneurs de déneigement de trottoirs participent à un examen des pratiques de travail sécuritaires aux passages à niveau organisé par la Ville. Des directives sur le déneigement des passages à niveau ont été distribuées aux conducteurs de déneigeuse à l'occasion de cette séance d'examen.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le