Déraillement en voie principale
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train X35041-18
Point milliaire 108.25, subdivision de Fort Frances
Emo (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
L'événement
Le 18 février 2020 à 16 h, heure normale du CentreNote de bas de page 1, une équipe d’exploitation de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a été commandée à Winnipeg, au Manitoba, pour le train X35041-18. Ce train cléNote de bas de page 2 devait emprunter un itinéraire cléNote de bas de page 3 vers l’est, de Winnipeg à Fort Frances, en Ontario, dans les subdivisions de Sprague et de Fort Frances du CN. L’équipe de train se composait d’un mécanicien de locomotive et d’un chef de train. Tous deux étaient qualifiés pour leur poste respectif, satisfaisaient aux exigences en matière d’aptitude au travail et de repos, et connaissaient bien le territoire.
Le train était tiré par 2 locomotives de tête et 1 locomotive à traction répartie, à la 103e position derrière les locomotives de tête. Le train tirait 144 wagons de marchandises (132 wagons chargés et 12 wagons vides), pesait 18 103 tonnes et avait une longueur de 9 228 pieds. Les wagons chargés comprenaient 73 wagons-citernes de marchandises dangereuses (MD) attelés parmi les 80 premiers wagons du train. Sur les 73 wagons-citernes chargés de MD, 38 étaient chargés de pétrole brut (UN 1267) et occupaient les positions 38 à 75 derrière les locomotivesNote de bas de page 4. Le train clé était conforme aux exigences énoncées dans l’arrêté ministériel MO 20-03 de Transports Canada (TC)Note de bas de page 5.
À 20 h 36, le train négociait une courbe à gauche d’environ 4 degrés (dans le sens du déplacement) à 44 mi/hNote de bas de page 6 et traversait le passage à niveau public automatisé de la route provinciale 602 de l’Ontario (point milliaire 108,22), lorsqu’il y a eu freinage d’urgence provenant de la conduite générale près du canton d’Emo, en Ontario (figure 1).
Après le freinage d’urgence, l’équipe a lancé un appel radio d’urgence, conformément aux exigences. Une fois le train immobilisé, le chef de train a inspecté le train et a constaté qu’un déraillement s’était produit et que du pétrole brut s’écoulait de certains wagons-citernes qui avaient déraillé. Six résidences du secteur ont été évacuées par mesure préventive. Il n’y a pas eu d’incendie et aucune blessure n’a été signalée.
Conditions météorologiques
Au moment de l’accident, le ciel était dégagé et la température était de −27 °C. La région où s’est produit le déraillement avait récemment connu plusieurs cycles de gel et de dégel. Entre le 10 et le 18 février 2020, la température moyenne était d’environ −6 °C le jour et d’environ −27 °C la nuit.
Examen du site
L’examen du site a révélé qu’un total de 33 wagons, situés aux positions 48 à 80, avaient déraillé. Parmi ceux-ci, on comptait 29 wagons-citernes de MD occupant les positions 48 à 76, et 4 wagons de marchandises non dangereuses. Les 28 premiers wagons-citernes de MD (de la 48e à la 75e position) étaient chargés de pétrole brut, tandis que le 76e était chargé d’asphalte (UN 3257).
La face des jantes de roue des wagons-citernes aux positions 48 à 51 présentait des entailles et des rainures. Les marques indiquent que les roues du bogie arrière du 48e wagon et du bogie avant du 49e wagon ont probablement été les premières à dérailler; lorsqu’elles sont tombées dans l’écartement entre les rails en avançant, elles ont écarté les rails à leur passage. Toutes les roues des 50e et 51e wagons ont déraillé, puis sont entrées en contact avec la surface du passage à niveau de la route provinciale 602 de l’Ontario et sont remontées sur les rails.
Les wagons 48 à 51 sont restés debout sur les rails et attelés à la tête du train. Le train s’est séparé derrière le 51e wagon puis s’est immobilisé, en créant un écart d’environ 1500 pieds entre le 51e et le 52e wagon. Les voitures de queue de la 52e à la 80e position ont principalement déraillé vers le côté haut (côté sud) de la courbe. Les wagons-citernes occupant la 75e et la 76e position et les 4 wagons de marchandises non dangereuses occupant les positions 77 à 80 sont restés debout.
Les wagons-citernes occupant les positions 52 à 74, qui transportaient du pétrole brut, se sont immobilisés dans diverses positions. Ils étaient dispersés sur une distance d’environ 1 000 pieds (figure 2).
Six wagons-citernes ont déversé un total de 84 464 gallons américains (319 731 L) de pétrole brut.
Dans la zone du point milliaire 108,25, juste à l’ouest du passage à niveau (point milliaire 108,22), on a constaté une accumulation de neige et de glace à côté du rail haut (rail sud), ce qui peut arriver dans des conditions d’exploitation hivernales. Un examen plus attentif a révélé que de la neige et de la glace s’étaient accumulées entre le dessous de la base du rail et l’assise du rail sur les selles. Cela a fait sortir le rail de son assise sur la selle et lui a permis de s’écarter vers l’extérieur sous la charge du train, ce qui a conduit au déraillement. Il s’agit d’un phénomène que l’on appelle communément dans l’industrie ferroviaire « ice jacking », ou soulèvement causé par la glace.
Aucun défaut mécanique du matériel roulant n’a été décelé.
Renseignements sur les wagons-citernes et le produit déversé
La plupart des 23 wagons-citernes qui ont déraillé et se sont immobilisés en diverses positions étaient des wagons DOT 111A100W1 qui répondaient à la norme de conception CPC-1232Note de bas de page 7. En outre, 2 des wagons-citernes avaient été modernisés et identifiés comme des wagons DOT 117R100WNote de bas de page 8.
On a constaté que 6 des 23 wagons-citernes déraillés avaient déversé leur contenu après avoir subi des dommages. Quatre des 6 wagons ont déversé la plus grande partie de leur contenu, et les 2 autres wagons n’ont déversé que de petites quantités (tableau 1).
Position du wagon | Marque et numéro du wagon | Spécification indiquée au pochoir sur le wagon-citerne | Dommages au wagon-citerne | Transporté (gallons américains) | Déversé (gallons américains) | Transporté (L) | Déversé (L) |
---|---|---|---|---|---|---|---|
60 | TILX 280872 | DOT 111A100W1 | Fissure à la coque – côté droit du bout A | 21 894 | 2 500 | 82 878 | 9 464 |
66 | CBTX 716287 | DOT 111S100W1 | Robinet de vidange inférieur ouvert dans l’accident | 21 556 | 1 000 | 81 598 | 3 785 |
67 | TILX 280829 | DOT 111A100W1 | Perforation de la coque par l’attelage – côté inférieur gauche du bout B | 21 815 | 19 503 | 82 579 | 73 827 |
70 | PROX 51252 | DOT 111S100W1 | Robinet de vidange inférieur ouvert dans l’accident | 22 234 | 21 865 | 84 165 | 82 768 |
71 | GBRX 704360 | DOT 117R100W | Perforations de la coque par l’attelage – les deux côtés centraux inférieurs | 22 168 | 18 602 | 83 915 | 70 416 |
72 | GBRX 704356 | DOT 117R100W | Fracture du fond du réservoir | 22 051 | 20 994 | 83 472 | 79 471 |
Totaux | 131 718 | 84 464 | 498 607 | 319 731 |
Renseignements enregistrés
Un examen des données téléchargées du consignateur d’événements de la locomotive a permis de déterminer que le train avait été exploité conformément à toutes les exigences de la réglementation et de la compagnie, sans qu’aucune anomalie de fonctionnement ne soit relevée.
Enregistrement vidéo des caméras orientées vers l’avant installées dans la locomotive de tête du train à l’étude et d’un train qui est passé plus tôt
Un examen de l’enregistrement vidéo vers l’avant provenant de la caméra avant de la locomotive de tête alors qu’elle approchait du passage à niveau n’a pas été concluant, puisque la qualité de la vidéo a été affectée par l’obscurité.
Plus tôt dans la journée, vers 16 h, le train du CN précédent, Q11831-16 (train 118), a traversé en toute sécurité le site de l’incident à la lumière du jour, alors que la température ambiante était de −14 °C. Un examen de l’enregistrement vidéo de la caméra orientée vers l’avant sur la locomotive de tête du train 118 a révélé une accumulation de neige et de glace juste avant et à côté du rail haut (rail sud), à proximité du point de déraillement initial présumé, près du point milliaire 108,25 (figure 3). Toute accumulation de neige le long de la base de rail peut masquer une accumulation de glace entre le dessous de la base de rail et l’assise du rail sur les selles, ce qui rend le « ice-jacking » difficile à détecter.
Renseignements sur la subdivision et sur la voie
La subdivision de Fort Frances s’étend d’Atikokan, en Ontario (point milliaire 0,0), à Rainy River, en Ontario (point milliaire 143,6). La voie près du site du déraillement était une voie principale unique gérée par une commande centralisée de la circulation (CCC), comme l’autorise le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), et supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) situé à Edmonton, en Alberta.
La voie appartenait à la catégorie 4, selon le Règlement concernant la sécurité de la voie approuvé par TC, aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie (RSV)Note de bas de page 9. La structure de la voie était constituée de longs rails soudés de 136 livres fabriqués par Nippon Steel Corporation en 2012 et par Rocky Mountain Steel en 2017. Le rail était fixé dans des selles de rail à double épaulement de 12 pouces, ancrées avec 3 crampons par plaque et posées sur des traverses en bois dur en bon état. Le ballast était constitué de roche concassée avec des cases pleines et les épaulements dépassaient de 14 pouces l’extrémité des selles.
La vitesse autorisée pour les trains de marchandises dans le secteur où a eu lieu le déraillement était de 50 mi/h. En moyenne, 15 trains de marchandises par jour circulaient dans la subdivision.
Entretien de la voie
La voie dans le secteur où a eu lieu le déraillement respectait ou dépassait les normes minimales du RSV et des NV du CN. Le 2 février 2020, 3 joints ont été installés près de l’extrémité ouest du passage à niveau de la route provinciale 602 (point milliaire 108,22), près du point milliaire 108,25. Deux joints ont servi à fixer un rail de raccord qui avait été installé sur le rail bas (rail nord). L’autre joint a été installé pour réparer une rupture dans le rail haut (rail sud) en vue d’une réparation par soudure. Il n’y avait aucune anomalie de voie associée à l’un ou l’autre de ces joints.
Inspection de la voie
Des inspections de voie étaient effectuées régulièrement et la fréquence respectait ou dépassait les exigences minimales du RSV et des NV du CN. Depuis décembre 2019, les inspections automatisées de voie suivantes avaient été effectuées à proximité du lieu de déraillement :
- Le 11 décembre 2019, un contrôle de la géométrie de la voie par véhicule lourd avait été effectué par le CN et n’avait révélé aucun défaut urgent ou quasi-urgent.
- Les 11 et 18 janvier 2020, des contrôles de géométrie par véhicule léger avaient été effectués et n’avaient révélé aucun défaut urgent ou quasi-urgent.
- Le 20 janvier 2020, un contrôle de la géométrie par véhicule lourd avec essai d’écartement sous charge avait été effectué et n’avait révélé aucun défaut.
- Les 5, 6 et 12 février 2020, des contrôles par ultrasons de défauts de rails avaient été effectués et n’avaient révélé aucun défaut.
La dernière inspection visuelle de la voie avait eu lieu le 16 février 2020 et n’avait révélé aucun défaut.
« Ice-jacking »
Pour qu’il y ait « ice-jacking » (soulèvement causé par la glace), il faut une certaine combinaison de conditions météorologiques et de conditions de la voie. En hiver, les activités de déneigement poussent souvent le sable, le sel et la neige des routes jusqu’aux extrémités d’un passage à niveau donné, puis sur la voie ferrée. La présence de sel de déglaçage peut accélérer la fonte de la neige, ce qui engendre parfois des flaques d’eau le long de la voie. Lorsque la voie est exposée à des cycles de gel et de dégel, ces flaques d’eau peuvent contribuer à l’accumulation de glace le long de la base du rail.
Lorsqu’il y a de l’eau, le passage des trains produit une action de pompage qui peut favoriser l’infiltration d’eau entre le dessous de la base du rail et l’assise du rail dans la selle, où l’eau gèle. Après un certain nombre de ces cycles, il peut se produire une accumulation de glace qui soulève physiquement le rail de son assise dans la selle, ce qui permet au rail de s’écarter lorsqu’il est soumis à une charge au passage d’un train. Le BST a observé ce phénomène dans au moins 1 autre enquêteNote de bas de page 10.
Même si les compagnies de chemin de fer sont au courant de ce phénomène et si les superviseurs des voies sont formés pour le reconnaître, il peut tout de même être difficile à déceler lors de l’inspection visuelle d’une voie enneigée.
Mesures de sécurité prises
À la suite de l’événement et de l’enquête menée par le CN sur l’incident, la compagnie a clarifié les attentes en matière d’inspection dans ses NV de manière à exiger que les équipes de zone et de réalisation de projet effectuant des travaux sur un seul rail inspectent les deux rails afin de s’assurer qu’ils respectent les normes de la voie et qu’il n’y a aucun danger.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .