Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R24W0021

Déraillement de train en voie principale
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train de marchandises G89641-05
Point milliaire 34,3, subdivision de Rivers
Près d’Elie (Manitoba)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu. Les pronoms et les titres de poste masculins peuvent être utilisés pour désigner tous les genres afin de respecter la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (L.C. 1989, ch. 3).

Table des matières

    L’événement

    Le 5 mars 2024 vers 23 h 50, heure normale du Centre, le train-bloc céréalier G89641-05 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a quitté l’installation de chargement de Canwheat à Bloom (Manitoba)Tous les lieux sont situés dans la province du Manitoba, sauf indication contraire. à destination de Winnipeg, circulant vers l’est sur la voie nord de la subdivision de Rivers du CN. Environ 36 minutes plus tard, à 0 h 26 le 6 mars, alors que le train circulait à 55 mi/h, il y a eu un freinage d’urgence provenant de la conduite générale au point milliaire 34,3, près d’Elie. Une fois le train immobilisé, l’équipe a effectué une inspection et a constaté que 17 wagons avaient déraillé. Il n’y a eu aucune brèche dans les wagons, mais des céréales s’étaient déversées des trappes supérieures des wagons renversés. Personne n’a été blessé.

    Examen des lieux

    Un examen sur les lieux après le déraillement a permis de déterminer que le wagon NKLX 200817 (position 93) avait été le premier à dérailler; seul le bogie arrière avait déraillé. La roue L2 du wagon était rompue (figures 1 et 2). Environ 90 % de la jante et de la toile de la roue ont été récupérées et envoyées aux installations du fabricant de la roue pour un examen et une analyse approfondis.

    Figure 1. Essieu monté R2/L2 récupéré du wagon NKLX 200817 (Source : BST)
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    Figure 2. Fragments récupérés de la roue L2 du wagon NKLX 200817 (Source : BST)
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    Au point milliaire 34,3, le rail nord était rompu, indiquant le point de déraillement. Un demi-mille de la voie nord menant au rail rompu a été inspecté; il n’y avait aucun signe d’impact sur le champignon de rail ou d’autres problèmes liés à la voie. La voie sud n’a pas été touchée et est restée en service. 

    Renseignements consignés

    Le jour de l’événement à l’étude, le train a franchi un portail d’inspection automatisée de l’équipementLes portails d’inspection automatisée de l’équipement sont des systèmes en voie qui utilisent la technologie de visionique pour surveiller l’état du matériel roulant en temps réel afin de détecter diverses défectuosités mécaniques. au point milliaire 50,27 de la subdivision de Rivers (à environ 16 milles à l’ouest du lieu du déraillement). Aucune défectuosité n’a été relevée sur le train. Après l’événement, le BST a examiné les images du portail; la roue L2 du wagon NKLX 200817 semblait intacte au moment où le train a franchi le portail.

    Examen par le fabricant de la roue rompue

    Le fabricant a examiné les fragments récupérés de la roue L2 à ses installations, et les conclusions ont été examinées lors de l’enquête.

    Voici quelques-unes des principales caractéristiques de la roue :

    • Roue en acier moulé de 36 pouces de diamètre à usinage unique, fabriquée selon la spécification M-107/M-208 de l’Association of American Railroads (AAR) pour les roues de wagons de marchandises de catégorie CAssociation of American Railroads, Manual of Standards and Recommended Practices: Wheels and Axles, Manuel G, spécification M-107/M-208 : Wheels, Carbon Steel (dernière révision en septembre 2020)..
    • Fabriquée en novembre 2022 par la Griffin Wheel Company, à Winnipeg.
    • Partie d’un essieu monté assemblé en décembre 2022 chez Progress Rail à Chicago (Illinois).
    • Environ 11 900 milles de service au moment de la défaillance.

    La roue L2 présentait une bosselure (déformation plastique) sur la face arrière de la toile, et il y avait une fissure en surface sur la face avant de la toile, vis-à-vis de la bosselure.

    La bosselure était à environ 6 pouces du moyeu central de la roue. Elle avait une profondeur de 0,18 pouce et une largeur de 1 pouce. Sa longueur n’a pas pu être déterminée parce qu’un des fragments de roue adjacents à la bosselure n’a pas été trouvé sur le lieu de l’événement.

    Selon le fabricant, la bosselure sur la face arrière de la toile a provoqué une fissure sur la face avant. La fissure a ensuite progressé par fatigue, sous les charges de service, à travers la toile, a tourné radialement dans la partie la plus mince de la toile et s’est propagée dans la jante jusqu’à ce que la roue se rompe pendant le chargement opérationnel.

    La figure 3 illustre les diverses parties d’une roue de wagon de marchandises.

    Figure 3. Parties d’une roue de wagon de marchandises (Source : BST)
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    Aperçu de la toile de roue

    La toile de roue est un élément structurel essentiel d’une roue de wagon de marchandises. Il s’agit de la partie la plus mince de la roue.

    La toile de roue sert à transmettre les forces mécaniques et thermiques de la table de roulement et de la jante jusqu’à l’essieu. Bien qu’elle ne soit soumise à aucun contact direct roue–rail, la toile subit d’importantes contraintes de traction radiales et circonférentielles sous des charges d’exploitation normales, de même que des contraintes thermiques lors de freinages prolongés.

    Pour que la toile maintienne sa performance, il faut qu’il y ait un équilibre entre robustesse et élasticité : la toile doit être suffisamment robuste pour supporter les déformations causées par les chargements, mais aussi suffisamment élastique pour s’adapter à l’expansion de la jante due au freinage sans causer de contraintes de traction dommageables. Pour améliorer la résistance à la fatigue, les toiles de roue sont généralement grenailléesLe grenaillage est une méthode de travail à froid qui assure une résistance à la fissuration dans des conditions de fatigue, comme les flexions répétées. Le procédé de grenaillage consiste à frapper la surface à protéger avec des coups répétés de grenailles propulsées pour soumettre la surface à une compression résiduelle. (Source : E. P. DeGarmo, Materials and Processes in Manufacturing, MacMillan Publishing Co., 1979).,Les exigences relatives à la procédure, à l’intensité et à la couverture du grenaillage de la toile de roue sont décrites en détail dans la spécification M-107/M-208 de l’Association of American Railroads (AAR). pendant la fabrication pour ajouter des contraintes de compression bénéfiques à la surface. Les toiles de roue doivent également faire l’objet d’une analyse des contraintes pendant la phase de conception, conformément à la spécification S-660 de l’AARAssociation of American Railroads, Manual of Standards and Recommended Practices: Wheels and Axles, Manuel G, norme S-660 : Analytic Evaluation of Locomotive and Freight Car Wheel Designs (dernière révision en 2007)..

    En raison de son emplacement et de sa minceur relative, la toile de roue est vulnérable aux dommages causés par la manutention. Même des bosselures ou des entailles mineures peuvent agir comme des concentrateurs de contraintes sous des charges de service.

    Source et moment des dommages à la roue L2 du wagon NKLX 200817

    Il n’est pas possible de déterminer avec certitude quand la bosselure sur la face arrière de la toile de la roue L2 s’est produite.

    Un examen des données du fabricant indique que l’acier de la roue était conforme aux exigences de l’AAR en matière de micropropreté, de dureté de l’acier et de composition chimique énoncées dans la spécification M-107/M-208. Les dommages qui ont causé la bosselure ont également enlevé une partie d’une étiquette en papier apposée sur la toile au moment de la fabrication. On peut donc en déduire que les dommages sont survenus après la fabrication de la roue.

    Étant donné l’emplacement de la bosselure, il est peu probable que les dommages se soient produits lors de l’installation de l’essieu monté sous le wagon. L’appareil utilisé lors de l’installation saisit les roues juste en dessous de la jante, où commence la toile, bien loin de l’emplacement de la bosselure constatée.

    Il est donc fort probable que les dommages se sont produits lors de la manutention soit de la roue, soit de l’essieu monté après l’apposition de l’étiquette sur la roue, avant ou après l’installation sous le wagon. Pendant le transport et l’entreposage des essieux montés, divers équipements utilisés entrent en contact avec les roues. De même, les wagons sont parfois manutentionnés à des installations tierces à l’aide d’équipement comme des chariots élévateurs et des tracteurs qui peuvent s’appuyer sur les roues.

    Défaillances des toiles de roue causées par la déformation plastique

    L’industrie a acquis une expérience considérable des défaillances attribuables à des ruptures de roues, et des travaux de recherche substantiels ont été menés pour les comprendre et les atténuer.

    Cependant, les particularités de la défaillance de la roue dans l’événement à l’étude ne correspondent pas à celles des modes de défaillance de roue courants. Le fabricant prévoit de réaliser d’autres essais pour mieux comprendre ce mode de défaillance.

    Des fractures similaires causées par des dommages ont été signalées au fabricant au cours des dernières années; 5 se sont produites de 2022 à 2024. Dans chaque cas, les roues défaillantes présentaient divers degrés de dommages visibles sur la face arrière de la toile de roue. Les dommages allaient d’un aplatissement de la surface à des bosselures mécaniques prononcées.

    Au moment de l’événement, il n’y avait aucune directive indiquant que les impacts causant une déformation plastique de la toile peuvent entraîner une fracture; les conséquences potentielles de ces dommages n’étaient peut-être pas bien connues de l’industrie.

    Il n’est pas obligatoire de signaler ce type de dommages lorsqu’ils se produisent.

    Règles concernant les défaillances critiques sur les roues

    La règle 41 du Field Manual of the AAR Interchange Rules stipule que toute égratignure, bosselure ou entaille sur une roue – quel que soit l’emplacement, y compris sur la toile – est critique si la profondeur de la défaillance est égale ou supérieure à ⅛ pouceAssociation of American Railroads, Field Manual of the AAR Interchange Rules (2024), règle 41 : Wheels..

    La bosselure sur la roue L2 dépassait de 44 % la limite critique. Cependant, on n’inspecte généralement pas cette partie de la roue pour détecter les dommages après l’installation d’un essieu monté sur un wagon.

    Règles concernant la manutention des essieux montés

    La règle 44 du Field Manual of the AAR Interchange Rules traite de la manutention des essieux montés. La règle a été révisée le 1er janvier 2024 et stipule maintenant, en partie [traduction] :

    Lors de la manutention des essieux montés, il faut veiller à ce que les dispositifs de manutention n’endommagent pas les composants des essieux montésIbid., règle 44, section E.20 : General Requirements..

    Dans les versions précédentes du manuel, cette directive ne s’appliquait qu’aux essieux et aux roulements, et non aux composants des essieux montés en général. La modification a été annoncée pour la première fois dans la lettre circulaire C-14247, publiée le 2 novembre 2023, en guise de préavis à l’industrie.

    Lettre circulaire C-14561 de l’Association of American Railroads

    Le 30 avril 2025, l’AAR a publié la lettre circulaire C-14561, dans laquelle elle indique que les compagnies de chemins de fer nord-américaines ont connu plusieurs défaillances de roue catastrophiques en raison de toiles rompues qui ont entraîné des déraillements. Ces défaillances sont directement attribuables à des dommages mécaniques ou d’impact (impacts de chariots élévateurs ou d’autres objets heurtant la toile de roue), à des coups d’arc de soudage, à des dépôts de soudure ou à des éclaboussures de coupage au chalumeau. Ces dommages peuvent se produire lors de la manutention et du transport des roues ou des essieux montés, à n’importe quel point du cycle de vie de la roue : du fabricant à l’atelier de réparation, en passant par la voie ferrée et l’atelier d’installation.

    La lettre indique qu’il faut faire preuve d’une extrême prudence lors de la manutention, du transport, du chargement et du déchargement des roues et des essieux montés. Si un contact métal–métal se produit sur la toile de roue entre le moyeu et la jante, il faut considérer la roue comme étant de la ferraille.

    Message de sécurité

    La déformation plastique sur la face arrière d’une toile de roue peut provoquer une fissure qui se propage, dans des conditions normales d’exploitation d’un wagon, jusqu’à entraîner une défaillance de la roue. Étant donné qu’une défaillance de roue en service peut entraîner un déraillement, il est essentiel que le secteur ferroviaire comprenne les conséquences potentielles des dommages involontaires aux roues – en particulier dans la section de la toile – et l’importance d’éviter tout contact avec les roues.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 4 juin 2025. Le rapport a été officiellement publié le 29 juillet 2025.