Rapport d’enquête sur une question de sécurité du transport (SII)
Analyse de déraillements survenus sur des voies principales de deuxième catégorie et des relations entre ces déraillements et le trafic de vrac
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
1.0 Introduction
1.1 Contexte
Entre octobre 2003 et mars 2004, un grand nombre de déraillements en voie principale qui sont survenus dans l'ouest du Canada sur des voies principales de deuxième catégorie dépourvues de signalisation Note de bas de page 1 ont résulté de défaillances de l'infrastructure. Un examen initial de huit de ces événements (voir le Tableau 1 et la Figure 1) suggérait qu'il y avait des similitudes en ce qui a trait à la situation géographique, au type de voies et aux facteurs de causalité (voir les résumés des événements du tableau 1 à l'Annexe A). On a remarqué que ces événements étaient similaires au déraillement survenu le 4 décembre 2002, lors duquel 42 wagons-citernes chargés de soufre liquide ont déraillé au point milliaire 11,8 de la subdivision Taber du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) Note de bas de page 2, en Alberta (rapport R02E0114 du BST).
L'enquête a permis de faire les constatations suivantes :
- L'état de la voie et le nombre de défauts et de défaillances d'éléments de la voie dans la subdivision Taber dénotent une détérioration accélérée de la voie, attribuable en partie au passage d'un grand nombre de wagons dont la charge par essieu était élevée et à l'augmentation du tonnage transporté dans la subdivision.
- Même si les compagnies ferroviaires peuvent réduire la vitesse pour se conformer aux exigences minimales du RSV [Règlement sur la sécurité de la voie], il se pourrait que le RSV actuel ne permette pas d'assurer la sécurité à long terme dans le contexte d'une augmentation du trafic ferroviaire et de l'augmentation des charges par essieu sur des voies secondaires ou des voies de dérivation.
- Alors que les activités de réglementation visant la subdivision Taber dénotaient une préoccupation grandissante quant à la détérioration de la voie, le fait que la compagnie n'a pas pris rapidement des mesures pour répondre à ces préoccupations a rendu impossible toute atténuation des risques de déraillement attribuables à cette situation.
- L'augmentation du poids brut maximal supporté par les rails, si elle ne s'accompagne pas d'améliorations correspondantes et adéquates de l'infrastructure, a pour effet d'accroître le risque de déraillements attribuables à l'état de la voie, à plus forte raison si le trafic en question est acheminé à long terme.
Dossier no | Catégorie | Date | Matériel déraillé | Lieu | Vitesse en voie / Vitesse du train | Rail | Cause | Vérifications de l'état de la voie |
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R03E0091 | 4 | 12 octobre 2003 | 19 wagons du train 269-11 du CFCP | Point miliiaire 46,9 de la subdivision Aldersyde | Vitesse en voie de 45 mi/h | Longs rails soudés (LRS) de 115 livres fabriqués par Algoma en 1974; usure du champignon de 3/8 de pouce; usure latérale de 5/16 de pouce | La rupture d'un tronçon de rail a créé une trouée de 38 pieds dans le rail de la file haute d'une courbe de quatre degrés vers la gauche | Le dernier contrôle des défauts de rail a eu lieu le 30 juillet. Aucun défaut interne n'a été enregistré dans les 10 milles de part et d'autre du point de déraillement (PDD). Le contrôle suivant devait avoir lieu pendant la semaine du 13 octobre. |
R03E0092 | 4 | 15 octobre 2003 | 14 wagons du train 863-017 du CFCP | Point miliiaire 40,4 de la subdvision Taber | Vitesse en voie de 40 mi/h, avec ordre temporaire de vitesse réduite à 25 mi/h en raison du mauvais état du ballast | Rails éclissés à champignon chanfreiné de 100 livres en longueurs de 66 pieds fabriqués en 1953 par Dominion et posés sur un tronçon en alignement droit, posés comme rails de réemploi dans les années 1980 | Rupture d'un rail due à une fissuration verticale du champignon de 15 pouces et à une fissuration du congé âme-champignon | Un contrôle par ultrasons du rail a été fait une semaine avant, le 8 octobre, mais le défaut n'a pas été détecté en raison d'une erreur d'interprétation de l'opérateur (faux négatif) |
R03C0101 | 3 | 24 octobre 2003 | 16 wagons du train 269-21 du CFCP | Point milliaire 10,75 de la subdivision Moyie | Vitesse en voie de 25 mi/h; vitesse du train de 27 mi/h | LRS de 136 livres à profil RE fabriqués par Algoma entre 1980 et 1985 avec usure du champignon de 5/8 de pouce et usure latérale de 7/16 de pouce | Rupture du rail de la file haute dans une courbe de six degrés vers la gauche, due à une fissuration transversale progressive amorcée en surface partant de l'angle intérieur du rail de la file haute et atteignant une profondeur de 1 ¾ pouce. On avait fixé ensemble deux bouts de rail au moyen d'éclisses boulonnées, afin de réparer temporairement une rupture de rail survenue le 7 octobre. | Le dernier contrôle par ultrasons fait avant le déraillement a eu lieu le 19 septembre et n'a révélé aucun défaut dans le secteur. Près du PDD, la voiture de détection des défauts de rail a obtenu des réponses intermittentes qui dénotent habituellement un mauvais état de la surface du champignon du rail et aucune mesure n'était exigée et n'a été prise par l'opérateur de l'appareil de contrôle. |
R04E0001 | 4 | 01 janvier 2004 | 28 wagons chargés de céréales du train A44351 01 du CN | Point milliaire 58,90 de la subdivision Camrose | Le train roulait à 40 mi/h et a ralenti pour se conformer à un ordre permanent de vitesse réduite à 25 mi/h entre les points milliaires 49,2 et 58,4 | Rails éclissés de 100 livres, en longueurs de 39 pieds (éclisses à quatre boulons) fabriqués en 1949 par Algoma, avec perte de 7 mm du champignon | Rupture d'un rail dans un joint d'une voie en alignement droit vraisemblablement causée par une fissure dans un trou d'éclissage | |
R04C0002 | 4 | 05 janvier 2004 | 15 wagons du train 266-02 du CFCP | Point milliaire 76,4 de la subdivision Crowsnest | Vitesse en voie de 35 mi/h; vitesse du train de 30 mi/h | LRS de 115 livres partiellement usés, fabriqués en 1982 par Algoma, transposés de la voie principale du CFCP dans le nord de l'Ontario avec usure du champignon de 1/4 de pouce et usure latérale de 1/8 de pouce (en deçà des limites permises) | Rupture du rail de la file haute dans une transition entre des courbes de cinq et six degrés - défauts transversaux dans 12 des 14 fractures | Le dernier contrôle par ultrasons, fait le 3 octobre 2003, a révélé un possible défaut transversal près du PDD, mais l'opérateur de l'appareil de contrôle par ultrasons a conclu que le défaut affectait moins de 10 % de la surface et n'a pris aucune mesure étant donné le mauvais état de la surface (écaillage et shelling notables) |
R04C0014 | 4 | 26 janvier 2004 | 11 wagons intermodaux du train 104 26 sud du CFCP | Point milliaire 46,1 de la subdivision Red Deer, près de Didsbury (Alberta) | Vitesse normale en voie de 55 mi/h; vitesse du train de 21,7 mi/h; ordre de marche à vitesse réduite à 35 mi/h en vigueur en raison du temps froid | LRS de 115 livres fabriqués en 1983 par Algoma, posés sur un tronçon en alignement droit avec des éclisses à six trous | Rupture du rail/des éclisses du rail ouest. Des fissures de fatigue s'étaient propagées à partir des trous d'éclissage; fissures de fatigue bien évidentes sur les surfaces de rupture des deux éclisses. Des méthodes d'inspection et d'entretien des joints laissant à désirer ont contribué à ce déraillement. | Le dernier contrôle par ultrasons, fait le 10 novembre 2003, a révélé une soudure de chantier défectueuse un peu au nord du PDD (pas considérée comme étant un facteur de causalité) |
R04C0031 | 4 | 22 février 2004 | 22 plates-formes intermodales du train Q11531-19 ouest du CN | Point milliaire 37,21 de la subdivision Oyen | Vitesse en voie de 40 mi/h; vitesse du train de 34 mi/h | Rails éclissés de profil RA de 100 livres, en longueurs de 78 pieds (éclisses à quatre boulons) fabriqués en 1956 par Dominion, posés sur un tronçon en alignement droit | Rupture d'un rail en raison d'une fissuration verticale du champignon dans un joint voisin d'un croisement | Aucun défaut de rail n'a été enregistré dans le secteur lors du dernier contrôle par ultrasons fait le 17 juin 2003 |
R04E0027 | 3 | 04 mars 2004 | 20 wagons du train 575 03 ouest du CFCP | Point milliaire 86,03 de la subdivision Red Deer, près de Penhold (Alberta) | Un ordre de marche à vitesse réduite de 40 mi/h était en vigueur dans le secteur en raison de variations excessives du nivellement transversal (non considéré comme étant un facteur déterminant); vitesse du train de 39,2 mi/h | LRS de 115 livres fabriqués par Algoma en 1984 | Le train a déraillé dans un tronçon en alignement droit quand il est passé au-dessus d'un joint de rail brisé qui s'était séparé de la voie. Le rail brisé a perforé un wagon de résidus d'ammoniac anhydre. | Le dernier passage de la voiture de détection des défauts de rail a eu lieu entre les points milliaires 67,3 et 95,6 le 13 février 2004. Aucun défaut n'a été décelé à cette occasion. |
Ces événements similaires ont incité le BST à rechercher les facteurs systémiques sous-jacents. À cette fin, il a institué une enquête sur des problèmes de sécurité relative aux déraillements survenus sur des voies principales de deuxième catégorie du Canadien National (CN) et du CFCP qui étaient situées dans l'ouest du Canada. Sachant que les facteurs en cause auraient vraisemblablement une incidence dans des subdivisions autres que celles qui sont énumérées dans le Tableau 1, le BST a élargi le champ d'application de l'enquête sur des problèmes de sécurité pour y inclure d'autres subdivisions similaires. La sélection des subdivisions a tenu compte des caractéristiques de la voie (voies principales de deuxième catégorie), du trafic, de la situation géographique (ouest du Canada) et d'un historique de déraillements récents. Les 13 subdivisions sélectionnées consistaient en 5 subdivisions Note de bas de page 3 situées le long de voies principales de deuxième catégorie du CFCP (527 milles), entre North Portal (Saskatchewan) et Kingsgate (Colombie-Britannique), 2 subdivisions (116 milles) situées entre Calgary et Lethbridge (Alberta) Note de bas de page 4 et 6 subdivisions du CN (837 milles) situées en Alberta et en Saskatchewan Note de bas de page 5.
L'information relative aux éléments de l'infrastructure, aux programmes de renouvellement, à l'auscultation des rails, aux pratiques d'entretien et d'inspection, aux équipes de travaux, à la densité du trafic et aux charges a été fournie par les compagnies ferroviaires.
1.2 Dossiers du BST sur les événements pour les subdivisions sélectionnées
Au total, 51 déraillements en voie principale ont été signalés dans les subdivisions sélectionnées entre le 1er janvier 1998 et le 12 février 2004. Depuis 1998, le nombre de déraillements survenus chaque année dans des subdivisions du CFCP (33) a varié entre 3 et 9. Le nombre total de déraillements survenus dans des subdivisions du CN (18) a été de 5 ou moins par année. En tout, 27 des 51 déraillements étaient attribuables à l'état de la voie, dont 16 étaient attribuables à des ruptures de rails ou de joints (3 sur les voies du CN et 13 sur celles du CFCP). Au total, 11 des 13 déraillements consécutifs à des ruptures de rails ou de joints survenus sur les voies du CFCP se sont produits le long de l'itinéraire North Portal-Kingsgate.
Bien que les voies du CN et celles du CFCP aient une infrastructure similaire, les subdivisions du CN sont surtout des voies de dérivation qui acheminent un trafic léger, alors que les subdivisions du CFCP entre North Portal et Kingsgate font partie d'une voie principale de deuxième catégorie qui relie le centre de l'Amérique du Nord et la côte ouest. Aux fins de la présente enquête sur des problèmes de sécurité, le BST définit les « voies de dérivation » et les « voies principales de deuxième catégorie »comme étant des voies qui ne font pas partie d'un réseau transcontinental de voies principales. Pour le besoin de l'analyse statistique, on a fait porter la présente enquête sur des problèmes de sécurité sur des subdivisions qui acheminaient un tonnage annuel supérieur à 10 millions de tonnes-brutes (MTB) et qui étaient composées en majorité de rails dont le poids était inférieur à 130 livres. Dans toutes les cinq subdivisions de l'itinéraire North Portal-Kingsgate, le trafic a augmenté au cours des cinq dernières années, les subdivisions Weyburn et Cranbrook étant celles qui acheminaient le tonnage le plus élevé. Cinq des déraillements se sont produits dans la subdivision Weyburn en 2001 et au début de 2002, avant la fin de programmes majeurs de renouvellement de l'infrastructure qui comprenaient des programmes de pose de rail et de branchements de réemploi, et de remplacement de traverses. Le taux de défauts de rail par 100 milles de voies contrôlés a diminué dans la subdivision Weyburn, est resté inchangé à moins de 10 défauts par 100 milles de voies contrôlés dans la subdivision Cranbrook, mais a augmenté dans les subdivisions Taber, Moyie et Crowsnest.
1.3 Inspections faites par Transports Canada
Transports Canada a la responsabilité de surveiller la sécurité des compagnies ferroviaires de compétence fédérale et, à cette fin, il procède à des activités de promotion, de surveillance et d'exécution. Transports Canada applique les dispositions de la Loi sur la sécurité ferroviaire (LSF) et des règlements, règles, normes et ordonnances connexes, partant du principe que la sécurité est une responsabilité qui incombe d'abord aux compagnies ferroviaires.
Transports Canada exerce une surveillance de l'infrastructure ferroviaire en faisant une vérification des données, des processus et des procédures et en veillant à ce que les compagnies se conforment à la LSF et à la réglementation connexe. Il inspecte aussi les voies choisies de compagnies, et examine particulièrement les systèmes de sécurité et le dossier de conformité des compagnies pour déceler les problèmes de sécurité de nature systémique. Cette façon de procéder se démarque des programmes de surveillance des voies existant avant l'entrée en vigueur du Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, qui reposaient presque tous sur des inspections.
L'examen des dossiers de Transports Canada indique que, ces dernières années, Transports Canada a inspecté la plupart des subdivisions sélectionnées, les inspections étant complètes dans certains cas et partielles dans d'autres. Alors que les inspections ont révélé différentes infractions au RSV, elles n'ont révélé aucun problème de sécurité de nature systémique dans la plupart des subdivisions. Toutefois, ces dossiers indiquent que trois subdivisions, Moyie, Cranbrook et Taber, attiraient particulièrement l'attention puisque Transports Canada signalait une détérioration persistante et systémique de l'état des voies de ces subdivisions du fait de l'accroissement du trafic et du nombre de trains-blocs vraquiers.
1.4 Objet de l'enquête sur des problèmes de sécurité
Compte tenu de ce qui précède, la présente enquête s'est intéressée surtout aux effets du trafic de trains-blocs vraquiers sur les voies principales de deuxième catégorie. On a examiné les aspects suivants :
- mesures prises par les compagnies ferroviaires pour gérer l'accroissement des charges sur les voies principales de deuxième catégorie;
- entretien, inspection et essai;
- meulage des rails;
- joints de rail;
- Règlement sur la sécurité de la voie approuvé par Transports Canada.
1.5 Effets du trafic de trains-blocs vraquiers sur les voies principales de deuxième catégorie
Ces dernières années, les compagnies ferroviaires d'Amérique du Nord ont accru la charge par essieu dans leurs réseaux, passant de 33 tonnes (263 000 livres) à 36 tonnes (286 000 livres). Des charges par essieu accrues exigent une augmentation de la capacité des voies et permettent une utilisation plus efficace des actifs et une diminution des frais d'exploitation des trains, étant donné qu'on utilise moins de locomotives, de wagons et de trains pour transporter un volume de marchandises plus considérable. Les clients des compagnies ferroviaires en bénéficient, du fait de la diminution des tarifs. Bien que les wagons de 263 000 livres des trains-blocs soient devenus très courants dans l'industrie et que leurs mouvements fassent l'objet de peu de restrictions, les dossiers relatifs aux événements donnent à penser que l'augmentation du trafic de trains-blocs pourrait s'avérer problématique pour les voies principales de deuxième catégorie.
L'enquête sur des problèmes de sécurité a pour objet d'analyser les effets indésirables de ce type de trafic sur les voies principales de deuxième catégorie. Grâce à des ponts solides et à une infrastructure ferroviaire de qualité supérieure, il a été possible d'accroître les charges jusqu'à 263 000 livres sur la plupart des voies principales. Pour que le matériel roulant puisse résister à l'accroissement des charges par essieu, il a fallu revoir la conception d'éléments comme les bogies, les ressorts et les roulements d'essieu pour les rendre plus robustes. Toutefois, quand on a accru le trafic de trains-blocs vraquiers sur les voies principales de deuxième catégorie, il est vite apparu que l'infrastructure ferroviaire pourrait devenir un facteur de limitation.
Les compagnies ferroviaires ont une certaine marge de manouvre quant à l'acheminement de leur trafic, et au choix de leurs méthodes d'exploitation, de leurs pratiques d'entretien et des itinéraires d'expédition de leur trafic. En faisant passer par l'itinéraire sud une partie de ses trains-blocs de la côte ouest, le CFCP accroît l'utilisation de son réseau secondaire, et gagne ainsi un avantage du point de vue de l'exploitation puisqu'il peut atténuer la congestion sur ses voies principales et libérer des créneaux pour le passage des trains prioritaires. La gestion de l'infrastructure suppose qu'on tienne compte au préalable du type de trafic qu'on doit acheminer. À l'occasion, il est possible de faire circuler des trains-blocs sur des voies principales de deuxième catégorie sans que cela entraîne des dommages considérables, mais l'augmentation à long terme de ce type de trafic entraînera une détérioration accélérée de la voie, à moins que des mesures d'atténuation ne soient prises.
Les trains-blocs constitués de wagons à grande capacité posent des problèmes particuliers pour les voies principales de deuxième catégorie dont la structure (traverses, ballast, plate-forme) est parfois affaiblie. La composition d'un train-bloc est habituellement uniforme, c'est-à-dire que tous les wagons sont du même modèle et portent la même charge et que leurs châssis et bogies réagissent à peu près de façon uniforme. Par conséquent, chaque wagon du train réagit aux irrégularités de la voie de la même manière que le précédent, si bien que le passage d'un train occasionne des impacts cumulatifs dès que la voie est affectée par la moindre irrégularité. Quand un train est composé de nombreux wagons du même modèle dont la capacité de charge est grande, la capacité de reprise élastique Note de bas de page 6 de la voie sous le poids des wagons est faible, voire inexistante. La voie subit alors une déformation hâtive, permanente, et habituellement non uniforme.
La dégradation de la voie et les besoins d'entretien qui en résultent s'accroissent au fur et à mesure de l'augmentation des charges par essieu. Alors que les effets des fortes charges par essieu (charges par essieu égales ou supérieures à 286 000 livres) ont été bien documentés au fil des ans dans le cas des voies principales, les effets de ces charges sur les voies principales de deuxième catégorie ne sont pas aussi bien connus. Depuis une vingtaine d'années, l'Association of American Railroads (AAR), par l'entremise de son centre de recherche, le Transportation Technology Center Inc. (TTCI), procède à la mise au point et à des essais exhaustifs de nouveaux éléments de voie et de nouveaux équipements mécaniques dans un contexte de fortes charges par essieu à ses installations de Pueblo (Colorado). L'Office of Railroad Development (bureau de développement des chemins de fer) de la Federal Railroad Administration (FRA) a réalisé des travaux spécifiques portant sur la capacité des ponts des chemins de fer sur courtes distances dans des conditions de fortes charges par essieu, mais ni l'AAR ni la FRA ne font actuellement ou n'ont entrepris par le passé des recherches relatives aux effets des fortes charges par essieu sur l'infrastructure des voies principales de deuxième catégorie. L'American Short Line and Regional Railroad Association (association des chemins de fer sur courtes distances et des chemins de fer régionaux des États-Unis) étudie activement la question des fortes charges par essieu Note de bas de page 7, à la suite de la demande relative à l'accroissement des charges par essieu sur les réseaux des compagnies membres de l'association. L'Association des chemins de fer du Canada (ACFC) a commandé une étude Note de bas de page 8 sur la mise à niveau dont les voies des chemins de fer sur courtes distances devront faire l'objet si l'on veut les adapter aux normes de chargement de 286 000 livres. La conclusion de toutes ces études est similaire : le trafic à fortes charges par essieu qui emprunte des voies principales de deuxième catégorie dégrade les éléments et la surface de la voie plus rapidement que ceux des voies principales de première catégorie, et il faudra prendre des mesures pour faire en sorte que le matériel roulant dont la charge par essieu est forte puisse rouler à long terme sur ces voies en toute sécurité.
Dans les faits, on a signalé peu de chargements de 286 000 livres dans les subdivisions examinées dans le cadre de la présente enquête. Toutefois, on considère que les conclusions des études susmentionnées sont valables pour les voies principales de deuxième catégorie, étant donné qu'une augmentation du trafic de trains-blocs vraquiers de 263 000 livres entraîne aussi une dégradation accrue de la voie et une augmentation des coûts d'entretien.
1.6 Analyse statistique
On a procédé à une analyse statistique afin d'avoir une appréciation quantitative des effets causés par le trafic de trains-blocs vraquiers. L'hypothèse expérimentale voulait qu'il y ait une corrélation significative entre ce type de trafic et le taux de défauts de rail (par mille de voie). On a analysé les moyennes annuelles établies d'après les valeurs calculées pendant une période de deux ans. On a établi des corrélations pour les variables (tonnage global, tonnage des trains-blocs vraquiers, taux de défauts de rail par mille de voie et indice de rugosité de la surface [IRS]) Note de bas de page 9.
1.6.1 Sélection des échantillons
La sélection des subdivisions a tenu compte de deux critères : la subdivision devait acheminer plus de 10 MTB par année et la majorité de ses rails devait être de moins de 130 livres. Initialement, le BST a demandé des données portant sur 13 subdivisions de l'ouest (7 du réseau du CFCP et 6 de celui du CN) qui pourraient correspondre aux critères de sélection. L'examen des données fournies a révélé que seulement 4 subdivisions du CFCP et 3 subdivisions du CN répondaient aux critères de sélection. On a donc demandé des données portant sur 7 autres subdivisions du CFCP, dont 2 répondaient aux critères. La même demande de données additionnelles n'a pas été adressée au CN, car on croyait qu'aucune autre des subdivisions du CN ne répondrait aux critères de sélection. Le Tableau 2 dresse la liste des subdivisions au sujet desquelles on a fait une demande initiale de données au CFCP et au CN, et de celles qui ont fait l'objet de la demande de suivi au CFCP. Les subdivisions dont le nom est rayé sont celles qui ne répondaient pas aux critères de sélection. La Figure 2 illustre la situation géographique des subdivisions du CFCP qui ont été sélectionnées.
Tableau 2. Sélection des subdivisions qui ont constitué l'échantillon
Canadien National |
---|
Demande initiale |
Camrose |
Vegreville |
Blackfoot |
Three Hills |
Brazeau |
Sangudo |
Chemin de fer Canadien Pacifique | |
---|---|
Demande initiale | Demande de suivi |
Taber | Red Deer |
Weyburn | Leduc |
Macleod | Hardisty |
Aldersyde | Wilkie (section of 10 MGT+) |
Moyie | Nelson |
Cranbrook | Estevan (section of 10 MGT+) |
Crowsnest | Sutherland (Lanigan to Saskatoon) |
Les 9 subdivisions restantes du CN et du CFCP ne pouvaient être regroupées en un seul ensemble de données en vue d'une analyse ultérieure que si la variable indépendante (c'est-à-dire le chemin de fer) n'avait aucun effet significatif sur la variable dépendante (c'est-à-dire le taux de défauts de rail). Pour déterminer si la différence entre les deux ensembles de données est statistiquement significative, on applique habituellement un test t Note de bas de page 10. Si l'on ne découvre aucun écart statistiquement significatif, on combine les données pour tous les niveaux de la variable et on n'en tient pas compte aux fins des analyses subséquentes. Toutefois, pour procéder à un test t (ou à toute autre technique statistique pertinente), il faut un échantillon d'au moins cinq valeurs pour chaque niveau de la variable Note de bas de page 11. Avec un échantillon de seulement trois subdivisions du CN, il a été impossible de procéder à un test statistiquement rigoureux des écarts qui existaient entre les chemins de fer, et à une analyse indépendante de l'échantillon du CN. Par conséquent, la vérification statistique de l'hypothèse n'a été appliquée qu'aux données du CFCP.
Cela ne signifie pas que le réseau du CN est épargné par les effets que la circulation de trains-blocs peut avoir sur le taux de défauts touchant les rails de moins de 130 livres. Cela signifie simplement que le CFCP avait un nombre suffisant de subdivisions qui répondaient aux critères de sélection pour faire une vérification statistique de l'hypothèse, tandis que le CN n'en avait pas. L'Annexe B présente une description plus détaillée des données utilisées aux fins de l'analyse statistique exposée ci-après.
1.6.2 Résultats
Tableau 3. Corrélations entre les variables
Tonnage global | Tonnage de trains-blocs vraquiers | Défauts de rail par mille de voie | Indice de rugosité de la surface | |
---|---|---|---|---|
Tonnage global | 1,00 | 0,44 | 0,29 | -0,34 |
Tonnage de trains-blocs vraquiers | 1,00 | 0,92* | 0,57 | |
Défauts de rail par mille de voie | 1,00 | 0,71 | ||
Indice de rugosité de la surface | 1,00 |
* indique un niveau de signification statistique à < 0,05
On a relevé une corrélation significative entre le tonnage constitué de trains-blocs vraquiers et le taux de défauts de rail par mille de voie (r = 0,92, p < 0,05), ce qui indique que 84 % de l'écart dans le nombre de défauts de rail est dû au tonnage de trains-blocs vraquiers, comme le montrent le Tableau 3 et la Figure 3. Cela signifie qu'il y a une relation directe évidente entre le taux global de défauts de rail et le tonnage annuel de trains-blocs vraquiers, si l'on prend en compte les six subdivisions qui répondent aux critères de sélection.
Le coefficient de corrélation, r, représente la relation linéaire qui existe entre deux variables. Quand r = 1,00, on obtient une corrélation positive parfaite. Le coefficient de détermination, r2, représente la force ou la magnitude de la relation qui existe entre les deux variables. La valeur de signification statistique, p, indique la probabilité d'une relation due à la chance. La convention veut que des résultats indiquant une valeur p < 0,05 soient statistiquement significatifs. Des résultats allant de 0,01 à 0,001 sont très significatifs. Dans le cadre de la présente analyse, la valeur calculée de p était de 0,0102.
La corrélation entre le tonnage global et le taux de défauts de rail par mille de voie n'était pas statistiquement significative. De plus, on n'a pas signalé une corrélation statistiquement significative entre le taux de défauts de rail par mille de voie et l'IRS.
On n'a pas signalé une corrélation statistiquement significative entre le tonnage global ou le tonnage de trains-blocs vraquiers et l'IRS.
2.0 Discussion
2.1 Lien de causalité entre le tonnage de trains vraquiers et le taux de défauts de rail
Les résultats de l'analyse statistique montrent qu'il y a une corrélation étroite et statistiquement significative entre le tonnage annuel de trains vraquiers et le taux de défauts de rail, mais pas entre le tonnage global et le taux de défauts de rail.
Bien qu'une corrélation ne suffise pas à elle seule à prouver l'existence d'un lien de causalité, on peut combiner logique et connaissances spécialisées à une corrélation significative pour construire un argument causal valide. L'argument selon lequel un accroissement du trafic de trains-blocs vraquiers cause un accroissement du taux de défauts de rail veut qu'une des trois hypothèses suivantes soit vraie : 1) le trafic de trains-blocs vraquiers cause des défauts de rail; 2) les défauts de rail causent une augmentation du trafic de trains-blocs vraquiers; 3) les deux résultats sont causés par un facteur non mentionné ou un ensemble de facteurs interdépendants. La deuxième hypothèse de causalité est fausse. La troisième hypothèse suppose l'existence d'un ou de plusieurs facteurs de causalité qui sont liés au trafic de trains-blocs vraquiers et au taux de défauts de rail, mais pas au tonnage global étant donné qu'il n'y a pas de relation significative entre le taux de défauts et le tonnage global (ce qui exclut une augmentation du nombre d'inspections, par exemple). Aucun autre facteur plausible ne pouvant être postulé, il s'ensuit, en procédant par élimination, que le trafic de trains-blocs vraquiers cause des défauts de rail.
L'entretien n'a pas été inclus au nombre des variables lors de l'analyse, ce qui fait que les effets atténuateurs de l'entretien de la voie sur les subdivisions faisant partie de l'échantillon n'ont pas été exploités. Il s'ensuit donc que les travaux d'entretien de la voie qui ont été faits dans ces subdivisions n'ont pas permis de régler complètement les relations qui existent entre le trafic de vrac et l'apparition de défauts de rail.
De même, la vitesse en voie n'ayant pas été incluse au nombre des variables lors de l'analyse, la même logique s'applique, c'est-à-dire que les limites de vitesse et les ordres de marche à vitesse réduite qui ont été imposés n'ont pas permis de régler complètement les relations qui existent entre le trafic de vrac et l'apparition éventuelle de défauts de rail.
2.2 Mesures prises par les compagnies ferroviaires pour gérer l'accroissement des charges sur les voies principales de deuxième catégorie
Les compagnies ferroviaires ont augmenté le trafic sur les voies principales de deuxième catégorie afin d'accroître la capacité des réseaux et l'utilisation d'infrastructures coûteuses et sous-utilisées, et d'atténuer la congestion de leurs voies principales. Les deux principales compagnies ferroviaires du Canada, le CN et le CFCP, ont une approche similaire concernant l'acheminement sur les voies principales de deuxième catégorie du trafic dont les charges par essieu sont considérables. Avant d'accepter d'acheminer ce genre de trafic sur des voies principales de deuxième catégorie, on établit un modèle de gestion qui prend en compte les engagements en matière de service à la clientèle, la dégradation accélérée et accrue de l'infrastructure et les revenus. Les effets indésirables de ce genre de trafic sur les infrastructures étant bien connus, ce sont des considérations techniques qui régissent la façon dont ce trafic sera acheminé.
Le Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, en vigueur depuis le 31 mars 2001, exige que toutes les compagnies ferroviaires de compétence fédérale mettent en ouvre un système de gestion de la sécurité (SGS). L'alinéa 2 e) de ce règlement exige que le SGS inclue un processus qui permet :
- d'une part, de déterminer les problèmes et préoccupations en matière de sécurité, y compris ceux qui sont associés aux facteurs humains, aux tiers et aux modifications d'importance apportées aux opérations ferroviaires,
- d'autre part, d'évaluer et de classer les risques au moyen d'une évaluation du risque.
L'alinéa 2 f) du même règlement exige que le SGS inclue des stratégies de contrôle du risque.
Au CN, le critère de base veut qu'on accepte l'acheminement de trafic dont les charges par essieu sont considérables si la voie est faite de rails éclissés d'au moins 100 livres. On détermine des vitesses d'exploitation appropriées en tenant compte de la capacité des ponts, de l'état des traverses, des anticheminants et des crampons et de l'état général de la voie. Si la voie est faite de rails de moins de 100 livres, on limite la vitesse en voie de façon à atténuer la dégradation de l'infrastructure, les impacts sur les ponts et les risques de déraillement.
Le CFCP, quant à lui, a procédé en 1995 à un examen d'ensemble de ses voies principales de deuxième catégorie afin de déterminer si elles pouvaient supporter des chargements de 286 000 livres. L'examen tenait compte des restrictions imposées par les indicateurs et des restrictions attribuables aux ponts, aux voies, au matériel de traction et aux autorisations de circuler, et il a permis de classer les voies suivant un code de couleurs : voie rouge (pas de fortes charges par essieu), voie jaune (fortes charges par essieu avec certaines restrictions) ou voie verte (aucune restriction). Toutes les voies principales de deuxième catégorie du CFCP sont maintenant considérées comme étant des voies vertes, à moins d'une dégradation de l'infrastructure.
À court terme, le CN et le CFCP ont entrepris des programmes mineurs d'amélioration de la voie qui consistaient à installer des anticheminants additionnels, à faire des remplacements ponctuels de traverses ou à poser des rails de réemploi à certains endroits sélectionnés. À l'occasion, les compagnies réduisent la vitesse d'exploitation et la catégorie de la voie afin de se conformer au RSV. Le fait de réduire la vitesse a pour effet d'atténuer les charges d'impact et de ralentir la dégradation de la voie, et permet de différer les programmes d'amélioration de l'infrastructure ou l'accentuation des travaux d'entretien à court et à moyen terme. Des charges par essieu atteignant 286 000 livres sont permises dans la plupart des subdivisions qui ont été examinées au cours de la présente enquête; toutefois, le pourcentage global est faible Note de bas de page 12. Dans les tronçons où les charges autorisées sont plus fortes, on a habituellement imposé des limites de vitesse sur les ponts et dans les tronçons dont la voie n'est pas conforme aux normes afin d'atténuer les effets de l'augmentation des charges.
Comme la plupart des trains-blocs qui circulent sur les voies principales de deuxième catégorie du CFCP transportent des marchandises en vrac dont le délai de livraison n'est pas critique, le fait de réduire la vitesse dans ces circonstances s'avère acceptable pour les besoins des clients et pour ceux de la compagnie, du moins à court terme. Les opérations ferroviaires à basse vitesse sont coûteuses puisque les compagnies doivent alors affecter un plus grand nombre d'équipes, de locomotives et de wagons à un même parcours. Si le trafic se maintient à long terme, les compagnies ont tendance à limiter la vitesse le moins possible, par souci de rentabilité.
En plus de limiter la vitesse, les compagnies procèdent à des inspections et à des essais plus fréquents afin de contrôler de près la dégradation des voies, en se basant sur leurs circulaires sur les méthodes normalisées (CMN), dans le cas du CN, ou sur les notices techniques (NT), dans le cas du CFCP, et sur le RSV. Les deux compagnies utilisent leurs CMN (CN) ou leurs NT (CFCP) comme norme d'entretien de la voie. Le RSV prescrit les exigences minimales de sécurité, lesquelles sont généralement moins strictes que celles des CMN ou NT des deux compagnies.
Les essais menés par l'industrie et l'expérience ont démontré qu'il est possible de faire circuler sans danger de fortes charges par essieu sur des voies conventionnelles faites de rails de 100 livres, à condition que la voie soit bien supportée. En fait, le CN et le CFCP acceptent tous deux des volumes limités de charges de 286 000 livres sur des rails de 100 livres. Par contre, si le volume de trafic ayant de fortes charges par essieu se maintient ou augmente à long terme, il faudra renforcer les rails, les traverses, les organes de fixation de la voie, le ballast et la plate-forme, ou améliorer leur état au besoin. Il est rare qu'on réalise des programmes majeurs de renouvellement de l'infrastructure avant d'accepter la circulation de trafic ayant de fortes charges par essieu. Habituellement, ces programmes sont entrepris quand les restrictions qui gênent l'exploitation, par exemple les limitations de la vitesse ou de la charge par essieu, deviennent inacceptables. Le coût de ces mesures est élevé et il doit être pondéré en fonction du taux de dégradation de la voie, des considérations relatives à l'exploitation, de la durée prévue du trafic dans le temps et des recettes que l'on compte en tirer. Comme les compagnies ferroviaires affectent leurs ressources avec circonspection, elles doivent faire une analyse de rentabilisation rigoureuse quand elles envisagent d'améliorer des voies principales de deuxième catégorie, et à plus forte raison si les ressources en question proviennent des voies principales. Étant donné que les activités d'ingénierie génèrent des coûts plutôt que des revenus, il est plus difficile de justifier du point de vue économique une augmentation des dépenses consacrées aux voies principales de deuxième catégorie.
En l'absence de programmes majeurs d'amélioration des éléments de l'infrastructure, il faut accroître les activités d'entretien, d'inspection et de renforcement des rails et des voies afin d'éviter que l'augmentation des charges par essieu n'entraîne une diminution de la sécurité ferroviaire.
Les compagnies ferroviaires se rendent compte de la dégradation accélérée de la voie qui est associée au trafic de trains-blocs vraquiers sur les voies principales de deuxième catégorie. Toutes les compagnies limitent temporairement la vitesse lorsque la voie est affectée par des défauts mineurs qui peuvent être réparés rapidement. Ces limitations de vitesse sont levées dès que l'état de la voie est revenu à la normale. Le CN et le CFCP ont adopté des processus d'évaluation rigoureux pour les travaux planifiés d'entretien de la voie de grande envergure, mais ils doivent établir des priorités étant donné qu'ils disposent de ressources limitées. Si la mise en ouvre des programmes est différée, les compagnies peuvent abaisser la catégorie de la voie de façon à assurer la conformité avec le RSV jusqu'à ce que les ressources soient disponibles. Cette façon de procéder est normale pour toutes les compagnies, et pas seulement pour le CFCP. Le CFCP dépense plus du double par tonne brute-mille pour l'entretien des voies principales de deuxième catégorie que pour celui des voies principales de première catégorie. Malgré cela, les dossiers d'événements montrent qu'on n'est pas encore parvenu à un point d'équilibre entre l'augmentation de la dégradation de la voie et les besoins d'entretien ou de renouvellement de l'infrastructure.
2.3 Entretien, inspection et essais
Plusieurs options s'offrent aux compagnies ferroviaires quand il s'agit de régler les problèmes associés à la dégradation accélérée de la voie. Les efforts nécessaires pour maintenir un trafic de wagons ayant de fortes charges par essieu sur les voies principales de deuxième catégorie n'entraînent pas tous la mise en ouvre de coûteux programmes de renouvellement de l'infrastructure. Par exemple, une augmentation des activités d'entretien, d'inspection et d'essai permet parfois de différer des dépenses majeures à court terme tout en se conformant à la réglementation.
Les compagnies ont réalisé des programmes de renouvellement de l'infrastructure (notamment installation de longs rails soudés (LRS) partiellement usés munis de selles de rail plus grosses à double épaulement dans les courbes accentuées, augmentation du nombre d'anticheminants ou de crampons, programmes ponctuels de remplacement de traverses, installation d'éclisses à haute résistance et, dans certains cas, programmes supplémentaires de ballastage et de réfection de la surface) afin de renforcer la structure de la voie à des endroits choisis. Cependant, les nombreux événements et défauts de l'état géométrique qui ont été signalés récemment dans les subdivisions du CN et du CFCP donnent à penser que les programmes de remplacement de traverses, de ballastage et de réfection de la surface ne suivent peut-être pas le rythme de la détérioration de la voie.
De 1995 à 2000, les données sur la sécurité compilées par la FRA des États-Unis montrent une tendance à la hausse du nombre de déraillements qui surviennent sur des voies principales et qui sont dus à la rupture de rails. Un groupe de travail sur l'intégrité de la voie, parrainé par la FRA et appelé Rail Integrity Task Force, a été formé en avril 2002 et invité à définir les « meilleures pratiques » au sein de l'industrie ferroviaire dans les domaines de l'inspection, de l'entretien et du remplacement des rails. Le groupe de travail se compose de spécialistes dans le transport lourd délégués par des compagnies ferroviaires, de représentants de l'AAR, de l'Office of Safety Assurance and Compliance (bureau d'assurance de la sécurité et de la conformité) de la FRA et de l'Office of Railroad Development (bureau de développement des chemins de fer) de la FRA, et il bénéficie du soutien technique du Volpe National Transportation Systems Center, établi à Cambridge (Massachusetts). Le groupe de travail compte aussi sur les services de spécialistes du domaine des essais non destructifs de rails. L'objectif du groupe est de réduire le nombre d'accidents et de pertes qui résultent de déraillements causés par la rupture de rails. Le CN et le CFCP participent tous deux aux activités du groupe.
Le comité 18 de l'American Railway Engineering and Maintenance of Way Association (AREMA) est chargé de la rédaction et de la publication d'information et de pratiques recommandées concernant les besoins économiques des chemins de fer à faible densité de trafic et sur courtes distances, et leurs besoins spéciaux en matière d'ingénierie et d'entretien. Le comité a entrepris de compiler des données sur les normes recommandées qui donneront aux chemins de fer à faible densité la capacité d'acheminer des trains dont les charges par essieu sont élevées.
Les deux compagnies ferroviaires ont accru la fréquence des contrôles par ultrasons de leurs réseaux, surtout au cours des mois d'hiver pendant lesquels on signale un nombre accru de défauts de rail. Le CN a lancé un programme conjoint d'entretien et de remplacement de boulons qui prévoit une inspection soigneuse des éclisses ainsi que le remplacement des éclisses par des éclisses à haute résistance, si nécessaire. Les deux compagnies effectuent un mesurage de l'écartement des voies sous charge pour identifier les secteurs où les traverses sont en mauvais état, et elles ont accru à au moins trois contrôles par année la fréquence des vérifications des défauts de rail, vérifications qui étaient auparavant annuelles. Le CN a passé des contrats par lesquels des véhicules rail-route procèdent à des contrôles de l'écartement, du nivellement transversal et de l'alignement des voies plus fréquemment que les voitures TEST. En plus de ces mesures, les deux compagnies réalisent des programmes annuels de meulage des rails sur les voies principales de deuxième catégorie de façon à assurer un contrôle plus fiable des défauts de rail. Toutes ces mesures visent à assurer une surveillance étroite de la dégradation de la voie et fournissent des données objectives à l'appui des programmes de renouvellement de l'infrastructure. Les deux compagnies ont installé dans des subdivisions choisies des détecteurs de boîtes chaudes et de pièces traînantes qui contrôlent l'état du matériel roulant. Le CFCP a installé un détecteur de défauts de roues (DDR) dans la subdivision Red Deer. De plus, on a placé un DDR à un endroit stratégique de la subdivision Swift Current, de façon qu'il protège le trafic qui entre dans les subdivisions Weyburn et Taber et tout le trafic qui roule vers l'ouest en provenance de Moose Jaw.
La voiture d'évaluation de la voie du CFCP mesure l'état géométrique de la voie à des fréquences qui sont définies dans la NT 34 de la compagnie. La voiture détecte les défauts de la surface, du dévers, de l'alignement, du nivellement transversal et de l'écartement qui exigent une intervention urgente ou prioritaire, après quoi les équipes prennent les mesures qui sont décrites dans les notices techniques. La voiture d'évaluation de la voie calcule un IRS qui correspond à la moyenne du nombre de défauts de la surface par mille de voie. La comparaison des valeurs d'IRS obtenues à chaque passage de la voiture donne une idée de l'évolution de l'état de la voie dans le temps, un IRS peu élevé correspondant à une voie en bon état. Au CN, la voiture TEST remplit la même fonction et calcule un indice de qualité des voies (IQV) qui détermine la qualité moyenne de chaque quart de mille de voie à partir de la moyenne des valeurs mesurées de nivellement longitudinal, de nivellement transversal, d'écartement et d'alignement. Les valeurs obtenues en fonction de ces paramètres vont de 0 à 1000, 1000 correspondant à une voie exempte de défauts.
2.3.1 Auscultation des rails
Avec l'accroissement du trafic, des vitesses et des charges par essieu, l'inspection des rails s'avère plus importante que jamais. Jusqu'aux premières années du dernier siècle, on ne faisait que des inspections visuelles qui permettaient uniquement de détecter les défauts externes et, parfois, les indices subtils qui révélaient de graves problèmes internes. La Sperry Rail Service, qui se charge à contrat de l'auscultation des rails pour le CN et le CFCP, a commencé dès les années 1920 à mettre au point une méthode de contrôle par induction qui permet de détecter les défauts internes de rail. Le système induit un fort champ magnétique dans le rail en y faisant passer une grande quantité de courant à faible voltage. La présence d'un défaut interne modifie le champ magnétique et l'indication de défaut est consignée par un enregistreur à bande déroulante. La méthode par induction permet surtout de sonder le champignon du rail et, bien qu'elle puisse déceler des fissures transversales, elle ne peut pas détecter un grand nombre d'autres défauts de fabrication, de défauts qui sont dus au service et de fissures de fatigue qui se trouvent sous le champignon du rail.
Pour compléter le contrôle par induction, on a mis au point des méthodes d'essai non destructif et d'inspection qui se basent sur des applications mises au point antérieurement dans le domaine médical. Les contrôles par ultrasons font appel à des ondes sonores à haute fréquence qui sont générées par un transducteur et qui se propagent dans le matériau. Quand une discontinuité comme une fissure affecte la propagation de l'onde, une partie de l'énergie est réfléchie par la surface du défaut. Le signal réfléchi est transformé en signal électrique par le transducteur et s'affiche sur un écran. La force du signal réfléchi s'affiche en regard du temps qui s'est écoulé entre l'émission du signal et la réception d'un écho. On peut établir une relation directe entre le temps de déplacement du signal et la distance parcourue par le signal et obtenir de l'information exacte sur la position, la taille et l'orientation du réflecteur. Les compagnies ferroviaires d'Amérique du Nord utilisent l'auscultation des rails par ultrasons depuis l'introduction de la première voiture d'inspection par ultrasons, en 1959; cette méthode est celle qui est la plus utilisée de nos jours.
L'auscultation par ultrasons est une méthode de contrôle rapide, rentable, efficiente et productive dont les compagnies se servent pour contrôler les milliers de milles de rails qui constituent le réseau ferroviaire d'Amérique du Nord. Grâce aux perfectionnements de la technologie, le processus est plus précis, le traitement de l'information est plus rapide et la présentation visuelle des résultats des tests est améliorée, d'où une réduction des interprétations et des interventions humaines nécessaires. Les contrats d'auscultation des rails comprennent des spécifications qui précisent la taille minimale des défauts à détecter et les taux de fiabilité des contrôles. Pour mesurer le rendement des contrôles, les compagnies ferroviaires surveillent le nombre de défaillances qui se produisent pendant le service au cours des 30 jours suivant une auscultation des rails.
Comme toutes les méthodes d'essai non destructif, les inspections par ultrasons ont leurs limitations. Les défauts transversaux sont détectés dans le champignon et la partie supérieure de l'âme du rail. Bien qu'elle permette une bonne vérification du champignon, la technologie actuelle ne permet pas une inspection approfondie de l'âme et du patin. En raison de leur orientation et de leur position, les défauts situés dans le milieu de l'âme et les défauts transversaux situés dans la partie basse du rail sont presque indétectables. Les défauts longitudinaux peuvent être détectés dans le champignon et l'âme, et dans le patin du rail juste sous l'âme, s'ils sont suffisamment étendus. Les défauts situés dans la partie externe de l'âme (s'éloignant de l'âme en direction de la partie extérieure du patin) ne peuvent pas être détectés, étant donné que le système ne transmet aucun signal ultrasonore vers cette partie du rail.
L'auscultation des rails n'est pas une science exacte - l'opérateur doit avoir les compétences, la formation et l'expérience voulues pour pouvoir interpréter correctement les données et détecter les défauts de rail. Les voitures abritent habituellement un conducteur, un opérateur et un assistant, habituellement un stagiaire. Le conducteur assure la sécurité de la voiture et l'opérateur est responsable des auscultations. Les opérateurs des appareils de contrôle par ultrasons doivent exécuter beaucoup de tâches simultanément pendant les contrôles, et notamment surveiller le défilement des données d'essai sur les six canaux d'enregistrement et surveiller l'état des rails et les particularités de la voie à mesure que la voiture avance. Ils essaient en même temps de maximiser le nombre de milles auscultés alors que le nombre et la durée des fenêtres de travail sont limités. Pour être détectés, les défauts doivent être suffisamment étendus et être orientés de façon à présenter une surface réfléchissante suffisamment grande. Des lacunes dans n'importe quel de ces secteurs peuvent donner lieu à une mauvaise interprétation, donc à une mauvaise détection des défauts ou à des défauts de petite taille qui n'ont pas été remarqués, ce qui s'est déjà produit par le passé.
Le BST a procédé à une évaluation de la performance humaine à bord d'une voiture de la Sperry Rail Service le 30 juillet 2004 afin de déterminer si l'exécution des auscultations des rails était ou non une tâche raisonnable, compte tenu des limitations liées aux performances humaines. Il a conclu que, même si la tâche exigeait beaucoup de jugement de la part de l'opérateur, un opérateur expérimenté pouvait s'en acquitter.
Les surfaces des rails doivent être lisses et propres pour pouvoir réfléchir correctement le signal ultrasonore. Si, pour une raison ou pour une autre, le signal est réfléchi avant d'avoir atteint le point voulu du patin ou de l'âme du rail, on soupçonnera la présence d'un défaut à cet endroit. La plupart de ces réflexions parasites sont dues à un mauvais état de la surface ou à une contamination de la surface du rail, ce qui fait que l'opérateur doit se servir de son jugement pour déterminer si les indications sont valides. L'opérateur peut conclure, à tort, à la présence d'un défaut de rail alors qu'il n'y en a pas (faux positif), ou conclure qu'il est en présence d'un signal parasite alors que, dans les faits, le signal en question est bien réel (faux négatif).
Après un déraillement causé par la rupture d'un rail, l'un des premiers renseignements dont on se procure est les résultats des essais de rails les plus récents. On examine la bande pour voir s'il y avait un défaut qui n'a pas été signalé. La plupart du temps, le défaut, s'il existait, était trop petit pour être détecté ou alors il était masqué par le mauvais état ou la contamination de la surface du rail. Il arrive rarement que des défauts ne soient pas détectés à cause d'un faux négatif; toutefois, un déraillement survenu récemment dans le réseau du CFCP a résulté d'une erreur de ce genre Note de bas de page 13. Bien qu'il soit possible d'augmenter la sensibilité de l'équipement de détection, cela s'avère peu utile puisque le nombre de faux positifs augmente et que le processus d'auscultation est alors ralenti.
La FRA et l'AAR commanditent des recherches sur l'amélioration des techniques de détection des défauts de rail, dans le cadre de l'initiative de recherche stratégique 7A (AAR Strategic Research Initiative 7A). L'initiative 7A a pour objectif d'accroître la fiabilité et la sécurité ferroviaires en mettant au point des méthodes améliorées de détection des défauts et en favorisant l'élaboration de systèmes améliorés de détection des défauts. L'auscultation par ultrasons à commande de phase vise un accroissement de la fiabilité lorsqu'il s'agit de détecter des défauts touchant 20 % ou moins du rail. L'auscultation par ultrasons à laser offre la capacité d'inspecter le tronçon de rail en entier et d'inspecter des rails dont la surface est en mauvais état, étant donné que le son peut entrer dans le rail autrement que par le dessus.
On a mis au point de petits appareils d'auscultation qu'une seule personne peut porter et faire fonctionner, et qui servent à ausculter un seul ou les deux rails d'un passage à niveau, d'un aiguillage ou d'un cour de croisement. On peut se servir de ces appareils portables dans un triage sans avoir à se servir d'un véhicule d'auscultation plus gros et sans gêner les opérations ferroviaires. On s'efforce toujours d'accroître la vitesse d'auscultation et la fiabilité de détection grâce à l'emploi de logiciels de reconnaissance des formes, à l'automatisation du processus de prise de décisions de l'opérateur et à l'amélioration des performances des capteurs.
Bien que la recherche de défauts de rail vise à réduire les risques de déraillements dus à la rupture de rails, les systèmes actuellement en usage ne sont pas en mesure de détecter tous les défauts internes de rail.
2.3.2 Meulage des rails
Un certain nombre de déraillements dus à des ruptures de rails qui sont survenus ces dernières années dans des subdivisions du CN et du CFCP ont été attribués au fait que l'appareillage d'auscultation par ultrasons n'a pas pu détecter les défauts internes de rail en raison du mauvais état de la surface du rail Note de bas de page 14. Un meulage adéquat accroît l'efficacité de l'appareillage d'auscultation par ultrasons en rendant la surface du rail lisse et claire Note de bas de page 15. Le meulage des rails vise surtout à limiter le nombre de défauts de surface dus à la fatigue. Il consiste à retirer une mince couche superficielle de métal afin de prévenir la croissance de microfissures. Le meulage améliore aussi la géométrie du contact entre les roues et le rail et réduit les contraintes de contact Note de bas de page 16.
Des études que l'AREMA a menées récemment sur quatre chemins de fer de catégorie 1 montrent que des intervalles de meulage plus longs, une vitesse de meulage plus grande et une réduction du meulage du côté extérieur causent une augmentation des dommages dus à la fatigue dans les courbes et une augmentation marquée du taux de fissuration transversale progressive amorcée en surface. L'AREMA recommande que les voies principales de première catégorie fassent l'objet de meulages fréquents, et de meulages d'une seule passe.
Les cycles de meulage préventif font appel à des travaux de meulage qui sont effectués à des intervalles établis en fonction du tonnage ou du temps et qui visent à atténuer ou supprimer les petites fissures de fatigue qui sont causées par le passage de millions de roues sur le rail. L'intervalle de meulage dépend aussi de la dureté et de la courbure des rails. L'AREMA recommande que les rails des courbes de trois degrés ou plus qui sont faites de rails standard soient meulés après le passage de 8 à 12 MTB, que ceux des courbes de moins de trois degrés soient meulés après le passage de 16 à 24 MTB et que les rails des tronçons en alignement droit soient meulés après le passage de 40 à 60 MTB. Autrement dit, l'AREMA recommande que les intervalles de meulage soient déterminés par la courbure de la voie et par les niveaux de trafic. Les intervalles en question supposent un meulage en un passage à une vitesse de meulage de 6 à 14 mi/h. Le meulage des rails étant une opération d'entretien fort coûteuse, le CFCP et le CN concentrent leurs travaux de meulage dans les subdivisions qui acheminent le tonnage le plus élevé.
Ces dernières années, des travaux de meulage ont été exécutés dans toutes les subdivisions qui font l'objet de la présente enquête (voir la Figure 4). Comme il s'agissait de voies principales de deuxième catégorie, on a fait un meulage correctif, lequel a été exécuté en passes multiples et moins fréquentes. Le temps qui s'écoule entre les travaux de meulage correctif peut faire en sorte que des défauts apparaissent à la surface et se propagent, ce qui fait qu'un nombre accru de défauts de rail peuvent passer inaperçus.
2.3.3 Joints de rail
Les joints de rail sont des éléments courants de la voie, même lorsque celle-ci est faite de LRS, et ils causent nécessairement une discontinuité de la voie vis-à-vis des aiguillages et des limites des circuits de voie et dans les endroits où des sections de rail défectueux ont été découpés et remplacés par des coupons de rail. Les éclisses sont conçues pour aligner les abouts de rail verticalement et horizontalement; idéalement, elles devraient avoir la même résistance et la même rigidité que les rails qu'elles relient. La rigidité en flexion d'un joint correspond aux trois-quarts de la résistance à la flexion du rail adjacent du réseau. Donc, même si les éclisses sont fixées solidement aux rails, le joint de rail qui résulte de leur installation constitue un point faible de la structure de la voie, dont la rupture a déjà causé des déraillements. Pour cette raison, les joints et la structure qui les supporte doivent être bien entretenus. D'ailleurs, les chemins de fer s'efforcent d'éliminer les joints grâce à la pose de LRS et au soudage aluminothermique.
Les joints doivent être bien supportés par des traverses solides posées sur un ballast propre, bien égoutté et bien bourré. Les joints doivent être boulonnés complètement (à moins qu'on n'ait prévu de procéder au soudage aluminothermique) et les boulons doivent être serrés à la force de couple recommandée, faute de quoi les forces d'impact des roues auront tôt fait de causer un fléchissement des rails dans le sens vertical, ce qui entraînerait un desserrage et une détérioration de l'ensemble du joint, le martèlement du champignon du rail et la dégradation des traverses, du ballast et de la plate-forme sous le joint. Si ces anomalies ne sont pas corrigées, des fissures de fatigue pourraient apparaître dans les éclisses et les trous de boulon, ce qui pourrait entraîner la rupture d'une ou de plusieurs éclisses ou celle du rail. Des essais ont démontré que même une petite fissure affectant le centre d'une éclisse peut réduire considérablement la résistance de l'éclisse. Le BST a enquêté sur quatre déraillements dus à la défaillance d'éclisses/de rails qui sont survenus dans les subdivisions sélectionnées au cours des dernières années Note de bas de page 17. Il a aussi enquêté sur neuf autres événements Note de bas de page 18 survenus dans d'autres subdivisions depuis 1998.
L'enquête menée par le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis au sujet du déraillement d'un train du CFCP survenu le 18 janvier 2002 près de Minot au Dakota du Nord (rapport RAR-04-01 du NTSB) a révélé que l'accident avait résulté de la rupture d'éclisses et d'un rail de 100 livres qui s'était produite soit lors du passage du train précédent, soit lors du passage du train qui a été mêlé à l'accident. Le NTSB a aussi déterminé que le CFCP avait utilisé des méthodes d'inspection inadéquates avant l'accident, ce qui fait que l'inspection et l'entretien des joints avaient été déficients et que des fissures affectant les éclisses étaient passées inaperçues et s'étaient propagées jusqu'à atteindre une taille critique.
Il n'existe aucun moyen de se protéger contre les défauts de ce genre sur les voies dépourvues de signalisation. Même si la voie était protégée par un système de signalisation, il n'est pas certain que les défauts seraient décelés. Le circuit de voie n'indique aucune défaillance tant que le rail ou les éclisses ne sont pas complètement brisés. Par exemple, le circuit ne s'ouvre pas si le rail se brise dans un joint et si les éclisses demeurent intactes, ou si la rupture du rail se produit vis-à-vis d'une selle de rail. D'autre part, l'industrie de la signalisation ferroviaire et une grande compagnie de chemin de fer des États-Unis collaborent à la mise au point d'un système qui permettra de détecter les rails brisés en territoire dépourvu de signalisation. Des circuits de voie constamment alimentés doivent soit être raccordés à une coûteuse source d'alimentation commerciale ou à de grands panneaux solaires munis de batteries de secours. Une nouvelle technologie offre la possibilité de réduire la consommation d'électricité (une question critique dans le domaine de la signalisation ferroviaire) du circuit de voie quand on n'a pas besoin d'être informé de l'état de la voie, ce qui fait que le courant du système peut être fourni par un seul panneau solaire. L'unité peut être activée par un système radio de transmission de données qui envoie des signaux à travers le rail, ou par d'autres moyens.
L'inspection des éclisses fait appel le plus souvent à une inspection visuelle faite à partir d'un véhicule rail-route qui circule sur la voie. Bien que les inspections de ce type permettent de détecter un joint dont la rupture ou la séparation est évidente, elles sont inefficaces dans le cas des petites fissures de fatigue affectant les éclisses. Pour faire une vérification visuelle adéquate des éclisses, l'inspecteur doit les contrôler de près, c'est-à-dire sur place. L'inspection sur place offre un avantage secondaire, à savoir qu'elle donne à l'inspecteur l'occasion d'apprécier les écarts qui affectent les joints de rail et de rechercher les boulons tordus ou desserrés. En raison du rythme rapide des opérations ferroviaires d'aujourd'hui, des inspections de ce genre sont considérées comme irréalisables et les inspecteurs des chemins de fer y ont rarement recours. Le CN collabore actuellement avec d'autres chemins de fer de catégorie 1 d'Amérique du Nord et avec la FRA afin de proposer des fréquences d'inspection visuelle qui conviennent pour tous les types d'éclisses, y compris les joints collés dans les territoires où la voie est faite de LRS.
Bien que l'auscultation par ultrasons et par induction faite à partir de véhicules sur rail ou de véhicules rail-route permette généralement de faire une vérification efficace des rails, il n'existe aucune méthode de production connue qui permette de vérifier un grand nombre d'éclisses sur le terrain Note de bas de page 19. Il est possible d'utiliser un transducteur portatif pour faire des auscultations par ultrasons des éclisses. Dans le rapport d'enquête sur l'accident de Minot, le NTSB a signalé que cette méthode avait été utilisée par le CFCP par le passé, mais qu'elle avait été abandonnée avec le temps. On peut aussi recourir à la méthode de contrôle magnétoscopique ou à un examen par ressuage pour ausculter les éclisses, mais tous ces essais prennent du temps et supposent des efforts et des coûts. La façon la plus simple d'éviter les difficultés relativement aux joints consiste à éliminer tout simplement les joints ou à faire en sorte que leur installation et leur entretien soient conformes aux normes et aux pratiques des compagnies.
Ces dernières années, de nouveaux développements touchant le matériel et des changements apportés aux pratiques de nivellement ont rendu l'entretien de l'infrastructure plus difficile. Par le passé, les équipes d'entretien locales pouvaient se servir de machines plus petites pour corriger les problèmes ponctuels de nivellement qui se présentaient. Cependant, le parc de matériel a été rationalisé depuis lors, ce qui fait qu'un grand nombre des petites machines de nivellement ont été remplacées par des machines plus grosses et moins nombreuses qui offrent une productivité accrue. Ces machines sont utilisées principalement dans le cadre de programmes majeurs d'entretien continu des traverses, du ballast et de la surface. Il s'ensuit que les programmes d'entretien ponctuels, d'envergure moindre, dépendent davantage de la disponibilité des machines. Pour cette raison, il est arrivé à l'occasion qu'on attende plus longtemps qu'on aurait dû pour corriger certains problèmes relatifs à la surface de la voie.
Des joints de rail mal inspectés et entretenus rendent les réseaux ferroviaires particulièrement vulnérables et présentent des risques d'aggravation des défauts, de rupture et de déraillement. Le matériel actuel de détection des défauts ou les voitures actuelles de contrôle de l'état géométrique de la voie ne sont pas en mesure de déceler les défauts qui affectent les éclisses.
2.3.4 Trous d'éclissage
Un grand nombre de fissures de fatigue prennent leur origine dans des trous d'éclissage. Sur les 1495 défauts de rail qu'on a détectés entre 2001 et 2003 à la suite de contrôles par ultrasons dans les six subdivisions du CN visées par la présente enquête, 1164 (78 %) des défauts résultaient d'étoilures ou de fissures du trou d'éclissage dans le secteur du joint. Des 4813 défauts de rail qui ont été relevés entre 1998 et 2003 dans les sept subdivisions du CFCP visées par la présente enquête, il y en avait 1569 (35 %) qui résultaient d'étoilures du trou d'éclissage dans le secteur du joint.
Quand on perce des trous dans un rail, le perçage proprement dit peut entraîner une défaillance du rail. Une force ou une vitesse excessive, combinée à l'utilisation d'un foret émoussé, peut entraîner la formation de martensite Note de bas de page 20 et l'apparition subséquente de microfissures. Si les trous ne sont pas débarrassés de leurs rebords rugueux et inégaux, des concentrations de contraintes apparaissent dans cette zone déjà soumise à des tensions considérables, et pourraient entraîner la formation de fissures pendant le service. Cela suggère qu'il est souhaitable que les rebords de tous les trous percés dans les rails aient un fini lisse. Bien qu'on puisse ébavurer les trous, on ne fait pas normalement le chanfreinage Note de bas de page 21 des trous qu'on perce dans les rails sur le terrain. Reconnaissant la menace que représentent les trous d'éclissage dont le perçage a été mal exécuté, les chemins de fer ont amélioré la qualité des trous d'éclissage, en utilisant des perceuses au gaz et des perceuses hydrauliques à alimentation automatique dont les forets ronds (plutôt que plats) produisent des trous usinés beaucoup plus nets dans lesquels des concentrations de contraintes risquent moins d'apparaître. La méthode recommandée RM 3700-0 du CN, Drilling Holes in Rail (perçage de trous dans les rails), expose en détail les techniques recommandées de perçage afin d'éviter les effets nuisibles des méthodes de perçage inadéquates. L'annexe 9 de la NT 14 du CFCP précise qu'on doit chanfreiner les trous d'éclissage de façon à en supprimer les ébarbures et les arêtes vives, mais cette norme s'adresse aux fournisseurs de rails et ne porte pas sur le perçage de trous sur le terrain.
Il arrive couramment que des fissures de fatigue se forment dans le premier trou qui est percé à partir de l'about de rail, car c'est à cet endroit que les tensions sont les plus fortes. Cette condition s'aggrave lorsque la température est basse, si le joint est soumis à de fortes charges d'impact ou s'il est mal supporté. La détection des fissures de fatigue autour des trous d'éclissage ne peut se faire qu'au moyen d'un contrôle par ultrasons. Il continue d'y avoir des risques de fissuration par fatigue autour des trous d'éclissage parce que le chanfreinage des trous percés sur le terrain n'est pas obligatoire.
2.4 Règlement sur la sécurité de la voie
Au Canada, les compagnies ferroviaires de réglementation fédérale sont régies par le RSV depuis 1992. Le règlement a pour but de garantir la sécurité des trains circulant sur les voies à écartement normal qu'une compagnie ferroviaire possède, exploite ou utilise. Il ne saurait remplacer l'application des bonnes pratiques d'entretien précisées dans les CMN ou les NT des chemins de fer, ou permettre que les compagnies se soustraient à l'application de celles-ci.
Les catégories de voies sont établies en fonction de la vitesse maximale autorisée pour les trains, et non pas en fonction du tonnage ou du type de trafic. Les limites exposées dans le RSV relativement aux défauts de la géométrie de la voie sont basées sur la vitesse des trains plutôt que sur la résistance de la voie, bien qu'aux alinéas II c) et IV a) de la section F de la partie II, on tienne compte du tonnage pour déterminer la fréquence des inspections de la voie et des rails. Les compagnies ferroviaires déterminent la vitesse des trains en tenant compte des besoins de leur exploitation et elles doivent entretenir les voies conformément aux exigences énoncées dans le RSV pour la catégorie de voie, quels que soient la charge par essieu ou le tonnage des trains qui circulent dans le tronçon en question.
Avant l'entrée en vigueur du RSV, les normes du CN concernant la construction de nouvelles voies principales ou l'amélioration des voies principales existantes étaient celles qui figuraient dans sa CMN 1301. Les normes en question se fondaient sur une formule du rapport tonnage-vitesse (RTV) qui prenait en compte le tonnage des trains de voyageurs, de marchandises et de messageries et les vitesses maximales énoncées dans la CMN 1300 du CN :
RTV = (P x 1,01Sp) + (F x 1,01Sf) + (E x 1,01Se)
Les lettres P, F et E correspondent respectivement au tonnage annuel des trains de voyageurs, de marchandises et de messageries, et les lettres Sp, Sf et Se représentent les facteurs de vitesse des trains de voyageurs, de marchandises et de messageries respectivement, lesquels sont basés sur la vitesse des trains. Plus le RTV est élevé, plus les normes de construction et d'amélioration des voies sont strictes. Les normes de construction et d'amélioration se basaient sur ces critères, mais la formule du RTV est devenue désuète après l'adoption du RSV en 1992. La CMN 1300 est devenue désuète après 1998. Les normes de construction et d'amélioration des voies se fondent maintenant sur la vitesse et sur les catégories de voies énoncées dans le RSV, et ne tiennent aucunement compte du tonnage ou de la charge par essieu.
Même si la formule du RTV prenait le tonnage en considération, elle ne donnait pas une idée exacte des effets attribuables aux fortes charges par essieu et à la vitesse, étant donné que la base de calcul (1,01) et les facteurs de vitesse placés en exposant dans la formule RTV étaient les mêmes pour les trains de voyageurs, les trains de marchandises et les trains de messageries. En outre, les facteurs de vitesse augmentaient de façon linéaire par rapport à la vitesse des trains, alors que la relation entre la vitesse et les effets des fortes charges par essieu n'est pas nécessairement linéaire. Sur des voies bien entretenues dont le ballast et la surface sont en bon état, l'accroissement des charges par essieu n'entraînerait pas nécessairement une augmentation exponentielle de la sollicitation dynamique. Par contre, sur une voie dont l'état géométrique laisse à désirer et dont certains joints sont mal supportés, l'accroissement des charges par essieu entraînera une augmentation non linéaire et exponentielle de la sollicitation dynamique, et ce même si le matériel roulant se compose de wagons de conception récente et améliorée.
Aucune des NT du CFCP ne porte spécifiquement sur les normes de construction. On traite du poids des rails et des types de rails dans la NT 09 Rail, et ce poids et ces types de rails dépendent des catégories de voies et du tonnage ainsi que des catégories de voies du RSV. Les normes concernant les rails, les attaches, les traverses et le ballast figurent dans d'autres NT portant sur ces éléments.
Le fait de réduire la vitesse des trains ou d'abaisser la classification des voies permet de différer des programmes d'amélioration de l'infrastructure ou d'accroître les activités d'entretien, et permet aussi d'atténuer les charges d'impact et la dégradation de la voie à court et à moyen terme. À long terme, l'acheminement d'un trafic de trains-blocs vraquiers circulant à vitesse réduite sur des voies principales de deuxième catégorie qui sont tout juste conformes aux normes présente des risques pour la sécurité, et à plus forte raison si les travaux d'amélioration de l'infrastructure ou l'accroissement des activités d'entretien ne se concrétisent pas. En 2004, Transports Canada a fait savoir que son groupe de travail responsable du Règlement sur la sécurité de la voie prendra en compte les effets des fortes charges par essieu, du tonnage et de la fréquence des trains dans le cadre de la révision du RSV.
À plus long terme, l'acheminement de trains-blocs vraquiers circulant à vitesse réduite sur des voies principales de deuxième catégorie qui satisfont tout juste aux normes relatives à la vitesse maximale sur des voies de catégorie inférieure présente des risques à long terme pour la sécurité, surtout si les travaux d'amélioration des voies ou l'accroissement des activités d'entretien ne se concrétisent pas.
Il se peut que l'application du RSV existant ne soit pas suffisante pour assurer la sécurité, étant donné que le règlement ne tient pas suffisamment compte des effets indésirables à long terme que l'accroissement du trafic ferroviaire et des charges par essieu peut avoir sur les voies principales de deuxième catégorie ou les voies de dérivation.
3.0 Faits établis
- Les résultats de l'analyse statistique montrent qu'il y a une corrélation étroite et statistiquement significative entre le tonnage annuel de vrac et le taux de défauts de rail, mais pas entre le tonnage global et le taux de défauts de rail.
- Quand le poids des rails est inférieur à 130 livres, l'accroissement du tonnage de trains-blocs vraquiers entraîne une augmentation significative du nombre de défauts de rail, d'où un risque accru de déraillements dus à la rupture de rails.
- Bien que les compagnies ferroviaires se rendent compte de la dégradation accélérée de la voie qui est associée au trafic de trains-blocs vraquiers sur les voies principales de deuxième catégorie, les dossiers sur les événements montrent qu'on n'est pas encore parvenu à un point d'équilibre entre l'augmentation de la dégradation de la voie et les besoins opportuns d'entretien ou de renouvellement de l'infrastructure.
- Bien qu'il incombe aux compagnies ferroviaires de prendre des mesures pour veiller à ce que les voies ferrées soient sûres et conformes au Règlement sur la sécurité de la voie (RSV), il se peut que l'application du RSV ne soit pas suffisante pour assurer la sécurité, étant donné qu'il ne tient pas suffisamment compte des effets indésirables à long terme que l'accroissement du trafic, et plus particulièrement du trafic de trains-blocs vraquiers, peut avoir sur les voies principales de deuxième catégorie ou les voies de dérivation.
- Des joints de rail mal inspectés et entretenus rendent les réseaux ferroviaires particulièrement vulnérables et présentent des risques d'aggravation des défauts et de rupture. Les inspections des joints de rail qui sont faites à l'aide du matériel actuel de détection des défauts de rail ou par les voitures actuelles de contrôle de l'état géométrique de la voie ne permettent pas de déceler les défauts qui affectent les éclisses.
- Il continue d'y avoir des risques de fissuration par fatigue autour des trous d'éclissage parce que le chanfreinage des trous percés sur place n'est pas obligatoire.
- Bien que la vérification des défauts de rail permette d'atténuer les risques de déraillements causés par la rupture de rails, les méthodes de détection des défauts actuellement utilisées ne sont pas en mesure de détecter tous les défauts internes de rail.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le 25 mai 2006.