Détermination des dangers dans le cadre des décisions relatives à la gestion des ressources halieutiques commun
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada recommande que le ministère des Pêches et des Océans veille à ce que les politiques, les procédures et les pratiques prévoient une détermination exhaustive des dangers et une évaluation des risques connexes pour les pêcheurs lorsque des décisions relatives à la gestion des ressources halieutiques sont prises et intègre une expertise indépendante en matière de sécurité à ces processus.
Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime
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Date à laquelle la recommandation a été émise |
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Date de la dernière réponse |
Février 2024
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Date de la dernière évaluation |
Mai 2024
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Évaluation de la réponse à la recommandation |
Évaluation impossible
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État du dossier |
Actif
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Résumé de l’événement
Le 1er avril 2021, Pêches et Océans Canada (MPO) a évalué les conditions météorologiques et a avisé les pêcheurs que la pêche au crabe des neiges dans la zone 12 du golfe du Saint-Laurent ouvrirait à 0 h 01 le 3 avril 2021. Au moment où l’avis a été émis, il y avait de la glace dans le port de Richibucto (Nouveau-Brunswick) et il a fallu utiliser une excavatrice pour briser la glace au quai afin de mettre le Tyhawk à l’eau.
Le 2 avril à 4 h 35, le capitaine et 4 membres d’équipage ont quitté Richibucto (Nouveau-Brunswick) pour se rendre à Chéticamp (Nouvelle-Écosse) à bord du Tyhawk, un bateau de pêche non ponté d’une longueur de 13,61 m, pour la saison. Ils ont été rejoints à Chéticamp par 4 autres membres d’équipage, venus de Richibucto en voiture.
Le 3 avril, à partir de 2 h 40 approximativement, le Tyhawk a effectué 2 voyages entre Chéticamp et les lieux de pêche. Lors du 1er voyage, effectué par le capitaine et les 8 membres d’équipage, ils ont posé environ 75 casiers à crabes. Au cours de ce voyage, une accumulation de glace s’est formée sur le bateau. Lors du 2e voyage, le capitaine et 4 membres d’équipage ont repris la mer pour poser une cinquantaine de casiers à crabes supplémentaires.
Pendant le voyage vers les lieux de pêche, le capitaine et 3 membres d’équipage ont fait une sieste dans les emménagements alors qu’un autre membre d’équipage assurait le quart. Les vents étaient passés de 20 à 25 nœuds avec des vagues de 1 à 2 m. Les vagues s’abattaient à tribord alors qu’il tombait de la pluie et de la pluie verglaçante. Un 2e membre d’équipage s’est présenté à la timonerie où il a remarqué une accumulation d’eau dans la cale. Il a appelé le capitaine et les autres membres d’équipage, puis les pompes de cale ont été mises en marche. Peu après, un membre d’équipage s’est rendu sous le pont amovible pour récupérer une partie des engins et a constaté la présence d’eau sur le pont principal. Il a alerté les autres membres d’équipage, puis on a changé la configuration de la pompe à grand débit pour assécher la cale. À ce moment-là, les conditions météorologiques ont semblé s’aggraver et les mouvements du bateau se sont intensifiés. À la suite d’une gîte importante sur tribord, le pont principal du bateau a été submergé, ce qui a eu pour effet de faire pénétrer de l’eau dans le Tyhawk, en plus de l’eau qui se trouvait déjà sur le pont.
Les membres d’équipage n’ont pas été en mesure d’atteindre les gilets de sauvetage et les combinaisons d’immersion rangés dans les emménagements ni de mettre à l’eau le radeau de sauvetage, qui avait glissé sous le pont amovible. Peu après, le Tyhawk a chaviré et le capitaine et les membres d’équipage sont montés sur la coque renversée. Un membre d’équipage a composé le 911. La radiobalise de localisation des sinistres (RLS) automatique s’est dégagée et, à 17 h 50, le Centre conjoint de coordination de sauvetage de Halifax a été avisé d’un signal RLS en provenance du Tyhawk.
Alors que le Tyhawk renversé s’enfonçait davantage dans l’eau, les vagues ont balayé à plusieurs reprises le capitaine et un membre d’équipage de la coque et les ont projetés dans l’eau. Le capitaine et ce membre d’équipage ont fini par rester dans l’eau. Le bateau de pêche Northumberland Spray est arrivé sur les lieux et a secouru les 4 membres d’équipage du Tyhawk, mais le capitaine n’a pas pu être retrouvé. Le Northumberland Spray est rentré à Chéticamp et les 4 membres d’équipage ont reçu des soins médicaux. La mort d’un membre d’équipage a été déclarée. Les recherches pour retrouver le capitaine se sont poursuivies toute la nuit ainsi que toute la journée du lendemain. À 19 h 55 le 4 avril 2021, l’affaire a été confiée à la GRC comme cas de personne disparue.
Le Bureau a conclu son enquête et publié le rapport M21A0065 le 22 novembre 2023.
Justification de la recommandation
Dans l’événement à l’étude, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a devancé la date d’ouverture de la pêche au crabe des neiges de près de 3 semaines par rapport aux années précédentes. Cette décision était fondée sur l’avis d’un sous-comité composé de représentants de l’industrie et du gouvernement. Le MPO et les membres du sous-comité ont traité le choix de la date et de l’heure d’ouverture de la pêche au crabe des neiges de 2021 comme un exercice de routine. Par conséquent, les dangers que présentait le changement de date, qui augmenterait la probabilité d’eau plus froide, de glace et de pluie verglaçante, ou l’ouverture de la pêche à minuit, qui accroîtrait le risque de fatigue, n’ont pas été cernés ou évalués afin de relever leurs répercussions sur la sécurité.
Les décisions relatives à la gestion des ressources halieutiques (GRH) sont complexes, car elles doivent équilibrer les préoccupations en matière d’économie, de conservation et de sécurité, ainsi que leurs interactions et leurs effets cumulatifs. En 2021, la décision d’ouverture de la saison a été influencée par de nombreuses mesures et politiques en matière de GRH. Tous les bateaux de pêche commerciale au Canada, dont le nombre est estimé entre 18 000 et 29 000En date du 31 mars 2023, les dossiers de TC faisaient état de 18 365 navires dûment immatriculés auprès de TC en tant que bateaux de pêche. L’immatriculation d’un navire peut être suspendue pour diverses raisons pendant que celui-ci continue ses activités de pêche. Si l’on inclut les bâtiments suspendus, le nombre de navires immatriculés auprès de TC en tant que bateaux de pêche s’élevait à 25 410. Quelques milliers d’autres bateaux de pêche reçoivent des permis de pêche commerciale, mais ne sont peut-être pas immatriculés auprès de TC. Voir la recommandation M22-01 du BST sur la sécurité du transport maritime pour en savoir plus sur le contexte et les mises à jour., sont assujettis à des mesures de GRH qui influencent les actions et les comportements des pêcheursRapport d’enquête maritime M09Z0001 du BST, Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada..
Le BST a déjà enquêté sur des événements où des mesures de GRH ont été mises en œuvre et où la sécurité des pêcheurs a été compromise. Par exemple, en septembre 2018, 2 personnes ont perdu la vie lorsque le bateau de pêche Kyla Ann a chaviré près du cap North (Île-du-Prince-Édouard), alors qu’il suivait un corridor défini par le MPO au lieu de la route de navigation établieRapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M18A0303 du BST. Le navire a chaviré alors qu’il respectait les exigences du permis du MPO relatives à l’utilisation d’un corridor de déplacement défini au lieu d’emprunter la route de navigation établie la plus sûre. Le corridor de déplacement a été défini dans le cadre des mesures d’application de la gestion des ressources halieutiques.. En 2016, 2 personnes ont perdu la vie et 2 autres ont été présumées noyées après que l’équipage du Pop’s Pride a navigué dans des conditions de mer défavorables afin de s’assurer que les mesures de GRH étaient respectéesRapport d’enquête maritime M16A0327 du BST.. Le BST a publié en 2012 son Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada, selon laquelle la GRH figure parmi les 10 principaux enjeux de sécurité liés aux accidents de pêche. D’après ce rapport, « [l]e fait de se conformer aux mesures de gestion des ressources halieutiques peut aussi amener les pêcheurs à courir des risques » et on y exprime la préoccupation « que les risques pour la sécurité associés aux mesures de gestion des pêches ne soient pas cernés et corrigés convenablementRapport d’enquête maritime M09Z0001 du BST, Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada.».
Les mesures de GRH peuvent avoir des conséquences positives pour la sécurité, indépendamment du fait qu’elles aient été mises en œuvre pour cette raison ou non. À titre d’exemple, dans les régions de la Colombie-Britannique et du Québec, certaines pêches sont limitées aux heures de clarté.
Les décisions complexes, comme celles relatives à la GRH, doivent tenir compte de l’ensemble des domaines et des interactions pertinents et être appuyées par une évaluation complète et méthodique des risques. La qualité d’une évaluation des risques dépend de la rigueur avec laquelle les dangers sont recensés. Pour déterminer le plus grand nombre de dangers possible, tous les renseignements pertinents doivent être examinés par des experts dans leur domaine, y compris des experts indépendants en matière de sécurité qui ne sont pas concernés par les décisions.
Lorsque les mesures et les décisions en matière de GRH ne tiennent pas compte des interactions entre les facteurs économiques, de conservation et de sécurité, y compris leurs effets cumulatifs, il se peut que des décisions touchant des situations nouvelles et complexes soient prises sans que les dangers pour la sécurité aient été convenablement recensés, ce qui accroît les risques pour la sécurité des pêcheurs. Par conséquent, le Bureau a recommandé que
le ministère des Pêches et des Océans veille à ce que les politiques, les procédures et les pratiques prévoient une détermination exhaustive des dangers et une évaluation des risques connexes pour les pêcheurs lorsque des décisions relatives à la gestion des ressources halieutiques sont prises et intègre une expertise indépendante en matière de sécurité à ces processus.
Recommandation M23-08 du BST
Réponses et évaluations antérieures
S.O.
Réponse et évaluation les plus récentes
Février 2024 : réponse du ministère des Pêches et Océans
Le Ministère s’affaire à analyser et à explorer diverses options pour résoudre cette recommandation, dans le but d'intégrer d'autres aspects de la sécurité dans les processus à partir de 2024, le cas échéant. Nous accordons une attention particulière au processus d’ouverture de la pêche et à la manière de relever les dangers et les risques s’y rattachant, ainsi qu’aux domaines où nous pourrions intégrer une expertise indépendante en matière de sécurité. Nous étudierons en outre certains domaines liés à d’autres décisions de gestion des ressources où des ajustements pourraient être apportés afin d’atténuer les risques pour les pêcheurs.
Bien que l’élaboration et la mise en œuvre d’analyses et de procédures puissent prendre du temps, nous sommes impatients de soutenir la réduction des risques sur l’eau sans ajouter des coûts ou une complexité inutile aux activités des pêcheurs commerciaux. En tant que tel, le Ministère a récemment élaboré et mis en œuvre un plan de communication visant à fournir des rappels et des conseils de sécurité aux pêcheurs au moyen des médias sociaux. Cette initiative est le résultat direct de la rétroaction du secteur concernant l’amélioration de la communication et de l’éducation. En outre, le MPO continue de travailler avec tous ses partenaires, en particulier Transports Canada, afin de promouvoir et de faire progresser la sécurité en mer.
Mai 2024 : évaluation de la réponse par le BST (évaluation impossible)
Le ministère des Pêches et des Océans (MPO) indique qu’il évalue actuellement la meilleure façon de donner suite à cette recommandation. Le Ministère se penche notamment sur le processus pour déterminer quand ouvrir les pêches et où une expertise indépendante en matière de sécurité pourrait être intégrée. De plus, il examine les domaines relatifs à d’autres décisions de gestion des ressources où les risques pourraient être réduits au minimum. Entre-temps, le MPO fournira des rappels et des conseils de sécurité aux pêcheurs sur les médias sociaux dans le cadre de son plan de communication nouvellement mis en œuvre, et il poursuivra son travail de collaboration avec d’autres ministères, tels que Transports Canada, afin de faire progresser la question de la sécurité en mer.
Le Bureau reconnaît que le MPO a pris acte de la recommandation et qu’il étudie la meilleure façon d’y donner suite. Le Bureau trouve encourageant que le MPO joue un rôle plus actif dans la promotion de la sécurité en mer pour les pêcheurs. Toutefois, le MPO n’a pas encore présenté de plan sur la façon dont il donnera suite à la recommandation. Par conséquent, à l’égard de la réponse du MPO à la recommandation M23-08, le Bureau estime que son évaluation est impossible.
État du dossier
Le BST surveillera les mesures prises par le ministère des Pêches et des Océans.
Le présent dossier est actif.