Chavirement avec perte de vie
Bateau de pêche Tyhawk
Golfe du Saint-Laurent, 20 milles marins à l’ouest de Chéticamp (Nouvelle-Écosse)
L'événement
Le 1er avril 2021, Pêches et Océans Canada (MPO) a évalué les conditions météorologiques et a avisé les pêcheurs que la pêche au crabe des neiges dans la zone 12 du golfe du Saint-Laurent ouvrirait à 0 h 01 le 3 avril 2021. Au moment où l’avis a été émis, il y avait de la glace dans le port de Richibucto (Nouveau-Brunswick) et il a fallu utiliser une excavatrice pour briser la glace au quai afin de mettre le Tyhawk à l’eau.
Le 2 avril à 4 h 35, le capitaine et 4 membres d’équipage ont quitté Richibucto (Nouveau-Brunswick) pour se rendre à Chéticamp (Nouvelle-Écosse) à bord du Tyhawk, un bateau de pêche non ponté d’une longueur de 13,61 m, pour la saison. Ils ont été rejoints à Chéticamp par 4 autres membres d’équipage, venus de Richibucto en voiture.
Le 3 avril, à partir de 2 h 40 approximativement, le Tyhawk a effectué 2 voyages entre Chéticamp et les lieux de pêche. Lors du 1er voyage, effectué par le capitaine et les 8 membres d’équipage, ils ont posé environ 75 casiers à crabes. Au cours de ce voyage, une accumulation de glace s’est formée sur le bateau. Lors du 2e voyage, le capitaine et 4 membres d’équipage ont repris la mer pour poser une cinquantaine de casiers à crabes supplémentaires.
Pendant le voyage vers les lieux de pêche, le capitaine et 3 membres d’équipage ont fait une sieste dans les emménagements alors qu’un autre membre d’équipage assurait le quart. Les vents étaient passés de 20 à 25 nœuds avec des vagues de 1 à 2 m. Les vagues s’abattaient à tribord alors qu’il tombait de la pluie et de la pluie verglaçante. Un 2e membre d’équipage s’est présenté à la timonerie où il a remarqué une accumulation d’eau dans la cale. Il a appelé le capitaine et les autres membres d’équipage, puis les pompes de cale ont été mises en marche. Peu après, un membre d’équipage s’est rendu sous le pont amovible pour récupérer une partie des engins et a constaté la présence d’eau sur le pont principal. Il a alerté les autres membres d’équipage, puis on a changé la configuration de la pompe à grand débit pour assécher la cale. À ce moment-là, les conditions météorologiques ont semblé s’aggraver et les mouvements du bateau se sont intensifiés. À la suite d’une gîte importante sur tribord, le pont principal du bateau a été submergé, ce qui a eu pour effet de faire pénétrer de l’eau dans le Tyhawk, en plus de l’eau qui se trouvait déjà sur le pont.
Les membres d’équipage n’ont pas été en mesure d’atteindre les gilets de sauvetage et les combinaisons d’immersion rangés dans les emménagements ni de mettre à l’eau le radeau de sauvetage, qui avait glissé sous le pont amovible. Peu après, le Tyhawk a chaviré et le capitaine et les membres d’équipage sont montés sur la coque renversée. Un membre d’équipage a composé le 911. La radiobalise de localisation des sinistres (RLS) automatique s’est dégagée et, à 17 h 50, le Centre conjoint de coordination de sauvetage de Halifax a été avisé d’un signal RLS en provenance du Tyhawk.
Alors que le Tyhawk renversé s’enfonçait davantage dans l’eau, les vagues ont balayé à plusieurs reprises le capitaine et un membre d’équipage de la coque et les ont projetés dans l’eau. Le capitaine et ce membre d’équipage ont fini par rester dans l’eau. Le bateau de pêche Northumberland Spray est arrivé sur les lieux et a secouru les 4 membres d’équipage du Tyhawk, mais le capitaine n’a pas pu être retrouvé. Le Northumberland Spray est rentré à Chéticamp et les 4 membres d’équipage ont reçu des soins médicaux. La mort d’un membre d’équipage a été déclarée. Les recherches pour retrouver le capitaine se sont poursuivies toute la nuit ainsi que toute la journée du lendemain. À 19 h 55 le 4 avril 2021, l’affaire a été confiée à la GRC comme cas de personne disparue.
Modifications sans évaluation de la stabilité
Le Tyhawk avait été modifié par l’ajout d’un pont amovible. L’enquête a permis de déterminer que la stabilité du Tyhawk avait été compromise en partie par l’ajout du pont amovible, dont les effets sur la stabilité du bateau n’avaient pas été évalués. En 2013, Transports Canada (TC) a inspecté le bateau, a émis un avis de défaut en raison du pont amovible et a exigé une évaluation de la stabilité. Le capitaine a rempli un questionnaire sur la stabilité en mai 2015 et a indiqué la présence d’un pont amovible, mais n’a pas reconnu que ce dernier constituait une modification qui exigerait une évaluation de la stabilité. L’évaluation de la stabilité exigée par TC n’a pas été réalisée et les documents d’inspection ultérieurs de TC ne mentionnaient pas le pont amovible.
En ce qui concerne les petits bateaux de pêche et les autres petits bâtiments commerciaux (d’une jauge brute de 15 et moins) qui ne sont pas des navires à passagers, les définitions de « modification importante » (quelque chose qui « change considérablement » la capacité ou les dimensions d’un bâtiment de pêche) et les exigences relatives à une évaluation de la stabilité (quelque chose qui risque de compromettre la stabilité) sont qualitatives et sujettes à interprétation. Il incombe au représentant autorisé (RA) de déterminer si une modification est importante.
Bien que TC fournisse des lignes directrices pour aider les RA et les capitaines à cerner les modifications importantes, leur respect est de nature volontaire. De plus, les lignes directrices sont qualitatives et exigent une connaissance des principes de stabilité pour être interprétées correctement.
En l’absence d’une définition objective de « modification importante », il est possible que les effets d’une modification importante sur la stabilité d’un navire ne soient pas cernés par les RA, les capitaines et TC. Il existe donc un risque que les navires soient exploités sans disposer d’une stabilité suffisante pour les opérations auxquelles ils sont destinés. Par conséquent, le Bureau recommande que le ministère des Transports établisse des critères objectifs pour définir les modifications importantes apportées aux petits bateaux de pêche et autres petits bâtiments commerciaux (recommandation M23-06 du BST).
De plus, TC n’exige pas que les RA obtiennent une approbation préalable des modifications prévues ou qu’ils les fassent évaluer, ce qui pourrait également aider à déterminer si une modification risque de compromettre la stabilité. Une évaluation systématique menée par une personne compétente de l’ensemble des modifications prévues, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays, peut aider à déterminer celles qui constituent des modifications importantes et la nécessité d’entreprendre une évaluation de la stabilité. La surveillance réglementaire permet à TC d’évaluer les registres des modifications. Étant donné que les petits bateaux de pêche et les autres petits bâtiments commerciaux changent souvent de propriétaire, le fait d’avoir un registre établi des modifications peut aider à garantir que les RA, les capitaines et TC disposent de renseignements complets et à jour lorsqu’ils évaluent la stabilité des navires. Par conséquent, le Bureau recommande que le ministère des Transports exige que les modifications prévues aux petits bateaux de pêche et autres petits bâtiments commerciaux soient évaluées par une personne compétente, que tous les registres des modifications apportées à ces bateaux soient tenus à jour et que les registres soient mis à la disposition du ministère (recommandation M23-07 du BST).
Détermination des dangers dans le cadre de la gestion des ressources halieutiques
La perception du capitaine à l’égard du risque lié à l’opération de pêche prévue a été influencée par plusieurs pressions, notamment les incitatifs économiques et communautaires, les approbations et les certificats, ainsi que les expériences antérieures réussies. Par conséquent, le capitaine est parti en direction des lieux de pêche, en croyant probablement que le bateau était stable et bien adapté à la pêche au crabe des neiges.
Dans l’événement à l’étude, le MPO a devancé la date d’ouverture de la pêche au crabe des neiges de près de 3 semaines par rapport aux dates d’ouverture des années précédentes. Cette décision était fondée sur l’avis d’un sous-comité composé de représentants de l’industrie et du gouvernement. Le MPO et les membres du sous-comité ont traité le choix de la date et de l’heure d’ouverture de la pêche au crabe des neiges de 2021 comme un exercice de routine. Par conséquent, les dangers que présentait le changement de date, tels que la probabilité accrue d’eau plus froide, de glace et de pluie verglaçante, ou l’ouverture de la pêche à minuit, qui accroît le risque de fatigue, n’ont pas été cernés ou évalués afin de relever leurs répercussions sur la sécurité.
Les décisions complexes, comme celles relatives à la gestion des ressources halieutiques, doivent tenir compte de l’ensemble des domaines et des interactions pertinents et être appuyées par une évaluation complète et méthodique des risques. La qualité d’une évaluation des risques dépend de la rigueur avec laquelle les dangers sont recensés. Pour déterminer le plus grand nombre de dangers possible, tous les renseignements pertinents doivent être examinés par des experts dans leur domaine respectif, y compris des experts indépendants en matière de sécurité qui ne sont pas touchés par les décisions.
Lorsque les mesures et les décisions en matière de gestion des ressources halieutiques ne tiennent pas compte des interactions entre les facteurs économiques, de conservation et de sécurité, y compris leurs effets cumulatifs, il se peut que des décisions touchant des situations nouvelles et complexes soient prises sans que les dangers pour la sécurité aient été convenablement recensés, ce qui accroît les risques pour la sécurité des pêcheurs. Par conséquent, le Bureau recommande que le ministère des Pêches et des Océans veille à ce que les politiques, les procédures et les pratiques prévoient une détermination exhaustive des dangers et une évaluation des risques connexes pour les pêcheurs lorsque des décisions relatives à la gestion des ressources halieutiques sont prises et intègre une expertise indépendante en matière de sécurité à ces processus (recommandation M23-08 du BST).
Ressources pour les médias
Communiqué de presse
Le BST émet trois recommandations de sécurité à la suite de l’enquête sur le naufrage du Tyhawk en 2021
Lire le communiqué de presse
Avis aux médias
Le BST émettra trois recommandations à la suite de l’enquête sur le chavirement mortel du bateau de pêche Tyhawk en 2021
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Document d'information
Discours
Informations d'enquête
M21A0065
Chavirement avec perte de vie
Bateau de pêche Tyhawk
Golfe du Saint-Laurent, 20 milles marins à l’ouest de Chéticamp (Nouvelle-Écosse)
Enquêteur désigné
Karie Allen s'est jointe au Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) en mars 2021, à titre d'enquêtrice principale sur les accidents maritimes dans la région de l'Atlantique. Karie a commencé sa carrière en mer en tant qu'élève officier de navigation au Collège de la Garde côtière canadienne. Au cours de ses 26 années d'expérience, Karie a travaillé pour la Garde côtière canadienne dans divers postes en mer et à terre, sur la côte atlantique du Canada et dans tout l'Arctique, notamment en tant que commandante et agent de conformité. Elle est titulaire d'un baccalauréat en technologie - sciences nautiques du Collège de la Garde côtière canadienne et détient un certificat de capitaine au long cours.
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Catégorie de l’enquête
Cette enquête est une enquête de catégorie 2. Ces enquêtes sont complexes et portent sur plusieurs problèmes de sécurité exigeant une analyse approfondie. Les enquêtes de catégorie 2, qui donnent souvent lieu à des recommandations, se concluent généralement en 600 jours. Pour de plus amples renseignements, consultez la Politique de classification des événements.Processus d'enquête du BST
Une enquête du BST se déroule en 3 étapes :
- L'étape du travail sur le terrain : une équipe d'enquêteurs examine le lieu de l'événement et l'épave, interviewe les témoins et recueille toute l'information pertinente.
- L'étape d'examen et d'analyse : le BST examine toute la documentation liée au dossier, effectue des tests en laboratoire sur des composantes de l'épave, établit la chronologie des événements et identifie toute lacune en matière de sécurité. Lorsque le BST soupçonne ou constate des lacunes en matière de sécurité, il en informe sans tarder les organismes concernés sans attendre la parution du rapport final.
- L'étape de production du rapport : une version confidentielle du rapport est approuvée par le Bureau et envoyée aux personnes et organismes qui sont directement touchés par le rapport. Ceux-ci ont l'occasion de contester ou de corriger l'information qu'ils jugent erronée. Le Bureau tient compte de toutes les observations fournies avant d'approuver la version définitive du rapport, qui est ensuite publiée.
Vous trouverez de plus amples détails à la page sur le Déroulement des enquêtes.
Le BST est un organisme indépendant qui mène des enquêtes sur des événements de transport aérien, ferroviaire, maritime et pipelinier. Son seul but est de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n'est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales.