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Publication du rapport d’enquête A21C0038 - Île Griffith

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A21C0038 - Notes d’allocution

Kathy Fox, Présidente du BST
Daryl Collins, Enquêteur désigné  – Aviation
Jean-Pierre Regnier, Enquêteur principal  – Aviation

Ottawa (Ontario), le 15 février 2024
Seul le texte prononcé fait foi.

Kathy Fox

Bonjour à tous, et merci de vous joindre à nous.

Nous sommes ici aujourd’hui pour formular 4 recommandations à l’intention de Transports Canada, à la suite de l’écrasement mortel en 2021 d’un hélicoptère AS 350 [B2] d’Airbus Helicopters, exploité par Great Slave Helicopters 2018 Ltd., sur l’île Griffith, au Nunavut.

Tout d’abord, j’aimerais offrir nos condoléances aux familles des personnes qui ont perdu la vie ce jour-là.

Chaque accident est le produit de nombreux facteurs, et peut souvent être évité. Cet accident n’échappait pas à la règle.

Les lacunes de sécurité que nous allons souligner aujourd’hui ne sont pas nouvelles. Malheureusement, depuis plus de 30 ans, le BST demande la mise en œuvre de mesures de sécurité pour atténuer les risques qui persistent dans les opérations d’hélicoptère par visibilité réduite.

Mais pour commencer, je cède la parole à Jean-Pierre Regnier, enquêteur principal, qui vous relatera les événements de cette journée et expliquera exactement comment et pourquoi les choses se sont déroulées de cette façon.

Jean-Pierre Regnier

Merci, Kathy.

En fin d’après-midi le 25 avril 2021, l’hélicoptère a décollé d’un camp éloigné sur l’île Russell à destination de Resolute Bay, au Nunavut, en raison de l’approche d’un système météorologique prévoyant des conditions de blizzard pour plusieurs jours. À bord se trouvaient le pilote, un technicien d’entretien d’aéronef et un biologiste, rentrant d’un voyage de recherche de 12 jours sur les ours polaires.

Le vol était effectué selon les règles de vol à vue de jour, ce qui signifie que le pilote devait conserver des repères visuels au sol et piloter l’hélicoptère à l’aide de repères extérieurs.

Alors que l’hélicoptère s’approchait de la plus haute élévation de l’île Griffith, le relief uniformément enneigé, le ciel couvert et des bourrasques de neige ont probablement créé des conditions de lumière plate et de voile blanc qui ont entraîné la perte inattendue des repères visuels, aussi appelée « vol par inadvertance dans des conditions météorologiques de vol aux instruments », ou vol par inadvertance dans des IMC.

Ensuite, alors que le pilote tentait vraisemblablement de manœuvrer l’hélicoptère à vue en réaction au vol par inadvertance dans des IMC, une descente non intentionnelle a fait en sorte que l’hélicoptère a percuté le relief, et les trois personnes à bord sont mortes.

Aucune exigence réglementaire n’oblige actuellement les exploitants d’hélicoptères commerciaux à s’assurer que les pilotes disposent de la formation et de la technologie nécessaires pour se sortir d’un vol par inadvertance dans des IMC. L’enquête a permis d’établir que Great Slave Helicopters 2018 Ltd. avait adopté une approche conforme à la réglementation en vigueur, qui mise sur la capacité d’un pilote à éviter un vol par inadvertance dans des IMC. Cette approche est appellée couramment l'approche « éviter à tout prix ».

Lorsque le pilote a perdu ses repères visuels, il n’avait pas les compétences nécessaires pour se sortir de cette situation en utilisant uniquement les instruments de vol. De plus, l’hélicoptère de l’événement à l’étude n’était pas équipé d’une technologie capable d’alerter le pilote de la hauteur de l’hélicoptère au-dessus du sol ou de sa vitesse verticale de descente. Par conséquent, le pilote n’avait aucun moyen d’être averti de la collision imminente avec le relief.

Personne ne planifie de voler par inadvertance dans des IMC. Le nom même donné à cette situation, soit « vol par inadvertance dans des conditions de vol aux instruments », signifie qu’il s’agit d’une situation imprévue. On ne peut pas s’attendre à ce qu’une approche « éviter à tout prix » soit efficace contre une chose qui n’a jamais été planifiée; il faut donc mettre en place pour les pilotes des moyens de défense additionnels, susceptibles de leur sauver la vie.

Je rends maintenant le micro à Kathy, qui vous en apprendra davantage sur les recommandations que nous formulons aujourd’hui.

Kathy Fox

En raison des enjeux que Jean-Pierre vient de soulever, nos deux premières recommandations demandent à Transports Canada d’exiger que les exploitants d’hélicoptères commerciaux :

  1. s’assurent que les pilotes possèdent les compétences nécessaires pour sortir d’un vol par inadvertance dans des IMC [A24-01];
  2. mettent en œuvre une technologie qui aidera les pilotes à éviter les vols par inadvertance dans des IMC et à en sortir [A24-02]

Passons à notre recommandation suivante. Chaque année au Canada, des milliers de pilotes et de passagers se déplacent à bord d’aéronefs monopilotes. Dans bien des cas, ces vols sont effectués dans des régions éloignées, avec un soutien externe minimal. Dans ces environnements, des moyens de défense supplémentaires doivent être mis en place.

Les procédures d’exploitation normalisées sont essentielles, car elles fournissent des solutions efficaces préétablies face à des situations précises susceptibles d’être rencontrées. Cela est particulièrement utile lorsqu’un pilote manque de connaissances et/ou d’expérience dans une situation donnée, par exemple pendant des opérations par visibilité réduite dans des zones sujettes à des conditions de lumière plate et de voile blanc.

Actuellement, ces procédures sont exigées pour les opérations de vol multipilote. Toutefois, les exploitants de vols effectués par un seul pilote ne sont pas tenus de fournir à leurs pilotes des procédures d’exploitation normalisées, ce qui accroît le risque pour les pilotes et les passagers à bord de ces aéronefs.

Par conséquent, la troisième recommandation du Bureau demande à Transports Canada d'exiger que les exploitants privés et commerciaux qui effectuent des opérations à un seul pilote élaborent des procédures d’exploitation normalisées fondées sur les connaissances organisationnelles et les pratiques exemplaires du secteur afin de soutenir la prise de décisions du pilote. [A24-03]

Notre dernière recommandation porte sur le besoin d'améliorer les exigences réglementaires propres aux hélicoptères autorisés à effectuer des opérations par visibilité réduite dans l’espace aérien non contrôlé.

Au Canada, les exploitants d’avions et d’hélicoptères qui respectent certaines exigences peuvent être autorisés par Transports Canada à mener des opérations selon les règles de vol à vue (VFR) dans un espace aérien non contrôlé à des visibilités inférieures aux seuils normalement prescrits pour les opérations selon les règles de vol à vue.

Malgré le fait que les accidents liés à une perte de repères visuels soient plus de deux fois plus susceptibles de toucher des hélicoptères que des avions, les exigences relatives aux limites de visibilité, à l’équipement de bord et à la formation des pilotes sont moins rigoureuses pour les hélicoptères que pour les avions. Ces différences signifient que les hélicoptères peuvent être exploités à une visibilité inférieure de moitié à celle des avions, et ce, sans bénéficier des mêmes moyens de défense que les opérations en avion. 

Par conséquent, le Bureau recommande à Transports Canada de renforcer les exigences imposées aux exploitants d’hélicoptères qui effectuent des opérations par visibilité réduite dans un espace aérien non contrôlé, afin de s’assurer que les pilotes bénéficient d’un degré de protection acceptable contre le vol par inadvertance dans des IMC. [A24-04]

Les risques associés à une perte de repères visuels causée par des conditions de lumière plate et de voile blanc ne sont pas nouveaux. Le BST a identifié la perte de conscience spatiale comme un facteur contributif dans 13 enquêtes touchant des vols commerciaux sur hélicoptères effectués entre 2010 et 2018. En outre, le BST a émis 10 recommandations à Transports Canada visant la prévention des accidents liés au vol par inadvertance dans des IMC.

Bien que certains exploitants aient mis volontairement en œuvre des initiatives de sécurité qui vont au-delà des exigences réglementaires, le coût de la mise en œuvre proactive d’une formation et d’une technologie supplémentaires dans une industrie très concurrentielle dissuade de nombreuses compagnies de le faire.

Néanmoins, nos enquêtes ont démontré que l’approche « éviter à tout prix » du vol par inadvertance dans des IMC n’est pas une stratégie réaliste et qu’il faut aller plus loin.

Assez de personnes sont mortes. Il est temps pour Transports Canada de passer à l’action.

Merci.