Abordage
Vraquier Heloise et remorqueur Ocean Georgie Bain
Port de Montréal (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 3 août 2013, vers 20 h 59, heure avancée de l'Est, il y a abordage entre le vraquier Heloise et le remorqueur Ocean Georgie Bain qui naviguent sur le fleuve Saint-Laurent près de la section 76 du Port de Montréal (Québec). Il n'y a aucun blessé, et l'événement n'entraîne aucune pollution. Le remorqueur est endommagé.
Renseignements de base
Fiches techniques des navires
Nom du navire | Heloise | Ocean Georgie Bain |
---|---|---|
Numéro de registre ou de permis | 4157710 | 833865 |
Numéro OMINote de bas de page * | 9498224 | 9553892 |
Port d'immatriculation | Panama | Québec (Québec) |
Pavillon | Panama | Canadien |
Type | Vraquier | Remorqueur |
Jauge brute | 19 865 tonneaux | 204,21 tonneaux |
LongueurNote de bas de page 1 | 186,0 m | 22,91 m |
Tirant d'eau au moment de l'événement | Avant : 7,97 m Arrière : 8,08 m |
Avant : 2 m Arrière : 4,2 m |
Construction | Shanhaiguan Shipbuilding Industry Co. Ltd. (Chine) 2010 | L'Isle-aux-Coudres (Québec) 2009 |
Propulsion | 1 moteur diésel (7200 kW) entraînant 1 hélice à pas fixe | 2 moteurs diésel (3000 kW) entraînant 2 hélices omnidirectionnelles à entraînement en Z |
Cargaison | 19 163 tonnes de lentilles | s.o. |
Membres d'équipage | 22 | 2 |
Propriétaires enregistrés | Pretty Castle Shipping S.A. | Location Ocean inc. |
Gestionnaires | Parakou Shipping Ltd., Hong Kong (Chine) | Océan Remorquage Montréal inc. (Québec) |
Renseignements sur les navires
Le Heloise
Le Heloise est un transporteur de vracs solides construit en acier; la salle des machines et les quartiers d'équipage se trouvent à l'arrière du navire (photo 1). Ses 7 cales et écoutilles de chargement sont desservies par 3 grues électro-hydrauliques d'une capacité de 36 tonnes installées sur l'axe longitudinal du navire. La passerelle est pourvue d'une console de navigation qui est décalée par rapport à l'axe longitudinal du navire (annexe A). Selon l'endroit où l'on se trouve sur la passerelle, la vue par les fenêtres de la passerelle peut être obstruée par les grues (photo 2 et photo 3). La console de navigation comprend le poste de barre, un transmetteur d'ordres qui permet de commander la propulsion, et 2 radars (3 cm et 10 cm), soit 1 de chaque côté du poste de barre. Les 2 radars sont pourvus d'aides radar au pointage automatique (ARPA). La passerelle est aussi équipée d'un système d'identification automatique (SIA), de 2 radiotéléphones très haute fréquence (VHF), et d'un enregistreur des données du voyage (VDR)Note de bas de page 2. Au moment de l'événement, l'équipage comptait 22 membres, tous d'origine chinoise, et la langue de travail à bord était le mandarin.
L'Ocean Georgie Bain
L'Ocean Georgie Bain est un remorqueur portuaire (photo 4). La passerelle est pourvue d'un système de passerelle intégré (SPI) qui permet la manœuvre par une seule personne et comprend des commandes intégrées de propulsion et de direction, un radar, un système de positionnement mondial (GPS), un système électronique de visualisation des cartes marines (ECS), 2 compas (1 gyroscopique et 1 magnétique), un SIA, un échosondeur, et 2 radios VHF. Le remorqueur est propulsé par 2 hélices omnidirectionnelles à entraînement en Z et est pourvu de l'équipement de lutte contre les incendies. Un siège au poste de conduite fait face vers l'avant, et le poste de conduite offre une vue sur 360 degrés. Sous la passerelle, le rouf principal comprend une cuisine et 3 cabines.
Feux d'artifice et zones d'exclusion
Chaque été, des spectacles de feux d'artifice sont organisés à La Ronde dans le Port de MontréalNote de bas de page 3. En 2013, aux dates prévues, les feux d'artifice avaient lieu entre 22 h et 22 h 30 à partir du dernier week-end de juin jusqu'au premier week-end du mois d'août. Le trafic d'embarcations de plaisance et la quantité de communications radio augmentent graduellement au cours des heures qui précèdent les spectacles de feux d'artifice.
Comme le grand nombre d'embarcations de plaisance dans le chenal de navigation, ou à proximité, peut nuire aux navires commerciaux, l'Administration portuaire de Montréal a établi des zones d'exclusion dans lesquelles la navigation de plaisance et commerciale est interdite durant une période donnée (annexe C). La période d'interdiction de naviguer dans chacune des zones d'exclusion est brève afin de réduire les effets sur la navigation commerciale. De plus, la Garde côtière canadienne (GCC), le Service de police de la Ville de Montréal, et la Sureté du Québec patrouillent les eaux pour assurer le passage sécuritaire des navires commerciaux dans les chenaux de navigation, faire respecter les zones d'exclusion, et venir en aide aux embarcations de plaisance, au besoin.
Déroulement du voyage
Le Heloise
Le 30 juillet 2013, le Heloise a quitté Thunder Bay (Ontario), en direction de Mersin, en Turquie. Au début de la soirée du 3 août, le Heloise avait atteint l'écluse de Saint-Lambert (Québec), où un pilote de la Corporation des Pilotes du Saint-Laurent Central (CPSLC) est monté à bord du navire pour remplacer le pilote de l'Administration de pilotage des Grands Lacs (APGL). Le pilote de la CPSLC est monté à bord à 19 h 48Note de bas de page 4 pour prendre la commande du navire jusqu'à la section 100 du Port de Montréal, où le navire devait faire un court arrêt pour prendre du carburant.
Avant de débarquer, le pilote de l'APGL a averti le pilote de la CPSLC que la communication était difficile avec les membres de l'équipe à la passerelle en raison de leur faible maîtrise de l'anglais. Le capitaine du navire et le pilote de la CPSLC ont échangé des renseignements généraux sur le navire, notamment sur le tirant d'eau, le pas de l'hélice, et le côté choisi pour l'accostage. Peu après être monté à bord, le pilote a informé les Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Montréal du départ imminent du navire. Les SCTM lui ont signalé 2 navires montants dans la voie maritime.
Le pilote a ensuite tenté de brancher son unité de pilotage portable (UPP), mais a eu de la difficulté avec la prise à bord. Le pilote a demandé l'aide de l'officier de quart, qui n'a pas non plus réussi à brancher l'unité. L'UPP n'a donc pas été utilisée. À 20 h 3, le Heloise est sorti de l'écluse pour s'engager dans la partie aval du canal de la Rive-Sud. Vers 20 h 20, le navire avait atteint l'extrémité du mur d'approche de l'écluse inférieure de Saint-Lambert et filait 5,7 nœudsNote de bas de page 5. Le pilote a signalé la position du navire à Voie maritime BeauharnoisNote de bas de page 6 et aux SCTM. Le pilote a aussi demandé l'aide d'un bateau des services de police aux SCTM afin d'éloigner les embarcations de plaisance qui pourraient se trouver sous le pont Jacques-Cartier à la sortie du canal de la Rive-Sud. Les SCTM ont confirmé la demande et ont fourni un rapport à jour du trafic maritime.
À 20 h 34, le navire se trouvait au point d'appel no 2Note de bas de page 7, et le capitaine a quitté la passerelle. L'équipe à la passerelle était alors composée du pilote, de l'officier de quart, et du timonier. Le pilote du Heloise a rappelé les SCTM pour donner sa position. Les SCTM ont signalé que 2 navires étaient montants sur la voie maritime, et qu'un autre approchait du point d'appel no 26, situé par le travers de la section 110 du Port de Montréal. De plus, les SCTM ont confirmé la présence de petits bateaux de passagers dans les environs. Il y a ensuite eu une conversation radio entre le pilote d'un des navires montants et lepilote du Heloise, au cours de laquelle le pilote du navire montant s'est dit inquiet du nombre d'embarcations de plaisance dans les environs. Vers 20 h 40, le Heloise est sorti du canal de la Rive-Sud et est entré dans le chenal principal du fleuve Saint-Laurent, où il a rencontré le premier navire montant.
À peu près au même moment, le remorqueur Ocean Georgie Bain a demandé aux SCTM l'autorisation de quitter la section 57 pour assister un autre navire, l'Acadian, à accoster. Les SCTM ont accordé l'autorisation et ont fourni un rapport à jour du trafic maritime. Six minutes plus tard, à 20 h 46, le remorqueur Ocean Pierre-Julien a appelé les SCTM pour obtenir la même autorisation. Il a obtenu la permission de procéder, et les SCTM lui ont transmis le même message sur le trafic montant. À ce moment-là, le Heloise passait par le travers de la section 51 à une vitesse de 11,7 nœuds, et l'Ocean Georgie Bain était visible à une distance d'environ 0,9 mille marin (NM)Note de bas de page 8 (annexe B).
À 20 h 50, le Heloise a rencontré le second navire montant et, au même moment, le remorqueur Ocean Georgie Bain entrait dans le chenal principal à une vitesse de 9 nœuds. Le pilote du Heloise pouvait voir le remorqueur et a estimé qu'il se trouvait à environ 1 NM devant le Heloise, avec un relèvement constant légèrement sur bâbord. À 20 h 54, l'Ocean Georgie Bain avait ralenti à 5,3 nœuds et se trouvait près du centre du chenal principal, du côté utilisé par les navires montants, par le travers de la section 75. La distance entre le remorqueur et le Heloise était réduite à environ 0,6 NM, et le pilote pouvait encore voir le remorqueur légèrement sur bâbord.
À 20 h 56, le pilote du Heloise, qui avait vu des embarcations de plaisance devant et venant dans la direction opposée, a demandé à l'officier de quart d'allumer les lumières de pont avant afin de rendre le navire plus visible. Il a répété l'ordre 2 fois, mais aucun geste n'a été posé. Le pilote a alors demandé qu'un membre de l'équipage se place à l'avant, sur le pont de gaillard, prêt aux ancres, et que le capitaine vienne sur la passerelle. À l'arrivée du capitaine sur la passerelle, le pilote a de nouveau demandé d'allumer les lumières de pont avant, ce que le capitaine a fait. Toutefois, le capitaine n'a pas été informé que le pilote avait demandé qu'un membre de l'équipage se place prêt aux ancres, et cet ordre n'a pas été respecté. L'officier de quart se trouvait alors au radar de tribord, près du transmetteur d'ordres, et attendait les ordres du pilote.
Le pilote, qui se trouvait à bâbord sur la passerelle, a alors observé 3 embarcations de plaisance devant le Heloise, qui venaient en direction opposée du navire. Deux d'entre elles ont changé de cap pour se diriger du côté tribord en vue d'une rencontre bâbord à bâbord. La troisième a changé de cap pour se diriger du côté bâbord et, ce faisant, est disparue de la ligne de visibilité, derrière les grues du Heloise. Le pilote s'est dirigé du côté tribord de la passerelle afin de voir la troisième embarcation de plaisance, perdant de vue l'Ocean Georgie Bain. Ne pouvant pas voir l'embarcation de plaisance, le pilote a modifié le cap à bâbord, sur 009° gyro, plus tôt de prévu; il était 20 h 57, et la distance entre le remorqueur et le navire avait diminué à 0,25 NM.
À 20 h 57 min 47 sNote de bas de page 9, lorsque l'embarcation de plaisance est devenue visible à tribord, le pilote a arrêté l'évitement du navire à bâbord en ordonnant de mettre la barre à tribord 20° puis, à 20 h 58 min 2 s, de mettre la barre à tribord toute. À 20 h 58 min 30 s, le pilote a ordonné de mettre la barre à tribord 10°. Après l'évitement du navire, le pilote a donné l'ordre de maintenir le cap sur 357° vrais. À 20 h 58 min 38 s, le remorqueur se trouvait à moins de 100 m, et le pilote se trouvait du côté tribord. Pendant que le pilote retournait du côté bâbord de la passerelle, un crissement s'est fait entendre, et le pilote a vu l'Ocean Georgie Bain sur l'avant bâbord qui s'éloignait du Heloise.
L'Ocean Georgie Bain
Le 3 juillet, le remorqueur Ocean Georgie Bain était affecté pour assister à l'accostage du navire Acadian à la section 74 au Port de Montréal. L'équipage était composé du capitaine et d'un mécanicien. Le mécanicien agissait à la fois à titre de mécanicien et de matelot de pont (ci-après appelé le mécanicien). Vers 20 h 40, le capitaine a communiqué avec les SCTM, par radio VHF, pour demander l'autorisation de quitter la section 57 et de naviguer vers l'aval afin de rencontrer et d'assister le navire Acadian qui remontait. Les SCTM ont confirmé la demande, accordé l'autorisation, et informé le capitaine de l'état du trafic en signalant la présence de 2 navires montants, dont l'Acadian. Le mécanicien a largué les amarres, puis est allé vérifier la salle des machines. Le remorqueur a quitté la section 57 et s'est dirigé vers l'aval. Peu de temps après, le mécanicien est monté sur la passerelle.
Puisque la visibilité était bonne, le capitaine a choisi de naviguer en utilisant les repères visuels et, par conséquent, n'a pas mis en marche le radar. Le système électronique de visualisation des cartes marines (ECS) était en fonction, mais l'éclairage de son écran était réglé au minimum, et le système n'a pas été utilisé pendant le voyage. Après avoir quitté le bassin, le remorqueur a navigué à une vitesse approximative de 13 nœuds au nord du chenal principal jusqu'à la section 71, où il est entré dans le chenal. Au cours du voyage, le mécanicien a vu que le Heloise se trouvait à une certaine distance à l'arrière du remorqueur, naviguant dans la même direction, mais n'a pas transmis ce renseignement au capitaine. À 20 h 50, le capitaine a réduit la vitesse du remorqueur à 9 nœuds. Entre 20 h 50 et 20 h 56, le capitaine a poursuivi la réduction graduelle de la vitesse jusqu'à 3,6 nœuds. Une fois le remorqueur près du centre du chenal principal de navigation utilisé par les navires montants et par le travers de la section 76, le capitaine a dégagé l'embrayage des 2 moteurs pour laisser le remorqueur dériver au rythme du courant, vers le nord, face à l'Acadian, qui remontait. Le capitaine a parfois dû réengager l'embrayage des moteurs afin de maintenir le cap du remorqueur.
Pendant que le remorqueur dérivait lentement avec le courant, le mécanicien de l'Ocean Georgie Bain a demandé au capitaine s'il pouvait descendre pour aller chercher un café. Le capitaine a accepté, et le mécanicien a quitté la passerelle. À 20 h 58, le remorqueur dérivait vers le nord à une vitesse de 2,8 nœuds. Juste avant 20 h 59, le capitaine a aperçu une ombre sur la passerelle. L'étrave à bulbe du Heloise a ensuite heurté la hanche tribord du remorqueur, et l'ancre bâbord a brisé les fenêtres de passerelle du remorqueur. Le capitaine a engagé l'embrayage des 2 moteurs et dirigé le propulseur à entraînement en Z latéralement à pleine puissance à bâbord pour s'écarter du Heloise.
Après l'abordage, le capitaine et le mécanicien de l'Ocean Georgie Bain ont confirmé qu'ils n'étaient pas blessés. Le mécanicien a ensuite inspecté le navire pour détecter toute voie d'eau. Le pilote du Heloise et le capitaine de l'Ocean Georgie Bain ont communiqué par radio VHF et confirmé l'abordage. Les SCTM ont par la suite communiqué avec les 2 navires pour confirmer l'abordage. L'Ocean Georgie Bain a complété son affectation et a assisté l'Acadian à accoster, alors que le Heloise a continué son trajet jusqu'à la section 100 où, après l'accostage, le capitaine et le pilote ont inspecté le navire pour évaluer les avaries.
Avaries subies par les navires
Une inspection effectuée après l'événement a permis de constater que l'Ocean Georgie Bain a subi les avaries que voici : la timonerie a été enfoncée vers l'intérieur au coin tribord arrière, 10 fenêtres de passerelle ont été brisées, 7 cadres de fenêtre ont été tordus et déformés, le tuyau d'échappement du moteur principal à tribord a été déconnecté du pont, et le tuyau d'échappement du moteur auxiliaire à tribord a été tordu et s'est rompu au-dessus du point de fixation au pont. Le navire a été mis en cale sèche et est demeuré hors service durant presque 7 semaines.
Le Heloise n'a subi aucune avarie, mais sa coque présentait des traces de caoutchouc noires provenant des défenses de l'Ocean Georgie Bain.
Conditions environnementales
Au moment de l'événement, le ciel était clair, et les vents soufflaient de l'ouest à une vitesse de 5 à 7 nœuds. Le coucher du soleil a eu lieu à 20 h 20 ce soir-là. Il n'y a pas de marée au Port de Montréal, et la vitesse moyenne du courant dans le port est de 2 nœuds environ.
Brevets et expérience du personnel
Le Heloise
Tous les membres d'équipage du Heloise possédaient les brevets appropriés pour les postes qu'ils occupaient à bord. Le capitaine détenait un brevet de capitaine au long cours émis par la Régie de la sécurité maritime (MSA) de la Chine le 24 janvier 2009. Le capitaine s'est joint à l'entreprise, et à l'équipage du Heloise, le 3 avril 2013.
L'officier de quart a reçu un brevet d'officier de pont de quart le 9 janvier 2009. L'officier de quart naviguait à titre d'officier de pont depuis juin 2013, mois où il s'est joint à l'équipage du Heloise. Le timonier naviguait depuis 2011 et s'est joint à l'équipage du Heloise, à titre de timonier, en mai 2013.
Le pilote à bord du Heloise détenait un brevet de capitaine au long cours depuis le 1er avril 1997, et naviguait à titre de capitaine depuis 2003. Le pilote a d'abord reçu un brevet d'apprenti pilote en 2006 et avait, depuis le 3 avril 2008, un brevet de pilote de Classe A, circonscription 1.1Note de bas de page 10, qui lui permet de piloter des navires de toutes les grosseurs dans la circonscription. Le pilote a aussi complété un cours sur la gestion des ressources à la passerelle (GRP) le 16 décembre 2009.
L'Ocean Georgie Bain
Tous les membres d'équipage de l'Ocean Georgie Bain possédaient les brevets appropriés pour les postes qu'ils occupaient à bord. Le capitaine a reçu un brevet de capitaine au cabotage de navires à vapeur d'au plus 350 tonneaux le 2 février 1989, et a été capitaine sur différents navires depuis 1990, notamment sur des remorqueurs portuaires similaires à l'Ocean Georgie Bain à compter de 2009.
Le mécanicien est titulaire d'un brevet d'officier mécanicien de deuxième classe, navire à moteur, depuis le 29 avril 2004. Le mécanicien a occupé le poste de mécanicien de quart sur différents navires depuis 2004, et s'est joint à l'entreprise en janvier 2009, pour laquelle il agit à titre de mécanicien et matelot de pont depuis l'automne de la même année.
Certificats des navires
Le Heloise et l'Ocean Georgie Bain possédaient les certificats et l'équipement exigés aux termes des règlements en vigueur.
Effectif de sécurité
Les navires de plus de 15 tonneaux qui font l'objet d'inspections, comme l'Ocean Georgie Bain, sont tenus de posséder un document concernant l'effectif de sécuritéNote de bas de page 11. Ce document est fondé sur une évaluation du bâtiment faite par Transports Canada, qui détermine les exigences relatives à l'armement, y compris l'effectif minimal requis, et précise les exigences minimales en matière de brevets et de certificats de compétence pour chaque membre d'équipage. L'établissement de l'équipage minimal du navire (effectif de sécurité) est fondé sur les exigences du Règlement sur le personnel maritime.
Le document concernant l'effectif de sécurité fait en sorte que l'effectif soit adéquat et compétent en vue de l'exploitation en toute sécurité d'un bâtiment durant le voyage prévu et en cas d'urgenceNote de bas de page 12. Il spécifie aussi les zones dans lesquelles les voyages sont permis ainsi que les dispositions relatives aux quarts. Le représentant autoriséNote de bas de page 13 et le capitaineNote de bas de page 14 du navire sont tenus de voir à la conformité aux exigences relatives à l'effectif de sécurité spécifiées dans le documentNote de bas de page 15.
L'Ocean Georgie Bain avait 3 documents sur l'effectif de sécurité :
- document no 1, valide pour les voyages à proximité du littoral, Classe II;
- document no 2, valide pour les voyages à proximité du littoral, Classe II, limité;
- document no 3, valide pour les voyages en eaux abritées, à moins de 5 NM d'un port de refuge.
Dans le cadre de l'événement à l'étude, le document no 3 s'applique. Il indique que le remorqueur doit avoir à son bord au moins 3 membres d'équipage : 1 capitaine, 1 mécanicienNote de bas de page 16, et 1 matelot de pont, et précise 2 conditions particulières, l'une étant que le matelot de pont ou le mécanicien doit faire partie de l'équipe à la passerelle dans les situations où la visibilité est faible, et entre le coucher et le lever du soleil. Le Règlement sur le personnel maritime définit un membre de personnel de quart à la passerelle, ou quart, comme une « partie de l'effectif qui est nécessaire pour assurer la navigation, les communications, le fonctionnement des machines, la sûreté du bâtiment... »Note de bas de page 17.
Le document no 3 comprend aussi une section sur les limites de la validité du document qui indique que le remorqueur peut être exploité sans le matelot de pont, donc avec 2 membres d'équipage, si le capitaine et le représentant autorisé du navire jugent que les conditions d'exploitation sont sécuritaires pour le navire, l'équipage et l'environnement. Généralement, pour accomplir des tâches au port, l'Ocean Georgie Bain et l'Ocean Pierre-Julien sont exploités avec 2 membres d'équipage à bord.
Système de gestion de la sécurité à bord de l'Ocean Georgie Bain
L'Organisation maritime internationale (OMI) a adopté le Code international de gestion pour la sécurité de l'exploitation des navires (Code ISM), qui a pour objectifs d'assurer la sécurité en mer, de prévenir les blessures et les pertes de vie, et d'éviter d'endommager l'environnement. On atteint ces objectifs en mettant en place des pratiques d'exploitation sécuritaires à bord de navires et en préconisant un miliieu de travail sûr, en établissant des mesures de protection contre tous les risques cernés, et en améliorant continuellement les compétences en gestion de la sécurité du personnel à terre et à bord des naviresNote de bas de page 18.
En 2002, l'entreprise a entrepris l'adoption graduelle de la norme ISO 9001Note de bas de page 19 et du Code ISM. Toutes ses activités de remorquage portuaires sont certifiées en vertu de la norme ISO 9001:2008 et du Code ISM. L'utilisation du Code ISM est volontaire, et l'entreprise a mis en place des procédures d'exploitation et d'évaluation des risques pour tous ses remorqueurs. L'entreprise a reçu un certificat de gestion de la sécurité, et le navire, un document de conformité.
Matériel de navigation
Le système de gestion de la sécurité (SGS) de l'entreprise exige la mise à l'essai régulière de l'équipement de navigation des remorqueurs portuaires et le signalement de tous les défauts. Il ne traite toutefois pas de l'utilisation de l'équipement par le capitaine lorsque les remorqueurs exercent des activités portuaires.
Exploitation des remorqueurs avec deux membres d'équipage
En 2012, l'entreprise a procédé à une évaluation des risques liés à l'exploitation de remorqueurs automatisés au port avec 2 membres d'équipage. Les risques suivants ont été évalués : exploitation à l'obscurité, par mauvais temps et en présence de glace; manipulation des câbles de remorquage et des amarres; homme à la mer; incapacité du capitaine ou du mécanicien à cause d'une blessure ou d'une maladie; perte de la communication radio entre les 2 membres d'équipage; incendie à bord; panne de machines ou perte de propulsion; erreur humaine, et transfert de pilotes. L'évaluation précise qu'au cours d'une exploitation avec 2 membres d'équipage, le mécanicien doit revenir sur la passerelle pour accompagner le capitaine dès qu'il a terminé ses tâches sur le pont et dans la salle de machines. Elle ne précise toutefois pas le rôle du mécanicien sur la passerelle. Les résultats de l'évaluation ont aussi révélé des problèmes dans les domaines de la formation continue, de la familiarisation, et de la communication entre les membres d'équipage.
Gestion des ressources à la passerelle
La gestion des ressources à la passerelle (GRP) consiste à gérer et à utiliser efficacement toutes les ressources humaines et techniques à la disposition de l'équipe à la passerelle pour assurer la sécurité du voyage. La GRP inclut des concepts comme la gestion de la charge de travail, la résolution de problèmes, la prise de décision, et le travail d'équipe. Une bonne connaissance de la situation et une bonne communication sont des éléments essentiels de la GRP. En effet, les membres de l'équipe à la passerelle doivent maintenir une bonne connaissance générale de la situation tout en demeurant responsables de l'exécution de leurs tâches individuelles. La Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (STCW)Note de bas de page 20 souligne l'importance de l'échange constant des renseignements entre le capitaine et le pilote. Le partage de l'information et la collaboration entre l'équipe à la passerelle et le pilote sont aussi essentiels.
Exigences linguistiques
L'anglais est la langue de communication internationale dans le cadre de l'exploitation maritime, et les navigateurs doivent posséder et conserver une connaissance fonctionnelle ainsi que des compétences verbales et écrites de cette langueNote de bas de page 21. Une connaissance fonctionnelle de la langue anglaise, démontrée par des examens et des évaluations, permet aux marins de consulter les cartes et les publications nautiques, de comprendre les messages relatifs à la météo, à la sécurité et à l'exploitation du navire, de communiquer efficacement avec d'autres navires, des stations à terre et des centres de trafic maritime (CTM), de travailler au sein d'équipes multilingues, ainsi que de comprendre les phrases normalisées de l'OMI pour les communications maritimes (SMCP)Note de bas de page 22.
L'OMI a publié un document sur les SMCP en vue de l'adoption d'un langage normalisé plus complet composé de phrases clés à utiliser dans les communications verbales cruciales pour la sécurité. L'objectif des SMCP est de tenter d'éliminer les barrières linguistiques qui peuvent causer des malentendus entre les membres des équipes à la passerelle, et des risques pour la sécurité. Les normes STCW exigent que les officiers de quart à la passerelle à bord des navires d'une jauge brute de 500 tonneaux ou plus soient en mesure de comprendre et d'utiliser les SMCP.
Les pilotes de l'Administration de pilotage des Laurentides (AIP) APL doivent parler et comprendre le français et l'anglais, et leur maîtrise de ces langues doit être suffisante pour exercer les fonctions de piloteNote de bas de page 23. Les candidats au brevet d'apprenti pilote doivent réussir des examens de connaissances linguistiques pour prouver leur capacité de travailler en anglais et en françaisNote de bas de page 24.
À bord du Heloise, la langue maternelle du pilote était le français. Le pilote parlait toutefois l'anglais et satisfaisait aux exigences de l'APL. La langue de travail de l'équipage était le mandarin. Des études ont démontré que les personnes dont la langue principale est le mandarin ont parfois de la difficulté à comprendre l'anglais lorsque leur interlocuteur n'est pas anglophone et a un accent et un vocabulaire limité en anglaisNote de bas de page 25.
Les officiers maritimes chinois doivent démontrer leur maîtrise de l'anglais (conversation et compréhension) au moment de leur certification par des tests écrits et oraux qui sont conçus et supervisés par la Régie de la sécurité maritime de la ChineNote de bas de page 26. La maîtrise de l'anglais du capitaine et de l'officier de quart à bord du Heloise a été jugée acceptable lorsqu'ils ont reçu leurs brevets en 2009.
En 1995, le BST a mené un sondage auprès des pilotes maritimes canadiensNote de bas de page 27 afin de cibler les lacunes de sécurité liées au travail en équipe sur la passerelle, y compris dans les communications entre les pilotes, les capitaines et les officiers de quart. Lorsqu'on a demandé aux pilotes si les barrières linguistiques compliquaient la transmission des ordres au timonier à bord de navires immatriculés à l'étranger, 60 % ont répondu « parfois », alors que 20 % ont déclaré qu'ils avaient « souvent » de la difficulté à communiquer leurs ordres au timonier.
Lorsqu'on leur a demandé si les barrières linguistiques empêchaient l'échange de renseignements avec le capitaine et l'officier de quart à bord des navires immatriculés à l'étranger, près de 55 % des pilotes ont répondu « parfois » et 23 %, « souvent ».
Un autre sondage, mené en 2014Note de bas de page 28, a révélé que les opinions des pilotes au sujet des difficultés linguistiques à bord des navires immatriculés à l'étranger n'ont pas tellement changé. En 2014, 49 % des pilotes estiment que les barrières linguistiques compliquent « parfois » la communication avec le timonier, alors que 15 % déclarent qu'ils ont « souvent » de la difficulté à communiquer avec celui-ci. Dans le plus récent sondage, 54 % des pilotes ont répondu que les barrières linguistiques empêchent « parfois » l'échange de renseignements avec le capitaine et l'officier de quart à bord, et 17 %, « souvent ».
Services de communication et de trafic maritimes, centre de Montréal
Les SCTM fournissent des services de communication et de trafic à la communauté maritime pour garantir le mouvement sécuritaire et efficace des navires. Les SCTM coordonnent les communications liées aux situations de détresse et d'urgence ainsi que la circulation des naviresNote de bas de page 29.
Le centre des SCTM de Montréal compte 4 postes de travail; 3 sont réservés aux régulateurs du trafic maritime, et le quatrième, au superviseur de l'équipe. La voie VHF 16Note de bas de page 30 de la station de la GCC est normalement surveillée par 1 personne, parfois 2, selon la charge de travail, tandis que la voie VHF 10Note de bas de page 31 est toujours surveillée par 1 personne. La voie VHF 10 couvre la région géographique entre le Port de Montréal et Tracy sur le fleuve Saint-Laurent, une distance d'environ 40 NM. La majorité des services offerts sur cette voie vise principalement les navires commerciaux, mais le trafic d'embarcations de plaisance est également important dans ces eaux. Aux SCTM de Montréal, les quarts de travail courants sont de 12 heures, soit de 7 h à 19 h le jour, et de 19 h à 7 h la nuit.
Les régulateurs des SCTM sont notamment responsables de déceler et de régler les situations potentiellement dangereuses, et d'émettre des autorisations, des recommandations, des directives et des avertissements au personnel navigant. Les régulateurs du trafic maritime doivent aussi analyser et transmettre les renseignements sur le trafic et la sécurité maritimes en signalant aux navires les bâtiments qu'ils rencontreront, ainsi que leur position, dans une région donnée. Afin d'évaluer et d'établir le trafic que doit considérer un navire donné dans une couverture de radar donnée, les régulateurs des SCTM se posent les questions que voici :
- Existe-t-il un risque d'abordage/de collision?
- Est-il possible que les intentions des autres navires ne soient pas claires?
- Un ou des navires sont-ils liés à des éléments inhabituels?
- Des navires se trouvent-ils hors du champ d'observation visuelle d'autres navires?
Aux SCTM, les superviseurs coordonnent les activités des opérateurs de radio et des régulateurs, et assurent la circulation sécuritaire et efficace des navires dans la région dont leur centre est responsable.
Le soir du 3 août, l'équipe des SCTM de Montréal était composée de 1 superviseur, de 2 régulateurs assignés à la voie VHF 16, et de 1 régulateur assigné à la voie VHF 10. Le régulateur des SCTM assigné à la voie VHF 10 utilisait le système d'information sur la navigation maritime (INNAV) pour gérer le trafic maritime. Le système INNAV est un outil de gestion de l'information opérationnelle qui affiche les données radar, de cartographie et de communication, et qui comporte d'autres fonctions essentielles pour la gestion des voies de navigationNote de bas de page 32. Il présente sur un affichage graphique tous les renseignements relatifs à une voie navigable, qu'ils soient de nature statique ou dynamique, répartis en couche. Il permet d'obtenir des détails sur toute une gamme de renseignements, la gestion des détecteurs et les contrôles de communication à l'aide de menus ou d'affichage de références géographiques de la voie navigable. Les navigateurs, les centres SCTM et les clients participants à terre sont reliés en temps réel par le poste de travail INNAV.
À partir de son poste de travail, le superviseur peut surveiller le régulateur assigné à la voie VHF 10. Au poste de travail du superviseur, le système INNAV est configuré de façon à fournir une vue d'ensemble des activités du régulateur assigné à la voie VHF 10. Sur le poste du superviseur, toutefois, les écrans INNAV sont moins nombreux et plus petits que ceux du poste de travail du régulateur. Le soir du 3 août, en raison du volume de trafic élevé, le superviseur aux SCTM surveillait surtout les 2 régulateurs assignés à la voie VHF 16.
Au cours des 18 minutes qui ont précédé l'abordage, 16 appels ont été enregistrés sur la voie VHF 10. La durée totale des appels était de près de 11 minutes, et la majorité des appels étaient destinés au régulateur; les autres étaient des échanges entre des navires.
Charge de travail mental
La charge de travail mental représente l'interaction des demandes mentales imposées à un travailleur par les tâches qu'il doit accomplirNote de bas de page 33. La charge de travail peut être divisée en 3 grandes catégories :
- quantité de travail et nombre de tâches à réaliser;
- délai d'exécution et échéance;
- expériences psychologiques subjectives du travailleurNote de bas de page 34.
Une étude sur la concentration indique que les personnes qui travaillent sous pression ou dont la charge de travail est imposante ont tendance à moins utiliser les renseignements pertinents complémentaires, et à se concentrer plutôt sur les stimuli qu'ils perçoivent comme étant les plus importants ou les plus pertinents pour leur tâche principaleNote de bas de page 35. Le fait de ne pas tenir compte des données complémentaires potentiellement pertinentes pour une tâche importante peut nuire à la réalisation de cette tâche.
Un élément important de la charge de travail d'une personne est la quantité de travail à faire et le nombre de tâches à accomplir dans une période donnée.
Analyse
Événements qui ont mené à l'abordage
Le soir de l'événement, les embarcations de plaisance étaient nombreuses dans les environs en raison du spectacle de feux d'artifice, rendant la navigation des navires commerciaux plus difficile. En cours de navigation, le pilote du Heloise s'est inquiété de la présence d'une embarcation de plaisance qui approchait de son navire et qu'il avait perdue de vue. Ce faisant, le pilote a perdu de vue l'Ocean Georgie Bain, qui se trouvait en avant, légèrement à bâbord. Lorsqu'il s'est déplacé du côté tribord du navire pour trouver l'embarcation de plaisance, les grues du Heloise l'ont empêché de voir l'Ocean Georgie Bain.
Même s'il n'y avait eu aucune communication, le pilote a présumé que l'Ocean Georgie Bain était conscient de la présence du Heloise et qu'il demeurerait aux limites extérieures du chenal. De plus, les membres d'équipage du Heloise n'appuyaient pas activement le pilote au cours du trajet : ils n'ont pas assuré la vigie et n'ont pas utilisé l'équipement de navigation pour informer le pilote de la présence des navires à proximité. Un important élément de cette faible collaboration a probablement été la barrière linguistique, qui a incité le pilote à réduire les communications avec l'équipage.
Le capitaine de l'Ocean Georgie Bain naviguait près du centre du chenal, du côté utilisé par les navires montants, et n'était pas conscient de la présence du Heloise, qui descendait à l'arrière, puisqu'il avait choisi de naviguer en utilisant les repères visuels plutôt que l'équipement de navigation électronique. De plus, les Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) n'avaient pas signalé la présence du Heloise, et le mécanicien, qui se trouvait sur la passerelle, a vu que le Heloise approchait, mais n'a pas informé le capitaine et a quitté la passerelle peu de temps après avoir aperçu le navire.
Le pilote du Heloise a modifié son cap à bâbord pour éviter une embarcation de plaisance. Le pilote ne regardait donc pas l'Ocean Georgie Bain, qui était arrêté et dérivait près du centre du chenal. Une fois l'embarcation de plaisance évitée, le pilote du Heloise a maintenu le cap du navire dans la direction de l'Ocean Georgie Bain, et les 2 navires se sont abordés.
Charge de travail mental
Une étude sur la concentration indique que les personnes dont la charge de travail est imposante ont tendance à se concentrer sur les stimuli qu'ils perçoivent comme étant les plus importants ou les plus pertinents, selon leur tâche principaleNote de bas de page 36. Ils peuvent aussi omettre ou simplifier des tâches, et leur connaissance de la situation peut être réduiteNote de bas de page 37. Par exemple, dans les périodes où le volume de trafic est élevé, les contrôleurs de la circulation aérienne ont tendance à réduire la quantité de renseignements qu'ils fournissent à chacun des équipages, jusqu'à transmettre seulement les données minimales nécessaires pour assurer la sécurité des activitésNote de bas de page 38.
Au moment de l'événement, comparativement aux périodes de travail habituelles, le fort trafic maritime et l'augmentation correspondante des transmissions radio augmentaient la charge de travail des régulateurs assignés aux voies VHF 10 et 16. Plus précisément, la voie VHF 10 a été occupée durant 11 des 18 minutes qui ont précédé l'abordage, la majorité des appels étant destinés au régulateur.
Lorsque le capitaine de l'Ocean Georgie Bain a demandé aux SCTM l'autorisation de quitter la section 57, le régulateur l'a informé de la présence de 2 navires montants, sans mentionner le Heloise, qui descendait. Les facteurs suivants ont pu contribuer à cette omission :
- En raison de l'augmentation de sa charge de travail, le régulateur a peut-être simplifié le message sur le trafic et n'a pas repéré le risque d'abordage au fur et à mesure que la situation évoluait.
- Le superviseur surveillait davantage les régulateurs de la voie VHF 16.
- Le régulateur assigné à la voie VHF 10 n'a pas demandé l'aide du superviseur pour gérer sa charge de travail, et le superviseur ne lui a pas offert sa collaboration.
La charge de travail mental élevée du régulateur des SCTM à un moment critique a probablement été la cause de l'omission de mentionner le Heloise descendant dans le message sur le trafic qu'il a transmis à l'Ocean Georgie Bain.
Gestion des ressources à la passerelle
Les 3 principaux éléments de la gestion des ressources à la passerelle (GRP) sont la surveillance de la progression du navire, le partage du plan de traversée, et la connaissance de la situation. Le maintien de la connaissance de la situation par un travail d'équipe efficace et la qualité des communications entre les membres de l'équipe à la passerelle revêtent une importance capitale lorsqu'un navire se trouve dans des eaux restreintes ou dans des zones de navigation achalandées. Afin de maintenir la connaissance de la situation lors de la navigation avec un pilote, l'échange de renseignements régulier est essentiel afin que tous les membres de l'équipe à la passerelle soient conscients des intentions du pilote et en mesure d'offrir leur aide, des conseils opportuns et des observations.
Le Heloise
Compte tenu de l'importance des communications entre tous les membres de l'équipe à la passerelle, y compris les pilotes, et du fait que les équipages viennent souvent de pays étrangers, la langue utilisée par les membres d'équipage peut avoir une incidence sur la GRP.
Dans l'événement à l'étude, lorsque le pilote a perdu de vue l'Ocean Georgie Bain parce qu'il tentait de repérer l'embarcation de plaisance à proximité, il n'a pas demandé l'aide de l'équipe à la passerelle, et les membres de l'équipe n'ont pas surveillé le remorqueur, n'ont pas assuré la vigie, et n'ont pas aidé le pilote durant cette période. La barrière linguistique a été un facteur important puisqu'elle nuisait à la communication. De plus, la communication entre le capitaine et le pilote a été informelle et minimale et, lorsque le pilote a tenté de parler à l'officier de quart en anglais, les gestes de celui-ci ont indiqué qu'il ne comprenait pas bien les demandes du pilote.
Les difficultés à communiquer entre les membres de l'équipe à la passerelle ont contribué à l'inefficacité de la GRP et ont empêché l'équipe à la passerelle de bien appuyer le pilote. En outre, la communication avec l'équipage étant minimale et la perception du pilote étant que l'équipe à la passerelle ne pouvait pas l'aider, le pilote a assumé la quasi-totalité des responsabilités liées à la navigation, y compris la vigie. Cette situation a entraîné une augmentation de la charge de travail mental du pilote, qui l'a amené à se concentrer sur l'embarcation de plaisance, aux dépens de la surveillance de l'Ocean Georgie Bain.
Comme le démontre l'événement à l'étude, malgré l'adoption des phrases normalisées de l'OMI pour les communications maritimes (SMCP), des normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (STCW), et des programmes de formation des pilotes, les barrières linguistiques à bord de navires immatriculés à l'étranger peuvent encore être problématiques. Le sondage de 2014 que le BST a mené auprès des pilotes maritimes canadiens a révélé que 54 % des pilotes sondés estiment que les barrières linguistiques compliquent « parfois » la communication avec le capitaine et l'officier de quart, alors que 17 % déclarent qu'ils ont « souvent » de la difficulté à communiquer avec ces membres d'équipage.
En outre, 49 % des pilotes sondés ont répondu que les barrières linguistiques compliquaient « parfois » la transmission des ordres au timonier, alors que 15 % ont déclaré qu'ils avaient « souvent » de la difficulté à communiquer avec le timonier. Le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis a aussi reconnu cette difficulté, et a recommandé qu'un cours sur les différences linguistiques et culturelles et leur effet négatif possible sur la performance des navigateurs soit ajouté au programme de formation sur la GRP de l'Organisation maritime internationale (OMI)Note de bas de page 39.
Les barrières linguistiques qui nuisent à la communication à bord d'un navire peuvent compromettre l'efficacité de la GRP.
L'Ocean Georgie Bain
Une GRP efficace passe par l'optimisation de toutes les ressources disponibles au cours de la navigation, tant les membres de l'équipe à la passerelle que l'équipement de navigation.
Le document concernant l'effectif de sécurité de l'Ocean Georgie Bain exigeait qu'un membre d'équipage soit de quart sur la passerelle dans certaines conditions. Toutefois, le rôle de ce membre d'équipage sur la passerelle n'était pas défini dans le système de gestion de la sécurité (SGS), notamment s'il devait agir à titre de vigie. Par conséquent, ces décisions revenaient au capitaine.
Dans l'événement à l'étude, la présence du mécanicien à la passerelle a fait en sorte que les conditions du document sur l'effectif de sécurité ainsi que les exigences du SGS étaient respectées. Le mécanicien ne connaissait toutefois pas les tâches de la vigie, et n'avait pas été formé pour assumer ce rôle. Ainsi, lorsqu'il a vu le Heloise, il n'a pas signalé la présence du navire au capitaine. Le capitaine n'a pas demandé au mécanicien d'agir à titre de vigie et n'a donné au mécanicien aucune instruction précise sur ses tâches sur la passerelle. De fait, il n'a pas utilisé efficacement la présence du mécanicien.
En outre, le capitaine de l'Ocean Georgie Bain a choisi de naviguer en utilisant les repères visuels; lorsque le navire a quitté la section 57, le radar n'était pas en marche, et le système électronique de visualisation des cartes marines (ECS) était en fonction, mais n'a pas été utilisé. Il n'y avait pas d'exigence du SGS de l'entreprise stipulant que le capitaine devait utiliser cet équipement lorsqu'il navigue dans le port. L'équipement de navigation permet de détecter rapidement les navires à proximité et d'assurer le suivi continu de ces navires; il peut ainsi éviter des abordages. Lorsque toutes les ressources disponibles pour garantir la sécurité de la navigation ne sont pas utilisées, il est possible de ne pas détecter des navires à proximité, et des abordages peuvent se produire.
Interprétation de l'effectif de sécurité
L'effectif de sécurité à bord d'un navire est établi par le document sur l'effectif de sécurité, qui est fondé sur une évaluation du bâtiment faite par Transports Canada, et vise à faire en sorte que l'effectif soit adéquat et compétent en vue de l'exploitation en toute sécurité d'un bâtiment durant le voyage prévu ou en cas d'urgence.
Le document sur l'effectif de sécurité de l'Ocean Georgie Bain autorise l'exploitation du remorqueur sans troisième personne à bord lorsque le capitaine et le représentant autorisé jugent que les conditions de navigation sont sécuritaires pour le navire, l'équipage et l'environnement. Afin d'évaluer la possibilité de naviguer avec seulement 2 personnes à bord et la sécurité de cette méthode dans différentes conditions d'exploitation, l'entreprise de l'Ocean Georgie Bain a effectué une évaluation des risques en 2012. L'évaluation avait pour but de cerner les risques en cause et d'établir des stratégies d'atténuation et de gestion de ces risques. Cette évaluation des risques souligne l'importance de maintenir un contact visuel et verbal (notamment par radio très haute fréquence [VHF]) avec l'autre personne à bord lorsque les conditions de navigation sont exigeantes afin de maintenir la connaissance de la situation et d'assurer la sécurité de la navigation.
Aucun élément n'indique toutefois que l'entreprise ou le capitaine ait évalué l'effectif dans des conditions qui ne sont pas visées par le SGS. Les conditions qui règnaient au moment de l'événement, telles que l'obscurité à cette heure du jour et l'augmentation du trafic maritime en raison des feux d'artifice, n'ont pas incité le capitaine à évaluer si l'effectif était adéquat. Dans le port, les remorqueurs sont généralement exploités avec seulement 2 membres d'équipage à bord, et les capitaines n'ont pas l'habitude de procéder à une évaluation des risques lors de la navigation dans des conditions plus difficiles.
Il faut aussi noter que, même si l'évaluation de l'effectif à bord réalisée par l'entreprise a permis de cerner certaines lacunes en matière de familiarisation et de formation, le mécanicien en cause dans l'événement détenait un brevet et que, même s'il avait eu une formation de familiarisation pour le navire, il ne connaissait pas ses tâches spécifiques à bord lorsqu'il était de quart à la passerelle, par exemple qu'il devait assurer la vigie. Ainsi, il n'a pas informé le capitaine de la présence du Heloise.
Lorsque l'équipage compte 2 personnes et qu'un membre du quart à la passerelle doit quitter la passerelle, notamment pour des vérifications dans la salle des machines, le capitaine se retrouve seul et doit donc aussi assumer toutes les responsabilités du quart à la passerelle, ce qui augmente sa charge de travail et peut l'empêcher de déceler des facteurs critiques pour la sécurité en temps opportun.
Par conséquent, si les entreprises et les capitaines interprètent mal les exigences du document sur l'effectif de sécurité et ne satisfont pas convenablement à ces exigences, il est possible que l'équipage du navire ne soit pas adéquat ou que l'équipage n'ait pas la formation requise.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le pilote du Heloise ne surveillait pas l'Ocean Georgie Bain au moment de l'abordage, et l'équipe à la passerelle du Heloise n'appuyait pas le pilote en assurant la vigie ou en utilisant l'équipement de navigation pour informer le pilote de la présence des navires à proximité.
- Les difficultés à communiquer entre l'équipe à la passerelle et le pilote à bord du Heloise ont contribué à l'inefficacité de la gestion des ressources à la passerelle à un moment critique du voyage.
- La charge de travail mental élevée du régulateur des Services de communication et de trafic maritimes à un moment critique a probablement été la cause de l'omission de mentionner le Heloise descendant dans le message sur le trafic qu'il a transmis à l'Ocean Georgie Bain.
- Le capitaine de l'Ocean Georgie Bain n'était pas conscient de la présence du Heloise parce que les Services de communication et de trafic maritimes n'avaient pas signalé le navire qui descendait, parce que le capitaine n'utilisait pas l'équipement de navigation disponible, et parce que le mécanicien ne l'a pas informé qu'il avait aperçu le navire.
- Le pilote du Heloise a modifié son cap à bâbord pour éviter une embarcation de plaisance. Une fois l'embarcation de plaisance évitée, le pilote a maintenu le cap du navire dans la direction de l'Ocean Georgie Bain, et les 2 navires se sont abordés.
Faits établis quant aux risques
- Les barrières linguistiques qui nuisent à la communication à bord d'un navire peuvent compromettre l'efficacité de la gestion des ressources à la passerelle.
- Lorsque toutes les ressources disponibles pour garantir la sécurité de la navigation ne sont pas utilisées, il est possible de ne pas détecter des navires à proximité, et des abordages peuvent se produire.
- Si les entreprises et les capitaines interprètent mal les exigences du document sur l'effectif de sécurité et ne satisfont pas convenablement à ces exigences, il est possible que l'effectif du navire ne soit pas adéquat ou que l'équipage n'ait pas la formation requise.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .
Annexes
Annexe A – Aménagement de la passerelle du M/V Heloise
Annexe B – Lieu de l'événement
Légende :
_ _ _ La ligne pointillée bleue à gauche indique le trajet de l'Ocean Georgie Bain.
____ La ligne pleine rouge à droite indique le trajet du Heloise.
Nota :
Les renseignements consignés sur ce croquis ont été compilés par la Direction des enquêtes maritimes du BST et ne doivent pas être utilisés aux fins de navigation. Toutes les routes et positions sont approximatives. Basé sur la carte électronique no 1310 produite par le Service hydrographique du Canada.