Déraillement en voie principale
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Subdivision de Joliette
près de L’Assomption (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
L'événement
Le 24 avril 2019, une équipe de train de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a été appelée à se présenter à 0 h 20Note de bas de page 1 au triage Garneau, à St-Georges-de-Champlain (Québec). L'équipe devait conduire le train de marchandises M36921-23 vers le sud, à partir du triage Garneau (point milliaire 40,1 de la subdivision de Joliette) jusqu'au triage Taschereau (point milliaire 144,4 de la subdivision de St-Laurent). Les inspections avant départ et au défilé requises ont été effectuées sans révéler de défaillance, puis le train est parti vers 0 h 50.
Le train comptait 2 locomotives de tête, 69 wagons chargés, 17 wagons vides et 8 wagons contenant des résidusNote de bas de page 2 de marchandises dangereuses. Le train pesait environ 10 000 tonnes et mesurait approximativement 5700 pieds de long.
Vers 3 h 40, alors qu'il circulait à 40 mi/h près de L'Assomption (Québec) (figure 1), il y a eu freinage d'urgence provenant de la conduite générale. Une fois le train immobilisé, l'équipe l'a inspecté et a constaté que 13 wagons (du 77e au 89e wagon après les locomotives de tête) avaient déraillé et gisaient en diverses positions le long de l'emprise au point milliaire 117,40 de la subdivision de Joliette. Avant le freinage d'urgence, l'équipe n'avait remarqué aucune anomalie de la voie ou de la conduite du train. Personne n'a été blessé et il n'y a eu aucun déversement de marchandises dangereuses.
Au moment de l'événement, il pleuvait et la température était de 4 °C.
Renseignements sur l'équipe
L'équipe était formée d'un mécanicien de locomotive et d'un chef de train. Les 2 membres de l'équipe étaient qualifiés pour leur poste respectif, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique, et connaissaient bien la subdivision.
Renseignements sur la subdivision et la voie
La subdivision de Joliette est une voie principale simple orientée du nord au sud du point milliaire 40,1 à St-Georges-de-Champlain (Québec) au point milliaire 127,8 à Pointe-aux-Trembles (Québec). La circulation des trains y est régie par la régulation de l'occupation de la voie jusqu'au point milliaire 123,8 et par la commande centralisée de la circulation par la suite, en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF). Tous les mouvements sont supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire du CN en poste à Montréal (Québec).
Le trafic ferroviaire sur ce corridor représente environ 6 trains de marchandises et 1 train de voyageurs par jour, pour un tonnage annuel total de quelque 10,1 millions de tonnes brutes (MTB). Cette subdivision n'est pas considérée comme un « itinéraire clé »Note de bas de page 3 au sens du Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés approuvé par Transports Canada.
La voie dans la subdivision de Joliette est de catégorie 4 selon le Règlement sur la sécurité de la voie (RSV) approuvé par Transports Canada. Aux environs du déraillement, toutefois, la vitesse maximale permise est de 45 mi/h pour les trains de marchandises et de 50 mi/h pour les trains de voyageurs.
La voie se composait de longs rails soudés d'un poids de 115 livres chacun, fabriqués entre 1977 et 1994. Les rails sont installés sur des traverses de bois dur n° 1 en bon état et des selles à double épaulement de 11 pouces fixées à l'aide de 4 crampons chacune. Les rails, dont le degré d'usure était en deçà des limites acceptables, étaient fixés au moyen de 4 anticheminants à toutes les 3 traverses. Le ballast, en bon état, était constitué de pierre concassée. La couche supérieure de la plateforme et le drainage aux environs du lieu de l'événement étaient adéquats.
Cinq systèmes de détection en voie (SDV)Note de bas de page 4 se trouvaient sur l'itinéraire du train :
- Charette (point milliaire 60,0, subdivision de Joliette),
- Saint-Norbert (point milliaire 90,6, subdivision de Joliette),
- L'Assomption (point milliaire 118,1, subdivision de Joliette),
- Rivière-des-Prairies (point milliaire 130,5, subdivision de St-Laurent)
- St-Laurent (point milliaire 142,6, subdivision de St-Laurent).
Il y avait également 2 détecteurs de pièces traînantes dans la subdivision de Joliette (points milliaires 77,98 et 108,42).
Inspection de la voie
Le RSV énonce les normes minimales d'entretien et les exigences d'inspection de la voie connexes. Outre le RSV, le CN a établi ses propres Normes de la voie – Ingénierie (NV), dont les lignes directrices satisfont aux exigences du RSV ou les surpassent.
Dans la zone du déraillement, les inspections de la voie avaient été effectuées conformément au RSV, la plus récente ayant été réalisée par un inspecteur qualifié du CN le 23 avril 2019. Aucun défaut n'avait été décelé.
Une auscultation des défauts internes du rail avait été effectuée le 25 janvier 2019 et le dernier contrôle de l'état géométrique de la voie avait eu lieu le 12 novembre 2018. Aucun défaut d'état géométrique urgent ou quasi-urgent n'avait été relevé près du lieu du déraillement.
Examen des lieux
Le 77e wagon (OCAX 6416) était couché sur le côté, à l'extérieur de la courbe (figure 2). Les 11 wagons suivants (du 78e au 88e wagons) étaient positionnés en accordéon par rapport à la voie ferrée. Le 89e wagon (TOBX 889054) était debout avec seulement les roues du bogie avant déraillées. Les 5 derniers wagons derrière le 89e wagon étaient sur les rails.
Les bogies des wagons déraillés de même que les essieux montés avec leurs roues s'étaient séparés et se trouvaient dispersés de part et d'autre de la voie.
À partir du point milliaire 116,85, un capuchon de fusée d'essieu fondu (figure 3) et plusieurs composants d'un roulement à rouleaux brisé ont été retrouvés dans l'herbe du côté est de la voie. La végétation avait brûlé autour de ces pièces en raison de leur surchauffe. Ces composants ont été envoyés au Laboratoire d'ingénierie du BST pour fins d'examen, en vue de déterminer la cause de la défaillance du roulement.
Les éléments de fixation des rails et les traverses du côté est de la voie présentaient des marques d'abrasion fraîches à partir du point milliaire 116,89. Environ 150 pieds plus loin, un profond sillon était visible dans le ballast et sur les traverses entre les 2 rails. Les planches de bois d'un passage à niveau privé et le cœur de croisement du branchement U226, situés au point milliaire 117,24, présentaient des dommages. Ces marques indiquent qu'après la rupture de la fusée d'essieu et le déraillement de l'essieu monté, le bogie du wagon a été traîné sur environ 2700 pieds jusqu'au lieu de l'empilement principal des wagons déraillés. À partir de cet endroit, la voie principale a été détruite sur une distance d'environ 400 pieds
Examen du wagon TR 405202
Le wagon couvert chargé de papier TR 405202 (le 78e wagon), a été le premier à dérailler. L'essieu monté n° 1 du bogie du bout B a été retrouvé sous la pile de wagons. La roue droite (R1) de l'essieu s'était désolidarisée et s'était déplacée latéralement contre la roue gauche. Le bout de l'essieu avait fondu et la fusée d'essieu de la roue droite ainsi que l'assemblage complet du roulement à rouleaux étaient manquants (figure 4).
Sous la caisse du wagon, on pouvait observer une profonde entaille et des marques de frottement sous la traverse pivot du bogie du bout B, ainsi qu'une décoloration causée par la chaleur et la fumée vis-à-vis la position de la roue R1.
Examen de l'essieu
L'essieu endommagé avait été fabriqué en août 1970 et remis à neuf en octobre 1979. Les roues avaient été montées sur l'essieu en août 1998. Les roulements à rouleauxNote de bas de page 5 avaient été remis à neuf en septembre 2005.
La fusée d'essieu R1 avait surchauffé et s'était séparée de l'essieu. La portion restante de la fusée d'essieu présentait une forme conique, caractéristique d'une déformation par torsion.
Le roulement à rouleaux R1 était détruit, et tous ses composants étaient décolorés, éraflés et avaient subi une déformation plastique. L'examen des composants par le BST a permis d'observer que le chemin de roulement de la cuvette présentait des marques d'écaillage d'environ 6 pouces de circonférence sur la face intérieure (figure 5). Cette usure a probablement provoqué la défaillance progressive de la cage du roulement et le grippage des rouleaux coniques (figure 6), entraînant la surchauffe de l'ensemble, la rupture de l'essieu et le déraillement du wagon TR 405202.
Systèmes de détection en voie
L'inspection des wagons de marchandises est régie par le Règlement concernant l'inspection et la sécurité des wagons de marchandises approuvé par Transports Canada. En plus de satisfaire à ces exigences en matière d'inspection, certaines compagnies ferroviaires ont également choisi de doter leurs réseaux ferroviaires de SDV qui évaluent l'état du matériel roulant lorsqu'il circule.
Parmi ces systèmes, les détecteurs de boîtes chaudes (DBC) représentent le principal outil capable de détecter la dégradation et la surchauffe des roulements à rouleaux en temps réel. Au passage du train, des capteurs optiques mesurent la température des roulements et, lorsqu'ils décèlent une variation de température au-delà d'un seuil établi, ils déclenchent une alarme afin de permettre à la compagnie ferroviaire de prendre les mesures appropriées. Les DBC permettent aussi de surveiller l'évolution de la température des roulements le long du parcours d'un train. Leur efficacité à dégager des tendances est liée au nombre de détecteurs rencontrés, à l'intervalle entre chacun et à la précision de leur calibration.
Sauf sur les itinéraires clésNote de bas de page 6, chaque compagnie ferroviaire détermine la distance entre les DBC en fonction de critères comme la localisation géographique du corridor, le volume et le type du trafic ainsi que la vitesse maximale permise.
Données enregistrées pour le wagon TR 405202
Les données enregistrées pour le wagon TR 405202 ont révélé que la température du roulement à rouleaux de la roue R1 était de 74 °F lors du passage du train au DBC de Charette (au point milliaire 60,0), soit 42 °F au-dessus de la température ambiante mesurée, qui était de 32 °F. À ce moment, la température moyenne des autres roulements du même côté du wagon était de 49 °F au-dessus de la température ambiante. Environ 30 milles plus loin, au passage du DBC de St-Norbert (au point milliaire 90,6), la température du roulement à rouleaux de la roue R1 était de 71 °F, soit 39 °F au-dessus de la température ambiante mesurée (32 °F). La température moyenne des autres roulements du même côté du wagon était de 40 °F au-dessus de la température ambiante.
Le roulement à rouleaux R1 a surchauffé au point de subir une défaillance catastrophique entre deux détecteurs. Le capuchon de fusée d'essieu fondu a été retrouvé au point milliaire 116,85, soit 26,25 milles après le DBC de St-Norbert et 1,25 mille avant le détecteur suivant.
Autre événement connexe
Lors d'un autre événement, survenu le 2 juin 2013 (rapport R13T0122), le BST a enquêté sur le déraillement de 6 wagons porte-conteneurs du train de marchandises 119-01 du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) au point milliaire 112,70 de la subdivision de Parry Sound à Wanup (Ontario). Selon l'enquête, le déraillement a été causé par la défaillance d'un roulement à rouleaux d'un des wagons. Le roulement s'est détérioré rapidement après être passé au-dessus d'un DBC qui n'a décelé aucune surchauffe.
Mesures de sécurité prises
Après l'événement, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a ajouté un processus à ses évaluations des risques liés aux corridors. Ce processus vise à examiner l'espacement des SDV sur les voies secondaires dans les grands centres métropolitains.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .
À propos de ce rapport d'enquête
Ce rapport est le résultat d’une enquête sur un événement de catégorie 4. Pour de plus amples renseignements, se référer à la Politique de classification des événements.
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales.
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Citation
Bureau de la sécurité des transports du Canada, Rapport d'enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19D0065 (publié le 8 novembre 2019).
This report is also available in English.