Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R21S0048

Déraillement en voie principale
Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique
Train de marchandises 603-897
Point milliaire 32,75, subdivision de Lanigan
Silton (Saskatchewan)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Vers 5 h, heure normale du Centre, le 16 octobre 2021, le train de marchandises 603-897 du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), un train-bloc tirant 200 wagons-trémies couverts chargés de potasse, roulait en direction sud à 38,6 mi/h sur la subdivision de Lanigan du CP lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est produit au point milliaire 31,58, près de Silton (Saskatchewan). La locomotive de tête s’est immobilisée au point milliaire 31,18. Une inspection subséquente par le chef de train a permis de déterminer que 27 wagons de marchandises avaient déraillé près du point milliaire 32,75. Un grand nombre des wagons déraillés s’étaient immobilisés en un gros empilement, avaient subi des brèches et avaient déversé leur contenu. Personne n’a été blessé et aucune marchandise dangereuse n’était en cause.

    1.0 Renseignements de base

    Le 15 octobre 2021, une équipe de train du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) Note de bas de page 1 a reçu l’ordre de se rendre à Saskatoon (Saskatchewan) pour 22 h 45 Note de bas de page 2 afin de conduire le train-bloc Note de bas de page 3 603-897 (le train) du triage Sutherland (Saskatoon) à Regina (Saskatchewan) en passant par les subdivisions de Sutherland et de Lanigan. L’équipe de train se composait de 1 mécanicien de locomotive et 1 chef de train. Les 2 membres de l’équipe étaient qualifiés pour leur poste respectif, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et d’aptitude au travail, et connaissaient bien le territoire dans lequel ils travaillaient.

    Le train était formé pour être exploité selon une configuration de traction répartie 1-1-1, composée de la locomotive menante de tête CP 8007, suivie de 100 wagons-trémies couverts chargés, de la locomotive télécommandée BNSF 6208 en milieu de train, de 100 autres wagons-trémies couverts chargés, puis de la locomotive télécommandée CP 9808 en queue de train (figure 1).

    Figure 1. Illustration du train à traction répartie de l’événement à l’étude (Source : BST)
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    Illustration du train à traction répartie de l’événement à l’étude (Source : BST)

    Chacun des wagons-trémies couverts mesurait 47 pieds de long et avait une capacité de charge brute sur rail de 286 000 livres par essieu. Le train mesurait 9625 pieds de long et pesait 28 525 tonnes.

    Vers 23 h 40, le train a quitté le triage Sutherland (point milliaire 109,7 de la subdivision de Sutherland) en direction est vers Lanigan (Saskatchewan) (point milliaire 37,7 de la subdivision de Sutherland. À Lanigan, il y a une jonction où le train a été dévié vers le sud sur la subdivision de Lanigan (figure 2), en direction de Regina (point milliaire 0,0 de la subdivision de Lanigan). Alors que le train était en route sur la subdivision de Lanigan, il a croisé 3 détecteurs de boîtes chaudes en bordure de voie aux points milliaires 88,9, 64,6 et 37,1 respectivement; aucune alarme ne s’est déclenchée. Il n’y a pas de détecteur de défauts de roue (DDR) sur les subdivisions de Sutherland ou de Lanigan; toutefois, un examen des données antérieures enregistrées par les DDR présents sur d’autres subdivisions n’a révélé aucune lecture anormale des roues des locomotives et des wagons du train pour l’événement à l’étude.

    Figure 2. Carte des environs de l’événement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas du rail canadien, avec annotations du BST)
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    Carte des environs de l’événement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas du rail canadien, avec annotations du BST)

    1.1 L’événement

    À 5 h 02 le 16 octobre 2021, le train circulait vers le sud à 38,6 mi/h lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est produit au point milliaire 31,58, près de Silton (Saskatchewan). La tête du train s’est arrêtée aux environs du point milliaire 31,18 après avoir parcouru environ 2100 pieds. Par la suite, l’équipe a lancé les messages radio d’urgence requis et le chef de train a procédé à une inspection à pied du train. Le chef de train a déterminé que 27 wagons, situés aux positions 125 à 151 derrière la locomotive de tête, avaient déraillé principalement du côté ouest de la voie. Plusieurs des wagons avaient subi des brèches et déversé leur contenu (figure 3). Personne n’a été blessé et aucune marchandise dangereuse n’était en cause. Il n’y avait aucun danger pour la population ou l’environnement, bien qu’une quantité importante de potasse ait été déversée.

    Figure 3. Activités d’assainissement du site pour la potasse déversée (Source : BST)
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    Activités d’assainissement du site pour la potasse déversée (Source : BST)

    Au moment de l’événement, la température était de −4 °C, et des vents légers soufflaient du nord-est.

    1.2 Examen des lieux

    L’infrastructure de la voie ne présentait aucune marque visible d’impact des roues avant le point de déraillement. Toutefois, on a constaté des dommages importants à la voie qui s’étendaient vers le sud jusqu’au premier wagon déraillé (le 125e wagon, ITFX 33257). Seul le bogie arrière de ce wagon a déraillé du côté ouest de la voie; le wagon est demeuré attelé à la tête du train alors qu’il était traîné sur une distance d’environ 2100 pieds. Un tronçon d’environ 2100 pieds de voie a été endommagé ou détruit.

    Les 25 wagons suivants qui ont déraillé, soit du 126e au 150e wagon à partir de la locomotive de tête, se sont immobilisés regroupés en un gros empilement, sur une distance de 254 pieds, près du point milliaire 32,75 (figure 4). Le 151e wagon à partir de la locomotive de tête a été le dernier à dérailler, mais il est demeuré sur ses roues.

    Figure 4. Diagramme du lieu de l’accident illustrant l’endroit où les wagons se sont immobilisés; l’étoile indique le point de déraillement présumé (Source : BST)
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    Diagramme du lieu de l’accident illustrant l’endroit où les wagons se sont immobilisés; l’étoile indique le point de déraillement présumé (Source : BST)

    Le dernier wagon de la partie avant du train qui n’a pas déraillé était le 124e wagon, CITX 151689. L’inspection de ce wagon a révélé que la table de roulement de la roue R1 du bogie arrière (côté ouest) présentait des dommages attribuables aux chocs (figure 5). À la température de −4 °C, comme au moment de l’événement à l’étude, toute rupture de rail engendrerait une brèche de rail d’une longueur de 2 à 3 pouces (51 à 76 mm) si les rails avaient été soumis à des contraintes convenables Note de bas de page 4. Une telle brèche présenterait un important écrasement des abouts de rail causé par le choc des roues de la tête du train contre les bords de la brèche. Les roues des wagons antérieurs au 124e wagon ne présentaient aucun dommage attribuable aux chocs.

    Figure 5. Dommages attribuables aux chocs à la table de roulement de la roue R1 du wagon CITX 151689 (Source : CP)
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    Dommages attribuables aux chocs à la table de roulement de la roue R1 du wagon CITX 151689 (Source : CP)

    À la suite de l’inspection des lieux par le BST, le matériel roulant déraillé a été mis à l’écart et la voie a été reconstruite. La voie a été rouverte à la circulation ferroviaire à 3 h le 17 octobre 2021. La restauration des lieux et le retrait du matériel roulant déraillé ont été achevés le 27 octobre 2021.

    1.3 Enregistreur vidéo de locomotive orienté vers l’avant

    L’examen de la vidéo enregistrée par la caméra orientée vers l’avant de la locomotive de tête du train 603-897 n’a révélé aucune anomalie à la surface du rail dans le secteur où le déraillement s’est produit. Toutefois, le microphone externe a capté une anomalie sonore (bruit) et la vidéo a montré que la locomotive s’était inclinée légèrement vers la droite (figure 6) alors qu’elle franchissait le point de déraillement présumé à proximité du point milliaire 32,75. Ni l’équipe du train de l’événement à l’étude ni celle qui l’avait précédée n’ont signalé d’anomalies lors de leur passage à cet endroit.

    Figure 6. Image fixe prise d’une vidéo enregistrée par la caméra orientée vers l’avant de la locomotive de tête montrant l’endroit où la locomotive s’était inclinée légèrement vers la droite sur le rail ouest (encerclé) (Source : Chemin de fer Canadien Pacifique)
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    Image fixe prise d’une vidéo enregistrée par la caméra orientée vers l’avant de la locomotive de tête montrant l’endroit où la locomotive s’était inclinée légèrement vers la droite sur le rail ouest (encerclé) (Source : Chemin de fer Canadien Pacifique)

    1.4 Renseignements sur la subdivision et la voie

    La subdivision de Lanigan du CP est une voie principale simple qui relie Regina (point milliaire 0,0) à Lanigan (point milliaire 104,4), où elle croise la subdivision de Sutherland. Les mouvements de train sont contrôlés par le système de régulation de l’occupation de la voie (ROV), conformément au Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), et supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire en poste à Calgary (Alberta). En ROV, les voies ne sont pas signalisées (c.-à-d. qu’il s’agit de « territoire exempt de signalisation »).

    Dans les environs du déraillement, la voie appartenait à la catégorie 3, selon le Règlement concernant la sécurité de la voie (aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie [RSV]) approuvé par Transports Canada. La vitesse autorisée pour les trains de marchandises à l’endroit où s’est produit le déraillement était de 40 mi/h et aucun ordre de limitation de vitesse n’était en vigueur.

    La voie était principalement en palier et en alignement, et était constituée de longs rails soudés de 115 livres fabriqués par la société Algoma Steel Inc. en 1977. Les rails reposaient sur des selles à double épaulement de 14 pouces fixées à l’aide de 3 crampons chacune. Les rails étaient encadrés toutes les 2 traverses par des anticheminants de type Improved Fair Note de bas de page 5. Certaines traverses étaient en bois dur dans un état moyen. Il y avait 57 traverses par 100 pieds de voie et environ 7 traverses défectueuses par 100 pieds de voie. Le ballast était composé de pierre concassée de 4 ½ pouces avec une épaule de 1 pied de large. Les cases étaient garnies et le ballast était en bon état.

    Le trafic ferroviaire moyen se compose d’environ 4 ou 5 trains par jour d’un tonnage annuel moyen de 19,36 millions de tonnes-milles brutes par mille selon la moyenne sur 3 ans (c’est-à-dire de 2019 à 2021) (tableau 1). Le tonnage global du trafic était en baisse légère au cours de la même période.

    Tableau 1. Tonnage annuel dans la subdivision de Lanigan du CP (Source des données : Chemin de fer Canadien Pacifique)
    Année Subdivision Point milliaire Tonnes-milles brutes Tonnage annuel
    Tonnes Millions de tonnes-milles brutes par mille
    2019 Lanigan 104,4 2 044 299 917 19 581 416 19,58
    2020 Lanigan 104,4 2 142 266 545 20 519 794 20,52
    2021 Lanigan 104,4 1 877 025 224 17 979 169 17,98

    1.5 Inspection de la voie

    Le RSV établit les exigences réglementaires minimales sur l’inspection des voies. Il exige que les voies de catégorie 3 qui présentent une circulation annuelle se situant entre 15 et 35 millions de tonnes-milles brutes par mille :

    • fassent l’objet d’une inspection visuelle (à pied ou dans un véhicule sur rail) 2 fois par semaine Note de bas de page 6 ;
    • fassent l’objet d’une inspection électronique de la géométrie au moyen d’un véhicule lourd de contrôle de l’état géométrique 2 fois par an Note de bas de page 7,,Note de bas de page 8 ;
    • fassent l’objet d’une inspection de détection des défauts de rail chaque année Note de bas de page 9 .

    1.5.1 Inspection visuelle

    La subdivision de Lanigan faisait l’objet d’une inspection visuelle 2 fois par semaine. Les dernières inspections visuelles de la voie avaient été effectuées par des inspecteurs de la voie expérimentés du CP les 11 et 15 octobre 2021. Aucun défaut de géométrie de voie ou défaut de surface des rails n’a été décelé à proximité du lieu du déraillement.

    1.5.2 Inspection au moyen d’un véhicule lourd de contrôle de l’état géométrique

    Le RSV exige que les voies de catégorie 3 fassent l’objet de 2 inspections annuelles électroniques de la géométrie au moyen d’un véhicule lourd de contrôle de l’état géométrique. Des inspections supplémentaires peuvent également être effectuées au moyen de véhicules légers de contrôle de l’état géométrique et des véhicules de contrôle autonomes.

    La subdivision avait été inspectée au moyen d’un véhicule lourd de contrôle de l’état géométrique de la voie du CP le 8 octobre 2021; aucun défaut n’avait été signalé entre les points milliaires 32 et 33 au cours de cette inspection.

    1.5.3 Détection des défauts de rail

    La fréquence des contrôles de détection des défauts de rail sur la subdivision de Lanigan dépassait les exigences réglementaires. Les deux chemins de fer canadiens de catégorie 1 reconnaissent la valeur de contrôles fréquents de détection des défauts de rail, en particulier pendant les mois d’hiver plus froids, où la résistance aux ruptures est réduite et les rails ayant des défauts préexistants liés à la fatigue ont plus de chances de se rompre.

    Le tableau 2 présente le taux de défauts par mille et la fréquence des contrôles pour la subdivision au cours des 5 dernières années précédant l’événement à l’étude.

    Tableau 2. Taux de défauts par mille et fréquence des contrôles sur la subdivision de Lanigan (Source : Chemin de fer Canadien Pacifique)
    Année Point milliaire Défauts Taux de défauts par mille Fréquence annuelle des contrôles
    2017 104,4 65 0,623 6
    2018 104,4 72 0,690 6
    2019 104,4 41 0,393 5
    2020 104,4 41 0,393 9
    2021 104,4 21 0,201 8

    Aucun défaut de rail n’a été décelé dans le secteur du déraillement lors du dernier contrôle effectué par un véhicule de détection des défauts de rail de Sperry Rail Service (Sperry) Note de bas de page 10, le 30 septembre 2021. L’enquête a également permis de confirmer que le véhicule de détection des défauts de rail fonctionnait correctement à cette date.

    1.6 Programmes de renouvellement des voies

    Entre 2017 et 2021, le CP a mis en œuvre plusieurs programmes de renouvellement des voies de catégorie 3 sur certaines de ses voies principales secondaires dans le Nord, notamment la subdivision de Lanigan. Les travaux ont été entrepris pour maintenir la sécurité des activités ferroviaires et veiller à ce que l’infrastructure des voies demeure conforme au RSV. Le programme de renouvellement des voies de la subdivision de Lanigan était axé sur le remplacement des rails et le nivellement de la voie, ainsi que sur le remplacement des traverses et la remise à l’écartement dans les zones qui posaient le plus de problèmes et qui avaient été mises en évidence par les contrôles de l’état géométrique. Le nivellement de la voie a été effectué le 5 juin 2020, entre les points milliaires 32,40 et 33,20.

    La dernière opération de meulage des rails dans le secteur a été achevée le 30 août 2021. L’objectif principal du meulage des rails est de contrôler les défauts de surface dus à la fatigue en enlevant une mince couche de métal à la surface du rail, ce qui améliore la géométrie de contact roue-rail, réduit les contraintes de contact et empêche ainsi la propagation de microfissures. Le meulage augmente également l’efficacité de l’auscultation par ultrasons en fournissant une surface de rail plus lisse.

    1.7 Examen du rail récupéré

    Quatre échantillons de rail, étiquetés rail 1 à rail 4, ont été récupérés près du point de déraillement initial présumé au point milliaire 32,75. Les pièces, d’une longueur allant de 2,3 à 5,6 pieds (70 à 170 cm), ont été envoyées au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario) pour un examen.

    Le rail 1 ne comportait pas de marques d’identification, mais il a très probablement été fabriqué en 1977, comme les autres rails installés dans le secteur. Il mesurait 2,4 pieds (73,2 cm) de long et présentait une surface de rupture à une extrémité et une surface de coupe à l’autre.

    L’examen de la surface de rupture a révélé 2 fissures de fatigue semi-elliptiques distinctes, plates et lisses, qui se sont agrandies au fil du temps en raison de charges répétées. Les 2 fissures ont fini par fusionner et créer une fissure semi-elliptique plus grande qui mesurait environ 0,39 pouce (10 mm) de profondeur et couvrait environ 15 % de la surface totale du champignon de rail usé. La partie restante de la surface de rupture comprenait des caractéristiques plus grossières et quelques chevrons peu marqués, ce qui indique que la fissure de fatigue s’est propagée jusqu’au patin du rail lors d’une surcontrainte soudaine.

    Les ruptures de ce type sont classées par Sperry dans la catégorie des ruptures transversales et composées. Elles trouvent leur origine dans des conditions de surface du railNote de bas de page 11. Une fois amorcées, ces fissures croissent lentement jusqu’à ce qu’elles atteignent une taille de 10 à 20 % de la surface du champignon en raison des charges répétées exercées par les trains qui passent, puis se propagent soudainement.

    La surface de roulement du champignon de rail présentait une légère conicité vers le bas sur la face extérieure. Aucune conicité semblable n’a été relevée sur la face intérieure du champignon. La conicité constatée sur la face extérieure (figure 7) porte à croire que ce rail avait été transposé; c’est-à-dire qu’il avait été installé du côté est avant d’être installé du côté ouest. Selon le personnel d’entretien de la voie du CP, il avait été transposé en 2007, lors d’importants travaux ferroviaires sur la subdivision; toutefois, il n’existe aucun document précis indiquant l’origine du rail.

    Figure 7. Surface de rupture du rail 1 montrant les 2 fissures de fatigue semi-elliptiques; profil de roue ajouté pour montrer l’effet du contact de la table de roulement de la roue sur le rail transposé (Source : BST)
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    Surface de rupture du rail 1 montrant les 2 fissures de fatigue semi-elliptiques; profil de roue ajouté pour montrer l’effet du contact de la table de roulement de la roue sur le rail transposé (Source : BST)

    La vue en plan de la surface de roulement du rail montrait des criques mineures du champignon sur la face intérieure et des marques de meulage sur la face extérieure. Des dommages attribuables à des chocs, probablement causés par le contact avec les tables de roulement des roues des wagons de marchandises, s’étendaient sur la surface de roulement du champignon de rail, mais il n’y avait pas d’élargissement (expansion horizontale) de ce dernier (figure 8).

    Figure 8. Vue en plan du rail 1 montrant les criques du champignon, les marques de meulage et une zone endommagée (Source : BST)
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    Vue en plan du rail 1 montrant les criques du champignon, les marques de meulage et une zone endommagée (Source : BST)

    La zone endommagée de la surface de rupture du rail 1 contenait une dépression qui se trouvait à environ 0,47 pouce (12 mm) longitudinalement de la surface de rupture et qui devenait de plus en plus profonde au fur et à mesure qu’elle s’approchait de la surface de rupture. La dépression mesurait environ 0,24 pouce (6 mm) à son point le plus profond.

    Par la suite, le rail 1 a été coupé sur le plan vertical à environ 1,2 pouce (30 mm) de la surface de rupture et parallèlement à celle-ci. On a constaté sur la surface de coupe de la section transversale une petite fissure verticale s’étendant de la surface de roulement du rail jusqu’à une profondeur d’environ 0,24 pouce (6 mm) (figure 9).

    Figure 9. Coupe transversale du rail 1 montrant la fissure (Source : BST)
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    Coupe transversale du rail 1 montrant la fissure (Source : BST)

    Les rails 2, 3 et 4 présentaient des ruptures à chacune de leurs extrémités. Dans chaque cas, les surfaces de rupture montraient des caractéristiques granulaires grossières et quelques chevrons peu marqués, ce qui correspond avec une surcontrainte soudaine. Aucun défaut préexistant n’a été relevé sur les surfaces de rupture.

    1.8 Usure des rails

    La mesure de l’usure verticale du champignon du rail 1 était de 9/16 pouce (14 mm), alors que l’usure de la face intérieure était minime. Selon les exigences du CP, l’usure maximale permise du champignon d’un rail de 115 livres est de 11/16 pouce (16 mm). Pour illustrer l’étendue de l’usure du champignon du rail, une coupe transversale d’un nouveau rail de 115 livres a été superposée à la coupe transversale du rail 1 (figure 10).

    Figure 10. Superposition de la coupe transversale du nouveau rail de 115 livres et de la coupe transversale du rail 1 (Source : BST)
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    Superposition de la coupe transversale du nouveau rail de 115 livres et de la coupe transversale du rail 1 (Source : BST)

    On sait que l’usure verticale du rail augmente le niveau de contrainte qui agit sur le rail et la propagation de tout défaut de rail présent, ce qui peut entraîner la rupture du rail. À la suite du déraillement d’un train de VIA Rail Canada Inc. causé par la rupture d’un rail près de Matapédia (Québec), le 12 mars 2008, Note de bas de page 12 une analyse 3D par éléments finis a été entreprise dans le but d’évaluer la façon dont l’usure verticale du champignon influe sur les contraintes exercées sur le champignon de rail. Les modèles d’analyse par éléments finis ont été établis en fonction de 4 degrés différents d’usure verticale du champignon : 0 pouce, 0,31 pouce, 0,47 pouce et 0,63 pouce (0 mm, 8 mm, 12 mm et 16 mm). Les modèles utilisaient des points d’appui et des points d’application des charges de roue simplifiés. Les contraintes et les charges présentes dans les modèles ne simulaient pas tout à fait celles qui s’exerceraient sur un rail en service. Quoi qu’il en soit, on considère que les modèles conviennent pour la réalisation d’une analyse comparative et qu’ils fournissent des renseignements d’ordre qualitatif sur la façon dont l’usure verticale influe sur les contraintes exercées sur le champignon de rail.

    Les résultats de l’analyse par éléments finis montrent que des contraintes localisées élevées sont associées au point d’application des charges exercées par les roues. Étant donné que le champignon est affecté par une usure verticale, la zone d’influence de ces charges s’étend plus profondément dans le champignon de rail. L’analyse a permis de déterminer une zone sur le champignon de rail où les contraintes augmentaient plus rapidement une fois que l’usure verticale du champignon dépassait une valeur d’environ 0,39 pouce (10 mm). Les contraintes exercées lorsque l’usure atteint 0,63 pouce (16 mm) sont de 3 à 4 fois plus grandes que celles exercées lorsqu’il n’y a aucune usure.

    1.9 Technologie de détection des défauts de rail

    Les compagnies de chemin de fer s’appuient sur les contrôles de détection des défauts de rail pour repérer les défauts internes des rails. Les véhicules rail–route de détection des défauts de rail sont équipés d’une plateforme d’auscultation qui est installée sous leur châssis et qui contient des dispositifs électromagnétique (à induction) et ultrasonore pour détecter les défauts de rail. Le matériel d’auscultation par ultrasons se compose de 3 roues d’unité de recherche roulante remplies de fluide pour chaque rail. Chaque unité de recherche à rouleaux contient un certain nombre de transducteurs qui génèrent une énergie acoustique à haute fréquence à travers le rail sous forme d’ondes afin de détecter les défauts verticaux et transversaux à l’intérieur du rail. Un milieu de couplage liquide constitué d’une mince couche d’eau mélangée à du glycol ou du calcium facilite la transmission de l’énergie ultrasonore des transducteurs jusqu’au rail.

    Au fil des ans, Sperry a mis au point et utilisé des unités de détection des défauts de rail qui combinent des transducteurs placés à différents angles afin d’obtenir la meilleure inspection possible. Des roues remplies de liquide servent à loger les transducteurs et à assurer leur contact avec les rails.

    Chez Sperry, il y a 2 unités de contrôle principales : un véhicule ferroviaire qui utilise à la fois les technologies électromagnétiques (induction) et par ultrasons pour détecter les défauts, ainsi qu’un véhicule rail-route doté d’un équipement d’auscultation par ultrasons.

    Les données recueillies par le matériel d’inspection sont transmises à l’opérateur qui se trouve à l’intérieur du véhicule, puis sont présentées sous forme visuelle sur des écrans. Six canaux montrent les signaux par ultrasons et les signaux d’induction ainsi que les endroits où des anomalies sont relevées par rapport aux points particuliers de la voie, tels que les joints et les passages à niveau. Le logiciel de reconnaissance des défauts traite les données brutes fournies par le matériel d’inspection et les présente sur des écrans. Si un opérateur estime qu’une indication est suspecte, le véhicule de contrôle s’arrête, l’opérateur en descend et il procède à un contrôle manuel du rail. Si la présence d’un défaut est confirmée, le rail est marqué et une équipe qui suit l’opérateur remplace le rail ou le protège au moyen d’un ordre de limitation de vitesse.

    L’auscultation des rails constitue une méthode fiable et économique pour la détection des défauts de rail. Cependant, elle comporte certaines limites, et les capacités actuelles de l’équipement ne permettent pas d’atteindre un taux de précision de 100 %. De plus, ces contrôles ne relèvent pas d’une science exacte : les compétences, la formation et l’expérience de l’opérateur sont nécessaires pour interpréter correctement les données et détecter les défauts. Par ailleurs les opérateurs doivent effectuer de nombreuses tâches pendant l’auscultation, notamment surveiller les données au fur et à mesure qu’elles défilent et observer l’état des rails et les caractéristiques de la voie pendant que le véhicule roule sur les rails. Les défauts doivent être suffisamment grands et perpendiculaires ou presque à l’axe du transducteur pour qu’une réponse de l’équipement puisse être traitée et soumise à l’interprétation de l’opérateur.

    Les surfaces des rails doivent également être lisses et propres pour accepter et refléter correctement le signal du transducteur, car la capacité de détecter les défauts peut en outre être influencée par la présence de graisse ou de saleté sur le champignon de rail. L’état de la surface et même l’usure du champignon peuvent également avoir une incidence sur le signal.

    La voie située dans le secteur où a eu lieu le déraillement avait été inspectée avant l’accident par différents inspecteurs de Sperry.

    1.10 Ligne directrice de l’American Railway Engineering and Maintenance-of-Way Association

    Étant donné que la technologie et l’équipement actuels ne permettent pas d’obtenir une précision à 100 %, l’American Railway Engineering and Maintenance-of-Way Association (AREMA) a établi une ligne directrice sur la performance minimale recommandée pour les contrôles de détection des défauts de rail Note de bas de page 13 . Le taux de fiabilité est utilisé pour mesurer la performance des contrôles. Il se définit en termes de pourcentage des défauts réels en voie que l’on peut s’attendre à repérer dans un seul contrôle par une voiture d’auscultation conduite par un opérateur expérimenté et roulant sur une voie présentant une variété typique de conditions. Les taux de fiabilité dépendent de la taille du défaut et de la catégorie de voie. Le tableau 3 présente le taux de fiabilité relatif aux défauts transversaux dans le champignon de rail pour les voies de catégorie I Note de bas de page 14.

    Tableau 3. Ligne directrice sur la performance de l’American Railway Engineering and Maintenance-of-Way Association concernant le taux de fiabilité relatif aux défauts transversaux dans le champignon de rail pour les contrôles de détection des défauts de rail sur des voies de catégorie I (Source : American Railway Engineering and Maintenance-of-Way Association)
    Taille du défaut (pourcentage de la surface du champignon) Taux de fiabilité (pourcentage)
    De 5 à 10 65
    De 11 à 20 85
    De 21 à 40 90
    De 41 à 80 98
    De 81 à 100 99

    La ligne directrice de l’AREMA peut servir de base à une entente entre l’opérateur de la voiture de contrôle des rails et la compagnie de chemin de fer sur une norme de performance minimale acceptable.

    1.11 Détection des rails rompus

    Sur les subdivisions où les mouvements des trains sont régis par un système de commande centralisée de la circulation avec signalisation, des signaux en bordure de la voie sont installés le long de l’emprise ferroviaire. Les signaux sont reliés par des circuits de voie qui fonctionnent à travers les rails. Ce système offre une certaine protection contre les ruptures de joints et de rails préexistantes qui entraînent des brèches de rails.

    Sur les subdivisions où les mouvements des trains sont régis par le système ROV, cette protection n’est généralement pas offerte. Par conséquent, les joints et les rails rompus qui engendrent des séparations ou des brèches de rail peuvent passer inaperçus pendant un certain temps, à moins qu’ils ne soient détectés lors d’une inspection ou relevés par un employé ou des équipes de trains qui s’approchent. En réponse à des déraillements survenus sur des subdivisions du CP régies par la ROV, en 2021, le CP a mis au point un système de détection des ruptures de rail, les Rail Integrity Non-Vital Overlay Detectors (RINOD), pour les territoires non signalisés. Le système RINOD transmet des notifications automatiques au centre d’exploitation du CP en cas de rupture de rail, de brèche de rail, de joint ayant du jeu ou de rupture de joint de rail, ce qui permet au centre d’exploitation d’arrêter un train avant qu’il ne rencontre de telles discontinuités de la voie.

    Le système RINOD fonctionne en envoyant un signal basse tension alimenté par des cellules solaires et des piles lithium-ion le long des rails et s’appuie sur des technologies telles que des circuits miniaturisés de traitement du signal qui transmettent de l’information au centre d’exploitation du CP pour assurer une surveillance continue.

    Même si le CP a installé le système RINOD sur certaines de ses subdivisions non signalisées avant l’événement à l’étude, le système n’était pas en place sur la subdivision de Lanigan au moment du déraillement.

    1.12 Rapports de laboratoire du BST

    Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

    • LP029/2022 – Rail Examination [Examen du rail]

    2.0 Analyse

    Le train de marchandises 603-897 (le train) du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), un train-bloc transportant de la potasse, était exploité conformément aux exigences réglementaires. Ni l’état du matériel roulant ni la manière dont le train était conduit ne sont considérés comme des facteurs contributifs à l’accident à l’étude. Un échantillon de rails rompus présentant des défauts a été récupéré sur le lieu du déraillement. L’analyse portera donc sur l’examen des rails rompus, l’usure et la fatigue des rails, les contrôles de détection des défauts de rail et la détection des ruptures de rail.

    2.1 L’accident

    Le 16 octobre 2021, le train roulait en direction sud sur la subdivision de Lanigan du CP lorsque le microphone externe de la locomotive de tête a capté un bruit et que la vidéo enregistrée par la caméra orientée vers l’avant a montré que la locomotive s’inclinait légèrement à droite aux environs du point milliaire 32,75. Peu après, un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est déclenché et 27 wagons, situés aux positions 125 à 151 derrière la locomotive de tête, ont déraillé.

    L’examen de la table de roulement de la roue R1 (côté ouest) du bogie arrière du 124e wagon, qui était le dernier wagon de la partie avant du train qui n’a pas déraillé, a révélé des dommages attribuables aux chocs qui correspondaient à un contact entre la table de roulement et la section transversale exposée du champignon du rail rompu. À la température de −4 °C, comme au moment de l’événement à l’étude, toute rupture de rail engendrerait une brèche de rail d’une longueur de 2 à 3 pouces (51 à 76 cm) si les rails avaient été soumis à des contraintes convenables. Par conséquent, il y aurait un important écrasement des abouts de rail découlant du choc des roues sur les bords de la brèche. Le fait que les roues des wagons précédents et de la locomotive ne présentaient aucune trace de choc laisse croire que le rail était intact avant l’arrivée du train et qu’il s’est rompu sous le 124e wagon.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Le train-bloc de potasse 603-897 du CP a déraillé lorsque le rail ouest s’est rompu, probablement sous le bogie arrière du 124e wagon, aux environs du point milliaire 32,75 de la subdivision de Lanigan.

    2.2 Examen du rail rompu

    Quatre morceaux de rail, étiquetés rail 1 à rail 4, récupérés sur le rail ouest près du point milliaire 32,75 ont été examinés au Laboratoire d’ingénierie du BST. Aucun défaut préexistant n’a été observé sur les surfaces de rupture des rails 2, 3 et 4, ce qui indique que les ruptures ont été causées par une surcontrainte. Cependant, l’examen de la surface de rupture du rail 1 a révélé 2 fissures de fatigue semi-elliptiques distinctes. Les fissures de fatigue semi-elliptiques sont des caractéristiques habituellement associées à des fissures de fatigue préexistantes dont la taille a augmenté au fil du temps en raison d’une charge répétée.

    Les 2 fissures ont fini par fusionner et créer une fissure semi-elliptique plus grande dont la surface représentait environ 15 % de la surface totale du champignon de rail usé. La partie restante de la surface de rupture comprenait des caractéristiques plus grossières et quelques chevrons peu marqués, ce qui indique que la fissure de fatigue s’était propagée jusqu’au patin du rail lors d’une surcontrainte soudaine lorsque le train est passé.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Le rail ouest s’est rompu dans des conditions de service normales lorsque des fissures de fatigue préexistantes, qui représentaient environ 15 % de la surface totale du champignon de rail, se sont propagées jusqu’au patin du rail lors d’une surcontrainte soudaine.

    2.3 Usure et fatigue du rail

    L’usure du champignon de rail permise par le CP pour les rails de 115 livres est de 11/16 pouce (16 mm) et l’usure verticale mesurée du champignon du rail 1 était de 9/16 pouce (14 mm). La surface de roulement du champignon de rail présentait aussi une légère conicité du côté extérieur. L’enquête a permis de déterminer que le rail avait été transposé en 2007. Bien que l’usure du champignon se situait toujours dans les limites permises, son usure le rendait plus vulnérable à l’apparition et à la propagation de fissures de fatigue. De plus, la présence d’une petite fissure de fatigue verticale s’étendant de la surface de roulement du rail jusqu’à une profondeur d’environ 0,24 pouce (6 mm) dans une section du rail 1 située à 1,2 pouce (30 mm) de la surface de rupture et parallèle à celle-ci permet de penser que cette section du rail présentait probablement des fissures multiples. De telles fissures, qui peuvent se propager au fil du temps sur un champignon de rail très usé, comme celui de l’événement à l’étude, peuvent indiquer que le rail approche de la limite de sa durée de vie.

    La fatigue du rail est influencée par de nombreux facteurs, parmi lesquels le tonnage cumulatif et les contraintes connexes exercées sur le rail jouent un rôle prédominant. Étant donné que l’origine du service et la date d’installation du rail sont inconnues, il n’est pas possible de déterminer avec précision le tonnage cumulatif qui a transité par le rail. Cependant, la date probable de fabrication (1977), l’usure mesurée du rail et la présence de fissures internes laissent penser que le rail 1 a été exposé à un tonnage cumulatif élevé au cours de sa durée de vie.

    Une analyse par éléments finis effectuée par le BST à la suite du déraillement d’un train de VIA Rail Canada Inc. causé par la rupture d’un rail survenu près de Matapédia (Québec) le 12 mars 2008 Note de bas de page 15 a révélé qu’une augmentation de l’usure verticale du champignon de rail entraîne un accroissement des contraintes globales exercées sur le rail par la charge des roues, ce qui a une incidence sur l’intégrité du rail et sa durée de vie en fatigue.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Bien que l’usure du champignon du rail qui s’est rompu se situait dans les limites de service permises par le CP, l’usure du champignon de rail avait accru le niveau de contrainte agissant sur le rail sous l’effet de la charge des roues, ce qui a réduit la durée de vie en fatigue du rail et l’a rendu plus susceptible de se rompre en raison de la présence de fissures de fatigue.

    2.3.1 Contrôles de détection des défauts de rail

    Les contrôles de détection des défauts de rail constituent une méthode fiable et économique pour repérer les défauts de rail, mais ils ont leurs limites. Par exemple, l’American Railway Engineering and Maintenance-of-Way Association (AREMA) a reconnu que la technologie et l’équipement actuels ne permettaient pas d’atteindre une précision à 100 % lors des contrôles de détection des défauts de rail. Par conséquent, l’AREMA a établi une ligne directrice sur la performance minimale recommandée pour les contrôles de détection des défauts de rail.

    La capacité de détecter les défauts dépend de leur taille et de leur type. Selon la ligne directrice de l’AREMA, le taux de fiabilité pour la taille des fissures de fatigue relevées sur le rail 1 est de 85 %, ce qui signifie qu’en moyenne, jusqu’à 15 % des défauts de rail sont susceptibles de ne pas être détectés.

    Fait établi quant aux risques

    Compte tenu des limites de précision des contrôles actuels de détection des défauts de rail, les rails qui présentent des défauts internes peuvent parfois être classés à tort comme étant exempts de défauts, ce qui augmente le risque de rupture et de déraillement subséquent.

    La capacité de détecter les défauts internes peut également être compromise par des conditions de surface du rail comme les criques du champignon, l’écaillage et l’exfoliation  ainsi que par l’usure du champignon. Les rails transposés peuvent aussi parfois faire en sorte que le capteur de la roue de détection des défauts de rail n’entre pas complètement en contact avec la surface du champignon de rail, ce qui nuit à l’efficacité des contrôles de détection des défauts de rail dans ces zones.

    La voie avait fait l’objet de contrôles de détection des défauts de rail à plusieurs reprises peu avant l’accident, et ce, par différents inspecteurs de Sperry Rail Service, et aucun défaut de surface n’avait été signalé. En outre, la caméra vidéo orientée vers l’avant de la locomotive de tête n’a révélé la présence d’aucune anomalie visible sur la voie. Cependant, le microphone externe a capté un bruit et la vidéo enregistrée par la caméra orientée vers l’avant a montré que la locomotive s’inclinait légèrement vers la droite alors qu’elle franchissait la zone située aux environs du point milliaire 32,75, inclinaison probablement causée par une dépression de surface à l’endroit de la surface rompue du champignon du rail 1.

    De plus, la surface de roulement du rail 1 présentait des criques mineures du champignon sur la face intérieure, et ce, malgré le fait que la dernière opération de meulage du rail dans le secteur avait été effectuée le 30 août 2021.

    Fait établi quant aux risques

    Des conditions de surface du rail peuvent masquer la présence d’un défaut de rail émergent, ce qui accroît le risque que ce défaut progresse sans être détecté et conduise à un déraillement par rupture de rail.

    Afin d’atténuer certains des risques liés aux limites des contrôles de détection des défauts de rail et aux répercussions des conditions de surface sur la détection des défauts, les compagnies de chemin de fer ont augmenté la fréquence des contrôles de détection des défauts de rail et des activités de meulage des rails. Les deux compagnies de chemin de fer canadiennes de catégorie 1 reconnaissent la valeur des contrôles fréquents des défauts de rail, en particulier pendant les mois froids d’hiver, lorsque la résistance à la rupture est plus faible et les rails présentant des défauts préexistants attribuables à la fatigue ont plus de chances de se rompre. Par exemple, la fréquence des contrôles de détection des défauts de rail sur la subdivision de Lanigan dépassait largement les exigences réglementaires et avait été multipliée par huit au cours des dernières années.

    La stratégie adoptée par le CP s’est traduite par des avantages importants en matière de sécurité et a entraîné une baisse constante du taux de défauts par mille sur la subdivision de Lanigan depuis 2018; néanmoins, un examen des données tirées du dernier contrôle de détection des défauts de rail effectué avant le déraillement, le 30 septembre 2021, n’a révélé aucun défaut.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Malgré les contrôles réguliers de détection des défauts de rail, qui dépassaient les exigences réglementaires, les limites d’exactitude de l’équipement actuel de contrôle de détection des défauts de rail, combinées avec le rail transposé, l’usure du champignon de rail et la dépression de surface dans le secteur des ruptures de rail, ont probablement rendu les fissures de fatigue difficiles à détecter.

    2.4 Détection des rails rompus

    En territoire non signalisé, comme la subdivision de Lanigan, il n’y a pas d’avertissement préalable pour protéger les équipes de train contre les discontinuités de la voie, telles que les ruptures de joints et de rails. Par conséquent, les joints et les rails rompus qui engendrent des séparations ou des brèches de rail peuvent passer inaperçus pendant un certain temps, à moins qu’ils ne soient détectés lors d’une inspection ou relevés par un employé ou des équipes de trains qui s’approchent.

    En territoire régi par le système ROV et où le système Rail Integrity Non-Vital Overlay Detectors (RINOD) du CP est installé, des notifications automatiques sont envoyées au centre d’exploitation du CP en cas de rupture de rail, de brèche de rail, de joint ayant du jeu ou de rupture de joint de rail. Les notifications fournissent un avertissement précoce qui permet au centre d’exploitation d’arrêter un train avant qu’il ne rencontre de telles discontinuités de la voie en territoire non signalisé. Cependant, le système RINOD n’est pas toujours en mesure d’avertir d’avance les équipes de train des discontinuités dans la voie, par exemple lorsqu’un rail se rompt directement sous un train.

    Fait établi : Autre

    Le système RINOD du CP constitue une avancée importante en matière de sécurité ferroviaire sur le territoire régi par la régulation de l’occupation de la voie.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

    1. Le train-bloc de potasse 603-897 du Chemin de fer Canadien Pacifique a déraillé lorsque le rail ouest s’est rompu, probablement sous le bogie arrière du 124e wagon, aux environs du point milliaire 32,75 de la subdivision de Lanigan.
    2. Le rail ouest s’est rompu dans des conditions de service normales lorsque des fissures de fatigue préexistantes, qui représentaient environ 15 % de la surface totale du champignon de rail, se sont propagées jusqu’au patin du rail lors d’une surcontrainte soudaine.
    3. Bien que l’usure du champignon du rail qui s’est rompu se situait dans les limites de service permises par le Chemin de fer Canadien Pacifique, l’usure du champignon du rail avait accru le niveau de contrainte agissant sur le rail sous l’effet de la charge des roues, ce qui a réduit la durée de vie en fatigue du rail et l’a rendu plus susceptible de se rompre en raison de la présence de fissures de fatigue.
    4. Malgré les contrôles réguliers de détection des défauts de rail, qui dépassaient les exigences réglementaires, les limites d’exactitude de l’équipement actuel de contrôle de détection des défauts de rail, combinées avec le rail transposé, l’usure du champignon de rail et la dépression de surface dans le secteur des ruptures de rail, ont probablement rendu les fissures de fatigue difficiles à détecter.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

    1. Compte tenu des limites de précision des contrôles actuels de détection des défauts de rail, les rails qui présentent des défauts internes peuvent parfois être classés à tort comme exempts de défauts, ce qui augmente le risque de rupture et de déraillement subséquent.
    2. Des conditions de surface du rail peuvent masquer la présence d’un défaut de rail émergent, ce qui accroît le risque que ce défaut progresse sans être détecté et conduise à un déraillement par rupture de rail.

    3.3 Autres faits établis

    Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

    1. Le système Rail Integrity Non-Vital Overlay Detectors du Chemin de fer Canadien Pacifique constitue une avancée importante en matière de sécurité ferroviaire sur le territoire régi par la régulation de l’occupation de la voie.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    Le 29 juillet 2022, le Chemin de fer Canadien Pacifique(CP) a mis en place son système Rail Integrity Non-Vital Overlay Detectors (RINOD) sur la subdivision de Lanigan. Le système RINOD envoie des notifications automatiques au centre d’exploitation du CP en cas de rupture de rail, de brèche de rail, de joint ayant du jeu ou de rupture de joint de rail. Les notifications fournissent un avertissement précoce qui permet au centre d’exploitation d’arrêter un train avant qu’il ne rencontre de telles discontinuités de la voie en territoire non signalisé.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .